lundi 17 octobre 2011

La science comme modèle de la vraisemblance?

La science comme modèle de la vraisemblance?



Suite directe de la conférence précédente, La science comme modèle de la vraisemblance aborde la science et son discours positiviste dans la description du monde. Les recherches et la connaissance scientifique pèsent dans la façon de regarder et de comprendre le monde. La vérité est détenue par le scientifique qui analyse, décortique et explique au plus grand nombre le monde. L’artiste va étayer sa composition de ces règles et de ces lois venant d’un domaine qui souvent est considérer comme opposé. L’artiste pour défendre et démontrer sa vraisemblance se repose sur la science. Un étrange dialogue s’instaure entre une parole scientifique cherchant des modèles objectif et une parole artistique cherchant une expression subjective.


La vision du monde a ouvert l’engagement d’une pratique artistique qui est fondamentalement liée avec celle d’une observation scientifique. Dans une société où la science devient l’analyse et la raison même de la description précise du monde et de l’environnement, l’artiste se doit pour être vraisemblable dans sa composition se faire l’écho ou l’interprète du domaine scientifique. Si l’intitulé de cette conférence est interrogative, c’est qu’il s’agit bien d’essayer de comprendre quelles sont les limites d’une telle application. En effet, la semaine dernière par le terme de vision du monde, nous engagions l’artiste à conserver une perception et une représentation qui soit subjective et non uniquement objective. Cela conduit à ce que le dialogue entre art et science témoigne plus d’une adaptation des connaissances scientifiques que d’une de simple copie.

La véritable représentation scientifique de la nature va résulter d’une entente réciproque entre chercheurs et artistes. Avec les progrès élaborés par la proximité de la nature, la précision des détails et la multiplication des motifs constituent l’un des attraits principaux des images de fleurs, d’insectes, de légumes et de coquillages. Au même moment où l’on remarque l’éclosion au sein de la peinture flamande de la représentation de différentes variété de végétaux on voit arriver en Europe l’existence d’un certain nombre de précis et d’herbiers qui prennent place dans la culture visuelle et scientifique européenne. Ces reproductions exactes, exécutés sur le motif, peuvent être rapidement disponibles pour tous les chercheurs grâce au bois et au cuivre gravé, mais surtout grâce à la multiplication que permet l’imprimerie. Cet intérêt pour la nature est une clé de compréhension de la puissance créatrice des vieux principes du microcosme jusqu’au macrocosme. Au travers de la construction spatiale qui s’élabore il y a alors une vraie volonté environnementale qui se joue dans les représentations de ces premiers plans d’une nature omniprésente.


La semaine dernière nous sommes arrêtés chronologiquement au XVIe siècle, avec la figure Léonard de Vinci, nous repartons donc cette semaine du XVIIe siècle. Dans notre étude d’une vraisemblance comme la possibilité de la peinture de renvoyer une image concrète et tangible. ce sont une nouvelle fois les artistes nordiques et entre autres hollandais qui vont marquer profondément cette intrusion et ce questionnement dans la pratique de la peinture d’un certain nombre de connaissances scientifiques. Cette évolution se voit aussi par l’avènement que cela soit en Italie ou bien en Hollande de nouveaux sujets. Le portrait, la nature morte et le paysage forment tous les trois le témoignage d’un plaisir d’une image qui n’est plus rattachée à une logique dévotionnelle immédiate. En effet ce qui semble motiver les artistes comme leurs commanditaires et leurs collectionneurs au XVIIe en Hollande n’est plus une image dévotionnelle mais qui semble dans un premier temps uniquement un exercice du regard et d’observation la nature.

Nous avons déjà fait état d’une certaine réticence de la peinture flamande à intégrer la perspective géométrique italienne. Mais si nous revenons à la définition première de perspective au Moyen Âge il s’agissait des traités d’optique, il s’agit pour les hollandais d’avoir une image où l’exactitude de sa construction puisse se faire entre une vision naturelle et une observation artificielle.

La caméra obscura est un prolongement des études scientifiques relatives à l’optique. Le succès qu’elle rencontre et son utilisation par les artistes témoignent au travers d’un appareillage d’une croisée entre la logique d’un tableau qui se veut une reflet social, une vision du monde et une vraisemblance reposant sur une exactitude objective.

Il s’agit d’un appareillage au demeurant fort simple, le bois est percé d’un petit orifice laissant entrer la lumière. Pénétrant dans cette chambre noire elle est projeté sur une feuille. L’objet se trouvant à l’extérieur de la boîte est projetté et l’artiste alors n’a plus qu’à tracer les contours pour pouvoir représenter avec la plus grande exactitude ce qu’il observe naturellement.

Entre le 17e et le XIXe siècle, la chambre noire présente plusieurs échelles, à certains moments elle sera même une pièce entière dans laquelle l’artiste pénètre et à d’autre une petite boite, qualifiée de portative, et permettant à chacun de pouvoir jouer de phénomènes optiques et de l’exactitude de la représentation.

L’apparition d’appareillages permettant de compléter la vision, de la recorriger sont autant d’éléments qui doivent permettre à l’artiste lui-même de compléter sa vision du monde. L’observation étant le moyen de la perception et de la compréhension du monde, l’invention des lentilles et la mise en place d’un tel appareil permet par ces prothèses de compléter et de croiser une perception naturelle et une perception artificielle. C’est aussi une juxtaposition entre vraisemblance et faux-semblants, inhérente à la peinture et à son rapport à la réalité.

La chambre noire n’est pas uniquement un appareillage utilisé dans le nord. En effet elle est nécessaire à la renaissance en Italie car elle remplit une fonction didactique permettant la démonstration d’un phénomène et d’une nature projective partagée avec la perspective artificielle. En Hollande le modèle le contexte scientifique, sociologique et artistique propice à son développement. Ainsi, les études du physicien Kepler, largement diffusées, nourrissent un souci d’une exactitude optique. L’appareil va susciter dès cette époque une curiosité et un émerveillement particulier dans sa capacité de représenter les mouvements et les couleurs. En opposition à une perspective artificielle il y a une démonstration de phénomènes temporels qui semble se dérouler dans la même réalité que celle du spectateur.

Le paysage va être le premier sujet à être confronté à une telle construction et à l’utilisation de cette connaissance scientifique. Le tableau représentant l’intérieur de la Oude Kerk de Delft montre une scène de vie quotidienne. La déformation, dans cet arrondi et le petit effet de flou sur les parties extérieures du tableau, comme nous l’avons déjà analysée dans des conférences précédentes, témoigne d’une utilisation à peu près certaine de la caméra obscura .

Ce qui est le plus étonnant pour nous aujourd’hui, c’est de voir des artistes intégrer les déformations dues à des limites techniques des appareillages dans la perception et la vision même du monde. Cela correspond de nouveaux à cette logique d’une réception sociale et de sa capacité à figurer une réalité perçue comme équivalente voir supérieure par l’appareil.

La chambre noire devient une autorité pour une représentation « naturelle » d’un espace et de la projection du corps du spectateur dans cet espace. Il s’agit de considérer l’application d’un phénomène comme une norme dans l’exactitude de la représentation.

La vraisemblance n’est en aucun cas la possibilité de rattacher ces études scientifiques à une exactitude que nous pourrions structurellement la comprendre. Cela repose sur la perception en ce début du XVIIe siècle de l’appareillage de la caméra obscura comme une modélisation du fonctionnement de l’oeil. Pourtant il n’en reste pas moins un équivalent artificiel et non naturel. La chambre noire témoigne de la connaissance des phénomènes optiques reproductibles peut être considérée comme une annihilation de l’individu.

Nous serions confrontés à un phénomène optique qui n’est même plus rattaché à une compétence technique, car chacun y a accès, mais dont la mise en oeuvre peut et se doit de rester personnelle par ces variations. Car cette prothèse reproduit la perception mais de manière incomplète. Cela va découler directement sur une révolution fondamentale dans la représentation de la nature. Car la caméra obscura met à hauteur d’homme l’observation du monde.

La petite marine de Jan van Goyen présente un paysage anecdotique, à la ligne d’horizon extrêmement basse témoignent d’une observation à hauteur d’homme. Dans la construction d’un paysage à la perception un peu satellitaire agissait comme une projection et une perception supérieure. Son décalage ou son affaissement à hauteur d’homme est la conséquence immédiate de observation à l’échelle de l’homme du monde et de sa perception.

Cela témoigne d’un basculement et d’une disparition petite à petit dans la nature terrestre de l’angle de vue de son créateur divin. Les artistes hollandais appartiennent à une société où la description du monde n’est plus confiée simplement la théologie mais aux sciences exactes qui sont en train de mesurer et rationaliser sa perception.

Le tableau reposant sur une méthodologie exacte n’en reste pas moins une composition subjective. Les empattements et l’effet vaporeux composent un point de vue particulier et non une description objective mais d’amener petit à petit par le choix de cadrage et par les différentes propositions une vision symptomatique de l’artiste. La chambre noire est un appareil entre l’objet et l’observateur, elle est la matérialisation d’une mobilisation mentale, mathématique et physique de la réalité. Elle permet un plus grand balayage de l’espace et de sa représentation.Mais tout comme la science, elle n’est qu’un filtre permettant à l’artiste d’accéder à la subjectivité de la représentation. En effet, la matérialisation des connaissances scientifiques est un équilibre utilisable par les artistes pour accéder à une composition expressive. Le rapport au réel modélisé par la science est une base sur laquelle l’artiste élabore une vision personnelle de la réalité. Dans ce questionnement de la science comme modèle d’une vraisemblance, nous comprenons et nous assistons toujours aux mêmes règles du jeu, celle d’une peinture qui comme objet mental doit se permettre de dépasser la simple réalité mais ne doit pas ignorer ces définitions.

C’est ainsi que les peintres hollandais offrent des oeuvres dont l’oscillation entre l’exactitude et inexactitude semble à l’image d’une société qui a conscience que ce qu’elle voit en peinture est un arrangement de la réalité et non pas la réalité elle-même. Dans une culture du détail, se jouer d’un référencement scientifique est nécessaire aux artistes pour justifier de leurs contemporanéités, mais avec l’avènement de la subjectivité du créateur il faut en faire un objet d’expressivité. Cet étrange mariage entre objectif et subjectif illustre parfaitement l’intégration des connaissances scientifiques et techniques dans cet espace artificiel de la peinture. C’est pour cela que nous ne sommes pas face à une image scientifique de relevés et décrite dans les traités l’optique, mais bien une adaptation.


Le second exemple que nous pouvons prendre est celui de l’application des théories de la couleur et de la pesanteur d’Isaac Newton. Nous l’avons déjà largement traité dans une conférence consacrée au Newtonisme. Pourtant il faut de nouveaux y revenir dans cette question de la vraisemblance de son dialogue avec le domaine scientifique. L’impact des théories de Newton à travers l’ensemble de l’Europe ont affiner des connaissances optiques sur la science de la couleur et sur la pondération.

Le dialogue entre art et science est entériné depuis maintenant deux siècles et trouve dans cette philosophie de Newton la possibilité d’unir une logique d’une harmonie du monde avec celle d’une harmonie peinte.

La large diffusion à partir de 1700 des pensées de Newton dans la société française aboutissent à ce que le physicien remplace le philosophe. Cela se trouve nourri d’une perception vertueuse et noble de l’étude de la physique et intègre l’enseignement au sein de l’académie pour devenir un corollaire nécessaire à la représentation du monde. Le propos de Newton a été par son auteur lui-même arrangé pour sembler pouvoir correspondre aux anciennes modalités d’harmonie. Le cercle chromatique Isaac Newton et la possibilité de poursuivre les résonances et les volontés d’harmonie de la composition.

Toutes les observations de Newton sont groupées dans son ouvrage intitulé « optique », cet ouvrage a plus lieu d’être une esthétique qu’une simple étude scientifique.

Le chevauchement entre pensée esthétique et théories scientifiques témoigne à quel point la société générale fantasme une instance collective générale d’un principe d’harmonie globale. L’ordonnancement consécutif à la diffraction du spectre coloré joue sur une mondélisation qui dans le questionnement de la teinte et de la couleur conduit l’oeuvre à prendre une distance avec l’observation du monde. Le caractère de l’imitation jouant sur une perfection et imperfection de la nature se trouve recorriger en peinture et les observations de Newton deviennent le point de départ d’un questionnement de l’artiste sur un partage des connaissances qui doivent conduire à la composition.

L’artiste applique non en scientifique mais en poète les théories de Newton afin d’obtenir une composition équilibrée dont les champs colorés soutiennent le sujet choisi. La grande force de la pensée de Newton c’est qu’il ne s’agit pas d’une simple bascule et d’une simple analyse d’observations scientifiques mais de l’évocation d’une possibilité d’une harmonie.

La peinture est un objet tourné vers la délectation de l’oeil. Les connaissances scientifiques d’Isaac Newton et leur large diffusion en font un socle social de la compréhension de la perception du monde et de son harmonie. L’artiste, intégré socialement, doit composer avec ces nouvelles données qui ne sont qu’une certaine poursuite des résonances de la perspective géométrique et artificielle du XVe siècle. Le cercle chromatique de Newton devient une organisation de la palette de l’artiste pour permettre la composition d’une oeuvre dont la perception doit toujours être supérieure à la réalité.

La science est un modèle. Le modèle d’une description objective du monde et de la réalité. La qualité de l’oeuvre réalisée par le peintre reste dans la logique de l’invention. L’artiste doit effectivement relever la réalité mais l’art est de la disposer dans sa composition. De cette part de la subjectivité de l’artiste découle la valeur et la qualité de son oeuvre. C’est en cela que malgré une très forte présence dans la première moitié du XVIIIe siècle des pensées de Newton, ces dernières ne sont qu’une partie de la définition du rapport au réel et en aucun cas un modèle uniquement applicable. Nous restons toujours avec la peinture et les arts plastiques dans une pratique où la subjectivité de l’artiste dépasse l’objectivité de l’artisan.

La pesanteur, phénomène sur lequel nous nous sommes déjà largement penché dans les conférences précédentes, devient le même enjeu pour les artistes. Le sujet en peinture même si il est rattaché à une réalité de sa figuration n’en est pas moins détaché dans sa pondération. La peinture reste un sujet détaché en partie de toute logique de vraisemblance. L’artiste ne fait pas une erreur inconsciente bien au contraire tend vers des limites et des dépassements dans son sujet pour proposer une vision supérieure.

Cela va se poursuivre au travers du XVIIIe et du XIXe siècle. La peinture est un art de la vision et doit par cette sensation générer de grands sentiments.

Le sentiment va être scientifiquement définit par une excitation sensitive. Ainsi la perception métaphysique va devenir une question d’une sensation supérieure à la réalité.

La science ne définit la réalité que d’une manière objective, mathématiques, en un mot rationnelle. L’art doit pour être efficace et conduire à un émerveillement joué de l’irrationnel. C’est en cela que si la science est un modèle de la vraisemblance, l’artiste doit le suivre mais en aucun cas uniquement l’appliquer. Sinon l’oeuvre ne serait qu’une sorte de reliquat d’un artisanat s’appuyant sur les compétences scientifiques pour proposer une image plus exacte. L’enjeu d’un sensualisme infléchit la science à la subjectivité de l’artiste. Celui-ci ne se veut aucunement comme un scientifique mais bien au contraire comme un regard transformant la réalité. L’art fondamentalement même lorsqu’il se repose sur des modèles abstraits ou concrets propose toujours une image interpellant notre rapport à la réalité. Nous sommes amenés à être convaincus que la vraisemblance du sujet en peinture repose sur le fait que cette dernière n’est qu’un artefact. Ainsi la peinture n’est pas une image de la science mais une application de la question sociale et contemporaine de la définition et de la représentation du monde.


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