lundi 24 octobre 2011

Principe perceptif et de réception de la peinture.

Principe perceptif et de réception de la peinture.


La vraisemblance ou l’imitation engage la reconnaissance par le spectateur des formes proposées par l’artiste. L’oeil dans ce système est l’interface sensible. La reconnaissance des formes mises en place par le peintre se fait par l’oeil mais surtout par l’esprit. L’oeil est défini comme un simple appareil objectif, tel la caméra obscura décrite lors de la précédente conférence. La mimésis conduit à une question sensible par ce jeu de l’interprétation de la forme. L’objet ainsi présenté est supérieur à la réalité car au-delà d’une nature arrangée il s’agit aussi de véhiculer un certain nombre de symboles. Derrière une nature morte se trouve le thème de la vanité, derrière la figure d’un saint se trouve un principe dévotionnel. L’interface sensible que constitue l’oeil va devenir à la fin du XVIIIe siècle un élément actif et non plus passif du principe de saisie de l’oeuvre.

La compréhension et la connaissance du fonctionnement que l’oeil va profondément changer la notion et la figuration de l’imitation de la réalité. Dans une oeuvre qui se veut de plus en plus sensualiste, l’artiste cherchera avant de toucher l’esprit du spectateur de créer une excitation sensorielle. Il faut donc considérer que l’oeil n’est pas un élément passif de l’observation du bien totalement actif.

Le principe perceptif, l’interface sensible qui permet la saisie du réel modélise la construction de la vérité. Le régime sensible de l’oeuvre prôné par la réforme empathique du tableau dès la renaissance établit un dialogue étonnant. Toucher le spectateur signifie générer du sensible. Comprendre le fonctionnement des sens permet dans une certaine mesure de générer un ressenti supérieur au réel. La confrontation entre le vrai-semblant et le faux-semblant repose sur cette illusion sensorielle, et débouche sur une réception de l’oeuvre dépendante pour sa qualité de cette excitation. Le sujet par son intérêt mène aux sentiments les plus grands ou les plus infimes.


Les théories de Newton comme celle en général de la physique décrivent des phénomènes extérieurs. Dans une question environnementale, il s’agissait de considérer que la vraisemblance en peinture étaie la figuration et les correspondances avec les phénomènes physiques.

Isaac Newton propose un schéma de décomposition de la couleur assez proche du modèle moyenâgeux et des siècles précédents. Les diagrammes newtoniens octroient aux peintres une grande cohérence sur la composition et une certaine homogénéité. Les théories physiques du rayon ont appuyé la perspective géométrique, les théories d’un oeil actif déstructurent et redéfinissent la relation entre l’observateur et son environnement.

Les descriptions de Newton met en place une impression d’un contrôle absolu de la couleur et de sa représentation. La place que prend le phénomène coloré et lumineux ainsi que sa réception dans la compréhension du sentiment au sein de l’oeuvre va petit à petit déconstruire ses certitudes. Dès 1664 chez Boyle nous trouvions une interrogation sur l’utilisation de la couleur et son lien avec la nature :

« l’emploi mécanique des couleurs chez les peintres et les teinturiers dépend en grande partie de la connaissance des couleurs qui résultent des mélanges de pigments colorés (...) Et il est profitable aux naturalistes contemplatifs de savoir combien il y a de couleur primitive (si je puis est nommé ainsi) ou simple est de savoir lesquelles, car cela facilite à la fois la tâche, confinant son enquête bien attentive à un petit nombre de couleurs dont le reste dépend, et l’aide à juger de la nature des couleurs composées particulières, en lui montrant, d’après le mélange, de quelle couleur simple, et dans quelle proportion de celle-ci par rapport aux autres, résulte la couleur particulière en considération (...) ».

Cette pensée trouve un écho chez Roger de piles, qui dans un ouvrage très populaire démontre qu’en peinture de facteurs détermine la couleur : la justesse de la perception des tons et l’habilité à leur donner de l’importance requise. On atteint le premier en comparant sans cesse les couleurs du motif à celle de la palette. La seconde s’acquiert par l’étude des effets chromatiques dus à la juxtaposition et la disposition passe spatiale, où intervient la perspective atmosphérique.

L’observation des variations de la couleur par des enjeux de la lumière devient l’une des clés de voûte l’exactitude de la composition picturale. Pouvoir faire correspondre les variations de la palette avec celle de la nature coïncide toujours avec l’enjeu d’un peintre dont la composition est inspirée de la nature.

L’observateur devient petit à petit un faiseur de réalité, ainsi les théories de Buffon, décrites à l’Académie des sciences en 1743 soulèvent d’étranges phénomènes colorés.

« lorsqu’on regarde fixement et longtemps une tâche ou une figure rouge sur un fond blanc, comme un petit carré de papier rouge sur un papier blanc, on voit naître autour du petit carré rouge une espèce de couronnes à verre faible ; en cessant de regarder le carré rouge si on porte l’oeil sur le papier blanc, on voit très distinctement un carré d’un vert tendre, tirant un peu sur le bleu ; cette apparence subsiste plus ou moins longtemps, selon que l’impression de la couleur rouge a été plus ou moins forte. La grandeur du carré vert, est la même que celle du carré réel rouge, et ce vert s’est admis qu’après que l’oeil s’est rassuré et s’est porté successivement su plusieurs autres objets dont les images détruisent l’impression trop forte causée par le rouge. »

Bien que incapable d’y trouver une explication, il nomme ses couleurs « accidentelles » pour les opposer aux couleurs naturelles. Dans le cadre d’un questionnement de la vraisemblance nous pourrions considérer que ces phénomènes observés par Buffon s’éloignent de l’enjeu de la mimésis.

Pourtant il s’agit de trouver un lien ou ne comprend ce qui peut relier le couleur accidentelle considérer comme un écart et la couleur naturelle considérée comme la norme. Cette conception d’écart énorme repose sur une opposition lourde de conséquences entre la subjectivité des couleurs accidentelles et l’objectivité des lois de la physique, qui fournissent les conditions de la vision normale. Cette dualité en posant une image objective et une impression subjective. L’expression de « couleurs accidentelles » fait fortune évaluée à une abondante littérature jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans notre cycle sur la vraisemblance il s’agit de comprendre l’émergence d’une subjectivité de la perception qu’il devient alors moteur pour la critique de la perception de l’oeuvre et de sa réception.

Par la remise au centre de la composition de son regardeur, la peinture suivant le modèle scientifique questionne de plus en plus de physiologiques et de moins en moins l’optique. Si Newton n’est pas effacé, il est plus que compléter par ces questions d’effet d’apparition de et surtout par cette mise en place d’un lien concentrique et excentrique entre l’homme et son environnement.

La physiologie perceptible crée un phénomène de polarité dans la perception du réel. Des images rémanentes peuvent venir se superposer dans l’oeil. Le caractère accidentel n’a de tels phénomènes appuie le régime d’artificialité la représentation peinte. La vraisemblance se trouve alors redéployer par des questionnements de la perception visuelle.


Sous la plume de Goethe les couleurs accidentelles devient une arme contre Newton. Ce qui n’était décrit par Buffon que comme un constat d’un oeil malade et par la définition de phénomènes marginaux deviennent avec le philosophe allemand une donnée normale. Goethe décide de les nommer couleur physiologique, « parce qu’elles appartiennent à l’oeil sain et normal, et parce que nous voyons en elle les conditions nécessaires de la vision ».

Goethe s’est reposé son ouvrage de 1810 la théorie des couleurs sur l’expérience vécue par lui-même dans cette sensation générale. L’écran de Goethe et sa propre rétine et l’oeil semble un outil suffisant pour étudier la couleur.

L’enjeu des phénomènes décrits par le philosophe comprend qu’il n’a pas simplement un modèle scientifique physique mais bien au contraire une mise au centre de tous les intérêts de l’observation de l’observateur. L’oeil est une structure qui peut s’émerveiller et qui surtout n’est pas inactive. Le phénomène des couleurs complémentaires, utilisé depuis la peinture du bas Moyen Âge trouve ici une nouvelle orientation argumentée par cette activité physiologique de l’oeil du spectateur. La couleur devient alors la possibilité d’un rapprochement de l’art et de la nature.

La forme porte toujours la fonction théâtrale de la peinture mais va petit à petit se dissoudre dans une compréhension coloriste de son lien au réel.

La théorie des couleurs de Goethe repose sur trois points:

  • S’en tient aux phénomènes lui même : « le fait est déjà théorie»
  • S’appuie sur les propriétés phosphériques de l‘oeil vivant. (procède du plus proche au plus lointain)
  • Débouche sur une plénitude du visuel vécu comme un art et comme une technique.

La théorie de Goethe débouche sur un je plus présent, sur une technique picturale, art du visible, exercée en tant que fruit de la maîtrise du regard, et instruit la voie de la maîtrise. Le je plus présent génère une autoanalyse.

Sept divisions opérationnelles de l’esthétique constituent une des clés d’un principe d’exercices mentaux quotidiens. L’allongement du temps d’observation du tableau, comme exercice visuel conduit la couleur à devenir une expérience consciente et surtout amène la possibilité que la vue soit un sens développable.

Le lien entre la nature et l’oeil pour la vraisemblance est validé.

Goethe: « Nous disions donc que la nature entière se manifeste au sens de la vue par la couleur. Nous affirmerons maintenant, bien que la chose puisse paraitre quelque peu étrange, que l’oeil ne voit aucune forme, le clair, l’obscur et la couleur constituant ensemble ce qui pour l’organe distingue un objet de l’autre, et les parties de l’objet entre elles. Ainsi édifions nous avec ces trois éléments le monde visible et rendons du coup la peinture possible, laquelle est capable de produire sur la toile un monde visible beaucoup plus parfait que le monde réel». Traité des couleurs p.80.

La validation d’une peinture rendue possible par la compréhension d’une composition d’un monde uniquement de champs colorés ouvre une nouvelle voie au régime de vraisemblance de la pratique picturale.

Il faut distinguer les théories scientifiques et des théories artistiques de la couleur. Dans ce dialogue entre arts et sciences, on finit par perdre de vue que chaque activité répond à des objectifs très différents même s’ils peuvent avoir plusieurs traits en commun. L’objectif d’une théorie scientifique de la couleur est de comprendre et d’expliquer les différents phénomènes chromatiques du point de vue de leur mécanisme physique, physiologique, etc. L’objectif d’une théorie artistique de la couleur est, en s’appuyant ou non sur une théorie scientifique, de fournir aux artistes un ensemble de principes, de règles, de conception, de forme ou de « loi ».

Chevreul en 1841 dira : « les couleurs sont vues modifiées avant qu’on éprouve la moindre fatigue». C’est donc une nouvelle recherche à laquelle Chevreul s’adonnent au travers d’observation. Si en effet la fatigue l’oeil ne peut être allégué, comment rendre compte d’une manière irréfutable de ces phénomènes subjectifs de la vision la couleur, en dépassant la seule description du phénomène ?

Que cela soit chez Goethe ou que cela soit chez Buffon les deux théoriciens n’ont simplement qu’observer des phénomènes, sans en développer les raisons. Ampère ami de Chevreul lui fit remarquer que pour lui tant que ces observations ne seront pas résumées une loi elles n’ont aucune valeur pour lui. Chevreul remporte le défi lancé par Ampère avec l’énoncé de la loi des contrastes simultanés. L’enjeu est de taille il s’agit pour le chimiste de faire basculer un phénomène qualifié d’accidentel en un phénomène permanent qui lui vaudra une reconnaissance et un caractère d’universalité. Pour le scientifique les phénomènes décrits par Buffon ne sont certes plus accidentels, puisqu’il en montre la généralité, mais ils restent néanmoins subjectifs.

Pour développer son champ théorique Chevreul doit faire appel à d’autres travaux qui contribuent une remise en question des rapports traditionnels de l’oeil et de l’objet perçu. Les phénomènes de contrastes sur lesquels Chevreul attire l’attention s’interpose entre l’oeil et ce qu’il regarde, la perception des couleurs est comprise comme un processus transparent. Et de fait un certain nombre de peintres manifesteront à partir du XIXe siècle un vif intérêt tant pour les effets subjectifs de perception que pour le rendu des « accidents » de la lumière. La découverte par Chevreul d’une loi générale régissant la perception des rapports entre couleur contiguë constitue une revalorisation massive de la couleur qui exerce une influence soutenue sur plusieurs générations de peintres dans la conquête des voix propres à la couleur qui mèneront jusqu’à l’abstraction.

Chevreul est un chimiste qui s’appuie sur une méthodologie extrêmement stricte, mais il travaille la couleur dans des domaines de la physiologie et de la psychologie par les impressions que nous recevons de la vue des couleurs et les jugements que nous en portons. Un quart de siècle avant les travaux de Helmholtz, Chevreul adopte une position préfigurant ce qui allait devenir l’optique physiologique, en mettant l’accent sur l’importance des facteurs psychologiques de la perception les propriétés organoleptiques valent aussi pour les couleurs. Chevreul souligne qu’en appelant « rouge, orangé, jaune, vert, bleu et violet » les rayons de lumière auxquels nous attribuons ses couleurs, « nous leur transportons les sensations particulières qu’ils éveillent en nous ». Il met un point final au vieux débat évoqué dans l’encyclopédie : les modifications de couleurs qui se produisent en nous peuvent désormais être étudiées comme des propriétés organoleptiques. Par ce positionnement Chevreul rend compatible la physique de Newton faisant de l’objet d’une étude scientifique et l’utilisation des méthodes appropriées. Chevreul n’est pas le seul à rédiger des ouvrages sur la théorie des couleurs au XIXe siècle mais cette position singulière lui octroie un intérêt substantiel.

Dès le début du XIXe siècle se manifeste un intérêt qui ira croissant pour les effets subjectifs de la perception des couleurs. Il convient cependant de préciser que cette valorisation du pôle physiologique chez Goethe ou encore Schopenhauer voulait contrecarrer l’optique physique de Newton, alors que Chevreul tente de faire rentrer ses effets physiologiques dans le cadre que définit l’optique. L’intérêt pour ces effets constitue une récurrence de l’approche de la couleur au XIXe siècle avec comme caractéristiques que le corps lui-même produit des couleurs, et devient un agent actif dans l’expérience optique. La vision, qui constituaient jusque-là une forme privilégiée de connaissances, perd sa transparence et devient elle-même objet de connaissance. Cette importance dévolue au sens de la vue ne signifie pas cependant le retour à un empirisme naïf, il a croyance pure et dure dans les données, dans les faits, tels qu’ils nous sont positivement transmis par les sens.

Clarifions quelque peu le concept central de complémentarité qui joue à partir du début du XIXe siècle un rôle de tout premier plan dans les théories scientifiques de la couleur, comme dans celle de l’harmonie chromatique. Pour clarifier un peu les choses nous pouvons distinguer deux courants dans l’intérêt croissant qui se manifeste dès la seconde moitié du XVIIIe siècle pour les couleurs opposées et qui culmine au XIXe siècle pour encore aujourd’hui faire force de loi.

Naturaliste La première tendance est celle que l’on pourrait qualifier de naturalistes, inauguré par le mémoire de Buffon sur les couleurs accidentelles en 1743. Retrouver cette question dans le système naturel des couleurs vers 1770 d’un naturaliste anglais Moses Harris, où l’on retrouve les deux premiers cercles chromatiques montrant clairement trois couleurs primaires et trois couleurs composées (rouge jaune et bleu ; orange, violet pourpre) avec indication de contraste. On retrouve aussi dans un système des couleurs en Allemagne en 1771 une logique harmonieuse chez Ignace Schiffermüller. Tous ces scientifiques travaillent dans un intérêt de situer les phénomènes physiologiques dans la physique newtonienne.

Artificielle ou peinte Deuxième tendance est élaborée par les théoriciens de la peinture et concerne les mélanges de piment. La constitution de couleur « primaire » et la mise au point de règles présidant leur mélange. Cette tendance antérieure permet d’entrevoir une sorte de prédisposition des peintres à la complémentarité, mais surtout un principe d’une couleur technique et industrielle.


Il faut pourtant très rapidement mettre une limite à cette juxtaposition d’une tendance naturaliste que l’on pourrait qualifier plutôt de scientifiques et d’une tendance artificielle que l’on pourrait rattacher à la teinte et à la peinture. La lumière par un type de mélanges additifs résulte sur du blanc le pigment par un type de mélange soustractif résulte sur du noir ou du gris. Il n’y a pas de possibilité de lier semble-t-il fondamentalement dans une seule et même théorie un travail pigmentaire de la couleur et un travail lumineux. Les grammaires des arts et des couleurs tendent à vouloir décrire un système d’harmonie générale dont le principe des complémentaire serait la clé de voûte. L’application de contrastes et de complémentarité montre bien aussi des questions sémantiques fondamentales. Si une couleur est en contraste, elle est en opposition. Si elle est complémentaire elle est en adéquation, en complément.

Il faut souligner la raison de chevauchements de contrastes et de juxtaposition qui viennent évidemment éclater le principe d’une couleur et d’une variation de la teinte. Il va donner à cette théorie une loi structurale qui organise concrètement l’ensemble des contrastes.

Pour Chevreul il existe deux types de contraste :

« le contraste simultané des couleurs renferme tous les phénomènes de modifications que les objets diversement colorés paraissent éprouver dans la composition physique, et la hauteur du ton de leur couleur respective renvoie simultanément.

Le contraste successif des couleurs renferme tous les phénomènes qu’on observe lorsque les yeux ayant regardé pendant un certain temps un ou plusieurs objets colorés, aperçoivent après avoir cessé de regarder les images de ces objets aux francs la couleur complémentaire de celle qui est propre à chacun d’eux. »

Ces règles semblent extrêmement dogmatiques et peu applicables à un système pictural. Pourtant ils vont proposer une approche cognitive et sensible permettant de faire de l’oeil le véritable auteur de la construction du tableau. Le livre de Chevreul a comme but l’application de ces modalités et de cette loi dans tout système régi par la couleur. La peinture ne déroge pas à la règle et il va pour cela développer un certain nombre de systèmes.

La théorie des contrastes simultanés propose une loi qui dresse des ponts entre un phénomène observable physiquement et psychologiquement et sa représentation picturale. La déstructuration de la composition par et l’avènement des aplats colorés sont en partie de la part des artistes romantiques l’évocation d’une recomposition mentale de la réalité. Ce qui peut sembler comme une rupture dans la mimésis n’en est pas moins un rapprochement pour les artistes d’une prise en considération du phénomène perceptif lui-même. La logique d’harmonie sous-entendue part Chabrol nourrit une nouvelle harmonie picturale. En cela le phénomène sensitif demeure l’enjeu de la peinture et de sa vraisemblance.

Le physiologue allemand Hermann von Helmholtz écrira un ouvrage sur les liens entre l’optique et la peinture traduit en français en 1878. Nous pouvons lire: « j’ai déjà désigné la représentation que la peinture doit donner des lumières et des couleurs de ces objets comme une traduction, j’ai fait ressortir qu’en général elle ne pourrait être une copie fidèle de tous les détails. L’échelle modifiée d’écarter, que l’artiste est obligé d’employer dans beaucoup de cas, s’y opposent déjà. Il doit reproduire, non pas la couleur réelle des objets, mais l’impression qu’elle a produite ou produirait sur la vue, de façon à créer une image visible de ces objets aussi nette et aussi vivante que possible.»

La bascule qui s’opère tout au long du XIXe siècle dans ce principe de la vraisemblance face à une modélisation scientifique, sert de support à l’établissement de la représentation. L’avènement de la modernité, dont les romantiques semblent être la première vague, renvoie à une autre réalité en peinture : la subjectivité. Avec son traité des couleurs, Goethe décrète que tout fait observé devient théorie. Sur ce postulat on conçoit alors rapidement que la subjectivité de l’artiste dépasse l’objectivité de la représentation. L’avènement d’un artiste comme utilisant la teinte en faire valoir de cette technique prend toute sa place dans un XIXe siècle où la subjectivité prime sur le collectif. Delacroix qui se pose des questions similaires à Chevreul, apporte des réponses uniques et subjectives.

Les impressionnistes semblent cohérents car regroupés en un seul mouvement, pourtant le phénomène de l’impression lumineuse est totalement subjective et physiologique. Chaque oeil ne voit pas le monde de la même manière, et la retranscription transparente du phénomène lumineux se fait par l’opacité de la touche.

En 1857, Jules Jamin publie un article consacré aux liens entre « la peinture et l’optique équipée. Le sujet n’est pas nouveau mais avec la montée pour l’intérêt de la physiologie une réflexion esthétique devient de plus en plus sensible à la dynamique de la perception à la densité corporelle édition. L’auteur conteste l’ambition du naturalisme. En se reposant sur la récente mise au point du photomètre il va démontrer la puissance « naturelle » de la peinture à rivaliser avec le réel. La conclusion tombe comme un couperet : « non la peinture n’est pas la vérité, le réalisme est un but qui ne faut pas chercher, parce qu’on ne peut l’atteindre. » 15 ans plus tard avec impression, soleil levant Monet présente un paysage où l’ambiance lumineuse est portée par le contraste simultané. Les formes s’estompent dans la densité matérielle de la lumière avec à terme l’objectif de créer une vaste surface incandescente ou la viendrait goûter l’ivresse rétinienne de l’éblouissement, tel un vis-à-vis frontal avec le soleil dans le débordement de la sensation et le fantasme d’une clarté absolue. La peinture s’affranchit de la finitude du contour pour la béance du regard ébloui c’est ce qui se qualifiait en 1904 d’une tentation abstractionniste de l’impressionnisme.

L’impressionnisme français, proclamant « l’innocence de l’oeil » et la réduction facteur subjective au strict minimum, présentera la sensation esthétique du peintre sur le modèle de la photographie : comme l’inscription d’une impression visuelle sur un écran intérieur, puis sur la toile, comme un processus de traduction mimétique aussi fidèle et immédiate que possible une perception du tableau. Nul arrangement, nul pouvoir démiurgique de l’oeil du peintre ne sont censés s’interposées entre le tableau du peintre et la réalité.


Les profondes modifications de la compréhension du principe perceptif modifie profondément la vraisemblance et son enjeu dans la réception de l’oeuvre. La décomposition et la prise en considération d’un oeil actif et surtout sensible transforme une partie de la composition et de la raison d’être de l’oeuvre. L’avènement de la couleur et sa disposition dans la peinture sont la recherche pour les artistes d’une vraisemblance qui n’engagerait dans un premier temps uniquement un phénomène sensible et oculaire. La valeur harmonieuse de telles compositions étayées par le domaine scientifique poursuit toujours l’enjeu de se rapprocher de la perception de la réalité en peinture. Malgré ce qui semble être une perte de sujets et de perte de sens de la peinture, il s’agit pour les artistes de construire un média aux qualités expressives indéniables. La rupture de la mimésis met pas une rupture de la vraisemblance. L’interaction entre un discours scientifique est une pratique artistique sur le sensoriel construit une quête de vérité subjective de la part des artistes. Des couleurs accidentelles de Buffon aux résonances de l’optique physiologique de Hemholtz, la peinture poursuit toujours cet enjeu de se rapprocher du réel pour émerveiller son spectateur.


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