lundi 10 octobre 2011

Visions du monde: la peinture comme miroir du monde.

Visions du monde: la peinture comme miroir du monde.


La vraisemblance et l’imitation engage la peinture dans la volonté de la figuration de la nature. Cette dernière comme nous en avons déjà discuté coïncide avec une image arrangée ou sublimée. En effet, il semble être présupposé que l’image seule de la nature n’est pas un sujet suffisant pour l’exercice métaphysique de l’observation d’un sujet peint. Ainsi la nature en peinture est plus belle qu’en réalité.

Pourtant, il y a bien une invention de la nature à partir du XVe siècle qui conduit les artistes à l’observation et à la compréhension des questions environnementales. La vision du monde, en allemand Weltanschauung, est un parti pris, où dans la subjectivité de chacun, la perception et la compréhension des phénomènes naturels témoignent de la connaissance de l’individu. Vouloir représenter et interagir avec le monde constituent pour le peintre l’obligation de comprendre et de synthétiser ce qui le décrit, physiquement et intellectuellement. De reflet, la peinture devient miroir, à la fois pour celui qui crée et pour celui qui regarde.

La signifiance du sensible couvre celui de trompe l’oeil. L’objet par sa figuration est intellectuellement recomposé, mentalement formé. La nature de l’oeuvre dans ce dialogue avec la vision intérieure joue en faveur d’une surface ou d’une frontière largement dépassée par le spectateur dans sa relation à la nature, au réel par sa figuration artistique. Cette représentation du réel va changer profondément avec l’apparition du terme d’environnement en lieu et place de la nature.

Ainsi, Alain Gauthier écrit dans Le virtuel au quotidien (édition Circé, Belfort, 2002, p.61): « La notion d’environnement témoigne du niveau d’abstraction de l’espace auquel nous sommes parvenus, elles se prêtent à la combinaison des registres, à l’expérimentation, au programme. L’espace est devenu une idée complexe qu’on essaie de triturer dans tous les sens, ce n’est plus une force ou une forme.»

L’environnement définit l’ensemble des événements naturels et leur relation. Léonard de Vinci en observant la nature essaie de trouver des théories, des fonctionnements qu’il appliquera ensuite dans sa peinture.

La nature se compose des quatre éléments, l’environnement les unit dans leur fonctionnement. Raoul Hausmann au début des années 20 propose «d’accorder plus de réalité à la création des formes provenant de la perception du monde».

À la renaissance et malgré l’artificialité de la représentation de l’objet naturel, nous pouvons observer pour les artistes porte une attention toute particulière à l’observation et la transposition du monde.

Dans cette figuration de la réalité terrestre deux éléments semblent ressortir, la représentation du ciel et de la terre. A la fin du moyen-âge nous sortons d’un modèle purement théorique de pensée du monde pour rentrer dans un modèle d’observation et d’examen.

Premier exemple de cette mutation et de son intégration dans l’art: le ciel bleu et les nuages.

Les premiers ciels bleus n’ont rien à voir avec une observation météorologique, mais avec un souci décoratif des artistes, ils peuvent aussi être rouges ou dorés. Cela change dans les flandres par l’influence des frères Van Eyck. Le bleu du ciel n’est plus alors un aplat monochrome, mais présente des dégradés de bleus allant vers le blanc. Ce changement se manifeste d’abord dans l’enluminure et rapidement arrive dans la peinture de panneaux. Ces modulations chromatiques vont s’accompagner de la mise en place de nuages. Le ciel devient météorologique et les nuages semblent correspondre à une certaine réalité. Cette mesure et application d’une observation de la nature confère à l’image une vraisemblance et une profondeur accrue. Le ciel qui jusqu’à maintenant n’avait qu’une fonction décorative de la partie supérieure d’une image, devient un élément à part entière de l’environnement terrestre. Ainsi il est aussi une zone habitée, la représentation de vols d’oiseaux dans le ciel permet de figurer par le traitement de ces volatiles, comme des signes. Leur petite taille révèle un changement radical dans la façon de concevoir le naturalisme de la représentation. En effet, la représentation des oiseaux correspondait à des illustrations des bestiaires et des traités de fauconnerie permettant aux spectateurs de reconnaître avec facilité les espèces représentées. Dans le cas des vols d’oiseaux dans le lointain, le jeu de la reconnaissance est caduque, il s’agit au contraire de proposer une image du monde et d’un environnement, le vol d’oiseaux permettant de donner un espace sensible supérieur à la représentation de l’air et de ce que nous appelons aujourd’hui l’atmosphère.

Dans ce même enjeu environnemental de la vision du monde, les représentations des différents circulations de l’eau illustrent un jeu identique. Les cascades et autres représentations du flux nous permettent une transposition des observations de cet élément. Il s’agit pour les artistes de saisir d’une manière tout à fait réaliste le mouvement de l’eau, et tout comme on rend épais l’atmosphère on épaissit aussi le milieu aqueux.

Représenter le monde n’est pas uniquement l’air et l’eau il y a aussi la terre.

Vers le milieu du XVe siècle, l’intérêt que les peintres italiens portent au minéral se fait par des raisons symboliques et non d’une curiosité pour la nature. Chez les peintres nordiques l’intérêt pour le minéral amène les artistes à figurer des données géologiques dans un souci de précision d’une vision du monde. Ainsi, même si la végétation recouvre en bonne partie le sol, elle laisse la place à une observation de la roche. Il ne faut pas y voir d’études scientifiques d’artistes qui seraient des géologues, mais plutôt une collection de morceaux choisis permettant un rapprochement entre la composition et la disposition fleurtant parfois avec une invraisemblable. La peinture qui ainsi fait sentir cette diversité des phénomènes est plus une poétique qu’un savoir. Et pourtant, la disposition témoigne de la part des artistes d’une volonté d’intégrer une connaissance et une capacité à figurer le réel.

Le terrain restant toujours en en partie visible sous le manteau de la végétation il ne se limite pas à des formes conventionnelles. L’art de l’invention des premiers peintres flamands devient rapidement une mise en place d’un stéréotype : les pierres érodées, signes de la réalité. Ces roches arrondies, usées deviennent le témoignage du souci du réel et de sa transposition. Ce qui dans un premier temps témoignait d’une étude, devient dans un second une habitude de peinture. À l’imitation de la nature succède ainsi au XVe siècle un maniérisme qui privilégie la singularité du style plutôt que celle des formes, les peintres définissent ainsi leur écriture par une façon propre de traiter les rochers. Il s’agit toujours du même phénomène d’artialisation de la nature.

Les modèles nordiques vont migrer et ses influences se retrouvent dans la peinture italienne du XVe siècle.

Ainsi, dans les deux panneaux de Mantegna nous retrouvons le traitement en dégradé du ciel. La complexité d’intégrer la donnée artistique flamande vient principalement de la difficulté de l’appliquer avec la peinture à l’oeuf. Les oeuvres de jeunesse de l’artiste italien sont révélatrices de la sensibilité qu’il porte à cette influence des tableaux du nord arrivant en Italie en grand nombre dans la fin des années 1440. Dans la Prière au jardin des oliviers, il accompagne le blanchiment du ciel au niveau de la ligne d’horizon avec une brume lointaine semblant provenir de la fonte des nuages en ce point. La composition météorologique transforme les nuages en marqueurs de la perspective, plus gros au premier plan est plus petit à l’arrière. Les nuages présentent quasiment tous la même forme et semblent se répartir sur un quadrillage assez précis qui appuie la perspective géométrique et l’impression de profondeur. Cela provient du fait que la peinture italienne ne s’en tient qu’à des objets connaissables, c’est-à-dire mesurables ou en tout cas susceptible d’être définis précisément et explique ainsi une structuration beaucoup plus géométrique. L’invention du ciel est une affaire nordique car comme le soulignent certains historiens comme Kenneth Clark, l’Italie apprécie les certitudes et les formes des nuages, faute de se résoudre, ne peuvent passer pour telles. (anecdote à souligner que pour sa petite machinerie du trompe-l’oeil, Brunelleschi n’avait pas par le ciel mais utiliser une plaque d’argent pour le refléter)

Dans la Résurrection nous retrouvons le même principe. Mantegna représente un ciel similaire entre un coucher de soleil et un lever. Les nuages au delà d’une formation météorologique deviendront la possibilité d’une signification allégorique avec l’introduction de formes au sein même de ces éléments vaporeux. Ainsi Mantegna devait en partie cité Aristote qui dans les météorologiques relève qu’il arrive que la surface des nuages semble dessiné des figures.

Les panneaux de la prédelle de San Zeno n’est pas un univers où la végétation domine. Nous pouvons observer un chaos de roc faillés et des traces minérales fissurées où les pierres se disputent avec la végétation. Nous trouvons une nouvelle fois leurs origines dans les tableaux flamands qui ont inspiré Mantegna en ce moment, il serait impossible confondre la campagne de Mantegna avec un paysage conçu par un Flamand. Lorsqu’il peint la terre comme lorsqu’il peint du ciel, Andrea Mantegna reste fondamentalement italien. Sa passion pour le minéral n’est pas géologique, elle est archéologique. Le peintre témoigne d’un style qui imiterait les reliefs des anciens : les oeuvres qu’on croirait avoir toujours été monochrome dans une gamme limitée de teintes. Mantegna manifeste une vision singulière du minéral, ainsi ils distinguent peu la roche naturelle et la pierre travaillée. La première sous forme de blocs qui paraissent joints par une main ordonnatrice et la seconde fissurée, en ruine, revenant peu à peu son aspect primitif. Ainsi, dans la Prière au jardin des oliviers, tout comme la ville de Jérusalem semble poursuivre la colline au sommet de laquelle la ville se développe, le rocher semble lui-même poursuivre la seconde colline sur laquelle il se trouve. Ce rapprochement des formes naturelles et artificielles altère considérablement le traitement des formes naturelles. Si les peintres flamands reproduisaient les accumulations résultant d’une évolution géologique sans en comprendre le sens, Mantegna, lui, les construit de telle sorte qu’on voit croire qu’une intelligence les a ordonnés. Ainsi les bords de la rivière sont comme maçonnés ou seuls quelques lignes semblent presque figurer l’ancien lit de la rivière qui passe dans l’angle inférieur gauche et témoigne d’une érosion naturelle.

Dans la résurrection, nous trouvons un sol beaucoup plus uniforme. La régularité présente un sol d’une carrière qu’une minéralogie naturelle. Dans l’angle inférieur droit de Pierre sont comme abandonnées, des fragments taillés, peut-être la version réduite de ces pierres dégrossires sur place afin d’être transportée aisément. La minéralogie de Mantegna est caractérisée par une approche singulière. Dans ses peintures, les pierres sont au service de l’homme, et réalisée pour cette usage soit par la nature soit par des ouvriers.

La vision naturelle de Mantegna nous propose un environnement où tout comprend l’artificialité via la volonté d’une mainmise de la part de l’artiste sur la composition. Ainsi que cela soit pour la représentation de la terre, de l’eau, ou bien de l’air, la nature ne joue pas un principe d’un environnement mais bien celle d’une composition plastique.

La vision du monde correspond à une compréhension et à une volonté d’une figuration d’un certain nombre d’événements naturels. Si dans les premiers temps de la peinture flamande il s’agit uniquement d’un relevé, cela va très vite nourrir un fantasme d’un artiste capable de comprendre et décrire les phénomènes naturels. Celui qui incarne cela n’est pas Flamand mais un peintre italien, Léonard de Vinci.

La semaine dernière, nous questionnions l’impact de la société sur l’artiste. Par la figure de l’artiste ingénieur, donc Léonard semble être l’un des premiers dépositaires, il s’agit alors de comprendre qu’au-delà de la volonté de représenter le mot, sa compréhension et son intellectualisation peut permettre à l’artiste de proposer des formes fonctionnelles et non uniquement esthétiques.

Par exemple, Léonard de Vinci réalisa un certain nombre d’études d’après nature de rochers, de roches, de flux d’air et d’eau, de plantes et de tout ce qui semble pouvoir composer la nature.

Ces carnets de dessins de notes demeurent aujourd’hui le témoignage de sa vision du monde. Mais surtout cela lui permis d’appliquer ces diverses observations comme toile de fond de ses compositions picturales.

Sa toile la plus célèbre, la Joconde, a toujours été un très grand fantasme d’une symbolique de significations cachées. Avant même d’essayer de comprendre l’existence ou non d’un message, le paysage qui s’élabore au fond est le témoignage de cette vision du monde que Léonard a construite. Que cela soit par le dégradé de bleu du ciel, par la circulation de l’eau au sein de ce paysage montagneux, ou bien encore de l’observation des concrétions telles qu’elles peuvent se faire à proximité des lits des rivières ou bien dans les massifs montagneux, Léonard de Vinci ne se veut pas un spectateur mais un observateur de la nature. Souvent, ces observations l’ amène à la construction de machines, et aujourd’hui encore nous considérons que cela est uniquement dans cette vocation constructive, que les carnets de Léonard ont été réalisés. Pourtant il s’agit bien de la part de l’artiste de proposer sa propre vision du monde au travers d’une compréhension de ce dernier et de son analyse. Ainsi pour la question des flux, Léonard a créé des homologies entre l’eau et l’air. Nous pouvons relever dans cette copie de la Joconde il y a un traitement picturale de matières similaires de l’air et de l’eau.

Si le tableau est un objet de connaissance, il doit par conséquent être son reflet. Par la vision du monde, il s’agit de comprendre comment dans ces premiers temps de la peinture moderne et de son rapport à la réalité, les artistes se trouvent à devoir analyser le réel et comprendre que la nature fonctionne comme un environnement pour pouvoir proposer une image des plus concrètes à son spectateur.

La vision du monde reste artistique. En aucun cas l’artiste se doit d’être uniquement le scientifique. L’artiste ne pourra ignorer le fait scientifique mais conservera toujours sa part de liberté afin de proposer au travers de sa propre subjectivité son regard et sa vision sur le monde.

La vision du monde passe par sa compréhension, son observation. Si l’oeuvre d’art doit proposer un monde plus beau que la nature, l’artiste prendra conscience de cette dernière.

Ce sera le cas dans les années 20 de Raoul Hausmann. Cet artiste dadaïste, fondamentalement nihiliste durant la première guerre mondiale, cherche à inclure d’une manière fonctionnelle l’artiste dans son temps. La semaine dernière, nous terminions le discours progressiste de l’oeuvre comme un reflet social avec la première guerre mondiale. Au lendemain de ce carnage humain, les avant-gardes cherchent artistiquement à influencer la vie quotidienne de l’humanité. Ce qui normalement était cantonné à un exercice visuel et artistique va devenir un enjeu social beaucoup plus étendu.

Le mythe de l’artiste ingénieur tel qu’il avait pu apparaître avec la figure Léonard de Vinci revient sur le devant des débats artistiques. Si l’artiste doit avoir une fonction: proposer des formes, des interactions avec le monde qui soit plus dynamique à l’image de ce qu’est la donnée énergétique du monde. Ainsi la question des flux observée par Léonard de Vinci, deviennent chez Raoul Hausmann les questions vibratoires du son, de la lumière, de l’électricité.

Les visions du monde dans ce thème de la vraisemblance mettent en lumière le travail d’observation d’après nature de l’artiste bien avant que cela soit un élément définissant la démarche moderne de l’art. Venant des écoles du Nord, ce régime d’une observation scientifique induit toujours une relation aux connaissances de son temps et une oeuvre qui n’est pas uniquement un reflet mais bien le miroir d’une réalité.

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