lundi 31 janvier 2011

Un renouveau du naturalisme, du Caravage à l'impressionnisme

Un renouveau du naturalisme, du Caravage à l'impressionnisme


La grande peinture ne se contente plus de grands sujets mythologiques, historiques et religieux. L’intégration d’images et d’actions appartenant au quotidien témoigne du retour des scènes de genre et des sujets plus légers au coeur même de la peinture. Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault avait pour le romantisme déjà ouvert la voie à l’anecdotique. Ces iconographies donnent naissance à un mouvement que l’on qualifiera vers 1875: le naturalisme et qui peut bien avant cette date être étendu à une modernité allant du romantisme jusqu’à l’impressionnisme.

Le naturalisme en peinture est opposé au principe d’idéalisation. L’artiste italien le Caravage, en prenant comme modèle des gens de petites conditions, avait déjà introduit cette quotidienneté au coeur même de sa pratique picturale. Au XVIIe siècle la multiplication des scènes d’activités quotidiennes ou bien encore du portrait dans la peinture hollandaise démontre un engouement pour une peinture naturaliste, témoin de son temps.

La réintroduction de tels sujets dans la peinture du XIXe siècle montre de nouvelles sources et surtout un autre référencement historique de la pratique de la peinture. Les artistes ne cherchent plus uniquement les modèles en Italie, il regarde aussi les écoles du Nord. Ce qui était minoré voire effacé de l’histoire de la peinture par les tenants de l’académie revient en force pour ses artistes qui proposent alors une voie entre l’académie et l’impressionnisme. Le terme de naturaliste apparaît dans les salons de 1875 et regroupe des artistes plus divers les uns que les autres. Émile Zola intègre sous cette appellation Manet, l’impressionnisme, l’école française du paysage et les réalistes. Le dénominateur commun de tous ces mouvements est une peinture de plein air, une réalité observée et non imaginée, le refus de l’atelier et des conventions académiques.

Le naturalisme se distingue de la peinture académique de cette époque. L’affrontement se déroule sur deux plans : iconographique et stylistique. L’académie rejette fermement le naturalisme en cet idéal qui vient de la renaissance, qui a traversé le néoclassicisme et offre l’image d’un monde idéal où les hommes se comportent comme les dieux grecs. L’honneur, les grands sentiments, la grande vertu, la mythologie grecque sont des sources intarissables de ses sujets. On comprend dès lors que la peinture académique ne peut accepter le naturalisme qui puise son propos dans le quotidien des gens modestes. L’opposition est également formelle mais les lignes de front sont bien moins établies. En effet nous retrouvons dans le naturalisme une pluralité de manière de peindre. Certains artistes naturalistes empruntent au grand genre son trait précis, sa touche, son lécher et sa lumière artificielle d’ateliers. Alors que d’autres sensibles au plein air et aux jeux de lumière du soleil adoptent la touche visible et synthétique et la simplification des formes.

Pour définir le naturalisme nous pouvons convenir qu’il dépend de trois critères :

  • en premier lieu, il se définit par son iconographie. Le sujet doit être pris dans une réalité observable et observée par le peintre, ce qui exclut l’histoire ancienne mythologique ou religieuse.
  • En deuxième lieu, le traitement doit être descriptif et non pas narratif. Nous pouvons toujours considéré que même si il n’y a rien de raconter, le paysage le plus aride a toujours un tant soit peu quelque chose. Quels que soient les intentions du peintre, l’ordonnancement de tous les détails nous met en présence d’une narration ou d’une description.
  • En troisième lieu, le naturalisme suppose un effet de réel, subtile et subjectif mais déterminant. Le sentiment d’authenticité n’est pas lié à un cas précis. Il ne suffit pas de peindre le moindre bouton pour atteindre le réel. Et paradoxalement, le non fini par son pouvoir de suggestion, produit un puissant effet de réel.

Par le terme de naturalisme, je regroupe donc tout d’un pan de la peinture qui à partir de 1830 considère les sujets inférieurs comme digne d’intérêt. Les excès du romantisme et des tableaux mythologiques ont incité quelques jeunes peintre à revenir à des sujets beaucoup plus prosaïques. La critique n’utilise le terme naturaliste qu’à partir de 1866, mais l’on peut rattacher les compositions largement antérieures à cette terminologie.

Pour terminer cette introduction, l’éclosion et le renforcement d’un appel du réel plus analytique et descriptif sont liés à une situation politique et sociale bien différente. La fin humiliante de l’empire, la guerre perdue contre la Prusse, le siège de Paris, l’insurrection des communards, la guerre civile ne peut qu’appeler à la réalité. L’accélération des transformations de la société, le développement de l’industrie et des mines changent le paysage et engendrent la formation d’une classe ouvrière avec son habitat spécifique. Le chemin de fer modifie la physionomie du territoire et réduit les distances. La science apparaît comme un facteur de progrès, une source de bien-être mais aussi comme une analyse de la société. Cette époque de rationalisation d’analyse et de scientificité a peut-être poussé les peintres réalistes à davantage de description. Le dernier élément est l’avènement de la photographie, concurrençant la peinture sur ses propres terres. La peinture n’a plus le monopole de la représentation du monde. Même si la photographie est encore imparfaite elle est perçue par les peintres comme le rival assuré de sa victoire.

Le naturalisme n’est pas une considération nouvelle du sujet et de sa composition en peinture, le mouvement réinvesti une image pour être au plus près de son temps et de son public.

Le salon conserve son rôle essentiel, l’académie forme, juge et récompense les peintres. Au milieu des années 70 on recense 3300 peintres actifs. Ces productions artistiques ne se limitent pas la peinture académique qui en réalité devient minoritaire. Au salon de 1876 le grand genre ne représente que 10 % des oeuvres exposées. Le paysage est le plus présent avec 40 %, suivi des scènes de genre 30 % et du portrait 20 %. Le goût du public se porte sur ses scènes, car il se délecte de cette image tantôt critique tantôt humoristique de la société. Les artistes ont développé des stratégies spécifiques pour le salon, parfois au détriment de leurs propres recherches pour être vu.

Le naturalisme n’est donc pas un agissements minoritaire de quelques peintres et de quelques toiles, il correspond à la volonté des artistes de se rapprocher de leur public et de proposer plus qu’une alternative aux mouvements académiques.


La nature morte


Adèle Riché fleurs, raisins blancs et noirs 1831.

Cette nature morte révèle l’attachement de l’artiste à la manière héritée de la tradition hollandaise répondant au goût des amateurs pour un art descriptif et minutieux, cette nature morte présente un rendu lisse et claire, illusionniste. La composition est savamment étudiée et les nombreux détails. sont autant de rappels des modèles nordiques. La touche y est parfaitement transparente. Bien que d’un genre inférieur cette composition n’en garde pas moins la précision et le dessin d’une volonté académique.


Édouard Ender Un antiquaire 1849.

Immédiatement nous remarquons les dimensions ambitieuse de ce tableau semblant vouloir élever la nature morte au rang de la peinture d’histoire. Cette accumulation d’objets d’art semble offrir un profil de l’antiquaire, de l’amateur de curiosité.

Les jeux de lumière, et la précision du rendu des matières dans un brillant et une certaine séduction, témoignent d’un traitement historique d’une nature morte. Dans un dialogue avec l’amateur d’art et collectionneur, il est possible d’identifier un certain nombre d’objets de cette composition.

Les deux crânes se trouvant dans la partie gauche portent les mêmes valeurs de vanité. Les drapés tombant à gauche et à droite encadrent cette composition et semble lui offrir malgré un thème inférieur une réelle composition historique. L’artiste joue dans un mélange des genres, même si son sujet est inanimé et non historique, le caractère descriptif et anecdotique permet d’évoquer une morale.


Blaise Desgoffe casque circassien, poire à poudre orientale du musée de l’artillerie 1890.

Dépourvu de décor, le fond sombre met les éléments de la composition particulièrement en relief. La capeline de fer gravé et doré placé au centre, la profusion ornementale de la poire à poudre en vermeil, émail et pierreries suspendues sont en pleine lumière alors que le fourreau du poignard et un étui à flèche semble s’enfoncer dans l’obscurité. Les objets choisis révèlent un goût pour la rareté et les matières précieuses.

Les très beaux effets de lumière accompagnent une exécution virtuose d’une quasi exactitude photographique. Ce tableau perpétue la tradition de la nature morte établi au XVIIe siècle par les allemands et les hollandais et participe au culte des objets de la seconde moitié du XIXe siècle. Répondant à la passion du siècle pour les inventaires archéologiques, au goût pour la classification et par la diffusion des oeuvres d’art conservées dans les collections publiques et privées. Ce tableau « naturalistes » est une image de son temps, et conserve la volonté de mettre en avant la technicité du peintre. Le puissant clair-obscur opacifie en partie la touche et montre à l’inverse du bouquet d’Adèle Riché une épaisseur et une subjectivité dans son traitement.


Ces trois tableaux de natures mortes illustrent à côté du Grand genre de la poursuite et de l’évolution du traitement plastique des sujets inférieurs. Ils peuvent être digne d’intérêt et capable de l’expression de la subjectivité de son créateur.


Le portrait


Louis Candide Boulanger Honoré de Balzac

Image célébrissime d’un des grands auteurs du XIXe siècle, il est la rencontre entre un peintre et son sujet. La posture de Balzac ainsi que ses vêtements témoignent de sa volonté de se montrer comme l’un des grands tenants de la modernité. Portrait « officiel », le peintre va accompagner cette stature d’un brossé dynamique correspondant parfaitement au sujet. Ainsi sa mise en matière témoigne d’une seule et même volonté expressive. Une nouvelle fois nous pouvons souligner l’utilisation du clair-obscur comme un révélateur de ce penchant pour un naturalisme. L’impression de rapide exécution due à cette visibilité de la matière donne quasiment une image instantanée à ce portrait d’Honoré de Balzac.


Jules Bastien Lepage Portrait d’André Theuriet 1878.

André Theuriet est poète et romancier. La mise en page choisie par l’artiste vibre par son extrême sobriété. La finesse des traits du personnage, la calvitie naissante accentuant l’importance du front sont soulignées par le trait qui contribue à détacher nettement la figure du fonds sur lequel le peintre place son modèle. Cette économie de moyens attache son auteur à la tradition du portrait nordique. Les critiques de l’époque comparent sa matière à la fois lisse et sensuelle à Fantin-Latour. Une nouvelle fois ce sont bien ces modèles du Nord qui semblent constituer la base de l’évolution même de cette peinture. Le fond structure le tableaux, ayant fait ressortir simplement les quelques parties blanches et surtout le travail et la finesse de la carnation du visage.


Léon Bonnat portrait de mademoiselle Denouille 1884.

Cet artiste est fortement marqué par l’enseignement académique et sa familiarité avec l’art espagnol. Il se rend en Italie en 1861 où il côtoie Gustave Moreau, Degas, Delaunay.

La jeune femme vêtue d’une élégante robe du soir dont la tonalité est claire sied à son âge. Elle se détache sur un fond de couleur pourpre. L’artiste en fait un usage fréquent. Selon une manière qui lui est propre il utilise la technique du frottis, modulée à petits coups de pinceau, rendue perceptible par l’emploi de deux tons, bruns rouges et noirs. Le halo sombre qui sert de repoussoir à la figure ainsi que la zone plus claire de la partie inférieure confère toute sa profondeur à la composition. L’artiste consacre un soin tout particulier au traitement de la robe et à la lourde étoffe satinée aux reflets nacrés qui lui donnent alors l’occasion d’une mise en avant de sa virtuosité picturale. La matière ne se cache plus elle se révèle.


Ces trois exemples montrent les modularités que peut prendre le portrait, il flirte avec le sentiment, la matière est le sujet.



Scènes de genre et historiques


Émile Signol la folie de la fiancée de Lammermoor 1850

Cette oeuvre témoigne de la volonté l’artiste d’avant-garde d’un renouveau. Ce détournant des références théologiques, il aborde le roman historique. La fiancée de Lammermoor de Walter Scott suscite de 1827 à 1861 une vingtaine d’oeuvres.

La folie captive les romantiques. La position de la jeune femme repliée sur elle-même, ses mains montrant une certaine crispation, témoigne la part de l’artiste de cette capacité à figurer un problème psychologique. Cette thématique de la folie meurtrière accompagne une curiosité romantique pour le surnaturel et le fantastique. Le regard de la jeune femme ainsi que la déformation de son corps témoigne d’une prise de distance des grands modèles académiques. Le cadrage étroit de la figure hagarde et les modulations avec le fond sombre renforcent cette expression nos sentiments et de passion.


Gaëtan Cathelineau vieux paysan 1848

Ce tableau portraiture un vieux paysan d’une manière générique. La déformation le visage et des traits nous permettent d’envisager un tableau proche du misérabilisme. En dépit d’un traitement maladroit de la blouse de travail, cette expressivité du visage ainsi que l’exécution soignée et l’élégance de la gamme colorée témoignent de la maîtrise de l’artiste. La description scrupuleuse de la physionomie du personnage révèle une tentative au-delà d’un type régional d’évoquer un être solidement caractérisé. Opposant le fond clair et un fond sombre sur lequel se découpe le profil, l’artiste restitue une légèreté de la chevelure qui semble presque flotté autour de la tête et accentue surtout le caractère buriné du visage.


Édouard Debat-Ponsan Avant le Bal

Nous pourrions en parallèle de ce tableau analyser quelques esquisses présentées dans la même salle que cette toile intitulée avant le bal.

Les esquisses présentent une activité quotidienne du peintre illustrant des thèmes proches et affectifs comme son petit-fils. Le tableau intitulé avant le bal représente une scène bourgeoise dans un intérieur dicté dans un mélange entre le goût oriental et néogothique. Cette scène est traitée avec une précision et un dessin académique et montre par quelques intrusions une palette qui s’opacifie.



En conclusion, le terme de naturalisme définit une peinture qui se rapproche d’un sujet et de son observation. Plus large que le réalisme, dont la pluralité n’est pas à démontrer, le naturalisme permet de comprendre comment ces artistes vont se tourner vers des modèles nordiques, peinture qui sur la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle avait été écartée. Cela ne se fait pas simplement dans le monde de l’art, mais dans une modification la société entière où l’artiste si il veut participer doit se mettre au diapason de l’évolution sociologique de son temps. Ce naturalisme n’est pas homogène, il court de l’académisme jusqu’à l’impressionnisme. Il n’est pas une attaque en règle de la modernité contre le classique, mais est une première pierre à l’établissement et à l’éclosion de son mouvement suivant, l’impresionnisme. Il aura entre autres comme sujet l’Orient mouvement qui sera lui-même hétérogène.

lundi 24 janvier 2011

La logique d’un académisme, la conservation des modèles passés

La logique d’un académisme, la conservation des modèles passés


Les deux précédentes conférences ont démontré la fonction doctrinaire et étatique de la peinture néoclassique. La volonté du réinvestissement de l’Antiquité pour témoigner de la grandeur d’un art et de son temps ne va pas pour autant limiter la variation des sujets ainsi que des factures. Entre la fin du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe siècle, les peintres appartenant à cet académisme historique vont multiplier les références tout en se les appropriant et en revendiquant une singularité. Malgré ses fondations dogmatiques, le néoclassique va en permanence subir des mutations, chaque artiste pouvant malgré un système de règles précises faire part de son individualité.


Tymoléon à qui les syracusains amènent des étrangers 1796 de Jean Joseph Taillasson.

Jean Joseph Taillasson compte avec Jacques Louis David parmi les meilleurs élèves de Vien. Il échoue cependant à plusieurs reprises au concours du prix de Rome et doit se résigner à partir à ses frais en Italie en 1774. Il y reste quatre ans puis revient à Paris. Agréé à l’Académie royale en 1782 il est reçu comme peintre d’histoire deux ans plus tard. Son oeuvre est résolument marquée par les leçons de Vien et par la tradition classique de Poussin dont il est un fervent admirateur.

Ce tableau est présenté en 1796 au salon. Dans le livret du salon nous pouvons noter la notice beaucoup plus longue que le titre qui lui est aujourd’hui donné : « Timoléon à qui les Syracusains amène des étrangers. Le grand capitaine, retiré à Syracuse, perdit la vue [...] Alors les Syracusains redoublèrent d’attention à son égard. Il lui ammenait les étrangers qui venaient chez eux : voilà disait-il, notre bienfaiteur, Notre-Père [...] Ce tableau à ses pieds de large sur cinq pieds 10 pouces de hauteur. »

Tout d’abord, nous pouvons relever que la longueur de la notice ainsi que les explications servent d’éléments de médiation. L’enjeu de ces grands tableaux est d’avoir une fonction morale et didactique dont le livret du salon est le support. Cette oeuvre correspond au mieux à la conjoncture politique de détente entre la dictature de Robespierre et celle de Bonaparte par une glorification du fervent républicain grec le IVe siècle qui dut s’expatrier de Corinthe, après avoir tué son propre frère en lequel germait un tyran et vint en Sicile pour expulser de Syracuse Denys le jeune et instauré dans l’île entière l’ordre démocratique.

Le sujet est à la mode puisqu’en 1794 la tragédie Timoléon fut jouée. La pièce est interdite par le comité de sûreté générale et son auteur Chénier obligé de brûler son manuscrit. À la chute de Robespierre la pièce fut reprise.

La composition générale présente une organisation des figures placées en frise, liées les unes aux autres par des gestes marqués, bras qui se tendent en direction de Timoléon, index levés vers le ciel du héros grec. Taillasson précise le caractère sicilien de la scène par l’architecture et un paysage aride dominé par la montagne de l’Etna. L’architecture d’ordre dorique remplace les colonnes toscanes que l’on peut voir sur l’esquisse conservé aujourd’hui à Montauban. L’organisation en frise, proche du bas-relief sculpté et les soucis du détail comme pour les chaussures ou bien encore l’assise du personnage principal, montrent la reprise de l’antique et surtout une organisation plastique tournée uniquement dans la valorisation de Timoléon. Les critiques furent assez sévères pour la toile bien que son caractère néoclassique privilégie le dessin plus que le coloris. Cela semble avoir heurté et on peut lire : «... Ce Timoléon [...] quoique dessiné et drapé avec pureté ne présente qu’un mérite glacial, tant pour le coloris que pour les faits. »

Il est vrai que le dessin est la base et l’organisation générale la composition de ce tableau. Les effets de lumière sur les divers drapés ne leur offrent pas un coloris chaud, ni des variations de matière mais un aspect presque froid. La référence à la sculpture appuyer par un dessin précis offre la quasi même chaleur à l’architecture, au drapé et aux carnations.

Jean Joseph Taillasson est auteur de plusieurs ouvrages d’esthétique, dont certains sont rédigés en vers : le Danger des règles dans les arts 1785 ; Observations sur quelques grands peintres dans lesquelles on cherche à fixer les caractères distinctifs de leur talent avec un précis de leur vie, 1807.

L’épisode choisi par Taillasson présente nulle dramatique ni aucun sentiment. La seule expression est la tête légèrement relevée accompagnant l’index et le mouvement du bras gauche du héros. Dans l’esquisse de Montauban, Timoléon présente un visage de profil nettement découpé sur les colonnes derrière. Cette variation pour la version finale permet d’avoir une facture un peu moins froide. On peut souligner que l’organisation de la composition laisse la part belle et quasi unique au corps et à l’histoire. Même l’architecture semble devoir se plier aux dimensions de l’oeuvre. Le rôle didactique et pédagogique de la peinture néoclassique conduit ces artistes dans des références plus académiques à une image figée à la froideur dogmatique.


Joseph Benoît Suvée avec son tableau la Vestale Tuccia portant le crible rempli d’eau pour prouver son innocence présente un néoclassique légèrement adouci bien antérieur à la toile Taillasson.

Jean Benoît Suvée obtient en 1771 le premier grand prix avec le combat de Minerve contre Mars, tableaux qui déçoit David qui lui en gardera une tenace rancune. Il est pensionnaire à l’académie de France à Rome de 1772 à 1778, il séjourne ensuite à Naples, Malte, Venise et en Sicile. De retour en France il est agréé en 1779 et reçu comme peintre d’histoire un an plus tard. Il compte parmi les peintres d’histoire les plus importants de sa génération et à ce titre sera nommé directeur de l’académie de France à Rome en 1792. L’hostilité de David et les événements politiques font qu’il ne prendra réellement ce poste qu’en 1801. Il supervisera le déménagement à la villa Médicis.

L’artiste réalise plusieurs versions de la vestale. La jeune femme doit pour prouver son innocence portait un crible d’eau sous le regard inquiet de la foule, ici personnifiée par les deux femmes derrière elle. En 1785 on note dans le livret du salon la présentation d’un tableau à la description similaire de celui de Tours. La toile fut admirée pour sa belle ordonnance dans la composition et ses figures peintes du ton du marbre. Un critique souligne : « M. Suvée n’a d’égal pour l’harmonie, la pureté du style et du drapé ; personne n’approche plus les grâces simples de l’antique ». En effet lorsque l’on observe la force et le calme qui se dégagent du visage de cette jeune femme, l’intensité dramatique de la scène est adoucie par la subtilité de la gamme chromatique déclinant les tons de Beiges et de blancs. Les traits de dessinateur sont accompagnés d’une fine écriture du pinceau. L’équilibre de la composition se fait par une facture lisse, quasi transparente témoignant d’une composition dessinée et maîtrisée. En étudiant les dessins préparatoires et les autres compositions du même thème, la focalisation de l’artiste se fait sur le visage et la tête de vestales. Des traits du visage à la perfection presque sculpturale dans la manière de coiffer les cheveux dans un chignon défait témoigne d’une maîtrise de la couleur et du trait. La dramatique est un peu plus présente que chez Taillasson, les deux jeunes femmes derrière l’héroïne levant les yeux illustrent le drame et la tension narrative. Nous retrouvons cette dernière dans les yeux légèrement rougis et humides de Tuccia. Pourtant la solennité de la pose et l’aspect de marbre inexpressif du visage court-circuite un tant soit peu la tension. Le cadrage serré offre une part à l’imagination du spectateur par un hors champ indiqué en suivant les trois regards qui semblent converger vers un même point. Le fond sombre découpe des trois figures et renvoie encore au modèle sculptural antique. La fermeté du trait est adoucie par les variations de brun de gris et de blanc du voile et du vêtement de la vestale. Pour en souligner son aspect sculptural nous remarquerons que la lumière sur la vestale est beaucoup plus froide que sur les deux jeunes femmes de la partie gauche. Le positionnement des têtes de profil jusqu’aux trois quarts décline dans un quasi système cinétique la maîtrise de la représentation du visage. L’absence de tout élément décoratif montre une nouvelle fois la focalisation sur le corps et sur l’histoire.

La morale est évidemment au coeur même de cette iconographie. La dramatique est portée par le récit, mais la figure morale de la vestale semble correspondre parfaitement un dessin figeant la composition. Aucune emphase, tout semble être dans la retenue que cela soit dans la pose, dans l’expression, dans la palette comme dans le dessin. Suvée propose un traitement plastique correspondant à l’image même du récit.


Ces deux exemples du néoclassique montrent la manière dont les artistes réinvestissent profondément le modèle sculptural antique dans leur composition. Malgré quelque réchauffement de la palette chez Suvée, l’esthétique y reste profondément froide. La suprématie du dessin témoigne du fonctionnement même de la formation de ces artistes. Le spectateur de l’époque comme on peut le voir dans la critique qu’elle soit positive ou négative, cherche avant tout cette « pureté » de la transcription de l’Antiquité dans ce modèle pictural contemporain. Tout est question d’équilibre, jusqu’à en figer les poses. Chez Suvée, les drapés conservent cette épaisseur et une certaine dynamique. Au contraire, nous observons chez Taillasson un aspect minéral du traitement des vêtements. Artistes contemporains, leurs différences témoignent de la capacité et de la volonté de ces artistes à subjectiver cette citation de l’Antiquité. Par les légers épaississements de la matière des drapés de Suvée, nous pouvons entrapercevoir les raisons de sa mise à l’écart par Jacques Louis David et son dogme.

Les fonctions morales sont à la fois dans le contenu et dans la forme. Les gestes y sont statiques, l’expression est complètement retenue. La primauté du dessin sur cette fin du XVIIIe siècle est de plus en plus dans l’élaboration et dans la construction des grandes compositions. Même pour un tableau de format moyen, la portée morale prime sur le ressenti. Le beau est donc supérieur au goût. Malgré cela, chaque artiste est considéré comme un individu autonome et surtout identifiable. Le choix des compositions et des équilibres permet dans un système qui semblerait presque dictatorial une expression personnelle.

La « noble simplicité et sereine grandeur » de Winkelmann se ressent parfaitement dans cette tension interne maîtrisée au point de prendre le masque de la froideur. La vestale Tuccia est un exemple vertueux à glorifier. Timoléon un héros de la démocratie prêt à tuer son frère pour le bien collectif. Pour les jeunes artistes du début du XIXe siècle ces modèles sont encore extrêmement forts. Pourtant un fait artistique et politique va changer la donne.

À la fin de l’empire, comme les maréchaux pour Napoléon, les élèves entourèrent David, mais sont prêts à le trahir pour conserver leurs titres. Ainsi Jean Gros, fidèle à l’enseignement de David, peint Louis XVIII. Après la défaite de Waterloo en 1815, Jacques Louis David est exilé par Louis XVIII, l’académie, plus forte que jamais, se réclament de sa doctrine. De l’école de David plusieurs centaines d’élèves avaient étendu la référence de son dogme dans l’Europe entière. On y apprenait à dessiner, à peindre d’après l’antique puis sur le modèle vivant, par la touche transparente. Officiellement, David est un proscrit. Le chef de l’école française n’a plus droit de citer en France. Pourtant la facture porcelainée et la palette audacieuse du vieux maître continu. Il deviendra suite à un changement de la mode sujet à moquerie de la critique. Du sublime au ridicule, de la grâce à la faveur il n’y a qu’un pas.

Les esquisses peintes du peintre Émile Signol, comme Scène antique, témoignent de cette conservation des modèles antérieurs. Admis à l’école des beaux-arts en 1820, il devient l’élève de Jean Gros. Formé à la peinture d’histoire, il obtient le grand prix de Rome en 1829 et le premier grand prix en 1830. Comme bon nombre de ses condisciples, le séjour entre 1831 et 1835 à la villa Médicis est la révélation de l’art italien.

Le petit tableau Scène antique est une esquisse appartenant aux années de formation de l’artiste dans le cadre des concours d’esquisses. Illustrant une scène d’un guerrier mourant, il témoigne de l’impact de l’antique dans les sujets. Autre petite huile, Méléagre reprenant les armes à la sollicitation de son épouse, a été tiré au sort pour le prix de Rome de 1830 dont Signol est lauréat. Malgré que cela ne soit une esquisse, on y discerne les colonnes doriques encadrant la baie par laquelle Cléopâtre désigne à son époux les remparts incendiés. Le travail de Signol sera unanimement reconnu par la critique. Pourtant certains déploreront la théâtralité des figures principales. L’esquisse ne présente pas les défauts de l’oeuvre définitive par exemple les vêtements de l’épouse. Ici au contraire, la vivacité du geste de Cléopâtre est soulignée par des voiles légers et uniformément clairs. La répartition des personnages se fait en adéquation au volume de la pièce du rythme des ouvertures. Une nouvelle fois pour une théâtralité effective les héros sont mis sous une lumière beaucoup plus forte et plus blanche. Cela crée une rupture entre le premier plan et le fond.

Ces esquisses témoignent d’une gestuelle et d’une expressivité des couleurs et de jeux de lumière qui semblait en inadéquation avec le régime de transparence voulue par Jacques Louis David. Pourtant le passage au tableau infléchit les charges chromatiques par le dessin. L’expressivité contenue dans ces petits tableaux sera minimisée au final. D’un guerrier mourant aux héros reprenant les armes pour la cité, les thèmes de l’antique sont fondamentalement inscrits dans la formation des artistes et leur fonction morale. Émile Signol à une longue carrière, il décède en 1892. Malgré sa formation et ses récompenses académiques, il va traverser le siècle les variations de thèmes et les variations techniques. Ces petites esquisses peintes témoignent d’artistes qui sont formés techniquement pour répondre à toutes les exigences plastiques d’une institution et du public.

Cette capacité et cette flexibilité permettent à chacun de pouvoir une nouvelle fois s’individualiser malgré une formation qui semble enchâsser dans un système unique. Il faut se méfier de ces raccourcis trop rapides quant à un académisme figé. Chaque étudiant sortant de l’école des beaux-arts se doit pour réussir sa carrière, une synthèse personnelle de ses enseignements et de ses sujets. Le néoclassique n’est donc pas un moule unique mais bien un moyen d’acquis techniques permettant de répondre à toutes les sollicitations. Ces artistes sont des techniciens, et peuvent répondre en permanence aux exigences d’un pouvoir en place dont ils sont dépendants.

Jean-Baptiste Auguste Vinchon est traditionnellement présenté comme un des élèves de Jacques Louis David bien que son nom n’apparaisse pas sur la liste. Il suit une formation académique qui se poursuit à Rome en 1816, où il se lie avec Ingres. La formation académique fait de lui un peintre officiel. Exécuté vers 1848, Louis-Philippe et la famille royale visitent Les galeries historiques de Versailles, est l’esquisse du tableau aujourd’hui conservée à Versailles. Il montre la famille royale arrêtée devant la statue de Jeanne d’arc au cours d’une visite nocturne. Sculptée par Marie d’Orléans, second fille de Louis-Philippe, c’est la dernière oeuvre de la princesse décédée en 1839 à l’âge de 26 ans. L’oeuvre de Vinchon s’inscrit dans une production représentant le roi et sa famille dans des moments privés et destinée à donner un visage humain au régime et à équilibrer l’imagerie officielle par des représentation familières. L’hommage recueilli de la famille royale à une artiste disparue est imprégné d’un amour filial auquel s’ajoute la dévotion du roi pour la figure historique de Jeanne-d’Arc. L’intérêt pour la pucelle d’Orléans ne s’est jamais démenti et au XIXe siècle plus particulièrement à partir de la restauration connaît un développement significatif. Fidèle serviteur de Dieu et incarnation du courage français, Jeanne a loyalement défendu la monarchie contre une puissance étrangère. Louis-Philippe ne pouvait manquer d’exploiter l’attachement des Français au personnage, dans un souci constant de se poser en héritier de la royauté. Les lampes font ressortir le marbre et rompent la gamme dominée par les noirs et rouges qui suggèrent une atmosphère intime dénuée de formalisme. L’objet même de la composition et le sujet de Vinchon témoignent d’une réorientation des thèmes et une actualisation plus importante.


Les peintres académiques ont toujours comme référent l’Antiquité, mais le rapprochement entre les artistes et le pouvoir conduit ces derniers à devoir appliquer à tous sujets des éléments de composition variants. Les évolutions politiques auront comme conséquence des évolutions thématiques. Les artistes ont continué à suivre un enseignement où l’antiquité est au coeur des questionnements, mais pour conserver un impact moral et officiel ils seront amenés à infléchir ou à travailler des thèmes n’appartenant plus aux grands sujets antiques.

La conservation des modèles du passé se fait en permanence dans une actualisation. Le dessin et la sculpture sont les bases mêmes de toute formation d’un artiste académique. Seul les étudiants sortant de l’école des beaux-arts, amenés dès les premières années de leur formation à un principe de concours peuvent vivre et être reconnus pour la peinture. Le voyage à Rome conserve son poids dans la formation et dans la qualité même de l’artiste. Ce qui change entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle ce sont les thématiques et non pas les données plastiques. En ayant des sujets qui se rapprochent de plus en plus d’une quotidienneté, les peintres académiques témoignent d’une capacité d’adaptation, même si la volonté vertueuse de la peinture pour Jacques Louis David était à l’image d’un régime politique révolutionnaire et impérial, pour Vinchon cela peut être totalement royaliste. Le beau idéal va un tant soit peu être perverti. Le clair-obscur présent chez Suvée, Signol ou Vinchon montre un affaiblissement du dogme et un questionnement où le naturalisme et les modèles rejetés par Jacques Louis David pénètrent la peinture.


lundi 10 janvier 2011

Naissance de l'histoire de l'art, de l'archéologie repensée

Naissance de l’histoire de l’art, de l’archéologie repensée


Comme énoncé dans l’introduction, nous pouvons considérer que le XIXe siècle marque la fin de la renaissance. La liberté et l’individualité conquises par les artistes leur donnent la capacité d’une création dégagée des principes de commandes et uniquement assujettie à une volonté expressive. Pourtant la fin du XVIIIe siècle est marquée par une volonté doctrinaire des modèles classiques. L’histoire de l’art qui se développe depuis le grand modèle des vies de Vasari se poursuit chez des penseurs comme Winckelmann. La référence à l’Antiquité se renforce dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, laissant émerger une histoire de l’art développant un principe du progrès artistique. Les grands modèles des civilisations grecques et romaines sont considérées comme des sommets des courbes d’évolution artistique. En effet, l’histoire de l’art construit une pensée progressiste et évolutionniste où à chaque période d’apogée correspond une période de déclin.

Cette naissance de l’histoire de l’art s’accompagne d’un fort développement de l’archéologie. Ce phénomène n’est pas français mais bien européen. La plaque tournante de ces influences est Rome qui nourrit le fantasme d’une antiquité. Les développements du néoclassique à la fin du XVIIIe et au début du siècle suivant sont profondément marqués par cette science idéalisée de l’histoire de l’art.

Entre réalité historique et imaginaire fantasmé, le modèle antique se trouve adapté aux attentes et aux volontés de cette nouvelle société. Les principes de citations antiques développés depuis la renaissance trouvent un développement dans cette archéologie. Les diverses publications scientifiques ainsi que les récits et voyages appuie une expérience dans la confrontation de l’antique. C’est archéologie méditée et cette poésie des antiques donne naissance à cette réappropriation des modèles du passé.

Cette conférence aborde d’une manière synthétique cette récupération et cette transformation à l’origine même des grands modèles néoclassiques du début du XIXe siècle. Par quelques détails nous essaierons de comprendre comment les artistes vont pouvoir faire des modèles antérieurs des principes expressifs personnels. Malgré une science qui semble se rationaliser l’antique et l’histoire , l’art n’en reste pas moins l’objet de transformations et d’ inflexions.


La ville de Rome reste le centre des influences, des sources et grands modèles classiques. Mais dans ce grand tour, pour les artistes et les amateurs, la Sicile ainsi que les sites helléniques d’Asie Mineure deviennent de nouveaux horizons de cette émulation érudite. À partir de 1750 nous observons une augmentation des publications scientifiques de ces grands voyages. Les ouvrages de relevés, de descriptions et de restitution des grands ordres entre autres doriques deviennent les sources de modèles ou de conjectures controversées. Ainsi en 1758, l’ouvrage intitulé Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce par Julien David le Roy connaît un succès et une influence importante.

L’impact de Piranèse est un phénomène européen dont Paris et Londres ont d’abord bénéficié par les séjours de leurs artistes respectifs. Les sites grecs et Romains sont en concurrence pour ce modèle d’une certaine pureté de l’Antiquité. Si ce travail de relevés confère une certaine exactitude, rapidement la curiosité va nourrir le fantasme. L’observation et l’explication des monuments antiques jusqu’alors inconnu va osciller entre science et rêve pour fournir à cet étude ethnologique des civilisations passées un profond désir d’actualisation pour des fins morales et civiques.

Nous retrouvons un cadre identique au développement de cet imaginaire de l’antique déjà présent pour des raisons politiques à la renaissance. La pratique iconographique et poétique de la mythologie et de l’histoire gréco-romaine va se développer dans de nouveaux cadres laissant à certains moments la vision purement héroïque de côté pour ouvrir des horizons plus familiers des moeurs de l’Antiquité.

Les fictions des grandes épopées vont dorénavant se nourrir des visions concrètes. Le monde grec inspire un discours plus anthropologique sur le caractère de paysages habités. Les récits de voyage témoignent d’un mouvement commun entre antiquaires, érudits, architectes et peintres. Ainsi les ouvrages revenant sur ses séjours seront illustrés par les artistes donnant un appui visuel mais surtout nourrissant ce fantasme d’interprétation de la ruine. Un peintre comme Hubert Robert deviendra le grand chantre de cette antiquité revisitée. Image d’une société idéale encore perçue par ses reliquats ayant traversé les siècles.

Malgré cette réorientation vers l’Orient des sources, le prestige de Rome ne s’affaiblit pas. Les musées de la ville éternelle, ses églises, ses monuments et ses oeuvres antiques et modernes continuent d’être une attraction pour les artistes étrangers. La ville de Rome peut être considérée comme le point de départ essentiel à la carrière de très nombreux artistes européens. Cela s’appuie sur un fait économique, le soutien des grandes familles italiennes mais aussi des diplomates et des amateurs étrangers facilite ce melting-pot artistique. Certains artistes font même uniquement carrière à Rome sans jamais revenir dans le pays d’origine. Pour les artistes français spécifiquement que cela soit Hubert Robert, Joseph Vernet, Charles Natoire ou bien Jean-Baptiste Lallemand, chacun y passe plus d’une dizaine d’années auprès de ses sources à fin d’acquérir le vocabulaire suffisant pour ce renouveau classique. Dans ce contexte le prix de Rome devient un véritable passeport à l’accès à cette culture italienne, un gage d’une qualité et d’une précision pour tout artiste ayant séjourné dans la ville éternelle. Nous pouvons relever que le mélange entre oeuvres antiques et artistes modernes de la renaissance comme sources dirige l’adaptation et la personnalisation des modèles du passé. Rome est alors l’académie de l’Europe, creuset où la pensée néoclassique se fonde.

C’est là que l’écrivain et archéologue allemand Johann Joachim Winckelmann (1717 - 1768) va développer les bases d’une histoire de l’art avec une volonté doctrinaire de l’Antiquité. L’histoire de l’art est considérée comme une science de l’étude des civilisations. Se reposant sur des principes d’un relativisme historique initié par Montesquieu ou bien encore Voltaire, Winckelmann publie en 1755 un ouvrage Réflexions sur l’imitation des oeuvres grecques dans la peinture et la sculpture. Même si elle paraît en langue allemande ses rapides traductions en français et en anglais vont lui permettre une large diffusion. Winckelmann s’installe à Rome où il sera bibliothécaire du cardinal Albani avant d’être nommé surintendant des antiquités de Rome en 1764. Tout comme Piranèse dans ces relevés réinventés, Winckelmann milite pour une approche expérimentale du passé.

L’enrichissement des collections privées et « publiques » sont le résultat des fouilles à Herculanum, et la découverte de la peinture grecque, qui jusque-là n’était connue que par ses traductions littéraires, forment le substrat de nombreux ouvrages qui prônent un retour ou l’élaboration d’un art « à l’antique ».

Un dogme intransigeant s’établit: les modèles antiques doivent être en permanence source de l’art contemporain. Nous pouvons relever en 1764 dans son ouvrage l’histoire de l’art de l’Antiquité cette phrase : « le seul moyen que nous ayons d’être grands, voire inimitable si c’est possible, et d’imiter les anciens [...]. L’éminente caractéristique générale des chefs-d’oeuvre grecs est [...] une grave simplicité et une grandeur silencieuse. » La base d’un art nouveau, idéal est ce grand modèle antique qu’il faut intégrer pour connaître une nouvelle grande période artistique. Winckelmann inscrit les caractères plastiques d’une époque comme le témoignage de cette société. S’appuyant sur une base anthropologique et archéologique, il considère que la connaissance des objets ou des oeuvres d’art permet d’aborder l’étude des moeurs et de la société ainsi que son évolution.

Cette corrélation entre art et société permet de considérer que l’oeuvre d’art témoigne de la grandeur ou de la décadence du peuple qui l’a produit. La volonté d’un art idéal se repose sur ce dernier comme témoin. Nous comprenons comment l’oeuvre d’art devient « étatique » car comme pour les modèles passés la création contemporaine témoigne de la grandeur du temps présent. L’idéal de beauté liée à la religion ou à la mythologie est déterminé par un environnement suffisamment propice à son expression. L’idéal d’une beauté supérieure figurée entre autre par les nus antiques permet de concevoir des proportions, des normes esthétiques qui identifie la beauté de son temps. Une éthique sociale synonyme de morale civique accompagne les arts libéraux et révèle une transcendance de la nature par ce que Winckelmann qualifie de «Beau idéal». De ces études il en ressort une certaine constante d’un humanisme qui période par période connaîtrait des oscillations entre grandeur et décadence, la grandeur étant toujours attaché à un principe classique de l’Antiquité et de la renaissance devant être réinséré dans la pratique contemporaine. Le Beau idéal serait presque une norme renvoyant à la grandeur et à la qualité de la société qui le produit. Il s’agit de comprendre que nous sommes face à une antiquité doctrinaire dont les pouvoirs européens comprennent pleinement sa fonction et son rôle. Les idées du théoricien allemand vont se concrétiser d’une manière rigoureuse. Le néo humanisme allemand incarné entre autres par Goethe prendra appui sur ce principe théorique.

L’une des avancées fondamentales pour l’analyse de l’oeuvre d’art est la description stylistique. En effet si jusqu’au milieu du XVIIIe siècle la culture historique de la pratique artistique est attachée aux grandes signatures et aux grandes écoles, Winckelmann aborde par les styles l’ensemble des caractères propres de la forme de l’art. Cela permet une comparaison des qualités propres d’une oeuvre quels que soient son époque et son lieu de production. Sociologiquement parlant cela signifie que l’on peut comparer une oeuvre grecque, romaine et française. Dans un dialogue et dans une volonté progressiste de la pratique artistique ce regard sur le passé doit permettre aux artistes de proposer une oeuvre dont les caractéristiques plastiques seules dépasseraient les grands modèles déjà existants. Cela est lourd de conséquences, l’artiste vivant est capable de proposer une oeuvre supérieure et donc lui-même d’être meilleur que les grands d’artistes précédents. Il est le témoin d’une société qui serait elle-même supérieure aux grandes civilisations antiques.

Styliistiquement cela impose le primat du dessin sur le clair-obscur. Le refus d’expressions coloristes déformantes, la simplicité placide des compositions en frise, l’imitation des bas-reliefs antiques vont alors caractériser la production romaine qui s’exportent à travers l’Europe entière. Cette réanimation de la flamme du classicisme au contact d’une culture archéologique crée une collusion entre passé et présent. S’inspirant des fragments de peinture Herculanum, ou bien encore des bas-reliefs sculpturaux observés à Rome, les artistes proposent une revisite, un renouveau à certains moments « à la grec » ou bien encore « à la romaine ». Cela nourrissant une valeur de l’oeuvre uniquement tributaire du regard que l’on peut poser sur le passé.

Après la révolution peut-on encore conserver cet idéal emprunt de périodes et de modèles littéraires déjà de trop nombreuses fois illustrés ?

Ces caractéristiques de la peinture connaissent un développement et une poursuite au début du XIXe siècle sur la peinture française où les idées, déjà anciennes de Winckelmann, se poursuivent dans ses principes d’un idéal de l’art. Le néoclassicisme, pour les jeunes peintres du début du XIXe siècle, c’est la « noble simplicité et la sereine grandeur », cette tension interne est maîtrisée au point de prendre souvent le masque de la froideur. L’historien Antoine Quatremère de Quincy défend les doctrines néoclassiques dans l’Essai sur l’idéal en 1805. Stendhal dans une note de l’Histoire de la peinture publiée une première fois en 1817 définissait ainsi l’art de peindre : « si je parlais à des géomètres, J’oserai dire ma pensée telle qu’elle se présente : la peinture n’est que de la morale construite. » L’oeuvre en France est un support dont on peut tirer des leçons.

Jacques Louis David en 1807 a proposé avec le Sacre de Napoléon une conciliation où sans peine l’idéal néoclassique rencontre l’exaltation des volontés modernes. Ainsi le profil de camée romain de l’empereur est on ne peut plus classique. Pourtant lorsque l’on observe les jeux de lumière sur les portraits environnants ont peu y comprendre l’incursion artistique de volonté déjà romantique.

Ce qui reste surtout en 1800 de la grande période néoclassique de la fin du siècle précédent, au-delà des poncifs d’une peinture d’histoire devenue simple manière, ce sont les conditions matérielles de la création artistique l’Institut, l’Académie de France à Rome, l’École des Beaux-arts sont les passages obligés pour tout artiste débutant. Une tradition nait alors en France de formation artistique qui correspond à son institutionnalisation.

Les conditions mêmes de conservation des oeuvres connaissent ce phénomène. L’époque néoclassique à créer ainsi les musées d’art dans l’Europe entière. Ainsi le Louvre encyclopédique de 1793 (musée Napoléon en 1803, appelé à contenir tous les chefs-d’oeuvre de l’Europe) autant que le musée des monuments français de 1795 créent des modèles des musées « romantiques » quasiment, avec des salles théâtralement mises en scène servant une conservation du patrimoine du XIXe siècle. Ces institutions nouvelles, comme les musées de province dans une France aux dimensions élargies par le grand empire napoléonien doivent être les premiers héritiers de cette culture encyclopédique.

Partout en Europe même aux États-Unis sur la côte est des musées publics éveillent l’intérêt pour l’art d’une population dépassant désormais le cercle des connaisseurs et des collectionneurs et permettant aux artistes de se former dans un idéal pédagogique hérité des lumières. Les oeuvres d’artistes contemporains achetés par l’État à chaque salon sont ainsi regroupées. On peut donc désormais peindre des oeuvres sans acquéreur et articuler de nouvelles formes pour un public nouveau, suscité par ce système révolutionnaire.

Cette pensée de l’histoire de l’art et de cette archéologie nouvelle forme une base d’une typologie artistique et historique renvoyant à la grandeur de la société et dévoilée lors de nouvelles institutions le salon. L’exposition des artistes contemporains bisannuels sous l’empire, irrégulières sous la restauration, annuelle à partir de 1833, bisannuels sous Napoléon III en 1863, se tenait au Louvre puis au palais de l’industrie. Un jury d’académicien décidé des admissions. L’exposition dure en moyenne trois mois et suscite une abondante littérature de critiques et de livrets satiriques. Le Jury récompense les artistes les plus remarqués, certains tableaux acquis pour le musée du Luxembourg passaient au Louvre à la mort de l’artiste. Les artistes au XIXe siècle finira donc par peindre « pour le salon », a recherché par quels effets leurs tableaux se distinguent de la. Il s’agissait à partir de 1850 d’offrir une vitrine de l’art contemporain français à l’Europe cultivée et profondément marquée par la même volonté d’idéal.

L’époque néoclassique et des musées d’art dans l’Europe entière sont autant de champs ouverts pour les artistes qui avaient cherché dans ces temples le beau et le démenti que Raphaël, Rubens ou Rembrandt semble avoir donné par avance aux épigones de David.

Jacques-Louis David et ses nombreux étudiants ont mis en place une formation où l’on apprenait à dessiner d’après l’antique, puis d’après modèle vivant, en modelant des figures à des fins de transparence ; la touche se faisant invisible se perpétuera jusqu’en 1860. Le néoclassique se nourrit de cette pensée de l’histoire de l’art et d’archéologie où réalité et fantasmes se croisent en permanence comme le reflet d’une société elle-même en progression des grands socles civilisationnels précédents.

Tendant une approche scientifique et non uniquement chronologique de l’évolution de l’oeuvre d’art, l’histoire de l’art permet aux artistes de se considérer à la fois comme successeur mais surtout comme supérieur par leur consécration contemporaine des temps passés.

L’image d’un XIXe siècle où se construit les humanités, où l’art devient le reflet de la société qui le crée explique en quoi les visions classiques et modernes se croiseront en permanence comme image d’un art qui ne peut se désengager du temps qui le voit naître. La naissance de l’histoire de l’art et cette archéologie repensée et actualisée témoignent d’un débat où l’art contemporain deviendra un enjeu social, politique et économique. Les grandes vitrines que sont les salons ouvrent à une société entière l’image de son temps, d’un débat entre le beau et l’idéal.


mardi 4 janvier 2011

quelques détails du XIXe siècle

Cycle passeport pour L’art janvier-février 2011


Quelques détails du XIXe siècle au Musée des Beaux-arts de Tours.


Nouveau cycle passeport pour l’art, nous nous concentrerons sur les collections de peinture XIXe siècle du Musée des Beaux-arts.

Séance 1 3-5-8 janvier : introduction, les collections XIXe, témoin du vivant du musée

Séance 2 10-12-15 janvier : Naissance de l’histoire de l’art, de l’archéologie repensée

Séance 3 17-19-22 janvier Le Beau contre le Goût, lutte esthétique au début du XIXe siècle

Séance 4 25-26-29 janvier La logique d’un académisme, la conservation des modèles passés

Séance 5 31 janvier -2-5 février Un renouveau du naturalisme, du Caravage à l’impressionisme

Séance 6 7-9-12 février Le voyage comme déplacement physique et mental: l’orientalisme

Séance 7 14-16-19 février Le paysage sujet d’une modernité déclarée ?

Séance 8 21-23-26 février Sentiments et sensations, la réception de l’oeuvre au XIXe

Séance 9 28 février -2-5 mars Fin de siècle et basculement, les poursuites des débats artistiques du XIXe au XXe



Le cycle de conférences passeport pour l’art aborde, pour cet hiver 2011, les collections de peintures XIXe du musée des beaux-arts de Tours. Ces collections se sont établies du vivant du musée. Elle représente numériquement le fonds le plus important.

Malgré l’intérêt et la qualité des oeuvres provenant des saisies révolutionnaires la fin du XVIIIe siècle, le musée des beaux-arts de Tours ne fut pas choisi parmi les 15 musées de province bénéficiant des premiers envois de l’État décrété en septembre 1800. C’est à l’intérêt du général François René de Pomereul et à sa persévérance auprès du ministre de l’intérieur et de Dominique Vivant-Denon que l’on doit les premiers envois de l’État dès 1803. De nombreux courriers du préfet témoignent de son combat pour obtenir ces dépôts pour le musée et également de son rôle pour le choix de ses oeuvres. 30 tableaux en provenance du muséum central devaient parvenir au musée de Tours en 1803. Trois ans plus tard le même préfet s’adresse de nouveau au directeur pour lui réclamer six tableaux restés en conservation au muséum central. Les envois ne sont pas des oeuvres contemporaines mais principalement de périodes antérieures devant permettre d’ouvrir les thématiques et sujets des tableaux déjà présents dans les collections. Cela sera le cas pour des morceaux de réception de l’académie devant permettre d’avoir de grand modèle pour l’école se trouvant au rez-de-chaussée du palais de l’archevêque.

Les collections du XIXe siècle se sont constituées selon des modes communs à tous les musées français, c’est-à-dire les dépôts de l’État, les dons, les legs, les achats. Les envois de l’État ne débutent pour les collections XIXe qu’à partir de 1815 et vont se poursuivre ensuite à un rythme plus ou moins soutenu. Ainsi en 1819 le tableau Jeanne-d’Arc à Loches de Millin du Perreux rentre dans les collections. Les envois de l’État sont motivés pour répartir sur l’ensemble du territoire français les grandes collections. L’État exerce ainsi un rôle de mécène en soutenant par une politique d’achat et de commandes. L’état oriente les travaux et les encourage à l’aide de ces dépôts. Les conservations de province se rappellent régulièrement à l’État en cas d’oubli de sa part pour augmenter en permanence leur nombre de dépôts.

Les dons et legs vont se faire à partir de 1840, la générosité de personnes privées intervient pour une grande part dans la constitution de ces collections. Parmi les donateurs, les artistes et leurs familles occupent une place éminente qu’il convient de souligner. Que cela soit de leur vivant ou bien après leur disparition, le dépôt de leurs oeuvres au sein des collections du musée témoigne d’un souci de perpétuer le souvenir de l’oeuvre et d’en assurer ainsi la pérennité. Ce sont alors des collections complètes, fonds absolument uniques, qui vont rejoindre les collections du musée. L’intérêt scientifique consiste à avoir des corpus qui conservent toute leur cohérence et par leurs dépôts au musée ne seront jamais dispersés.

Pour la période concernée, l’action des conservateurs en matière d’acquisition est limitée en permanence par la modicité des crédits aussi faut-il souligner que l’établissement des collections de XIXe du musée des Beaux-Arts est davantage attaché un dépôt de l’État les ghettos que pas véritablement une politique d’achat étendue.

La collection XIXe du musée des beaux-arts ne dispose pas uniquement de chefs d’oeuvre mais témoigne et enseigne sur l’établissement de la collection et sur le XIXe siècle en général. Ce n’est qu’en 1921 que l’on choisira le deuxième étage pour présenter ces collections.


Le XIXe siècle est celui d’invention du musée, du rassemblement encyclopédique des oeuvres du passé. La société s’éprend de l’histoire qui dès 1818 entre dans les programmes scolaires. On met en place les services des archives nationales ou encore des monuments historiques. Dans un siècle d’éclectisme, d’histoire et d’accumulation ont construit la pensée d’une nation. L’art se trouve alors inclus dans ce registre historique.

Le XIXe siècle présente des mutations constantes, décisives et irrémédiables qui transforment la civilisation occidentale et par ce fait ses productions artistiques. Les évolutions des régimes politiques, des systèmes économiques, de l’organisation sociale, des modes de production, des sciences et techniques ou encore des moeurs et des idéologies créent un mouvement perpétuel auquel la peinture, la sculpture et l’architecture appartiennent.

Suivant la théorie positiviste d’Auguste Comte qui se condense dans « l’amour pour principe, l’ordre pour base, le progrès pour but » le progrès repose sur l’invention de nouveaux produits de nouvelles techniques, sur la rationalisation des méthodes de production et la peinture se retrouve sur le même principe d’une évolution permanente expliquant la rapidité des changements artistiques et les questionnements soulevés par sa réception. Les mutations techniques et industrielles révolutionnent le principe d’un progrès. L’art au-delà de guider les esprits va questionner la matérialité de plus en plus d’importance en peinture. La métropole se fait le moteur et le lieu de cette mutation, l’ordre urbain s’installe et la ville deviendra le sujet moderne de l’art.

Les grands enjeux artistiques sont débattus au sein des grands salons. Comme Walter Benjamin le souligne Paris est la capitale du XIXe siècle. La ville présentera jusqu’à quatre salons :

  • Le salon des artistes français
  • Le salon de la société nationale des beaux-arts
  • Le salon des indépendants
  • Le salon d’automne

Les deux premiers célèbrent les peintres à la mode et les commandes publiques, ils sont le miroir de ce rôle de mécène que l’État a sur la production artistique. Les deux autres s’ouvrent aux refusés, ils présentent un certain contre-pouvoir artistique au goût commun et collectif. Un clivage va se créer générant de violentes luttes à la hauteur des enjeux économiques, artistiques et politiques contenus dans ses vitrines culturelles.

À ce système s’ajoute lentement à partir de 1850 un mode d’exposition privée. Les galeries conjuguent des facteurs économiques, l’évolution du goût, la diffusion, la réputation et les engouements. Tout cela multiplie la diffusion et la réception de l’oeuvre. Le XIXe siècle sera celui de la presse écrite, qui deviendra alors le lieu de critiques s’élevant soit pour ou contre les principes du beau. Deux camps se font face avec leurs soutiens respectifs donnant lieu à un réel et complet débat sur les questions et les valeurs de l’oeuvre d’art. Le XIXe siècle marque en soi la fin de la renaissance dans cette liberté acquise par l’artiste peintre dans son oeuvre.

Le XIXe peut arbitrairement être scindé en deux :

  • 1815 - 1848 le néoclassique et le romantisme.

Il n’y a pas d’opposition absolue entre ces deux mouvements. Le romantisme peut être considéré comme le fils prodigue du néoclassique. La période napoléonienne a changé le rapport du peintre d’histoire, il est devenu contemporain, ouvert aux nouveaux sujets dont l’orientalisme. L’Orient se substitue à l’Antiquité, le goût pour le moyen âge dans ses mythes devient une réalité, et au nom d’une recherche libérale se bâtit des vocabulaires, des styles et références qui changent en permanence mais trouvent des constantes. Les romantismes picturaux, littéraires et musicaux sont évidemment indissociables, et caractérisent de manière décisive cette période pour une collaboration entre les pratiques artistiques.

  • 1849 - 1890 l’ère des modernes

La seconde moitié du XIXe siècle est une longue période de paix, c’est la période des néo, néogothique, néobaroque... C’est aussi à ce moment que l’on note la naissance du peintre de la vie moderne, à une période nouvelle doit correspondre une peinture elle-même renouvelée dépassant et s’engageant dans la réalité de son temps. Nous pouvons considérer que l’histoire qui était à la base du classique donne le meilleur argument à la modernité. La société bourgeoise se cache derrière les modèles du passé pour ne pas voir ses propres moeurs et son propre temps. Dans une société qui s’accélère les mouvements artistiques vont eux-mêmes s’accélérer et s’enchevêtrer.


Séance 2 : Naissance de l’histoire de l’art, de l’archéologie repensée

Avec le néoclassique, l’impact de l’histoire de l’art et d’une étatisation de la stylistique revisite les modèles du passé. Le peintre revisite les grands modèles, les actualise. L’archéologie et l’histoire de l’art deviennent des sciences dont la valeur symbolique nourrit un discours officiel académique. La Création des Musée en province construit des «temples» pour consacrer ces écoles et ses stylistiques. Héritier de l’archéologie méditée et de la poésie de l’antique du XVIIIe siècle, l’imaginaire des temps passés se poursuit.


Séance 3 Le Beau contre le Goût, lutte esthétique au début du XIXe siècle

Le tournant du XVIIIe et du XIXe siècle est une période de grands changements pour la peinture. L’esthétique du «petit goût» des pastorales sont sévèrement battus en brèche par Winckelmann, David ou même Delacroix. Dans une nostalgie du grand goût du temps de Louis XIV, s’affirme la revendication du beau. Ce dernier devient l’objet d’un débat et de critique scindant la réception de l’oeuvre et la qualité de la peinture. La lutte esthétique repose sur cette remise en cause d’avis et de goûts dépréciés ou non. Baudelaire y verra même derrière le beau la logique d’une «nation».


Séance 4 La logique d’un académisme, la conservation des modèles passés

Le néoclassique engendre un nouvel académisme. La conservation des modèles du passé ne va pourtant pas limiter la capacité d’invention. Malgré une esthétique normée, les générations de peintres académiques témoigne des évolutions et des gouts. Les récentes expositions et études de Ingres témoignent une modernité dans cette recherche d’une beauté idéale.


Séance 5 Un renouveau du naturalisme, du Caravage à l’impressionisme

Le naturalisme et sa collusion avec les principes idéaux de la peinture classique montrent une recherche picturale et une autonomie du tableau. Si le sujet se veut plus quotidien dans son approche comme dans sa finalité. Le naturalisme pictural témoigne encore d’un complète voire d’une radicalisation de l’artificialité de l’oeuvre. Du Caravage aux impressionnistes, le tableau en prenant le réel comme seul support n’en reste pas moins une concentration et donc un condensé.


Séance 6 Le voyage comme déplacement physique et mental: l’orientalisme

L’Orient renouvelle les thèmes de la peinture classique. Il est aussi pour les romantiques la possibilité d’un voyage initiatique. S’écartant du séjour romain les artistes vont chercher en Orient une lumière et un rendu que l’on peut observer en Occident. Le fantasme et la fable deviennent le lieu d’un débat entre un Orient rêvé et réel.


Séance 7 Le paysage sujet d’une modernité déclarée ?

Sujet déprécié au XVIIIe par sa position au sein de la hiérarchie des genres, le paysage va devenir l’icône d’une modernité au XIXe.


Séance 8 Sentiments et sensations, la réception de l’oeuvre au XIXe

La multiplication des Salons et autres expositions crée une profonde transformation de la réception. Même l’art officiel domine, le public se scinde suivant ses goûts et prend parti. L’oeuvre cherche sa voie entre sentiment et sensation, entre idéal et sensoriel. Des débats sur le beau et le goût, l’oeuvre se fraie un chemine vers une autonomie et une synthèse de ses fonctions.


Séance 9 Fin de siècle et basculement, les poursuites des débats artistiques du XIXe au XXe

Les débats, dialogues et évolutions de la pratique artistique au XIXe se poursuivent au XXe. Les «ismes» successifs construisent une image progressiste de l’art en diapason à une société où les changements s’accélèrent.