mercredi 14 décembre 2011

Conclusion Vrai/faux semblants

Conclusion Vrai/faux semblants


Dernière conférence du cycle, il est l’heure de conclure.

Par le thème de la vraisemblance, nous avons abordé le rapport de l’oeuvre au réel et ce que nous avons défini comme la part de réalité et de vérité dans les pratiques picturales depuis la XVe siècle. Pour résumer et tenter de conclure sur les thèmes les plus vastes de l’art et de son histoire, il est bon de faire un bilan.

Tout d’abord sur le traitement chronologique et historique de notre sujet. Aborder le thème de l’imitation et de la représentation d’une réalité quasi tangible en peinture sur une période aussi étendue soulève le questionnement d’accepter une quasi transversalité de cette notion. Il s’agit aussi d’un positionnement intégrant un socle commun à toutes les pratiques artistiques ou tout du moins picturales entre le XVe et le XXe siècle. Cela peut paraître arbitraire, mais il s’agit de prendre conscience que lorsque l’on recherche la vérité non pas comme une quête, mais comme une interrogation du sujet en peinture, il faut toujours avoir conscience du jeu au sein duquel nous pratiquons. Le cadre des conférences passeport pour l’art est le musée des beaux-arts de Tours. Ce dernier présente une collection qui va de l’Antiquité à nos jours. Matériellement regroupés au sein d’une même structure, il s’agit donc de concevoir que dans une muséologie les oeuvres présentes un point commun est de permettre de creuser ou de tisser une étude entre toutes. Le propos tenu par l’oeuvre est tributaire de son cadre de monstration. Ainsi avoir conscience de ce cadre dans lequel nous présente ses tableaux est déjà une inflexion de sa lecture. La première part dans ce dispositif du discours contenu par le tableau est celle du patrimoine. L’oeuvre « choisie » comme un témoignage de la production artistique de son temps entre dans le musée au sein d’un dispositif qui conduit à ne pas remettre en cause sa valeur artistique.

L’une des données les plus fondamentales de la vraisemblance, du caractère imitatif et expressif de la peinture, est le jugement apposé au tableau. L’un des noeuds que nous avons essayés de défaire durant ce cycle est le rattachement fondamental de la représentation du réel comme la première qualité de la réalisation picturale. La volonté de créer une oeuvre suffisamment convaincante pour que son spectateur y voit un espace mimétique, la clé de voûte de la création d’un dialogue entre eux le sujet et son regardeur. Ces images du monde et les récits qu’elles reproduisent confèrent toujours en a la peinture une double nature quant au discours qu’elle tient. Image à elle seule ne suffit pas à générer un dialogue sentimental avec son sujet. L’imagerie religieuse qui au XIVe siècle oriente la raison d’être de l’image porte ce paradoxe. Donnant à voir ce qui ne peut être perçu dans le monde réel, l’artiste doit proposer en un instant une image qui soit plus belle que la réalité. Ce caractère paradoxal d’un sujet s’inspirant de la nature mais en proposant une image supérieure de ces dernières découlent sur le thème l’apparition et de l’émerveillement. La patrimonialisation de ce corpus d’images témoigne de son caractère supérieur. Ainsi tout objet intégrant la collection tend à être validée par la résonance historique des oeuvres qui chronologiquement le précèdent. Alors la vraisemblance se construit sur cette légitimité ou le spectateur cherche dans un discours polymorphe et individuel le lien qu’ils puissent avoir entre un panneau dévotionnel du XVe siècle et du papier peint du XXe.

Ce nivellement du discours n’est pourtant pas total, au sein du musée chaque période et chaque zone géographique sont individuellement présentées. Chaque pièce conduit le spectateur à circuler au travers d’un maillage historique. La vraisemblance se rattache à une lecture chronologique. La vérité d’un discours et d’une valeur d’un objet s’attache à un contexte sociologique. Pour en saisir son importance il faut faire l’effort de contextualiser les oeuvres. Ainsi les enjeux de la vraisemblance fonctionnent plus sur le principe du reflet que du miroir. L’oeuvre d’art se lie aux notions d’information et de signes qu’elle contient. Notre conscience historique juge la valeur du système artistique par la réception même de l’oeuvre.

Le développement d’une autonomie de l’oeuvre et du statut libérale de l’artiste se produit par le développement d’un discours accompagnant l’objet. La vraisemblance est une posture « critique » quant à la représentation et à sa validation. Quand on peut dématérialiser le tableau en proposant une description écrite ou orale, cela constitue une prise de conscience de l’expression même de l’artiste. Il s’agit d’une intellectualisation de l’art. La recherche de la vérité dans l’oeuvre ne peut se cantonner à la simple observation visuelle mais doit se faire dans la compréhension des réseaux intellectuels et philosophiques qui l’accompagnent. Aborder la vraisemblance consiste à réfléchir aux modalités de sa signification. Les images possèdent une double nature : oculaire et mentale. L’image n’est pas uniquement des formes mais aussi des signes qui doivent être compris et connus de son spectateur. L’oeuvre devient un symbole, c’est-à-dire une réalité abstraite, face à auquel tout spectateur voit un objet portant au-delà de sa représentation un discours. Nous avons abordé la symbolique pour comprendre les différentes strates possibles de la lecture même d’un sujet. Cette intellectualisation connaît pourtant ses limites, par les connaissances que nous possédons aujourd’hui.

L’oeuvre étant un objet socialement engagé, et le témoignage de toute l’évolution des discours de description du monde et de sa pénétration dans cet enjeu imitatif de la peinture. Par les « visions du monde » et le dialogue avec les sciences, nous avons abordé cette perméabilité entre l’oeuvre et son temps. L’artificialité ontologique de la peinture peux rendre méfiants quant à cette intégration des diverses descriptions (scientifique, philosophique, poétique...) dans la peinture.

Cette méfiance et ses interrogations créaient un va-et-vient dans notre rapport avec le tableau. Ayant conscience à ce dernier est un réceptacle à nos propres connaissances notre perception de sa vraisemblance va évoluer au fur et à mesure de notre propre curiosité intellectuelle. En n’y réfléchissant, un tel cycle n’aurait pas été envisageable il y a cinq ans de cela lorsque nous avons mis en place le cycle de conférences sur les collections permanentes au musée. Car comme dans toute démarche d’analyse il nous a fallu passer par ce registre descriptif et technique pour pouvoir aujourd’hui aborder un certain nombre de questionnements intellectuel, d’un enrichissement pas uniquement matériel mais principalement culturel. Rendre au début du XIXe siècle accessible l’ensemble de ses collections au plus grand nombre va dans ce sens. L’intitulé des cycles de conférences « passeport pour l’art » constitue déjà ce principe de passer dans un monde, au-delà d’une frontière pour un cheminement et une évolution.

Le rapport avec l’oeuvre ne peut uniquement se faire par le descriptif, mais elle ne peut non plus se faire uniquement par l’intellectuel. Le paradoxe de la vraisemblance pour l’oeuvre d’art c’est qu’elle nécessite de se confronter physiquement à elle pour pouvoir, dans une démarche d’appropriation, l’intellectualiser. Rien ne peut remplacer l’expérience visuelle face à une oeuvre. La conduite du regard, le jeu d’observation ont, dès son origine moderne, amené l’artiste à composer un tableau dont l’ensemble pouvait être assujetti à une dislocation par son spectateur.

La vraisemblance en peinture se nourrit de ces points de vue que l’on peut prendre sur l’oeuvre. L’oeuvre est une fenêtre ouverte sur le monde et ouverte sur l’histoire. Cette définition que je vous redonne à chaque cycle est pour moi centrale. Par sa subjectivité l’artiste donne son regard et son histoire. L’oeuvre est une matérialisation de sa carrière, de son discours... À ce niveau de compréhension, l’oeuvre est un fragment. C’est-à-dire une infime partie émergente d’un iceberg. La vraisemblance se passe tout autant en surface qu’en profondeur. L’artiste comme son spectateur a conscience de ce contenu souterrain. Ce dialogue qui s’instaure et nourrit par d’une curiosité et d’une délectation intellectuelle qui en résulte.

La compréhension d’une oeuvre d’art, même si elle ne peut jamais être totale, se fait dans une démarche active. D’un côté chez l’artiste qui convoque l’ensemble de ses connaissances afin d’exposer au regard de tous une oeuvre qui les interpelle et qui correspond (ou non) aux critères de son temps. De l’autre, le spectateur doit à son tour activer la composition pour en ressortir une jouissance à la fois physique et mentale.

Souvent nous entendons dire qu’une oeuvre se mérite par les efforts que l’on doit concéder pour son accessibilité. Cela n’est pas un effort douloureux mais doit rester profondément un plaisir. Car dans ce jeu du discours et de la vérité contenus dans l’oeuvre d’art, le terme de délectation sous-entend une logique du plaisir. Représenter une nature plus belle au sein du tableau consiste à offrir au regard une oeuvre visuelle supérieure au réel. Cette hiérarchie repose sur cet émerveillement que l’on peut avoir face à l’oeuvre.

L’une des origines que nous n’avons pas abordée dans le cadre de ce cycle vrai/faux semblants est la poétique. Car il s’agit bien là de la légitimation d’une représentation qui puisse se défaire de la simple figuration du réel. La part poétique dans la description du monde par les artistes plasticiens convoque le sentiment. Ce dernier se nourrit de l’imaginaire, le sentiment même que l’objet représenté puisse être sujet à une flânerie mentale.

L’artiste n’est pas uniquement le manipulé il est aussi manipulateur. Ainsi remettant en cause les données scientifiques et cartésiennes de la description du monde, il nous offre une image qui nous déstabilise. La création de sentiments contradictoires et du plaisir à observer une scène qui dans la réalité nous choquerait, nous interroge personnellement sur cette capacité de l’oeuvre à s’extraire du réel. Ainsi arrêterions nous face à une carcasse d’un boeuf ou bien encore à un gisant ? Une grande partie des sujets religieux et mythologiques nous confronte à la mort, au cadavérique. L’image oscille entre violence et douceur. Cette double nature est provoquée par l’artiste pour générer cette confrontation et des sentiments exacerbés. Car le sujet étant représenté plus beau que de nature, il doit aussi générer des sentiments supérieurs à ceux de l’expérience du réel. Le paradoxe de la vraisemblance, c’est-à-dire de la vérité du discours de l’oeuvre, repose en partie sur son caractère expressif. Les sentiments sont ceux qui confèrent à l’oeuvre une valeur supérieure à un autre objet visuel. Scruter le tableau consiste à chercher les moyens mis en place par le plasticien pour nous toucher. Comprendre cette démarche c’est en partie faire apparaitre/disparaître une part de l’aura immatérielle de l’oeuvre.

Car ce qui est consécutif d’une matérialisation et d’une dématérialisation des discours tenus par l’oeuvre d’art est la création d’une aura, d’un rayonnement. L’oeuvre contient-elle plus que ce qu’elle figure, cela est certain. Étant devenu un symbole elle possède cette réalité abstraite qui crée comme un nimbe imperceptible visuellement et compréhensible mentalement.

Mais il ne faut pas oublier que l’art est aussi un jeu, celui du plaisir de l’oeuvre qui demande notre curiosité. Cette quête d’une vérité nous conduit inexorablement à la faire notre. L’art est délectation, un des historien d’art qui à jouer de cette passerelle est Daniel Arasse. Évidemment que ces propos puisse être remis en cause. Mais il offre une vraie part au subjectif, une vrai part au regard que l’on a tendance à oublier. Dans son ouvrage «On y voit rien», il interroge le fait de regarder une peinture. Que pensons ou imaginons nous devant un tableau ? Qu’est ce que l’on voit ? Qu’est ce que l’on devine ?

Le titre «on y voit rien» fait que ce rien n’est pas rien.

«Je vous vois venir : vous allez encore dire que j'exagère, que je me fais plaisir mais que je surinterprète. me faire plaisir, je ne demande pas mieux, mais, quant à surinterpréter, c'est vous qui exagérez. C'est vrai, j'y vois beaucoup de choses dans cet escargot ; mais après tout, si le peintre l'a peint de cette façon, c'est bien pour qu'on le voie et qu'on se demande ce qu'il vient faire là. Vous trouvez ça normal, vous ? Dans le somptueux palais de Marie, au moment (ô combien sacré de l'Annonciation, un gros escargot qui chemine, yeux bien tendus, de l'Ange vers la Vierge, vous n'y trouvez rien à redire ? Et au tout premier plan, pour un peu, on verrait la piste que sa bave trace derrière lui ! Dans le palais de Marie, si propre, si pure, la Vierge immaculée, ce baveux fait plutôt désordre et, en plus, il est tout sauf discret. Loin de le cacher, le peintre l'a mis sous nos yeux, immanquable. On finit par ne plus voir que lui, par ne plus penser qu'à lui, qu'à ça : qu'est-ce qu'il fait là ?» Daniel Arasse on y voit rien.


«On dirait que tu pars des textes, que tu as besoin de textes pour interpréter les tableaux, comme si tu ne faisais confiance ni à ton regard pour voir ni aux tableaux pour te montrer, d'eux-mêmes, ce que le peintre a voulu exprimer.» Daniel Arasse


Cette question de confiance est inhérente à celle de la vraisemblance et du regard que l’on pose sur la peinture. En aparté, la semaine dernière nous abordions la notion de richesse. La richesse culturelle vient de la confiance que l’on a dans son regard. Évidemment le discours de l’historien d’art à une légitimité intellectuelle. Mais votre regard est tout aussi légitime. Savoir regarder demande du temps et des efforts. Cela apporte, enrichie et surtout distraie. Se distraire c’est s’amuser, mais se n’est pas être inattentif, bien au contraire. C’est se poser des questions qui ne sont flottantes mais reposent sur l’oeuvre, sur cette matérialisation.

Tenter de définir la vérité en peinture c’est comme une quête du Saint Graal, ce qui est important ce n’est le graal, mais le cheminement, la quête.

C’est pour cela qu’il ne faut jamais s’oublier en peinture. Qu’il ne faut jamais omettre cette richesse que donne l’oeuvre à celui qui prend le temps de l’activer. La vérité en peinture est celle de l’artiste et la notre, personnelle et intime.


mardi 6 décembre 2011

Le Ready-made objet ou oeuvre ?

Le Ready-made objet ou oeuvre ?

Dans cette confrontation à la vérité du réel, le geste de Marcel Duchamp de considérer que le choix par l’artiste d’un objet manufacturé déjà existant et de son glissement dans le monde de l’art est en soi une création, bouleverse la vraisemblance. Le Ready-made, c’est à dire «tout fait» est une collusion de ce questionnement de vrai et faux semblant. Nous sommes toujours interpelés par l’objet brut hors de son champ réel. L’oeuvre peinte est mensongère, mais lorsque l’objet présenté est non artificiel, nous sommes déstabilisés dans notre habitude relationnelle à l’oeuvre. Pourtant le Ready-made n’est il pas la plus honnête des vraisemblances ?

Marcel Duchamp définit le ready made comme un "objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste".

Avant-dernière conférence consacrée à la vraisemblance du rapport engagé dans la représentation par l’art avec la réalité, le ready-made témoigne d’un geste artistique où le réel est directement présenté. La question qui peut alors se poser est de savoir si nous sommes confrontés à une oeuvre ou bien un objet. La représentation du quotidien et la transfiguration de l’objet par la peinture proposent une élévation de la valeur de l’objet lui-même.

Le geste de l’artiste propose dans cette discussion avec l’imitation les deux caractéristiques de la technique et de la théorie. De tout temps le jugement de la valeur de l’oeuvre repose sur ce principe que le technicien est aussi un intellectuel. La vérité du sujet en art se veut dans cette double nature de la représentation.

L’avènement de sujets considérés comme inférieurs peut légitimer une raison uniquement expressive et matiériste de la peinture. Pour comprendre l’intégration du geste de Marcel Duchamp dans ce cheminement du rapport de l’art au réel il faut revenir sur « l’éloge du quotidien » qui se bâtit à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Les compositions et évolutions de la nature morte aménagent une représentation de l’objet qui porte fondamentalement par le geste théorique de la peinture, une symbolique ou tout du moins un discours. Les natures mortes de Chardin présentent un épaississement pictural qui iront avec le principe de transparence et d’opacité inhérent à la mimésis. Lorsque Diderot commente le panier de fraises ne dit-il pas que Chardin à écraser les fruits à la surface de sa toile. Cela signifie que le trompe-l’oeil semble porter pour la nature morte, la vérité même du sujet dans un faux semblant. L’opacité ainsi acquise par le tableau permet à l’artiste de conserver un certain crédit vraisemblant. Car la matière étalée par Chardin à la surface de son tableau correspond à la pulpe du fruit qu’il représente. La nature morte correspond à l’élection et à la bascule par le choix de l’artiste d’objets de moindre importance dans le monde de l’art.

Ce transfert consiste donc à glisser de la réalité ou du réel vers un espace artificiel et imaginaire. L’art devient unlieu où le spectateur est conscient que l’expérience qui lui est offerte reposent sur une codification qui n’est pas celle du réel. C’est ce que nous avons déjà souligné par l’expression de « jeu de dupes », nous sommes conscients que la représentation n’est pas une présentation. Le basculement d’un objet et son intégration à une composition lui confère une beauté supérieure au réel, nourrie par son contenu conceptuel. La vraisemblance, c’est-à-dire la vérité, repose sur cette union entre reconnaissance et analyse. Le panier de fraises de Chardin est un témoignage de l’artiste plus que de la figuration des fruits eux-mêmes.

Des règles de composition sont conservés pour la nature morte. Les jeux d’équilibre, de mise en lumière codifient encore profondément le sujet. Au XIXe siècle, la nature morte connaît un renouveau. La simplicité du sujet va permettre aux artistes de témoigner de leur point de vue subjectif sur le réel. Car ce qui est à souligner dans la représentation d’objets extraits par le geste artistique du réel, c’est le dialogue engagé entre le réel et sa figuration. L’un des enjeux, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, est de rapprocher l’art du présent. Cela signifie de la part des artistes modernes, comme les romantiques, les impressionnistes, les néo-impressionnistes etc. De dynamiter le régime historique de la valeur du sujet. Pour ces artistes l’enjeu est de créer une oeuvre en corrélation avec leur temps. Que l’objet s’inscrit durablement dans le présent.

La notion de vérité portée par les arts a toujours été liée à la période qui voit naître l’oeuvre. Les jugements moraux, politiques, religieux et contemplatifs de la peinture d’histoire repose sur la relecture des grands exemples du passé et leur figuration. La vraisemblance conserve les raisons d’enseignements et d’instructions liées originellement au sujet religieux. La symbolique permet de conserver ce rattachement au travers d’une figuration de sujets simples.

La modification de l’impact de l’oeuvre sur son spectateur correspond à un changement de mentalité ainsi que de raison d’être du tableau. Les natures mortes cubistes figurent l’objet dans son « désossement » pictural. Si le tableau n’est pas un sujet mais avant toute une matière, l’objet doit se plier ou se déplier pour correspondre aux matériaux. Nous pouvons envisager que les déconstructions spatiales et mimétiques des artistes modernes du début du XXe siècle constituent les dernières attaques en règle des principes académiques. Mais il ne s’agit pas d’une rupture absolue, la part théorique qualifiée de «disposition» par André Félibien dans la préface des conférences de l’académie royale de peintures et de sculptures, est toujours présente dans le geste artistique. La surface picturale devenant un enjeu de l’expression de la subjectivité de l’artiste, sa déformation en devient le témoignage.

La posture de l’artiste appuie sa composition. La mise en place d’une subjectivité et une individualité exacerbée s’applique tout autant à la société et au monde de l’art. Dans un régime temporel de l’oeuvre qui s’accélère et se contemporanise, la trajectoire de l’artiste devient le seul temps de l’art. L’oeuvre d’art devient un objet contemporain, une matérialisation d’un réseau de pensées et d’observations de l’artiste sur son temps.

De ce traitement matériel du cubisme émergent deux voies envisageables. D’une part une construction uniquement matiériste permettant par les jeux de couleurs et de formes de structurer une oeuvre dont la spiritualité et la sensorialité vient à toucher par l’abstrait ses spectateurs. D’autre part un mouvement de réaction va très rapidement s’organiser face à cet art pour l’art. En parallèle de l’émergence de l’art abstrait se trouve une démarche d’intégration de résidus et d’assemblages d’images appartenant au réel et reconstruit par l’artiste.

En ayant accordé à l’objet une valeur symbolique et une certaine transcendance ces remontages au sein de l’oeuvre peuvent permettre de conserver non plus une représentation mais un collage du réel directement dans le monde de l’art. Cette intrusion du réel au sein d’un monde artificiel perturbe les critères traditionnels du jugement artistique. Même coupé de tout référent visuel au réel, la peinture abstraite restait un cheminement de la volonté d’empathie et de sentiments contenus dans l’oeuvre d’art. Le geste de Marcel Duchamp de choisir un objet «tout fait» pour le présenter tel quel correspond à cette révolte dadaïste. Saisissant le cheminement historique qui mène petit à petit à la déconstruction du sujet, les artistes dadaïstes manifestent une rupture avec les principes d’émotions esthétiques.

Revenons plus précisément sur le cas de Marcel Duchamp. En 1913 il réalise son premier ready-made en plaçant une roue de bicyclette sur un tabouret. En 1914 il choisit dans un catalogue de grands magasins un sèche bouteille et en 1917 il présente sa Fontaine, urinoir retourné et signé R. Mutt.

Pour Marcel Duchamp, comme il le précisera plus tard, son but était de « parvenir à quelque chose d’une indifférence telle que vous ayez pas d’émotion esthétique. Le choix de ready-made est toujours basé sur l’indifférence visuelle en même temps que son absence totale de bons ou de mauvais goût ». Le caractère esthétisant des jugements académiques et sa poursuite par le jugement critique repose toujours sur ce que l’on peut qualifier d’entités relationnelles. C’est-à-dire d’un certain nombre d’éléments extérieurs à l’oeuvre qui lui confèrent cette valeur supérieure. Ce tissu de relations, le poids de l’histoire qui l’entoure, les énergies qui la traversent, le destin de l’individu qu’il a engendré et la résonance qui trouve dans le nôtre, le silence qu’il nous impose où la parole qu’il presse de produire, réintègre inexorablement l’oeuvre dans ce mariage. Tel un symbole l’oeuvre est toujours romantique et psychologique. Pour Duchamp faire de l’art c’est choisir. Le corollaire de cette constatation c’est que « ce sont les regardeurs qui font les tableaux » ainsi que les institutions qui les exposent. pour Duchamp ainsi que pour les dadaïstes, le fonctionnement critique et institutionnels du monde de l’art même si ils se revendiquent comme modernes n’en reste pas moins attaché un vieux système de codification. De cette posture dadaïste et nihiliste, Duchamp va s’amuser de cette modernité qui revendique la disparition de critères de sélection et la possibilité d’une expression dégagée de tout jugement. Fontaine est symptomatique d’une posture et d’un geste artistique.

Marcel Duchamp soumet au Jury de la première exposition de la société des artistes indépendants de New-York en 1917, un urinoir en porcelaine, renversé et signé «R. Mutt».

Marcel Duchamp est à cette époque un des membres directeur de la société. Le principe de la société, fondée en 1916, est que tout artiste puisse en devenir membre en remplissant un simple formulaire. Il n’y a «ni jury, ni récompense» comme pour la société des artistes indépendants fondée en 1884 à Paris et qui avait refusé en 1912 le Nu descendant l’escalier de Duchamp.

Pour le premier salon, à New-York en avril 1917, la société américaine permet que tout artiste, moyennant un prix de six dollars, expose l’objet de son choix sans que le jury ne fasse aucune sélection. Il ne devrait y avoir de refusé pour des raisons esthétiques.

L’objet «choisi» par Duchamp est un urinoir industriel, article de sanitaire acheté au magasin de la société J.L. Mott iron Works. Or, l’oeuvre envoyé par R. Mutt n’est pas exposée sous le prétexte que sa place n’est pas une exposition d’art et ce n’est pas une oeuvre, selon quelque définition que ce soit. La décision fut prise par le président de la société, au terme d’un vote à la majorité qui a réuni les membres du comité directeur, la veille du vernissage. Cela contrarie le principe suivant lequel il n’y a pas de jury. Les motifs invoqués pour refuser est que l’objet est immoral et vulgaire et qu’il est un plagiat ou plutôt une pièce commerciale ressortissant à l’art du plombier. Les défenseurs de R. Mutt (artiste de Chicago suivant la fausse identité donnée par Duchamp) souligne que l’artiste a payé son droit d’admission et Arensberg souligne qu’ «une forme séduisante a été révélée, libérée de sa valeur d’usage» et que «quelqu’un a accompli un geste esthétique.» Lorsque Duchamp apprend que l'objet de Richard Mutt a été refusé, il démissionne du comité directeur de la société, sans dévoiler toutefois sa paternité .

L’urinoir de Duchamp rentre alors dans la postérité car ce refus va devenir sympotmatique d’un critère de sélection du salons des indépendants. L’objet sera exposé quelques temps plus tard dans la galerie d’Alfred Stieglitz. La question soulevée est de savoir si il s’agit réellement d’un geste artistique ou bien juste d’une blague. Encore aujourd’hui lorsque l’on présente les refaits de cette ouvre il s’agit toujours de la même question.

Pourtant, en désactivant l’urinoir, qui devient un objet non fonctionnel, il y a une réelle bascule dans l’art. L’objet industriel est un sujet de la photographie. Mais tant qu’il est rattaché à son image et non à sa réalité, il demeure une démarche artistique témoignant de son temps.

Le geste de Duchamp prend sa place dans notre problématique. La représentation d’un objet en peinture ou en photographie lui octroie un statut supérieur. Le geste de l’artiste est une vraisemblance, une vérité.

En soumettant un objet non transformé mais détourné, Duchamp réduit l’espace entre l’objet et son auteur, l’objet et son public, l’objet et l’institution artistique. L’oeuvre partage avec tout autre l’énoncé «ceci est de l’art».

Le geste du choix d’un objet par un artiste et de sa présentation est fondamentalement rattaché que n’importe quoi peut devenir sujet d’une vérité artistique. Ce qui procure une certaine transfiguration, de ce n’importe quoi en oeuvre d’art, est le médium. Un verre de vin en peinture et plus d’un verre de vin. Car l’on considère que la composition picturale est à la fois un geste technique et un engagement théorique. Mais la découverte de Duchamp soulève la question que l’« on peut être artiste sans être rien de particulier ». Le geste technique inclus dans la matérialisation de la figuration de l’objet reste. Mais quant à sur le coup il n’y a plus d’actes physiques de création, mais simplement une sélection de l’objet, ce dernier ne semble pas avoir le contenu esthétique suffisant pour porter cette vraisemblance picturale. Pourtant, l’urinoir étant désactivé, il n’est pas un objet fonctionnel et n’est plus qu’une forme. Il présente alors les caractéristiques visuelles d’une forme biomorphique. Étonnamment, si nous pouvons nous dégager de l’objet lorsqu’il est représenté, et ainsi interroger un geste artistique. Cet exercice mental semble contrarié lorsque nous nous retrouvons face à l’objet lui-même. La vérité du discours n’étant plus assujetti dans le premier temps d’observation à cet effet de dupes de l’imitation, l’objet lui-même ne semble plus transfiguré.

C’est sur ce point que la question se pose de savoir si la vraisemblance en art est portée par le sujet (l’objet) ou bien la matière. Tous les critères d’une nature morte se retrouve dans le geste de Marcel Duchamp. Il choisit un objet pour sa forme, il décide de le présenter aux spectateurs, ce dernier n’a plus sa fonction première. Si un fromage peut devenir un sujet d’une oeuvre d’art pourquoi pas un urinoir ?

La vraisemblance considérée comme le discours de vérité contenue par le sujet et par l’oeuvre elle-même interpelle la nature même de l’oeuvre dans sa relation au réel. La conférence précédente témoignait de la valeur symbolique, c’est-à-dire de la réalité abstraite contenue dans la représentation d’un objet au sein d’une composition picturale. Or Fontaine de Marcel Duchamp prend une charge symbolique et d’analyse, car derrière ce qui est techniquement un non-geste engage théoriquement un grand nombre d’enjeux.

Il y a eu de très nombreuses propositions d’analyse sur l’urinoir. De sa forme inversée quasi vaginale, de cette signature R. Mutt, ou encore de son impact sur la création artistique. Car à l’intrusion du réel comme geste artistique, l’artiste se joue de ce phénomène de présentation et de représentation contenue par la vraisemblance. En effet tout objet figuré reste l’objet lui-même. Cette reconnaissance est le premier temps d’observation de n’importe quelle oeuvre d’art. Mais consciemment nous savons qu’il s’agit d’une représentation, c’est-à-dire d’une idée. Lorsque l’objet est détourné nous percevons une présentation. Un régime idéal derrière lequel se trouve une pensée. Toute la thématique de la vraisemblance et de l’imitation repose sur ce consensus que l’oeuvre présente un objet qui est en soi une idée, un symbole, une posture.

Par son geste Marcel Duchamp court-circuite la représentation. Le principe du ready-made aurait pu donner naissance à des milliers voire des millions d’oeuvres d’art de la part de l’artiste. Pourtant il n’y a que très peu de ready-made. Car chaque objet semble être choisi par Marcel Duchamp avec la plus grande attention. Ce n’est pas parce que le geste est simple techniquement que l’oeuvre l’est tout autant. Aujourd’hui, Fontaine est devenu un des symboles de la modernité. Il s’agit concrètement d’une bascule fondamentale dans le régime conceptuel du geste de l’artiste. La vraisemblance considérée comme la vérité a toujours été nourrie et étayée de la qualité du geste intellectuel d’un artiste et non le geste technique d’un artisan. À la suite de cette interaction entre le réel et l’imaginaire, les artistes vont s’approprier l’objet pour en faire une oeuvre. Dans une société de plus en plus productiviste, l’objet manufacturé devient le témoin de cette accumulation. Les artistes dadaïstes, du pop Art, les nouveaux réalistes, etc. et toute la création artistique de la seconde moitié du XXe siècle, joue de cette perturbation dans la vérité et la vraisemblance, le choix de l’artiste légitime t-il l’élévation de l’objet au statut d’oeuvre ? Étonnamment nous ne nous posons pas cette question lorsque l’objet est peint ou photographié, mais uniquement lorsqu’il nous est proposé tel quel. Il ne s’agit pas de justifier la présence de l’objet, mais de se demander le contenu du geste de l’artiste. Du moment où la vérité de l’art devient celle de la posture de son faiseur, alors tout peut devenir oeuvre, du moment où l’artiste assume son geste. La complexité introduite par le ready-made est de savoir où s’arrête le réel et où débute l’art. Mais aussi de ne jamais oublier que l’art est un amusement pour celui qui fait et que pour celui qui regarde.

lundi 28 novembre 2011

La vraisemblance et la symbolique: une idée derrière une image ?

La vraisemblance et la symbolique: une idée derrière une image ?

La vérité en peinture semble portée par l’image et par sa charge symbolique. Le reflet offert par le tableau est celui d’une pensée et d’un schéma de codes. Le contenu d’une oeuvre ne se limite pas à sa simple matière mais aussi à son immatérialité. Les concepts et théories qui nourrissent une réception de l’oeuvre font d’elle un symbole, un discours et une valeur. La symbolique n’est pas uniquement un discours caché, compréhensible par un petit nombre d’initiés. L’oeuvre d’art attire car elle est un symbole expressif. En offrant une image artificielle de la réalité, elle offre au spectateur un faisceau d’interrogations morales et symboliques.

Symbole: ce qui représente une réalité abstraite.

Iconographie: Étude des sujets représentés dans les oeuvres d’art.

Dans notre cycle de conférences consacrées à la compréhension de la vraisemblance et à son élaboration dans le champ visuel par la peinture, la question du symbole et de l’iconographie nourrit une lecture de l’oeuvre et d’une compréhension qui dépasse la réalité figurative par un jeu une réalité abstraite. L’accessibilité à la compréhension de la figuration et à la vérité de la représentation construite par l’artiste interroge le sens caché, ou bien la valeur que porte la représentation d’objets et de tout élément.

La vraisemblance se construit toujours dans une relation entre la représentation peinte et son regardeur. Nous les avons déjà largement évoqués, la vérité et le discours portés par une oeuvre se font dans une construction et dans un dialogue avec son temps. Il ne peut y avoir de valeur symbolique en peinture qui ne soit pas un élément partagé par la société qu’il la voit naître.

Ainsi avant même de s’interroger sur une valeur symbolique vérifiée ou hypothétique de tels éléments constituant la scène figurative, il faut d’abord concéder que l’iconographie engage une connaissance du sujet par l’artiste et par son spectateur. En premier lieu, même si la réforme humaniste de l’image à la renaissance engage le tableau dans une figuration où le principe de délectation apporte un caractère profane à son observation, il faut qu’il y ait reconnaissance du sujet pour en comprendre sa modulation plastique. Toute peinture figurative attachée à une iconographie d’un récit possède une réalité abstraite. La figuration des grands récits bibliques et religieux est déjà en soi un symbole. Nous l’évoquions il y a quelques séances, mais la reconnaissance du Christ, de la vierge, et de l’ensemble des saints ne peut se faire que si nous sommes déjà possesseurs de cette information. Cela se voit principalement dans la difficulté de la reconnaissance des différentes saintes figures dont le culte aujourd’hui disparu complexifie l’accessibilité du contenu de l’oeuvre.

La symbolique iconographique est un enjeu d’une vérité attachée à une connaissance qui s’y elle se veut importante doit être fondamentalement partagée. L’autre élément dont il faut se méfier avec la symbolique, c’est que sa valeur peu changer d’une période à l’autre, d’une région à une autre. C’est pour cette raison qu’il faut toujours se méfier d’une capacité à voir au travers d’une figuration d’un objet, d’un animal, d’une posture, d’un lieu etc. un symbole immédiat et identique. De plus certaines connaissances ont disparu ou ne sont plus aujourd’hui analysables, c’est le cas pour la connaissance alchimique transformant ce qui était une représentation purement symbolique en un mystère des plus épais.

Dans la culture visuelle chrétienne, bien avant la renaissance, la figuration d’un objet ou d’un animal était porteuse d’une valeur symbolique seulement identifiable par la communauté. Par le symbole, l’oeuvre créée une épaisseur supplémentaire dans son degré de vraisemblance et de vérité qu’elle peut véhiculer mais qui se retrouve attaché uniquement un groupe. Ainsi les dictionnaires de symboles, fort pratiques, regroupent pour certains motifs jusqu’à une quinzaine d’interprétations. d Le symbole étant une réalité abstraite, il est donc naturellement porté par la peinture et son degré d’artificialité.

Notre principal cas d’études est la prédelle d’Andréa Mantegna. Si tout élément considéré comme une réalité abstraite est de nature symbolique, l’oeuvre de l’artiste italien foisonne de cette structure théorique et intellectuelle.

En premier lieu, la construction spatiale par l’utilisation de la perspective géométrique peut être considérée comme une valeur symbolique et artistique. En effet, la perspective géométrique témoigne d’une connaissance abstraite dont le régime figuratif est pas considéré à la fois comme un trompe-l’oeil, mais aussi comme une base d’informations sur la compétence technique de l’artiste comme sur sa connaissance théorique.

Dans cet enjeu artistique de modernité, le torse du Christ ressuscité joue parfaitement une valeur d’un symbole purement profane. Ces deux éléments témoignent de la valeur d’un symbole moderne et artistique de l’oeuvre du jeune Mantegna.

La composition d’un espace pictural cohérent habité et détaillé a tendance à estomper la possibilité d’individualiser tout élément dans une lecture et dans un regard. La capacité et la liberté offerte aux spectateurs de pouvoir personnellement individualiser chaque détail comme une source de renseignements quasi autonomes, fait partie de ce fonctionnement du regard et est intégrée par l’artiste dans sa composition. Cela peut signifier que tout objet représenté est porteur d’une symbolique. Cette dernière est en adéquation avec l’iconographie et le rattachement au texte. Ainsi, l’arbre foudroyé qui sert d’articulation plastique entre la vue de Jérusalem et le jardin dans la prière au jardin des oliviers, est un symbole. En effet, Mantegna « habille » de vigne la partie supérieure de ce bois mort. Un arbre foudroyé qui reverdit par la vigne porte symboliquement la signification du basculement entre l’Ancien Testament (l’arbre mort) et le nouveau testament (la vigne/l’eucharistie). Il s’agit d’une évocation emblématique évoquant la passion du Christ tout entière. La construction d’un tel symbole est extrêmement simple dans la ramification sous-entendue par le motif de l’arbre. nous pouvons nous poser la question s’il n’y a pas un renforcement de ce symbole de l’arbre mort par la présence des champignons qui poussent à sa base. Car le souci dans la symbolique est de savoir à quel moment cette lecture détaillée et théorique porteuse d’une réalité abstraite s’arrête pour laisser place qu’à un objet représenté dans une réalité figurative concrète. Tout élément formant le décor est peut posséder une valeur symbolique accompagnant le récit en se faisant l’écho à son contexte de réalisation. Ainsi nous pouvons poser la question de la valeur symbolique, par la multiplication des détails, véritables tours de force illusionnistes, de la représentation des ruches ou bien encore des lapins.

Pour les ruches plusieurs possibilités : par la structure du travail de l’abeille et de la ruche une évocation de la communauté religieuse pour laquelle oeuvre Andrea Mantegna à Vérone. Mais aussi la possibilité d’un sous-entendu iconologique par référence au Psaume 118:12 « les ennemis m’ont entouré comme des abeilles », que Saint-Augustin dans les Enarrationes in Psalmos interprète comme une image de la capture du Christ. Cela est appuyé par le cheminement à la suite de Judas des soldats qui figurent la future arrestation de Jésus.

La lecture symbolique d’une oeuvre repose sur la connaissance du peintre et sur la connaissance du spectateur. Faut-il connaître tous les écrits de Saint-Augustin pour comprendre l’intégration de la représentation de ruche chez Mantegna ? Faut-il considérer que la représentation d’un animal vivant , exemple d’une structuration sociale élaborée et pour certains points de vue idéale, est partie prenante de sa figuration ? Mais ne s’agit-il pas aussi d’une évocation des soucis naturalistes mis en place par les peintres flamands ? En effet, pour revenir sur un régime artistique, l’intérêt pour la peinture flamande en Italie au XVe siècle et son caractère moderne à la représentation de détails plus saisissant de réels les uns que les autres, n’est-il pas l’enjeu évoqué par cette nature chez Mantegna ?

Un autre élément peut soulever des questionnements symboliques. Mantegna utilise De l’or uniquement dans la représentation de son registre inférieur. La plus grande utilisation se faisant dans la résurrection par ces rayonnements dorés émanant de la figure du Christ. Il est surprenant que l’or soit utilisée dans un registre inférieur, au sein d’images au caractère moins paradisiaque que terrestre. Peut-on alors considérer que la représentation de cette figure du Christ n’est plus totalement terrestre mais paradisiaque ? Car encadrer par une structure architecturale la figure se redressant du Christ se retrouve sur un fond d’or et partage ce caractère immatériel figuré depuis la peinture des primitifs.

Le cheminement théorique de connaissances qui accompagne l’élaboration d’une image des plus précises de la réalité est infléchie par la conscience du spectateur. L’artificialité du sujet repose en trop sur un champ théorique qu’il peut activer. L’accession à ce degré supérieur de compréhension de l’image repose sur une analyse textuelle dont la symbolique peut être considérée comme une évocation. Ainsi le spectateur peut activer ses connaissances intellectuelles et ce rattachement à une réalité abstraite des détails de la peinture. Ce qui peut compliquer cette lecture est la raison consciente et volonatire dans la figuration des détails de l’artiste. Toute partie de la composition peut ou doit avoir une justification à la fois comme un témoignage du savoir-faire technique et comme un témoignage du savoir-faire théorique de l’artiste.

Il faut peut-être à ce moment faire une mise en garde. Car dans cette lecture si n’importe quel élément peut avoir une valeur symbolique, il faut que cette dernière soit rattachée à la lecture iconographique de l’oeuvre. Il ne s’agit donc pas d’un morcellement de la composition, mais bien au contraire d’une restructuration intellectuelle. Le petit lapin qui traverse le pont et qui a des oreilles levées semble entendre l’arrivée des soldats et de Judas. L’animal ainsi en état d’alerte et conscient du danger imminent. En est-il alors le symbole ? Ou bien simplement un élément compositionnel permettant de lier la nature et le récit ?

Je suis toujours un peu dubitatif quant à la possibilité de surenchérir en permanence par la valeur symbolique d’un étalage de connaissances. Ne dit-on pas d’une manière populaire que la connaissance c’est comme la confiture, moins on a plus on l'étale. Il faut garder en tête que la logique de la vraisemblance et l’engagement de l’artiste à offrir une oeuvre qui soit une fenêtre ouverte sur le monde et une fenêtre ouverte sur l’histoire, croise un degré où la vérité avant d’être symbolique est iconographique. Dans son lien avec le religieux la peinture doit concéder que tout élément qu’elle figure puisse être l’évocation d’un symbole utilisé dès les premiers arts chrétiens. La symbolique est une grille de compréhension de l’oeuvre nourrissant sa fonction de commentaires.

Un autre exemple, cette vierge à l’enfant réalisé au XVe siècle Cologne présente dans un tout petit format la Vierge et Jésus. La figuration de l’espace est uniquement évoquée par des colonnades et des ouvertures se trouvant derrière les deux saintes figures. En architecture moyenâgeuse, l’arc trilobé évoque la Trinité. Faut-il alors considérer que cet espace architectural à peine suggéré soit une évocation symbolique de la Trinité dont l’incarnation est évoquée par la vierge à l’enfant ? Ou bien cette architecture religieuse n’est rien d’autre qu’une composition spatiale permettant, malgré un cadrage en buste, d’évoquer un espace terrestre dans lequel elles sont représentées.

Le détail, témoin d’une figuration terrestre, n’en demeure pas moins par ce jeu de la peinture un engagement théorique et symbolique du peintre. Dans la nature morte au XVIIe siècle, tous les détails peuvent contenir une réalité abstraite. La mouche dans la nature morte aux fromages en marge peut permettre d’évoquer Pline l’ancien et la peste. Un certain nombre de ces tableaux par leur valeur de memento Mori symbolise le temps qui passe et le caractère mortel de toutes choses.

La composition de la Sainte-Famille d’après le Caravage figure des personnages reposant sur un entablement en marbre comme pour la nature morte. L’éclat, imperfection visible, peut devenir le symbole d’une nature terrestre imparfaite. Faut-il alors entrer dans de telles appréhensions et lectures de l’oeuvre pour en saisir toute la vérité ?

Une structuration académique pour la formation et le jugement de l’oeuvre établit un régime symbolique supplémentaire dans la figuration de la réalité. La représentation de la nature n’a d’intérêt que si celle-ci est plus belle que de nature. L’oeuvre est donc à la fois une réalité concrète, l’ordonnancement, et une réalité abstraite, la disposition. La composition devient alors un ensemble d’éléments qui peuvent donner naissance à une lecture intellectuelle et symbolique. La description du tableau comme une machine, où chaque élément est comme une petite roue dentelée d’un système d’horlogerie appartenant à une mécanique de précision, est à considérer à la fois visuellement et intellectuellement. Il n’y a pas de hasard dans la mise en place des différents éléments constituant l’oeuvre. Le détail porte une symbolique artistique. Tout objet est le témoignage dans sa représentation du savoir-faire du peintre techniquement et intellectuellement.

La représentation figurative est nourrie par une idée derrière l’image. Dans un principe de choix, l’artiste prend conscience que la peinture véhiculant plus que la représentation est en soi un objet symbolique. Cette valeur est portée et soutenue par le regard scrutant l’oeuvre.

Le regardeur faisant l’oeuvre entre autre dans sa lecture symbolique, le tableau peut donc toujours être analysé comme un symbole. Chez François Boucher, la mise en scène de la marquise de Pompadour est un symbole de pouvoir, associant à l’allégorie du roi, la figure de sa favorite. Les chiens au premier plan de la composition des Rémois de Lancret, deviennent des commentaires sur les agissements humains du récit.

Par le jeu de dupes inhérents à la valeur de la représentation peinte, toute image est une réalité abstraite. Ce caractère n’est pas uniquement moderne mais à l’origine même de la figuration et de la relation entre le mot et la forme. L’imitation de la nature est le symbole de la relation au réel de l’artiste et de son temps. Quand un simple objet figuré devient un symbole sociétal, il possède une réalité abstraite. La symbolique nous amène à considérer que l’idée sous-entendue dans l’oeuvre est une clef de sa compréhension et de son observation.

Si l’objet peut par sa pénétration dans l’art être porteur de tel concept alors l’artiste ne peut il pas juste choisir l’objet et l’exposer. Le motif de peindre un sujet à la fin du XIXe siècle est de témoigner de la réalité abstraite de la peinture. Cette symbolique sera consommée quand l’artiste choisira un objet et l’exposera sans aucune transformation. L’oeuvre est toute faite: le ready-made.



lundi 21 novembre 2011

La copie en peinture, un faux original ?

La copie en peinture, un faux original ?

La copie pose une autre échelle dans la vraisemblance. Car au-delà du sujet, le tableau lui-même devient une vérité en soi. La copie et sa diffusion a connu, suivant les périodes, des valeurs très différentes. Le caractère original d’un tableau repose sur une définition de la vérité qui est changeante. Ainsi un tableau original ayant disparu mais dont une copie fidèle subsiste change la donne de ce dernier. Le copiste est-il un artiste génial ou bien un menteur ? La vérité d’une oeuvre est elle uniquement véhiculée par l’oeuvre originale, ou peut elle l’être par une reproduction ? En retraçant une histoire de la copie nous parcourons une histoire de la vraisemblance.


Dans notre cycle vrais/faux semblants, la copie questionne la vérité d’une oeuvre considérée comme originale et unique. Pourtant pour en arriver à une telle définition, l’oeuvre d’art va durant les premiers siècles de la période moderne entre le XVe et le XIXe siècle avoir un statut où l’original et le tableau n’est pas unique. Si aujourd’hui nous considérons la copie comme un faux, c’est que nous posons un point de vue sur l’oeuvre comme un objet unique d’une volonté d’un individu, l’artiste. De tout temps, par le principe d’atelier, l’artiste travaille comme directeur d’une structure collective. Cela signifie que l’oeuvre sortant de son atelier bien qu’elle soit rattachée à sa main, n’en est pas pour autant uniquement faite par lui. Pourtant aujourd’hui dans les attributions accordées aux oeuvres nous les rattachons uniquement à l’artiste.

Les primitifs flamands par le fonctionnement même de leurs ateliers témoignent de cette complexité de saisie de l’original.

Le développement de la peinture dans les foyers nordiques repose en partie sur une augmentation de la demande. Les besoins du culte se multiplient, les demandes sont nourries par une augmentation des richesses dans ces régions et amènent un développement de la peinture. Nous trouvons un certain nombre de documents permettant de concevoir le statut de l’artiste. Il faut malgré cela prendre une certaine distance avec ces documents. Ils sont des anecdotes administratives qui ne décrivent pas toutes les conditions de création de l’oeuvre. Cette documentation est attachée au principe des corporations.

D’après les règles des guildes, l’établissement consiste en une demeure pour la famille et ses ouvriers, un atelier et un magasin ou tout du moins une vitrine. À la mort du maître, sa femme hérite de tout et peut continuer à exercer. Les collaborateurs les plus anciens devenant, à leur tour, formateurs. La richesse de l’atelier se compose des modèles, dessins ou patrons et des pigments. Ce fait juridique souligne déjà un profond souci dans la logique de l’original. Si à la mort du maître, sa production artistique se poursuit, c’est qu’il est sous-entendu que l’atelier peut poursuivre sans le maître. Cela signifie aussi que travaillant à partir des dessins « originaux », les apprentis sont capables de produire un oeuvre dont les qualités artistiques et techniques sont similaires ou équivalentes à celle du maître. Cette caractéristique est envisageable sous des modalités économiques et professionnelles de l’artisanat. Même si la fonction libérale du travail de l’artiste se met en place, elle est profondément ancrée dans un fonctionnement d’ateliers d’artisans.

Un autre phénomène beaucoup plus étonnant a perduré entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle dans les Pays-Bas méridionaux. Cette zone est le théâtre d’un phénomène caractéristique et d’une ampleur exceptionnelle : la copie.

Nous avons déjà fait part de la grande capacité des artistes flamands à intégrer les nouveautés réalisées par d’autres ateliers. C’est le cas de ce que nous avons défini comme les « visions du monde » des frères Van Eyck diffusées dans l’ensemble des Flandres.

Pendant une centaine d’années des peintres ont pratiqué de manière intensive la copie de modèles prisés dont la reproduction est liée à des facteurs divers, d’ordre spirituel (image de dévotion), économique (pratique d’ateliers) et sociologique (goût pour certaines oeuvres estimées). Les mots «copie» et «réplique» ne renvoient pas à faux. Il est important de préciser que la notion de faux ne s’applique pas à ce domaine pour cette période.

Ainsi le mot copie peut être qualifiée « d’original ». Par le mot de copies, on désigne généralement une classification d’ensemble de l’oeuvre où le peintre effectue un travail de pure répétition, par opposition à l’original caractérisé par un processus de véritables créations. Le travail en série d’une même image est considérée comme un travail de copie mais réalisée par le même artiste elle couvre quand même une volonté expressive et unique.

Un autre type de copies est défini comme « exactes ». Elles présentent une extrême similitude sur le plan iconographique avec par exemple des variations chromatiques. Ses oeuvres sont donc analogues quant à leur apparence, mais d’exécution plus tardive que le modèle, sont définies comme des copies « exactes ».

Les « répliques » présentent quelques écarts de sujets de couleur, mais offre une telle similitude dans leur technique et dans leur esprit, qu’on peut y voir un travail de la même main. Il ne s’agit pas de copie « exacte » mais de « réplique », puisque ces tableaux ont été conçus et exécutés par le même artiste ou peint sous sa direction dans son atelier.

Le dernier type de copies est qualifié de « libres ». Ses oeuvres reproduisent leurs modèles d’une manière interprétative. Elle se caractérise soit par un empreint d’un seul motif (figure, éléments de paysages, parti d’opposition), soit par une reprise de l’ensemble de la proposition transformée par le style du copiste.

Ces variations et cette possibilité de citations, allant jusqu’à la paraphrase, ne témoignent pas d’un classement d’intérêt, mais d’une grande diffusion des modèles par un système sociétal acceptant une oeuvre dont le caractère unique n’est pas encore obligatoire.

Dans l’analyse actuelle de ces tableaux anciens, de critères primordiaux permettent de redistribuer les attributions. Il y a tout d’abord la localisation de réalisation de l’oeuvre attachée ou non à la figure du maître et de son atelier ou bien au contraire à l’extérieur. Et la chronologie, de savoir si l’oeuvre a été réalisée ou non dans le même temps. Ces critères de sélection et de définition de la copie sont liés au fonctionnement actuel de son intérêt. Il s’agit d’une grille appliquée à rebours.

Les raisons du phénomène de copies sont multiples. Dans le cadre du culte, des images de dévotion, miraculeuse, d’indulgence ou de simple prière, sont liées à une fonction précise et à une forme de composition révérée comme telle. Apparaît alors des modèles plus ou moins répandus qui vont être intégrés, repris et copiés. L’autre élément est le fonctionnement et l’organisation des ateliers, qui face à une conjoncture économique pose une rationalité du travail. Ces contraintes de marché aboutissent pour les oeuvres de petit format à des stocks dans certains ateliers, et à des modèles en vogue, trouvant acquéreur auprès de l’amateur ou de l’érudit.

Une nouvelle fois sur ce questionnement et cette problématique de la vraisemblance et de la vérité portée par l’oeuvre, nous remarquons que ce jugement de valeur ne s’applique pas à toutes les périodes. Posséder ne serait-ce qu’une copie « libre » c’est se référer, sans hiérarchie, à l’oeuvre originale pouvant avoir motivé cette réalisation. La vraisemblance ne couvre pas non plus pour ce travail de copie l’exactitude de la reprise. Ainsi, toujours dans cette dernière catégorie, « libre », la volonté d’interprétation de l’artiste se retrouve fondamentalement dans la genèse de l’oeuvre. Le statut de l’oeuvre est rattachée à une modalité technique et à une modalité expressive. Ainsi, la main de l’artiste est aussi son esprit, car partant d’un modèle existant il y a toujours la possibilité d’une interprétation. Ce terme important permet de différencier les artistes. Ce critère est intégré à la valeur de l’oeuvre dès sa réalisation.

La créativité de l’artiste devenantt le critère de la valeur artistique., l’assimilation des références de modèles passés ou contemporains témoigne de la connaissance du créateur. Cette recomposition personnalisée est un jeu de citations prouvant sa modernité.

À la renaissance, l’historicité de l’art et l’application des grandes valeurs portées par l’art antique impactent la création artistique. Ainsi, lorsque Mantegna se réfère un torse de Donatello pour composer le torse de son Christ ressuscité, il joue d’une copie « libre » partielle. Mais si l’on pousse plus loin la généalogie d’un tel vocabulaire, Donatello s’est inspiré du modèle antique, pour composer le sien. N’étant plus dans un schéma artisanal, principalement attaché à une capacité technique, mais conduit par un principe artistique d’expression, l’enjeu pour le jeune Mantegna est de témoigner d’une connaissance des modèles passés dans une interprétation personnelle. S’agit-t-il alors d’une copie ? Dans un sens oui, car ce torse est de fait le même que Donatello. Dans un autre sens non, car ce torse est avant tout un référent antique et sculptural basculé en peinture. N’étant pas sur le même média, le principe de copies ne semble pas pouvoir s’appliquer.

Pourtant dans ce fonctionnement, l’amateur ou l’érudit, possesseur d’une connaissance artistique, peut retrouver la citation. Le fonctionnement de l’art par ce jeu de réécriture témoigne d’une influence des modèles passés dans leur réinvestissement présent. Le modèle antique porte en lui pour les observateurs de la peinture les caractéristiques naturalistes et idéales de l’oeuvre parfaite. Afin de témoigner de sa grande modernité, Mantegna ne peut court-circuiter ce jeu de citations, bien au contraire il doit le dévoiler. L’artiste, comme nous l’avons déjà défini, se retrouve à être un « singe de la nature » et un « singe de l’Antiquité ». Pour faire d’une oeuvre un objet expressif et personnel, l’artiste doit plus que copier, il doit composer.

Lorsque nous définissons les règles de composition classique, les termes d’ordonnancement et de disposition prennent un autre relief. Les capacités techniques de l’artiste ne se cantonnent pas à sa représentation du monde tel qu’il peut l’observer, elle s’ouvre aussi sur sa capacité citatoire et de copie. Cette donnée forge la base de la culture classique. Le jeu de la copie prend toute son épaisseur lorsque celui qui observe le tableau est en mesure de voir les influences et les citations.

La qualité de l’oeuvre repose sur cet étonnant mariage entre matérialité (ordonnancement) et immatérialité (disposition). Cette union permet aujourd’hui encore d’évoquer par la copie, l’oeuvre originale. Pour exemple, la copie de la Joconde d’après Léonard de Vinci en possession du musée des beaux-arts de Tours nous permet d’évoquer l’oeuvre originale. Cela n’est envisageable que si la copie, même si elle ne possède pas les qualités picturales de l’original, respecte sa composition, son format, en bref ses caractéristiques visuelles. La part théorique, témoin de la qualité intellectuelle de l’artiste, peut être portée par une reproduction.

Ce phénomène n’est pas uniquement rattaché à l’histoire de l’art contemporaine. Ainsi lorsque le cardinal de Richelieu amateur de la peinture du Caravage fait reproduire d’après l’original la Sainte-Famille de l’artiste italien, il a conscience que son tableau est une copie, mais possédant toutes les caractéristiques techniques et respectant la composition de l’original elle peut devenir un objet d’évocation non du copiste mais de l’artiste.

L’engouement autour de certaines figures historique de la création artistique créée un autre modèle de copies. Celui où l’original n’étant accessible pour diverses raisons (prix, disponibilité, etc.) on peut en commander une copie afin d’avoir une image support d’un discours équivalent au discours que l’on pourrait porter sur l’original. Ce phénomène trouve ses racines dans l’ekphrasis, discours porté sur une oeuvre qui n’est physiquement pas présente. À ce phénomène discursif, principalement attaché aux commentateurs de l’oeuvre, s’adjoint un phénomène de copies et de confrontation à l’oeuvre originale attachée à l’artiste.

Ainsi, la mise en place de séjours italiens pour les artistes français répond à la nécessité de se confronter aux oeuvres originales. La diffusion des « chefs-d’oeuvre » se fait par la gravure et par le dessin mais ne peut pas se couper de l’observation de l’oeuvre originale. Les jeunes artistes doivent se former en ayant conscience des oeuvres qui les précèdent, et puisent dans ces modèles leur vocabulaire. Le phénomène de copies intègre la formation académique et glisse vers un modèle d’influence nécessaire à l’artiste comme témoin de sa propre connaissance artistique.

Ce système de réécriture fonctionne comme un palimpseste. La composition d’un même sujet ayant déjà été traité par un artiste reconnu de la période précédente ne s’efface pas intégralement. L’invention du peintre doit se modéliser sur ce dialogue qu’il engage et sur sa capacité à proposer une oeuvre singulière témoignant d’une progression. Ainsi pour faire court, il s’agit de proposer une oeuvre contemporaine parfaitement en osmose avec son présent mais qui témoigne d’un régime historique, l’incluant dès sa création dans un vecteur temporel progressiste. L’artiste compose alors une oeuvre au régime particulier, présent et passé. La copie est l’une des clefs de voûte de la vraisemblance stylistique du tableau. Ce jeu n’a d’intérêt que si le spectateur averti est capable de retrouver ses références. Car la copie engage toujours la connaissance de l’oeuvre copiée. Si cela n’est pas possible alors elle peut devenir un original. Un cas est intéressant au musée des beaux-arts de Tours, les larmes de Saint-Pierre d’après Georges de La Tour. L’original est perdu et uniquement connu par quelques gravures. Dans ce cas peut-on considérer que le tableau présenté fait oeuvre originale ? Car il reste l’unique témoignage en peinture, et de ce fait propose la confrontation au matériau original de L’oeuvre disparue. Face a cette oeuvre est bien qu’ayant conscience qu’il s’agisse d’une copie, nous lui accordons un degré de vraisemblance supérieure et nous retrouvons le vocabulaire de l’artiste convoqué par la main d’un autre.

Un autre exemple est plus compliqué et problématique. La copie d’atelier de l’autoportrait de Nicolas de Largillière. Ce tableau respecte en tous points l’oeuvre originale, il est réalisé dans un cercle artistique proche de son créateur. Peut-on alors considérer qu’il s’agit d’une copie « exacte » ? Et alors avons nous la possibilité d’y observer toutes les caractéristiques de l’oeuvre originale ? Entre autre son ordonnancement et sa disposition. Ce qui peut sembler le plus perturbant est le fait que le tableau est un autoportrait, portant fondamentalement le regard de l’artiste sur lui-même et non sur un sujet extérieur. Comme nous l’avons abordé dans la conférence sur le portrait, la vraisemblance d’un tel sujet repose sur la confrontation entre la subjectivité du portraiturée et la subjectivité du portraitiste. Ici il s’agit donc de copier une même entité (portraituré/portraitiste) mais avec un troisième regard, celui de l’atelier.

Le fonctionnement de la formation artistique sous l’égide de l’académie est de toujours puiser dans des modèles passés ou présents, morts ou vivants. Cet exercice de copies est fondamental pour le respect d’un lignage de l’évolution de l’art. La reconnaissance de la signature et de l’individualité de l’artiste ne se fait qu’à la fin de cette formation où il aura intégré dans son vocabulaire tout ce qui est considéré par l’organisme formateur comme digne d’intérêt artistique. Seulement à ce moment-là il pourra lui-même proposé sa propre subjectivité comme une pierre à l’édifice académique.

Ce qui est le plus notable dans ce référencement et ce travail de copie des artistes académiques c’est l’invitation à s’approprier les formes pour leur propre construction. Ainsi la sculpture antique à qui il manque souvent des membres se trouve complétée dans les gravures ou même dans des peintures. Le régime de vraisemblance et d’imitation rend nécessaire au travail de l’artiste l’exercice de la copie. Mais l’individualisation de la posture artistique ne peut se cantonner qu’à ce jeu de références. Car celui qui ne fait que copier n’est pas apte à réaliser un chef-d’oeuvre dixit Félibien.

Ces modalités tendront à disparaître avec l’académie elle-même. Les artistes modernes revendiqueront une oeuvre dont la seule légitimité repose sur sa modernité et son inclusion dans le présent.

La copie alors disparaîtra pour n’être plus évoquée que par une influence que peut avoir un artiste sur un autre. La copie « exacte » d’oeuvres existantes se poursuivra. Le copiste doit pour qu’il n’y ait pas de doute entre l’original et son oeuvre en modifier le format et surtout de ne pas la signer.

Le terme de copie, aujourd’hui très galvaudé, est pourtant un objet primordial dans la logique d’une vraisemblance de l’oeuvre par son référencement historique. Peut-on considérer que seule l’oeuvre originale porte la trace et la volonté de l’artiste et est alors vérité ? L’oeuvre se retrouvant partagée entre une lecture matérielle et immatérielle, son régime conceptuel peut conduire à pouvoir évoquer les champs théoriques comme une part importante de sa composition. Ainsi la copie ne transpose pas uniquement du mensonge, plutôt rattaché à une question visuelle, mais garde une trace de vérité inhérente au sujet et à l’original.


lundi 14 novembre 2011

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Si l’on considère la vraisemblance comme un miroir ou un reflet du réel, le portrait en est le sujet parfait. Représentation de l’image de soi, le portrait cristallise l’image matérielle et immatérielle. Du portrait officiel codifié à l’autoportrait, comment la représentation joue d’une vérité et d’un mensonge de la perception de soi. L’image muette doit parler pour le spectateur. Elle correspond à l’image du sujet pour le peintre et pour lui-même.

Étienne Souriau dans son Vocabulaire de l’esthétique propose une définition: «Au sens général, représentation d’une personne,» mais il considère que dans un concept esthétique, le portrait appelle quelques précisions. Dans les arts plastiques, on n’emploie pas le terme de portrait pour la sculpture. Ce terme se dit pour une oeuvre en deux dimensions, peinture et dessin. Le portrait est donc déjà une interprétation et une transcription donc un choix, pour rendre l’apparence extérieure d’une personne, quel que soit le degré de réalisme. Bien qu’uniquement visuelle le portrait se rend très sensible à la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices tels que la pose, l’expression de la physionomie, etc.

Dans un principe de vraisemblance et donc de vérité, le fait que le modèle soit une personne réelle ou bien fictive n’a aucune importance, le portrait dans sa construction plastique renvoie à des procédés employés par l’art.

Au sein de la hiérarchie des genres, le portrait occupe une place ambiguë. Son sujet est bien l’homme, créature de Dieu, il devrait occuper la seconde place après le tableau d’histoire. Cependant, la célébration d’individus heurte le sens moral de critiques qui ne voient dans ce genre qu’une glorification de la vanité personnelle. En effet, le genre du portrait témoigne d’un intérêt pour l’individuel ; ce n’est pas seulement les humains en général, ou quel type de toute une espèce, quand le portrait tisse, c’est telle personne en tant qu’elle-même. Dans cet axe l’identification de la personne est fondamentalement rattachée au principe du portrait.

Le portrait réaliste existait déjà pour la période antique, mais disparaît en partie au Moyen Âge. Il faut attendre le XIVe siècle et surtout le XVe pour que, à la faveur des progrès du naturalisme et de l’éloge renaissant de l’individu, la production d’images de personnes singulières, peintes de telle sorte qu’on puisse reconnaître, réapparaissent. Le portrait est donc initialement objet d’une identification sociale au sein de laquelle le peintre doit témoigner d’un savoir-faire technique mais aussi d’une mise en scène. Le portrait Figurant sur une monnaie a une valeur générique et une physionomie symbolique. L’une des profondes réforme consiste en la réorientation des figures peintes. Ainsi d’un profil nous aurons la mise en place d’un trois-quarts. Cette réorientation et la possibilité d’une présentation frontale et d’un échange de regard entre le sujet représenté et le sujet regardant. Nous pouvons même demander qui regarde qui ?

Dans le diptyque tourangeau datant du dernier quart du XVe siècle, le Christ bénissant et la vierge en oraison, présente dans leur figuration et par le cadrage choisi par l’artiste un vocabulaire similaire à celui du portrait tel qu’il fut développé par Jean Fouquet. Si l’on considère que le portrait met en place un régime de la vraisemblance reposant sur des principes de composition, et que cela peut s’appliquer à la fois à des personnages et à des personnes réelles ou fictives, la représentation des deux personnages sacrés vient à proposer un portrait. Nous pouvons argumenter qu’une telle construction est en adéquation avec la volonté d’un rapprochement des saintes figures et du dévot. Ces deux oeuvres croisent ainsi un régime terrestre et paradisiaque. Elle soulève aussi la possibilité de se référer à ce qui sera un genre inférieur permettant une efficacité supérieure à la composition picturale. L’incarnation voire l’humanisation se joue dans cette collusion. Pour nourrir un degré de vérité supplémentaire on propose un portrait de saintes figures. Les détails d’incarnation, les quelques mèches de cheveux de la vierge, ou encore sa féminité sont supportés plastiquement par le choix artistique.

Au XVe et au XVIe siècle, cette volonté du rapprochement du récit et du spectateur crée en permanence des images d’intégration de portraits sociaux. Ainsi l’entrevue entre Judith et Holopherne nous dépeint une jeune femme contemporaine et vénitienne. Cela témoigne d’une nature du portrait comme contemporaine du spectateur. Cela regroupe aussi le caractère symbolique de la représentation, une jeune femme décrite dans le récit comme magnifique et irrésistible, doit l’être visuellement dans son interprétation et correspond à la définition de beauté de la période.

En matière de portraits l’Italie reprend l’initiative au XVIe siècle. Léonard, Raphaël, Titien, adoptent des formats plus vastes pour peindre des hommes et des femmes. Le portrait le plus célèbre aujourd’hui est celui de Mona Lisa, la Joconde. Le tableau montre une jeune femme, anonyme ou en tout cas incertaine non identifiée, qui prend le frais sur sa terrasse devant un paysage profond fait de rochers et de vallées inondées. Les mains sont croisées l’une sur l’autre comme l’exige pour les dames les manuels de bienséance ; la robe est simple et pudique, même si elle ne dissimule pas la belle forme la poitrine ; le visage marqué par le fameux sourire révèle les sentiments intérieurs, volontairement dissimulés et donc difficilement discernables. Cette attitude du modèle est empreinte de retenue mais n’exclut pas une invitation lascive ou un amour modeste, l’ironie ou au contraire la tendresse. La position de trois-quarts, visage tourné vers nous et regard qui semble accompagner cette rotation de l’ensemble du corps permet par un moyen stylistique d’offrir l’impression que nous sommes, nous spectateurs, exposé quel que soit notre position face à l’oeuvre au regard de son sujet. La présence d’un paysage comme décor n’est pas nouveau, au dernier tiers du XVe siècle les artistes inventent un décor souvent un intérieur à la fenêtre ouverte qui crée une profondeur dans la représentation de la figure. Le cadrage lui aussi n’est pas une invention de Léonard de Vinci. Le succès et la célébrité de l’oeuvre réalisée entre 1503 - 1505 par Léonard de Vinci reposent sur le fait que derrière le portrait de cette jeune femme, les valeurs symboliques et la vérité portée par la peinture sont multiples. Techniquement Léonard réalise une oeuvre symptomatique de ces avancées picturales dont le fameux sfumato. Le portrait dépasse un simple enjeu de l’imitation du sujet et s’engage dans une volonté de symboles semblant à certains moments être couvert des volontés de l’artiste. L’autre élément énigmatique, en plus de paysage, c’est ce sourire qui envoie tout simplement à l’émergence d’un portrait que nous pourrions qualifier de psychologique, et qui semble vouloir représenter au-delà de la surface des choses le caractère même du sujet. Lorsque le portrait représente une personne existante, son individualité n’a pas toujours été l’objet d’un récit de sa vie. Lle portrait doit pourtant en une seule description représenter l’ensemble des facettes de la personne. À la représentation d’un individu correspond aussi la destination de cette représentation.

Les portraits « psychologiques » ont une fin généralement plus intime que les grands portraits d’apparat. Le discours qui s’y développe est donc fondamentalement différent. Le portrait intime est amené à être vu par des personnes connaissant, voire proches, du sujet et pouvant discerner au travers de l’image les caractères singuliers et personnels du portrait. Plastiquement cela se retrouve au travers d’oeuvres de format limité dans la représentation au buste ou à la tête. C’est-à-dire qu’il privilégie dans leur vraisemblance, dans la vérité représentée le visage, siège de l’âme. Cette qualité première de ce type de tableaux a tendance à disparaître avec le temps. La typologie est conservée au XVIIe et au XVIIIe siècle. Mais cela nous offre alors une galerie de portraits quasi fantomatiques semblant sortir des ténèbres.

Car le portrait n’est pas qu’une image contemporaine, elle est aussi un objet de mémoire. Tout comme la nature morte offre une image suspendue de la temporalité d’un objet passager, le portrait consiste en une opposition au temps qui passe. Les caractères du modèle sont alors inscrits à la surface de la peinture où tout ce que nous pouvons considérer comme l’éternité. La mémoire ne peut être alors réactivée que par celui qui a connu ou dont on a parlé. Du moment où l’oubli s’est mis en place, la vraisemblance perd une part importante. Tout comme la peinture d’histoire véhicule un récit, le portrait raconte une vie. Toutes ne sont pas historiques ou conservées. Alors le portrait appellent une galerie d’anonymes uniquement caractérisées par une volonté artistique de l’artiste. Je suis toujours dubitatif ou interpellé de savoir qui voit-on aujourd’hui dans une grande galerie de portraits ? Bien que les cartels deviennent une sorte de pierres tombales sur laquelle le nom de la personne est inscrite, notre regard a plutôt tendance à chercher la qualité du peintre lui-même nommé.

Lorsque l’on a défini et hiérarchisé le portrait au sein d’un travail académique, l’artiste devient une part du portrait en lui-même. La reconnaissance de la qualité supérieure de certains portraitistes comme Hyacinthe Rigaud ou Nicolas de Largillière nous font observer dans leurs portraits la qualité d’apparat, ou de paraître du peintre plus que du sujet.

Picturalement la focalisation dans un portrait intime sur le sujet estompe le décor. Que cela soit dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle, où le portrait d’une jeune femme présente un cadrage en buste laissant une très part monumentale à la fraise blanche. Ou bien dans le portrait de jeune homme qui cadré plus large nous présente quelques détails d’un décor absolument indiscernable d’une table sur lequel il semble vouloir déposer ses affaires. L’action ou l’inaction de ces deux portraits joue dans une même accessoirisation minimale de la nature morte. L’effet de pose nécessaire pour le portrait en pied du jeune homme se ressent et restitue une certaine dureté de la représentation. Si nous pouvons nous expliquer l’absence de décor derrière la jeune femme par un cadrage resserré, l’obscurité environnante du portrait du jeune homme est bien moins compréhensible, sauf si l’on considère que le portrait étant un sujet défini, il doit uniquement se rattacher au portrait et non au reste. Cette mise en place normée regroupe les questions plastiques et un positionnement de l’artiste. L’ex-voto de Rubens joue malgré une fonction d’apparat évidente sur cette collusion stylistique. Les deux donateurs très précisément, voire crûment, représenter démontrent (s’il fallait encore que Rubens le fasse) la qualité de portraitiste de l’auteur. La croisée avec un monde paradisiaque illustré par la vierge et l’enfant élève les personnes et abaisse les personnages par un espace pictural partagé. La hiérarchie entre terrestre et sacré semble dans un premier regard respecté, la vierge et l’enfant étant physiquement au-dessus de donateurs, mais le geste de bénédiction de l’enfant peut tout à fait être analysé comme un geste de monstration et le rapport entre paradisiaques et terrestres car celui qui est montré est plus important que celui qui montre.

Nous pouvons comprendre dans de telles structures descriptives la remise en cause de cette moralité. Mais pour ouvrir plus largement la question de celui qui montre et de celui qui est montré, le portrait en est tout autant symptomatique. Car comme souligné précédemment nous sommes aujourd’hui plus attentionné par celui qui réalise le portrait que celui qui est portraituré. Cela fonctionne uniquement pour le portrait anonyme, et non pour le portrait officiel ou de célébrités.

Nous pouvons observer les portraits un peu plus intimes comme ce des danseuses ou des comédiens. Des représentations dans les loges, ou en tout cas dans un espace qui se redéfinit, par les pauses lascives ou concentrées, témoigne plus d’une présentation qu’une représentation. Un jeu sarthois dans un sentiment qui reste mis en scène, mais qui iront avec des personnes interprétant sur scène un rôle. Si une danseuse est représentée dans l’action scénique alors nous somme face à son interprétation. Le grand portrait en pied de Mlle Prévost en bacchante est dans cette optique du faire. À l’inverse le portrait d’une danseuse dans son intimité au moins une mise en scène uniquement picturale. Pourtant que cela soit la représentation théâtrale ou bien encore dans une représentation picturale, la mise en scène est inhérente au portrait. La vraisemblance, c’est-à-dire une nouvelle fois la vérité de la représentation est mise en cause par l’artificialité de son support. La part symbolique induite par la volonté de se faire représenter joue dans cette ligne l’interprétation qu’elle expose.

Ce qui perturbe aujourd’hui cette lecture de la composition du portrait, c’est l’émergence d’un portrait photographique considéré comme spontané. Au XVIIIe siècle, un portrait est à la fois un ordonnancement par la qualité que l’artiste à développer techniquement pour rendre reconnaissable trait pour trait la personne et aussi une disposition, l’artiste composant théoriquement la mise en place de la peinture et construit une image dépassant le simple reflet du visage. L’exposition de sentiments par la matière et par le sujet se retrouve convoqué de la même manière que pour la peinture d’histoire dans le portrait. Dans cette collusion le tableau de François Boucher réalisé pour la marquise de Pompadour montrant Apollon révélant sa divinité à la bergère Issée est symptomatique.

Le tableau représente la scène finale d’un opéra Apollon et Issée dont la marquise de Pompadour a incarné l’héroïne dans une représentation au théâtre des petits appartements durant l’hiver 1749. La commande qu’elle fait ou par et donc un tableau au mémo en cette mise en scène de la marquise pour le roi. François Boucher est donc un second metteur en scène de cette première mise en scène. La bergère est représentée avec le visage de la marquise de Pompadour. Reconnaissable assez facilement car ayant déjà été représentée par François Boucher. Le reste de la composition n’est pas relatif à la mise en scène réelle mais correspond aux compositions du peintre. La structure en v, la mise en lumière corrobore parfaitement l’intégration de ce récit historique dans les compositions rococo habituelles du peintre français. La toile devient le jeu d’un double portrait. Tout d’abord il s’agit d’un portrait de la marquise de Pompadour, physique par le visage, symbolique par l’évocation de la représentation théâtrale, politique par la représentation côte à côte d’un symbole royal, Apollon. Car dans le récit le dieu charme la bergère sous les traits d’un berger, inquiet de la fidélité de sa bien-aimée il tentera de la charmer sous ses traits divins, mais cela ne fonctionnera pas, la bergère reste fidèle à son berger qui dans la scène finale lui révèle qu’il est: Apollon. La marquise, favorite du roi, n’est pas avec le roi car c’est le roi mais parce que c’est un homme. Le dernier volet de cette composition est artistique, la marquise de Pompadour et qu’une protectrice des arts et une protectrice de François Boucher. Le choix de l’artiste pour cette représentation consiste aussi en un portrait artistique. Un portrait défini comme double, à la fois celui qui monte mais surtout celui qui est montré.

La pénétration du principe du goût personnel dans les choix artistiques va modéliser un réel dialogue entre l’artiste et son commanditaire. À partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à nos jours le portraitiste est un garant et un témoin de la valeur culturelle du portraituré.

Les portraits de Balzac au musée des beaux-arts de Tours, témoignent de cette collusion entre le faire et le voir. La décomposition plastique de la sculpture de Rodin ou bien encore du tableau de Boulanger, nous offre une image d’une absolue modernité de l’écrivain. Du moment où la matière devient tout aussi importante que le sujet, elle fait partie prenante de la vérité de la représentation.

De tout temps, nous jugeons la vraisemblance du portrait comme un dialogue réel ou recréé entre l’artiste et son sujet. Malgré le fait qu’un portrait doit ressembler au portraituré, nous cherchons plus au travers de la peinture son faiseur. L’émergence de la signature et de la qualité libérale de la peinture aboutissent sur un portrait de l’artiste plus qu’un portrait du sujet. Ainsi la multiplication des autoportraits peuvent être analyser pour la vraisemblance comme une recherche picturale appliquée à un sujet dont le naturalisme est toujours servi par une idéalisation, ou l’ordonnancement est toujours la base à une disposition.