lundi 29 novembre 2010

Les régimes contemplatifs du XIVe au XXe siècle

Les régimes contemplatifs du XIVe au XXe siècle.


Contemplation: action de contempler; méditation profonde

Contempler: considérer attentivement.


La contemplation et l’absorption du spectateur créée une collusion entre l’espace de l’oeuvre et l’espace du spectateur. Malgré une opacité de la surface, le sujet joue dans un effet de flottement où comme nous pouvons l’observer, le peintre invite à la matérialité de la surface et au discours du sujet. La contemplation est de ce fait une dérive du regard, une invitation à la rêverie que décrivent les poètes romantiques. Quand la toile devient le motif d’une écriture éthérée.


La contemplation esthétique, la catharsis

« La fortune philosophique de la notion de catharsis est liée essentiellement à une phrase de la Poétique d'Aristote : « La tragédie est l'imitation d'une action de caractère élevé et complète, d'une certaine étendue, dans un langage relevé d'assaisonnements d'une espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite des personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (ou purification) propre à pareilles émotions ». L'ambiguïté même de la traduction du mot catharsis ( qui signifie de la façon la plus courante purification ou purgation) chez Aristote invite à une réflexion plus poussée : cette ambiguïté n'est pas seulement hésitation possible d'un traducteur zélé, elle est l'indice d'un problème réel d'interprétation. En choisissant purification ou purgation, on s'engage dans une voie précise et l'on détermine du même coup, a priori, le statut de la contemplation esthétique. Si l'on traduit catharsis par purgation, la contemplation esthétique apparaît alors comme un simple phénomène mécanique de décharge d'un trop-plein d'affects, phénomène nécessaire pour la préservation de la cohésion du groupe. Si l'on traduit catharsis par purification, la contemplation esthétique devient une opération d'ordre essentiellement intellectuel et moral, proprement individuel, révélant une promotion interne du sujet contemplant, puisque ce dernier purifie des émotions d'abord impures. Le statut de la contemplation esthétique se lie donc étroitement à celui de l'individu au sein du groupe social.

Cette ambiguïté fondamentale du mot catharsis engage, on le voit, un choix décisif : ou bien la contemplation esthétique participe du phénomène de l'ascèse, du renoncement, par métamorphose interne d'un certain type d'émotions, et elle symbolise alors le passage de l'état « naturel » à l'état « policé » ; ou bien la contemplation esthétique participe du phénomène de l'excès, de la saturation, par libération directe d'un surplus affectif, et elle symbolise alors le nécessaire maintien de l'« état de nature » dans l'état de société comme condition de la « bonne marche » la Cité.» (Encyclopedia universalis)


Ce double régime contemplatif permet de comprendre une évolution de la peinture et de son observation. Les deux précédentes conférences ont mis en lumière une nature paradoxale de la peinture due au développement et à l’évolution de sa réception. Entre un objet superficiel et mental, la peinture convoque la contemplation, une description attentive dont le discours et la maîtrise sont à la fois le fait du peintre et de son spectateur.

Le regard croise oeuvre perçue et sujet reconnu ( à un degré plus ou moins important suivant les informations possédées sur ce dernier). Ce fait abouti à une peinture comme objet culturel, à la fois objet de contemplation et de méditation, dont les exercices spirituels sont liés à la dévotion originelle..

Cette spiritualité absorbe le spectateur, l’invite à une transcendance, à considérer la matérialité et l’immatérialité de la peinture. La transparence et l’opacité ne sont pas simplement le fait d’une vraisemblance mais spirituellement sont rattachées à la fonction de la peinture.

Le régime contemplatif du tableau défini une permanence de l’image et une impermanence de son ressenti.


Dès le XIVe siècle, ce paradoxe entre sensorialité et mentalités repose sur un exercice mental à la fois du peintre et de son spectateur. L’illusion spatiale de la surface devient l’écrin narratif d’un dialogue et d’un échange. Les descriptions multiples sont l’avènement de la subjectivité et de l’individu. La valeur visuelle est supplantée par la qualité dévotionnelle de l’image. Que cela soit pour des oeuvres narratives ou bien simplement contemplatives, l’oeuvre est toujours le point de départ, une base pour la contemplation religieuse. La crucifixion, les Vierges à l’Enfant, l’histoire de Camille ou bien encore les funérailles de Saint-Benoît, toutes ces images doivent être dépassées pour être utiles. La spiritualité contenue dans les panneaux de bois italien du XIVe siècle se fait par des exercices spirituels.

À la renaissance, l’image se veut de plus en plus proche du dévot par ces détails et sa construction. La composition donne à voir une image de plus en plus terrestre. La multiplication des détails ou bien encore la construction en perspective géométrique témoignent de la progression du regard où la description attentive ne repose plus simplement sur la foi de celui qui regarde mais bien sur son aptitude à observer et décrire attentivement l’image. Le vocabulaire devient un point d’appui nécessaire à ce régime contemplatif. En analysant les deux perspectives proposées par Mantegna dans le jardin des oliviers et dans la résurrection, nous comprenons la concentration ou bien la déconcentration contemplative qui en résulte. Le décentrage de la figure du Christ dans le jardin des oliviers conduit le regard à balayer l’ensemble de la surface du panneau, dans une circulation. Au contraire recentrant son sujet, Mantegna focalise dans un raccourci visuel la monumentalisation et le triomphe du Christ ressuscité. La nature paradoxale de la peinture est ici mise au service d’une contemplation qui peut rester purement factuelle et profane ou au contraire se dématérialiser et être spirituelle.

Lapeinture comme objet de communications multiplie les possibilités de la contemplation pour ouvrir à la sensibilité de chacun et dévoiler ses qualités propres. Que nous soyons un spectateur érudit ou non, la peinture doit nous toucher quant à notre propre culture et nos propres connaissances.

Ce résultat fait de la peinture un l’objet sociologiquement engagé. La qualité d’une représentation dépasse sa simple matérialité et réalisation technique. Le changement de posture du spectateur lui permet de décortiquer les conclusions spatiales, philosophiques et politiques. Cette complexité de la palette et de la réflexion joue en faveur de l’artiste et fait osciller la surface entre une disparition est une apparition du sujet dans un équilibre dont les chef d’orchestre sont la main et la tête de l’artiste.

Ces exercices spirituels vont évoluer dans le temps. Avec la Contre-Réforme et un principe plaisant, il ne s’agit plus simplement de toucher le spectateur dans sa croyance, mais bien de lui faire plaisir. La contemplation est un objet d’attentions où la spiritualité cède le pas à une certaine jouissance. Le regard attentif n’est plus dans une absorption spirituelle mais matérielle.

La précédente conférence revenait sur ce travail du clair-obscur comme activation sensible de la composition. Si le regard de l’amateur en faisait un objet de réflexion, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une sorte d’hypersensibilité. Par les effets d’apparitions et de disparitions la lecture attentive de l’oeuvre en est troublée, mais surtout la dislocation est maîtrisée par le peintre lui-même.

Le détail, l’objet se libère de son accessoirisation et devient lui-même support d’une spiritualité. La multiplication des sujets comme le paysage ou la nature morte témoigne de cette capacité du spectateur comme du peintre à voir au-delà des apparences. Cette transcendance est toujours rattachée à une forte conscience religieuse. Une nature morte est un témoignage du temps qui passe et par sa nature vaniteuse renvoie le spectateur à sa propre existence. La description exacte du monde et l’imitation deviennent le support d’une réflexion ouvrant sur la nature même des choses. La peinture n’est pas une simple photographie ou reproduction de la réalité mais invite toujours son regardeur à dépasser l’objet. Ainsi La nature morte au fromage a des lectures symboliques nombreuses. Le rapport entre gras et maigre renvoie au principe de carême, de l’ascèse; la mouche au premier plan à celui du trompe-l’oeil mais aussi de la vanité; le souci optique observable sur les reflets du verre à un principe de la science physique et de l’observation du monde. L’observateur attentif construit donc une contemplation ou l’absorption joue dans une oscillation entre matérielle et immatérielle.

Nous l’avons déjà énoncé, la peinture n’est pas un objet comme un autre. Le spectateur a conscience que le sujet représenté n’est pas uniquement le message délivré. La spiritualité de la peinture lui confère la possibilité sur une surface à donner une image du monde qui n’est en aucun cas uniquement factuelle. L’absorption du spectateur en appui sur la composition nourrit un regard introspectif sur sa propre interprétation. Le régime contemplatif de la peinture se retrouve donc chargé d’une spiritualité mais qui n’est plus simplement dévotionnelle.

La valeur morale et esthétique de la peinture lui permet d’être le lieu d’un discours extérieur.

Les grands sujets historiques redondants dans la peinture du XVIIIe siècle en France renvoient à une image et un discours qui incorpore une vision politique du tableau. L’image du héros solitaire est un miroir élogieux pour le roi. Pourtant l’opacité du rendu tel que nous pouvons l’observer chez Chardin est une certaine dissolution même de l’imitation au service d’un rendu sensible. L’activation de la surface par le peintre se faisant elle-même part son absorption, le spectateur est invité à un jeu visuel et mental.

C’est en cela que la peinture se construit et qui aujourd’hui encore interpelle et interroge : « qu’est-ce qui a motivé le choix du sujet pour qu’il soit reproduit à la surface du tableau ? » L’image réelle n’a d’intérêt que si elle transpose ou véhicule une pensée. Le choix du sujet et sa mise en composition devient le jeu où l’espace et le temps sont par la sensorialité en permanence excités. Le spectateur n’est pas dupe, il sait que ce qu’il voit est obligatoirement un miroir élevant ou rabaissant le sujet représenté. Ce régime contemplatif doit réussir l’union entre la main, l’oeil et l’esprit.

Que le sujet soit important ou anodin, le tableau devient le jeu d’une contemplation, d’un dépassement de sa forme. La peinture se positionne comme capable de générer une grande spiritualité au-delà de son sujet.

Il n’est pas étonnant de voir la façon dont les philosophes vont s’approprier l’image par une contemplation esthétique. Le tableau est le motif à un discours, à un épanouissement de la pensée. La fonction de cet art se retrouve modélisée par ses commentateurs. Chez Diderot mais aussi chez Goethe cela débouche sur un jeu omniprésent. Le jeu de l’artiste, faiseur de l’image et créateur de l’objet contemplatif mais aussi le jeu du spectateur qui par un art visuel doit voir le fruit de la maîtrise du regard. Cette dernière peut être instruite et génère une auto-analyse de l’oeuvre. Chez Goethe la vision devient opérationnelle constituant alors une clef dans un exercice mental quotidien tendant vers une expérience visuelle consciente. La vue est un sens qui peut être développé.

Goethe: « Nous disions donc que la nature entière se manifeste au sens de la vue par la couleur. Nous affirmerons maintenant, bien que la chose puisse paraitre quelque peu étrange, que l’oeil ne voit aucune forme, le clair, l’obscur et la couleur constituant ensemble ce qui pour l’organe distingue un objet de l’autre, et les parties de l’objet entre elles. Ainsi édifions nous avec ces trois éléments le monde visible et rendons du coup la peinture possible, laquelle est capable de produire sur la toile un monde visible beaucoup plus parfait que le monde réel». Traité des couleurs p.80.

Le phénomène visible chez Goethe présente un en dessous et un invisible: l’Urphänomen.

Le développement de ces exercices spirituels prennent autant appui dans la réalité que dans sa transposition peinte. Une énième fois, Comédiens ou bouffons arabes d’Eugène Delacroix en 1848 est, pour cette fonction d’un partage du sensible, une invitation au spectateur à retrouver cet allongement de l’observation des phénomènes colorés. L’oeuvre est un témoignage de cette expérience visible comme point de départ d’une réflexion. La concentration de l’attention se fait tout aussi bien dans le réel que dans l’abstrait. L’artiste questionne et monopolise les connaissances perceptives et spirituelles.

La contemplation orientale va venir nourrir le champ contemplatif occidental. Le rapport au monde tend alors à se dématérialiser. Pourtant la peinture paradoxalement est une matérialisation de ces exercices spirituels. Le partage du sensible passe par un rapprochement de l’art et la vie et couple perception et aperception. L’homme est à la fois spectateur et acteur de l’espace qu’il occupe, le peintre en fait de même.

La dislocation du sujet par la touche ou bien encore par un certain expressionnisme conduit la peinture à une distanciation du sujet. Cela n’est envisageable que si l’on considère que l’exercice spirituel ou contemplatif est un des sujet du tableau. L’émergence de la photographie et d’une image objective du monde dialoguent avec une image subjective, la peinture.

La part spirituelle de l’art est omniprésente dans le champ de la modernité. Le titre de l’ouvrage de Kandinsky en 1911, du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, en est la preuve. La peinture abstraite consacre la surface picturale comme un champ contemplatif. La disparition du sujet transcende la couleur pour en faire un élément de communication. Les grands champs colorés d’Olivier Debré ou bien encore les ponctuations de Zao Wou Ki témoigne d’une absorption contemplative du spectateur et de son ressenti.

Dès son origine moderne au XIVe siècle l’objet peint se voit chargé d’une valeur spirituelle qui conduit le spectateur à un état contemplatif, dans et hors de la la peinture. Son cheminement libéral conduit la peinture vers un objet mental. Fondation paradoxale, cette double nature matérielle et immatérielle transcende l’objet. Le spectateur est invité par son absorption à dépasser le simple fait visuel pour construire une réflexion ou le sentiment, la prise de distance, le plaisir, le sensoriel se reposent sur ce qui n’est à l’origine qu’une simple surface colorée. Le partage du sensible passant par le caractère expérimental de l’oeuvre convoque l’espace le temps et la sensorialité. Nous ne pouvons jamais désengager l’exercice contemplatif de l’oeuvre. Les temporalités qui se développent sur ces espace sont due à notre sensorialité.


lundi 22 novembre 2010

le regard de l'amateur

Le regard de l’amateur


Le regard de l’amateur s’inscrit comme suite directe à la conférence consacrée à la description comme activation de l’oeuvre. L’émergence du texte comme clé de lecture et de compréhension du tableau est, dans un régime académique, lié à un principe de grille normative et qualitative. Par le regard de l’amateur, un autre discours plus sensible et plus personnel se développe. L’émergence d’une analyse individuelle et expressive génère un dialogue plus direct et lié à la composition peinte. Bien que la valeur de l’oeuvre reste jusqu’au milieu du XVIIIe siècle validée une grille classique, la volonté d’une oeuvre sensible et la qualité des sentiments qu’elle provoque lui confère un statut expressif.

Les principes empathiques ou de plaisir qui cohabitent avec la volonté morale et d’enseignement de l’oeuvre, jouent parfaitement en faveur de ce regard de l’amateur. L’impact visuel, la composition, la matière et son organisation sont nécessaires à la qualité même d’une oeuvre sensible et expressive.

La critique d’art se propose à partir du XVIIIe siècle, comme un complément individuel et subjectif à la description académique. La peinture est une oeuvre visuelle, dont la retranscription par le discours ne sert pas simplement à une reproduction littéraire. La surface picturale devient un espace expérimental pour celui qui réalise comme pour celui qui regarde. Cette immédiateté par cette confrontation à la matière renvoie à une oeuvre où la sensorialité est au coeur même de son acceptation et de son observation. Le discours académique est en permanence un principe et une grille devant permettre l’accessibilité et la définition d’un beau culturellement idéal. Le caractère expérimental et sensible de l’observation du tableau conduit naturellement à questionner le regarde dans une expérience perceptive. L’impact visuel reste primordial pour la valeur expressive du tableau. La lecture plus intime et la revendication de sa subjectivité sont étroitement liées à ce regard de l’amateur et au plaisir qu’il peut ressentir. La description est le fer de lance de la qualité mais la place du spectateur, son absorption par l’oeuvre transforme la théâtralité historique de la peinture. Le tableau ne peut être une boîte scénique fermée, il doit au contraire devenir un espace de pénétration de celui qui l’observe. La place du spectateur doit être réservée et réfléchie par l’oeuvre. L’activation du tableau passe par son observation et le dialogue qu’il génère avec celui qui le regarde. Ce principe fondateur de la réforme de l’image dès le XIVe siècle italien problématise l’existence de l’oeuvre en répondant pas simplement à une grille et à un vocabulaire mais mettant en place une surface sensorielle pour un partage du sensible.


Cette valeur visuelle émerge avec les figures dévotionnelles non narratives. Ainsi dans le panneau la Vierge aux cerises, l’image proposée ne raconte rien, n’est pas raccrochée un grand récit. Face à nous une Vierge à l’enfant est mise en scène. L’ouverture du manteau qui laisse paraître des hanches marquées et la naissance d’une poitrine joue en faveur d’une incarnation et d’une humanisation. Sa féminité est une accessibilité comme au plaisir du regard. L’image se veut douce et intime, la relation qu’elle génère est la même. La composition communique un sentiment, un dialogue visuel et sensible avec le spectateur. Nous retrouvons ce même caractère dans la scène de couronnement de la Vierge de Lorenzo Veneziano. Le voile transparent laissant apparaître quelques mèches témoigne d’une qualité technique, d’une imitation maîtrisée et dans cette accessibilité d’une féminisation charmante. Le plaisir du regard est ici mis en oeuvre.

Nous retrouvons exactement les mêmes paramètres toujours sur la figure de la Vierge. la Vierge en oraison appartenant au foyer du Val de Loire est par son cadrage et par sa mise en scène tout un jeu sensible et intime pour celui qu’il observe. Ces attributs de féminisation et de douceur propose un mariage où le dévotionnel rencontre le profane. Le travail de tons et de teintes est autant de plaisir visuel simple jouant en écho avec une oeuvre qui se veut accessible. Le regard du spectateur est appelé à s’arrêter à la surface du tableau pour en contempler les valeurs et le sujet. La peinture se veut une surface sensible où le vocabulaire renvoie au sensoriel.

Pour terminer avec les primitifs, les modèles flamands des vierges allaitantes témoignent d’un principe similaire. Les compositions de scènes plus ou moins intimes de la relation entre la mère et le fils invite le spectateur à observer une scène dont le sujet semble plus quotidien que historique.

Le développement du regard du spectateur et sa prise en compte dans la composition par le peintre se fait par des sujets où les vertus historiques laissent place à l’imagerie accessible. Ce rapprochement entre les figures divines et le dévot est la possibilité pour ce dernier de ne pas y projeter une grille normative, mais bien au contraire d’être dans un partage plus sensible où les détails sont comme autant d’invitations à une circulation du regard, à une émotion. La vierge de douleur de l’école flamande joue parfaitement en ce sens. La précision du rendu des larmes et des yeux rougis de cette jeune femme effondrée sont l’expression de l’utilisation de l’ imitation où la description et la précision dialoguent avec le sentiment de celui qui regarde.

La composition devient un moyen immédiat de toucher et de sensibiliser celui qui se trouve face à l’oeuvre. Les deux panneaux de Mantegna utilise une imagerie terrestre où le regard est tout autant invité à recomposer le récit par la circulation des différents protagonistes au sein de cet espace en trois dimensions, comme à ressentir leur humanité, dans cette agonie du Christ au jardin des oliviers ou dans ce triomphe de la résurrection.

La peinture est un objet superficiel dont le dialogue avec son spectateur lui confère une nature poétique et expressive. Au-delà des principes narratifs, l’image figée doit par sa composition matérielle générer une expression et une immédiateté.

Au XVIIe siècle, l’utilisation du clair-obscur conduit à activer la surface et la composition du tableau. L’apparition et la disparition des détails génèrent une théâtralité qui sert tout autant le récit que le rendu expressif de la surface peinte.

La fuite en Égypte de Rembrandt témoigne de cette intimité du regard par son petit format. Pour en voir les détails, l’observateur se rapproche d’elle. L’isolation des saintes figures par le clair-obscur et la puissante théâtralité sert la dramatique du récit et de la composition. Ces figures d’exilés touchent le spectateur et la composition vient en appui de ce sentiment.

Dans la Sainte-Famille avec saint Jean-Baptiste du Caravage, nous retrouvons ce caractère non narratif du sujet. Le cadrage, ainsi que l’utilisation du clair-obscur activent la surface chromatique dans cette comparaison et cette confrontation du regard et de la matière. La jeunesse de la vierge, la pâleur du corps de l’enfant, le traitement des drapés de Joseph, sont comme autant de détails offerts au regard pour qu’il puisse en comprendre toute la valeur et en ressentir tout le rendu. La forte humanisation des figures joue en faveur d’une accessibilité d’un tableau dont le cadrage et le format ouvrent une fenêtre non sur le monde, mais sur l’homme lui-même. Ses compositions souvent rejetées par le discours officiel font le plaisir et le bonheur de collectionneurs. Les vertus académiques d’invention, d’imitation et d’expression sont tout autant d’activation de la matière qui pour le regard de l’amateur jouent du plaisir de l’observation. La surface devient une inscription expressive et descriptible sensiblement par celui qui la regarde.

Ce plaisir de l’observation permet le développement des genres inférieurs dans la hiérarchie académique. L’épanouissement de la nature morte en Hollande au XVIIe siècle témoigne de ce plaisir visuel et interprétatif. Le regard reconnaît et analyse l’oeuvre et son sujet, témoignage de la virtuosité imitative du peintre, elle est une invitation à la circulation du regard du spectateur et à son interprétation d’une imagerie artificielle. Comme nous l’avons déjà abordé dans les conférences précédentes, l’observateur de la peinture n’est pas dupe, il participe à la vraisemblance. La peinture élève le sujet qu’elle représente, et le regard se réjouit d’être une interface sensible à cette interprétation. Dans la nature morte au fromage, les textures des divers fruits et victuailles mises en scène, sont autant d’attrape l’oeil et de plaisir sensible du spectateur dans la reconnaissance et dans la composition.

Le regard et la perception ne sont pas simplement un souci de reconnaissance et de dépassement mental du sujet. La confrontation au rendu et à la surface picturale devient un jeu et un plaisir pour l’amateur.

Dans le repos après la chasse de Diane, Boulogne met en scène dans l’angle inférieur gauche de ux jeunes femmes endormies directement repris d’après une étude. La valeur idéale de ces deux corps féminins est déplacé sur le plaisir du traitement des carnations et de la féminité ainsi présentée. S’approchant du tableau nous pouvons voir comment dans le traitement des teintes et la variation des couleurs et de lumière, l’artiste met en place une composition où l’aspect suave des coloris renvoie au caractère même de la scène. La transposition quasi intégrale est un jeu pour le regard, pour le plaisir. Cet épanouissement d’un regard sur la surface, la caressant quasiment, témoigne de l’émergence du simple plaisir visuel. La nudité féminine n’est pas non plus sans exclure une attraction pour un public masculin. La scène d’intimité joue aussi en cette faveur d’un rapprochement d’une accessibilité du sujet, qui doit trouver son équivalence dans son traitement pictural.

L’épaississement et la variation du traitement chromatique trouvent chez François Boucher une réponse à ce partage du sensible par la surface de la peinture. Dans Apollon révélant sa divinité à la bergère Issée, François Boucher joue avec les effets de matière et leur rendu pour permettre d’activer la surface et le regard. Le thème de la pastorale est pour un critique comme Diderot une opposition à la théâtralité et à la fermeture de la peinture d’histoire. Thème plus léger, voire badin, la pastorale permet une ouverture du tableau qui prend conscience de son spectateur et de son inclinaison sensorielle. La composition doit répondre aux plaisirs par à une confrontation physique immédiate. Le récit occupe encore une place comme sujet, mais le tableau se veut avant tout un objet entier et suffisant.

Les thèmes de la nature morte ou du paysage vont dans cette suffisance de l’oeuvre convoquer un plaisir visuel. La peinture seule peut toucher par le regard, l’âme et les sensations du spectateur. Le jeu de rupture de lignes de détournement des codes académiques sont autant d’épanouissement de l’immédiateté de l’observation. Ce principe d’une ouverture par la conscience de l’existence d’un spectateur est une poursuite directe de la volonté de sentiments des tableaux religieux du XIVe siècle.

En prenant conscience de cette place du spectateur face à l’oeuvre pour son activation, la peinture met en place le caractère moderne de sa réception. Le tableau devient une unité suffisante et autonome pour générer un sentiment et un impact sensoriel sur son observateur. Le principe aperceptif est toujours présent mais peut être omis pour le simple description de la surface. Les salons de Diderot reviendront régulièrement sur cet exercice uniquement visuel. L’exemple du panier de fraises de Chardin correspond exactement à cela. Observant l’oeuvre de loin, le philosophe voit avec une certaine précision les fraises représentées, mais en se rapprochant, les détails disparaissent pour laisser place qu’à des fraises « écrasées » à la surface de l’oeuvre. L’imitation est ici détournée sur un propos de texture où la peinture est l’équivalent de la pulpe du fruit. Les jeux de lumière, les variations de teintes deviennent le moyen pour l’artiste d’exprimer des sentiments uniquement rattachés à la composition. Il n’y a pas dans des sujets contemplatifs de récits et de choix d’un temps extérieur au tableau. Ces développements nourrissent l’évolution de l’oeuvre tout au long du XIXe siècle jusqu’à nos jours.

Comédiens ou bouffons arabes d’Eugène Delacroix est un tableau où l’artiste recompose 15 ans après son retour du Maroc une oeuvre où l’anecdote narrative semble pour un certain nombre d’observateurs contemporains inexplicables. L’enjeu du peintre romantique est de mettre en place une composition où seule la couleur et son organisation semble régir l’impact et la volonté de communication du tableau. L’avènement d’un art purement affectif n’est pas une révolution, c’est l’épanouissement de la conscience du peintre que l’oeuvre est avant tout un objet visuel avant d’être un objet mental. Le partage de l’expérience sensible de l’observation des phénomènes lumineux sur les vêtements au Maroc et leur retranscription sur un tableau conduisent Eugène Delacroix à chercher des moyens plastiques autonomes de cette retranscription. La théorie des contrastes simultanés est un des supports à cette éblouissement probable du spectateur. En effet si l’union d’une couleur primaire et de sa complémentaire peut générer du blanc dans l’oeil du spectateur, alors le regard et la perception visuelle deviennent le premier temps incontournable de l’expressivité de la toile.

Le peintre réalise un tableau qui doit communiquer le ressenti de son observation. Les impressionnistes vont choisir leur sujet et leurs peintures dans le but d’une communication via une surface sensible. À la surface de l’oeil du peintre correspond la surface de la toile et doit générer les mêmes sensations sur la surface de l’oeil du spectateur. Ce terme d’impression est extrêmement important pour comprendre cette leçon de l’émergence du regard de l’amateur. La vue est une interface obligatoire dans la communication des sentiments de la peinture. Une impression n’est pas quelque chose qui dure dans le temps mais peut simplement être immédiate. La peinture reste quand même un objet figé dans sa temporalité. Les déconstructions par la touche impressionniste, comme chez Monet dans un bras de Seine près de vétheuil en 1878, allongent ce phénomène de l’impression simplement par le matériau même de l’image. La peinture par ses caractères propres que sont la couleur, sa transparence, son opacité, sa structuration est alors une surface sensible construisant sa vocation sensorielle. À l’épanouissement temporel hors du cadre du régime historique du tableau, la peinture moderne soumet l’oeuvre à sa temporalité propre et à celle de son spectateur. Le temps n’est plus celui du récit mais celui du regard.

La peinture abstraite, faisant disparaître un sujet identifiable, joue sur ce phénomène contemplatif. Seul les attributs de la couleur et du dessin suffisent à générer une surface émotionnelle. Le phénomène perceptif peut à lui seul être sentimental. L’oeil n’est pas qu’une simple interface nécessaire à la reconnaissance du sujet pour son développement mental, il est une surface sensible à activer par la peinture. L’exercice visuel est extrêmement différent entre un régime descriptif qui se sert du tableau pour se remémorer une histoire, un aspect littéraire et l’activation du regard qui avant de sortir de l’oeuvre trouve dans sa composition toute la sensorialité nécessaire pour être touché.

Pour conclure, la description classique et académique reste une donnée fondamentale du tableau car elle permet une extraction du spectateur pour une analyse et une remise en contexte historique. Mais, dès son origine moderne la peinture se veut un dialogue du regard. L’impact communicationel de la peinture joue en permanence par sa qualité et sa revendication libérale d’un art à la fois technique et intellectuel. Cette double nature paradoxale de la peinture fonde les principes mêmes du régime contemplatif d’un tableau. L’espace de l’oeuvre génère une temporalité par ses sensorialités physiologiques, intellectuelles, morales, voluptueuses. Un tableau n’est pas un simple objet visuel, il a par nature un contenu qui est à la fois celui de sa surface et celui de son discours. Le texte est la description de cette dualité.


lundi 15 novembre 2010

la description comme activation de l'oeuvre

La description comme activation de l’oeuvre


Décrire: représenter, dépeindre par la parole ou l’écriture.


La parole et le texte accompagnent dans son développement humaniste et classique l’oeuvre peinte. La description devient le moyen de qualifier et d’estimer la valeur de l’oeuvre. Avant même l’émergence d’une critique d’art, le texte construit un discours mettant en lumière le tableau. Dans notre cycle de conférences consacrées à la représentation de l’espace, du temps et au questionnement de la sensorialité, le discours sur l’oeuvre est une activation. Lors de la conférence consacrée à la temporalité, nous avions mis en exergue la valeur temporelle du discours. En effet, l’oeuvre d’art est un objet spatial dont seule l’activation par le spectateur lui confère un régime temporel. La description d’une oeuvre n’est pas un acte anodin, au-delà de réfléchir à l’impact visuel que le tableau peut avoir, il s’agit de conférer à la peinture un régime intellectuel et littéraire revendiquant sa qualité libérale.

Le dialogue entre les diverses pratiques artistiques se fait principalement dans une comparaison non simplement technique et visuelle mais aussi discursive. Dès le XIVe siècle, la fonction « illustrative » du tableau avec le texte conduit l’artiste comme le regardeur à comprendre la qualité d’une illustration figée par le développement d’un récit. Cette conférence essaiera de comprendre comment par sa composition l’artiste dans un modèle classique d’élaboration d’une iconographie rattachée à un récit, offre un morceau, ou un extrait d’un récit mental par la description. Ce rattachement à un texte oblige l’artiste à offrir une interprétation.


Le panneau provenant d’un coffre de mariage, représentant l’histoire de Camille, illustre ce principe de recomposition du récit par la description. En effet, la multiplication d’actions de l’héroïne au sein d’un même espace est organisée par le spectateur lui-même. La qualité narrative d’une oeuvre est générée par son spectateur. L’artiste est le premier possesseur du récit mais surtout le spectateur ne peut s’approprier l’oeuvre que par la connaissance de l’histoire. Face aux tableaux dévotionnels et religieux nous ne nous posons jamais la question de la figuration du récit et de son identification. Pourtant, même si la connaissance textuelle est partagée par le plus grand nombre, les qualités individuelles de traitement du sujet témoignent d’une appropriation de l’histoire par celui qui la réalise. Les variations, ou effet de composition, revendique une individualité de son réalisateur. Il peut être identifié que par comparaison et connaissance de son spectateur. La description, c’est-à-dire un regard qui prend une distance suffisante sur l’oeuvre pour en comprendre ses qualités, peut être considéré comme un temps aperceptif et qualificatif du tableau.

L’individualisation de la représentation est une conséquence de la réforme et de la mise en place d’une civilisation humaniste. La valeur de l’artiste consiste à offrir une image identifiable par le plus grand nombre, mais dont la composition reste indubitablement rattachée à la main et un esprit de celui qui l’a réalisé.

À la renaissance, le texte et l’image ne dialoguent plus simplement dans une récupération narrative. Le développement de traités théoriques quant à la qualité même du tableau octroie à la description un aspect rationnel qui doit permettre de juger et de comparer les qualités compositionnelles et individuelles de chaque oeuvre et de chaque artiste. Pour une reconnaissance libérale la peinture va alors dialoguer avec la poésie. La maxime transformée de Horace : «Ut Pictura Poesis » va nourrir une théorie de la peinture classique.

Ce lien peinture et poésie est une revendication d’un art libéral et une bascule entre l’espace et le temps convoqués au sein de l’image. L’écrit est la source du visuel, avec la description le visuel devient la source de l’écrit.

En témoigne l’intérêt pour les textes datant de l’Antiquité et fournissant des descriptions de peinture jamais observées. L’un des plus célèbres est le récit du concours entre le peintre Zeuxis et Parrhasios. Un jour, Zeuxis avait peint des raisins si ressemblants que les oiseaux s’y trompèrent et tentèrent de les picorer. Émerveillement général devant le talent formidable du peintre. Mais voilà que Parrhasios y ajouta en cachette un rideau peint, comme pour protéger le tableau de la lumière du soleil. Zeuxis, peut être encore grisé par son succès, tomba dans le piège et voulut relever le rideau. Peine perdue; il s’avoua vaincu. Les oiseaux n’avait plus qu’à revenir se cogner le bec, amère saveur, à la surface de l’image.

Cette légende a nourri pendant des siècles des interrogations et des références. Elle donne naissance à la croyance en un idéal de l’art par la vraissemblance entre la reproduction picturale et son modèle et montre avec quelle promptitude les hommes aiment à se faire spectateur, participant au prodige et le commentant. L’image attire le regard et le texte. Les raisins n’ont pas traversé le temps mais le récit leur a donné un caractère éternel. Les peintres de la renaissance sont allés chercher une légitimité à l’oeuvre dans la littérature. En s’assimilant au poète, il tente d’accéder à une nouvelle dignité d’un art dit libéral, c’est-à-dire pratiqué par un homme libre et dont la création est ainsi autorité, pour échapper au caractère de métiers mécaniques auquel la peinture était alors apparentée. C’est, entre autres, la raison pour laquelle les tableaux « littéraire » se multiplient à partir du XVIe siècle, enrichissant le fond religieux exploité au Moyen Âge par l’exploration de la veine mythologique. Nous pouvons alors penser à cette phrase de Léonard : « la peinture est une poésie muette et la poésie une peinture aveugle »..

Il faut l’écrit à la peinture en comprendre ses qualités et pour cela l’artiste doit générer un rapprochement avec son observateur. Le principe de la vraisemblance dans ce questionnement de la beauté naturelle et idéale permet à la peinture dans une théorie de l’imitation de revendiquer une image qui soit une idéalisation. Ce dialogue entre le texte et l’image devient alors le fer de lance d’une culture classique où le peintre s’il se veut poète doit générer un sentiment et une relation au texte. La description suppose alors une opération de transposition qui nous fait passer de l’ordre du visuel au registre du langage. Même si elle n’est jamais objective, elle doit pourtant tendre vers un effort descriptif. Cela alors obligea d’affiner le regard et par la description, d’apprendre à voir et à rendre intelligibles l’oeuvre singulière.

Les deux panneaux de Mantegna témoignent de cette culture textuelle émergente. Que cela soit dans la vraisemblance de la nature du jardin des oliviers, ou bien encore dans une complète artificialité de la citation sculpturale du Christ ressuscité, l’ordre du visuel devenant descriptif et narratif amène alors le spectateur érudit à singulariser l’oeuvre singulière, à la décrire dans ses qualités et ses aspects quasi anecdotiques. Le commentaire de l’oeuvre par la possibilité de l’ekphrasis est compris et développé par les artistes eux-mêmes dans la qualité plastique du tableau. La composition se veut un ensemble homogène qui pourtant liés aux principes du texte est véritablement disloquée. Le commentateur devient médiateur entre le spectateur et l’image. Le texte n’est pas simplement l’expression, il en devient une interprétation. Le régime descriptif du tableau se veut à la fois comme un miroir d’une réalité maîtrisée, mais aussi comme l’évocation d’une invention exprimée. L’artiste n’est pas seulement un technicien il est avant tout un interprète. Pour que le tableau puisse avoir un impact moral et élevant pour celui qu’il observe, l’artiste prend comme source même de son récit des textes ayant déjà une valeur historique et morale reconnue. La conquête poétique d’une valeur artistique supérieure se repose sur une évocation du drame et de l’histoire. La description ne s’attache pas simplement à un exercice visuel résultant d’une analyse des codages plastiques mis en place par l’artiste, mais évoque la qualité de ce dernier à interpréter un récit connu ayant alors visuellement un impact mémoriel. L’histoire ou bien encore la poésie deviennent les sources fondamentales et valorisantes d’une oeuvre qui se veut le reflet d’une civilisation.

Dès la renaissance cette union pour une reconnaissance d’une valeur supérieure de la peinture avec le texte génère le régime classique de l’oeuvre. L’imitation, l’invention, l’expression ou bien encore la convenance deviennent des grilles d’analyse de la valeur même de l’artiste. L’histoire et les grands récits mythologiques se situent au-dessus de tous les autres genres, au-delà d’une théorie de l’imitation, l’artiste convoque un régime dramatique où le lecteur spectateur se fait véritablement acteur de l’interprétation.

La description est un mariage étonnant et paradoxale entre une interprétation visuelle et compositionnelle de l’artiste et une interprétation visuelle et intellectuelle de son regardeur. Les commentateurs qu’ils soient français ou italiens vont rechercher le régime et l’idée de perfection de la peinture.

Au XVIIe siècle à l’appel de poussins et pour la promotion d’une grande peinture en France par l’imitation de l’antique, le commentaire cherchent à définir les valeurs artistiques françaises et une beauté idéale. Le texte et la description constituent alors un procédé de représentation narrative où le discours nourrit une réflexion esthétique, un moyen privilégié de la connaissance et de la diffusion de l’oeuvre d’art, de sa création à sa réception. La légitimité d’une oeuvre n’est plus dans une réception collective mais dans un jugement par un petit nombre de de sa valeur. Les théoriciens de l’Académie royale de peinture et de sculptures vont en permanence débattre de cette question de la description comme une grille nécessaire et permettant de mettre en place une hiérarchisation des sujets.

Ce dialogue avec le texte et la littérature repose sur l’histoire et ne retient que la poésie. En effet, ce genre littéraire semble être à même pour générer du sentiment et du récit. Dans une valorisation du réalisateur comme de son commentateur, l’identification et la narration deviennent des faire-valoirs de l’activité du tableau. La comparaison directe ou implicite de la peinture avec la poésie l’anime et la façonne. Le peintre ne doit pas simplement imiter la nature, il doit répondre à une doctrine de cette qualité et de cet idéal par son invention.

Le texte devient une temporalité et une grille de lecture recherchée et revendiquée par l’artiste lui-même. Lorsque l’Académie royale de peintures et de sculptures met en place les conférences, le commentateur de l’image est l’artiste lui-même. Mais surtout ce principe de la description met en avant la logique du détail et de la lecture de l’oeuvre. Le régime historique du tableau attaché aux principes de figuration du récit offre alors un caractère temporel à la peinture. La comparaison avec la poésie mais aussi avec les textes épanouissent cette description narrative et stylistique.

La description est une reproduction littéraire du tableau. L’artiste à partir du XVIIe siècle en a pleinement conscience et doit parfaitement maîtriser cette réception. Nous pourrions émettre l’hypothèse que cette culture classique et une reproduction écrite ou verbale l’oeuvre mènent l’artiste dans une recherche d’un impact sensoriel et intellectuel. L’évocation de grands récits joue dans ce régime instructif du tableau. L’artiste doit avoir conscience qu’il met en place visuellement un objet décrivant l’histoire dans un instant suspendu et qui reprendra son fil narratif dans le regard et le commentaire de celui qu’il observe. Le texte et la description doivent autant toucher les sens que parler à l’intellect.

Le vocabulaire pictural devient alors un vocabulaire littéral. Lorsque l’on observe les morceaux de réception de l’Académie royale de peinture et de sculptures, il est évident que ses oeuvres sont en permanence un appel à un commentaire et une réponse à une grille et à une doctrine plastique. Cette dernière est tout autant visuelle que descriptive. La description et le texte sont un réel épanouissement temporel et l’inscription dans un temps et une stylistique donnée. Le commentaire est le jugement de l’oeuvre et une tentative d’une valorisation et d’épanouissement.

Cette lecture détaillée se voit comme un effet de composition et une réponse visuelle au discours. Dans les fruits de la paix de Ryswick de Marot, les collusions entre imitations et inventions sont permanentes. À la grenade ouverte du premier plan répond le buste antique du second. Le vocabulaire et les qualités plastiques deviennent concrètement et physiquement un faire-valoir de l’artiste. La vocation éducative et morale de ce tableau mêle le régime d’imitation et d’invention.. Le regard se veut culturel et classique cherchant à rendre par des effets de peinture un questionnement intellectuel. La grille utopiquement objective ne peut oublier la vocation sensible de la peinture. La poétique du peintre est de tromper le regard du spectateur tout en recherchant à l’éduquer grâce à un vocabulaire idéalisé.

Tout comme l’évocation de la sculpture, la musique ou bien encore de la danse, les artistes au XVIIIe siècle répondent à une qualité et une beauté universelles. La description est leurs moyens pour représenter le monde et pour générer un discours cohérent et élevant.

Même si la description est empreinte de sensibilité et de sensations, la bascule dans un régime écrit de la reproduction d’un tableau se veut comme un acte intellectuel réfléchissant à l’impact social et collectif de l’oeuvre. Les artistes appartiennent à un ensemble culturel orienté. La description reste le domaine réservé d’un petit nombre d’élus et d’érudits capables de générer et d’observer la peinture comme un objet idéal. Ce renvoi en permanence au récit et à l’histoire par ses sources peuvent lui confère un aspect dramatique.

Les peintres appartenant au néoclassique vont poursuivre ce régime historique du tableau. Tous les détails jouent en faveur d’une oeuvre archéologique renvoyant à la période du récit représenté. Dans Tymoléon à qui les syracusains amènent des étrangers, les vêtements, le mobilier ,la mise en scène , ainsi que l’architecture qui sert de toile de fond, jouent une fenêtre ouverte sur l’histoire et sur le passé. La description est un acte réflexif et moralisateur. Elle n’en reste pas moins une existence et une activation du tableau. Ce souci du récit et de dramatique ne permet pas l’émancipation de sujets inférieurs à l’histoire. La description peut être considérée au-delà de l’intellectuel comme le moyen de retranscrire ou reproduire l’oeuvre par le texte. Cette activation témoigne d’une circulation du regard et du moyen de la parcelliser afin d’en décortiquer la valeur les codes et sa composition. Dès le XVe siècle, l’oeuvre pouvant être décrite en partie ou complètement devient un champ spatial naturellement lié à une temporalité. Cette dernière peut être narrative, description du récit, ou bien encore physique, circulation du regard. Ce paradoxe originel est que la description même si elle se veut un acte intellectuel, reste subjective et rattachée au regard. Nous ne pouvons pas nous couper de notre sensorialité et de notre sensibilité personnelle quant à la description et aux commentaires du tableau. Si dans un régime classique et académique de l’oeuvre, la description devient une grille objective permettant de rattacher l’ensemble des oeuvres à une même doctrine, l’émergence d’un regard individuel et sensible face au tableau conduit alors les peintres à réfléchir à des questions d’effet, d’impact visuel et de communication. La description ne peut pas être un acte objectif car elle est rattachée fondamentalement à une perception subjective. En témoigne le fait que chaque description est signée par celui qui observe. L’épanouissement temporel par le texte est inexorablement rattaché à un principe sensoriel. Prenant conscience de cela les artistes vont à partir du XVe siècle proposé au regard de l’amateur une communication sensible et sensorielle avec l’oeuvre.


Bibliographie

- Sous la direction de Pascal Dethurens, Écrire la peinture de Diderot à Quignard, citadelles & Mazenod, Paris, 2009.

- Rensselear W. Lee, Ut Pictura Poesis, Macula, Paris, 1991.

- La description de l’oeuvre d’art, du modèle classique aux variations contemporaines, collection Histoire de l’art de l’académie de France à Rome, Somogy, Paris, 2004.

lundi 8 novembre 2010

peinture et sculpture

Peinture et sculpture


Suite de la peinture comme un objet empirique et du tactilisme dans le développement du sujet et de la forme, cette semaine nous revenons sur le dialogue entre les arts. La peinture et la sculpture appartiennent toute les deux au domaine de l’académie des arts. Les échanges, rapprochement et distance entre ces deux pratiques artistiques témoignent d’une tentative de hiérarchisation. Cela repose sur l’expérience de l’oeuvre et la cohérence sensorielle qu’elle convoque. En effet, le sens du toucher état de très nombreuses fois considéré comme supérieur à celui de la vue. Si l’oeil peut être trompé, la main est un élément de vérité. Ainsi la sculpture se présente comme une pratique plus vraisemblable. Les rapports entre la peinture et la sculpture conduisent les deux pratiques à échanger et à regarder ce que l’autre fait. Les formations académiques cristallisent ces échanges, au sein de l’Académie royale de peintures et de sculptures l’apprentissage débute par le dessin à partir de la sculpture.

Dans le cadre du cycle de conférences « espace, temps et sensorialité » le dialogue et les échanges entre la peinture et sculpture témoignent de recherches et de développements spatiaux temporels confrontés à la sensorialité. Trop souvent opposées, les deux pratiques artistiques sont pourtant étroitement liées. Que cela soit comme source d’inspiration des motifs peints, ou bien comme interrogation de la qualité de vraisemblance de la sculpture, cela écalire l’enjeu d’une certaine volumétrie en peinture, et de ses développements dans la culture académique occidentale. Cette conférence ne reviendra pas sur les nombreux développements existants dans l’historiographie de ses échanges. Il s’agit bien au contraire d’observer comment la récupération de vocabulaires appartenant à l’un des domaines peu concrètement modifiés l’évolution de l’autre.


Avant même la renaissance, le dialogue entre la peinture et la sculpture est présent. Chez Lorenzo Veneziano, comme pour beaucoup d’artistes vénitiens, les échanges avec les sculpteurs sont importants. Pour le développement d’une spatialité tridimensionnelle, l’artiste vénitien utilise un trompe-l’oeil, cette grande pièce de tissu doré tendue derrière le Christ et la vierge de son panneau central. Pour augmenter la projection des saintes figures dans l’espace du spectateur, il l’accroche sur le cadre sculpté qui entoure le panneau. Le cadre appartient à l’oeuvre, élément physiquement en saillie, il renforce un lien et une matérialité entre l’espace peint et l’espace réel. Le cadre reste un élément d’ornementation qui chez Lorenzo devient un élément d’intercession physique entre l’image et le dévot. La tridimensionnalité de la sculpture et son accessibilité tactile peuvent être considérées comme un élément concret et accessible aux dévots. L’utilisation et le dialogue entre le peintre et le sculpteur permet un renforcement de l’intercession du rapprochement du sujet et de son spectateur.

Ce dialogue entre peinture et sculpture nous le retrouvons aussi chez les primitifs tourangeaux. Les anges de Bueil témoignent d’un adoucissement des formes et des données stylistiques de la sculpture en Touraine. Ce développement est une suite des mêmes facteurs établis en peinture. L’oeuvre peinte comme l’oeuvre sculpturale sont sujettes aux mêmes variations stylistiques. L’avènement de la peinture comme l’art novateur ne peut se faire que dans un dialogue avec le sculpture.

À la renaissance, la volonté de se rapprocher des modèles antiques génère une relation de dépendance de la peinture vis-à-vis de la sculpture. En effet, les seules traces visibles au XVe siècle d’antiquités sont des éléments sculptés. Le peintre, invité à intégrer l’antique dans sa composition, se doit d’observer la sculpture, d’enregistrer son vocabulaire pour pouvoir l’intégrer à sa composition. Le Christ ressuscité de Mantegna témoigne de cette récupération. Le déhanché ainsi que le torse ne sont qu’un basculement d’un vocabulaire sculptural en un vocabulaire pictural. Nous savons que pour son torse Mantegna s’est inspiré d’une oeuvre sculptée de Donatello. La posture n’est pas une invention de l’artiste mais un vocabulaire devenu symbole d’une iconographie. Cette intégration d’un vocabulaire antique sculpté en peinture permet à cette dernière de proposer une élévation de sa nature. Le dialogue avec l’antique est pour les arts, dans cette émergence d’une culture humaniste et pré académique, le moyen de travailler des oeuvres d’après nature, c’est-à-dire qui ont la beauté de cette période passée et sa précision de la représentation du corps. Il est assez étonnant de comprendre alors que la reprise d’un modèle artistique est pour le peintre le moyen de se rapprocher d’une image considérée comme plus naturelle.

Ces échanges entre les deux pratiques artistiques ne consistent pas un simple débat de l’art pour l’art bien au contraire à une qualité d’un renouvellement du vocabulaire jouant sur un effet plus beau et naturel. Par ce témoignage de la culture de l’artiste, le dialogue entre la sculpture et la peinture à la renaissance se fait dans une volonté d’une précision de la représentation et de la vraisemblance. Il y a un paradoxe, l’artiste pour se rapprocher d’une beauté « idéale » doit s’inspirer d’un modèle artificiel pour que son spectateur puisse en apprécier sa vraisemblance naturelle. La monumentalité des masses et de la posture du Christ ressuscité vient appuyer une iconographie relative au pouvoir et à la puissance. La sculpture, reliquat de la période antique, semble être le seul vocabulaire visuel qui est traversé les siècles pour arriver jusqu’aux artistes. Si la peinture reste un art temporel la sculpture semble être un art éternel. Dans la reconsidération du statut de la peinture, son rapprochement avec la sculpture lui octroie un caractère supérieur.

Dans les Flandres, le dialogue entre la sculpture et la peinture est bien différent. Le rapprochement entre les deux pratiques est similaires théoriquement aux fondements italiens. Pourtant les sources sculptées sont bien différentes. L’architecture et la sculpture gothiques sont les grands modèles des peintres flamands. Dans cette Vierge à l’enfant, l’architecture servant de toile de fond figure des ouvertures trilobées renvoyant directement à un modèle gothique. Il en est de même pour ce retable où le panneau central présente une Vierge à l’enfant trônant sous un énorme bâti gothique.

Le débat entre la peinture et la sculpture va changer avec la volonté de revendiquer un statut libéral la pratique artistique. L’art se veut plus mental que manuel. La peinture, ouvrage visuel, semble mieux correspondre à cette vocation de rêverie et de réflexion que la sculpture, ouvrage tactile. Si comme nous l’avons abordé la semaine dernière, le toucher est un renforcement d’une vraisemblance, l’oeuvre devant générer une réflexion, une figuration peinte peut être considérée comme supérieure à une figuration sculptée.

Dans la Sainte-Famille d’après le Caravage, ce Christ dénudé à la pâleur toute sculpturale est une revendication par une certaine mollesse de ses chairs de la douceur et de la sensualité que peut générer la peinture au regard de la sculpture. Le déséquilibre provoqué par une utilisation d’un déhanché renvoie à un principe de masse sculptée, mais ici par son interprétation peinte, offre une incarnation plus convaincante et interprétative. L’organisation du groupe serré dans ce cadre sans aucun autre renseignement spatial que la plaque de marbre sur laquelle il repose démontre une poursuite du dialogue entre sculpture et peinture. Ainsi regroupés, les protagonistes semblent tous physiquement liés comme pour un bas-relief sculptural, le clair-obscur renforçant cet effet de saillie observable en sculpture. La couleur et le vocabulaire de la peinture octroie à cette représentation un sentiment, une dramatique supérieure.

La fondation de l’académie royale de peintures et de sculptures en 1648, dans ce débat entre les deux pratiques artistique, propose une hypothétique hiérarchisation. La sculpture est le point de départ de tout travail de peinture. De nouveaux le dialogue avec l’Antiquité passe par le basculement d’un vocabulaire sculptural vers un vocabulaire pictural. L’artiste doit même si il est rattaché à une pratique peinte se référer à cette antiquité et à cette monumentalité de la sculpture. Le morceau de réception Hercule jetant Lycas à la mer de Michel-Ange Houasse dépeint dans sa composition une concentration sur le groupe composé des deux protagonistes. Cette focalisation sur la représentation du corps conduit l’artiste à une structure sculpturale. La massivité et la position d’Hercule sont de toute évidence de la part de l’artiste la revendication de sa connaissance de la sculpture. En regardant bien, nous pouvons considérer qu’au-delà des quelques détails de paysage ou encore de ce satyre s’enfuyant, le tableau de Houasse est une transposition sculpturale.

Dans le morceau de réception de Jean-Marc Nattier, Persée assisté de Minerve pétrifie Phinée et ses compagnons, nous retrouvons ce même rapport et cette même comparaison. Aux sculptures et bas-reliefs antiques de l’architecture de l’arrière-plan correspond les soldats du premier plan. La pétrification permet à l’artiste de démontrer une certaine suprématie dans la représentation des chairs de la peinture. Le dialogue est ici évident lorsque l’on observe le corps de Phinée. Le torse et la tête sont pétrifiés, ses jambes ne le sont pas. Dans ce jeu de comparaison de figuration du corps, Nattier témoigne d’un débat de plus en plus important de la figuration de l’incarnation. Aux soldats pétrifiés de la partie gauche correspondent ceux encore de chair de la partie droite. Aux gris la pierre correspondent les carnations des corps morts aux corps vivants. Ces variations de teintes permet à l’artiste de témoigner visuellement de sa grande capacité technique.

La représentation de la chair et la sensualité qui en découle devient très rapidement un enjeu d’une suprématie de la peinture sur la sculpture. Le tableau Pygmalion voyant sa statue s’animer en témoigne. La comparaison se fait directement par superposition d’un modèle sculpté et d’un modèle incarné. Le bras de la statue devant ce buste de philosophe dépolie son incarnation et témoigne de cette capacité de la peinture à animer le corps.

Pour Diderot, la représentation de la chair est bien le plus grand défi que la nature est jamais lancée à l’art. C’est la raison pour laquelle la sculpture est à ses yeux incontestablement moins ressemblante que la peinture :

« c’est que la matière qu’elle emploie est si froide, si réfractaire, si impénétrable ; mais surtout, c’est que la principale difficulté de son imitation consiste dans le secret d’abolir cette matière dure et froide, d’en faire de la chair douce et molle. » salon 1765.

L’avènement d’une sensualité et la volonté de toucher le spectateur positionne la peinture comme capable d’émettre cette sensualité et ce réchauffement d’un corps qui en sculpture reste, même s’il est accessible à la main, froid.

La sculpture reste toujours la base la représentation du corps, mais le peintre représente un sensualisme supérieur au sculpteur. Le dessin du corps reste fondamentalement sculptural mais son traitement chromatique lui permet d’être incarné

Sylvie fuyant le loup blessé de François Boucher témoigne d’un détournement de la sculpture pour une perception immédiate de la peinture. Bien que le toucher ne disparaisse pas dans l’évocation et de la qualité matérielle de l’oeuvre, l’avènement du point de vue unique conduit la peinture à se revendiquer supérieure à la sculpture. En observant le désossement appliqué par François boucher dans la construction du corps de Sylvie, nous en comprenons un principe de « copier coller » d’éléments sculpturaux. La jambe droite de Sylvie compose quasiment le socle pour son torse. La rotation dans laquelle se trouve engagé la jambe gauche mais aussi l’ensemble de la partie supérieure du corps semble évoquer la sculpture antique du discobole. Ce qui est étonnant c’est que Sylvie devrait courir, alors qu’en fait elle tourne sur elle-même. Par ce mouvement, François Boucher semble exposer en un seul corps une rotation autour de la sculpture. La primauté du point de vue unique mène l’artiste a évoquer non plus un déplacement physique mais bien un déplacement mental. Le corps en plus d’être incarné en peinture se retrouve déployé spatialement sous toutes ses facettes. Alors que le rapport entre la peinture et la sculpture jouait en faveur d’une beauté d’après nature, la peinture s’émancipe et revendique au-delà de la couleur la capacité à générer un point de vue plus efficace et plus englobant de la construction du corps.

Préoccupé par les effets sur le spectateur, les débats au XVIIIe siècle proposent une polarité : la sculpture, le toucher, le dessin et les anciens d’une part ; la peinture la vue, le coloris et les modernes de l’autre. Cette scission due à Roger de Piles marque profondément et durablement le discours critique qui se développera ultérieurement. Alors que la structure académique s’est construite sur un dialogue et une référence de la sculpture et de la peinture, la sensorialité dans son évocation moderne sépare fondamentalement les deux médias.

Le néoclassique reconsidérera cet échange et cette influence de la sculpture et de la peinture. Dans la vue du forum le soir, Louis Joséphine Sarrasin de Belmont figure un artiste qui a si sur un bloc de ruines croquent un bas-relief encore en place sur la frise. Cette culture classique revendique son lien à l’antique et sa capacité à l’intégrer dans la peinture.

Avec les romantiques, se renforce le principe d’une oeuvre expressive. Ce partage du sensible propose une émancipation de la peinture et de la sculpture au travers de leurs caractéristiques propres. Là où le peintre décompose son sujet en un patchwork chromatique jouant parfaitement une convocation de l’oeil et ensuite du corps, le sculpteur propose au contraire un ensemble d’effets où la dynamique est à la fois renvoyée visuellement mais surtout physiquement. Ainsi à la dynamique des couleurs d’Eugène Delacroix nous pouvons proposer la dynamique de ces petites sculptures de Sirocco ou bien encore de ce cavalier pris dans un mouvement circulaire qui semble plier sa monture et lui-même.

Le rapport entre la sculpture et la peinture s’émancipe alors de toute hiérarchie. Le sculpteur comme le peintre réfléchit sur le caractère propre de son art pour proposer une structure plus formelle et expressive. Nous retrouvons cela illustré dans le Balzac drapé de Rodin. Les masses et les volumes du tissu entourant le corps massif de l’écrivain lui confèrent une énergie toute symbolique. En comparant cette sculpture au portrait de l’auteur par Boulanger, nous voyons comment les deux artistes proposent plastiquement une réponse soient sculpturales soient picturales à l’enjeu de représenter le caractère même du sujet simplement par les spécificités du vocabulaire. À la touche et aux coups de brosse de boulanger correspond les volumes et saillies de la sculpture de Rodin.

Au XXe siècle, la sculpture et la peinture sont devenues deux objets qui questionnent le même principe d’utiliser un vocabulaire matériel pour l’expression de sentiments. La semaine dernière nous analysions par le toucher les deux sculptures du début des années 60 d’Olivier Debré. Cette semaine nous allons arrêter brièvement sur la sculpture de l’artiste américain Alexander Calder. Le mobile est une réponse matérielle à l’immobilisme habituel de la sculpture. Par son animation et son mouvement, l’oeuvre n’est plus simplement un objet autour duquel on tourne mais véritablement un objet qui s’anime face à nous. L’équilibre et le déséquilibre de ses sculptures sur la possibilité de jouer sur un ressenti immédiat et un partage sensible où l’espace le temps et la sensorialité sont immédiatement convoquées. Si les grandes toiles d’Olivier Debré sont une invitation à une certaine introspection par l’englobement physique du corps à la surface du tableau, le mobile d’Alexander Calder est une confrontation plus physique et matiériste avec l’oeuvre. Étonnamment cinq siècles après la mise en place d’un dialogue entre une oeuvre plus mentale, la peinture, et une oeuvre plus physique, la sculpture, nous comprenons bien que malgré un,cheminement et un rapport émancipé, la sculpture et la peinture n’en conserve pas moins cette différence fondamentale entre mental et physique.

Dans notre problématique consacrée à l’espace au temps et à la sensorialité, ce dialogue et ce rapport entre la peinture et la sculpture propose de concevoir comment s’inspirant d’une oeuvre plus matérielle et plus accessible, la peinture en témoigne sa supériorité par cette projection mentale et sensorielle qu’elle convoque. C’est donc par la description et par la circulation du regard à la surface de l’oeuvre que se trouvent générés les sentiments que l’artiste peut y exprimer. C’est bien alors le regard et la description qui fait en partie l’oeuvre. L‘espace et le temps sont consécutifs de la sensorialité.


mercredi 3 novembre 2010

peinture et toucher

Peinture et toucher.


«On ne touche pas la peinture! Seulement avec les yeux.» Voilà ce que l’on peut répéter et entendre dans les salles d’un musée à longueur d’année. Pourtant dans une étroite relation avec une vraisemblance et une réalité suggérée par la peinture le toucher est naturellement convoqué visuellement par le peintre. En effet, si l’oeil permet une première saisie du réel, la main et le corps auquel elle est rattachée le matérialise et le rend accessible. Entre le XIVe et le XXe siècle, l’histoire du tactile en peinture se joue dans une pensée d’une convocation d’un rapprochement de l’espace pictural et de l’espace concret. Que cela soit des contacts entre les différents protagonistes d’une scène, ou bien une revendication d’une matérialité picturale touchant activement le spectateur, la peinture convoque le sens du toucher afin de s’accorder une immersion sensorielle supplémentaire. Aborder l’espace et le temps par la sensorialité nécessite de se poser la question d’un tactilisme de la peinture. Le caractère empirique du tableau jouant sur un impact visuel sur le spectateur convoque naturellement le corps comme intermédiaire. Par les personnages figurés et le spectateur, par le toucher la peinture donne à prendre et non plus simplement à voir la représentation.

Le sens du toucher une mise en place du corps par ses terminaisons nerveuses, en convoquant le sens du toucher les artistes favorisent une projection et un investissement corporel. Le contact est le point où deux corps se touchent. Le contact est une possibilité de localisation et un élément fondamental du développement de l’espace et de la vraisemblance en peinture. Dans le cadre du cycle de conférences espaces temps et sensorialité, le toucher témoigne d’une recherche et d’une volonté à convoquer le corps dans une relation « réelle » avec la peinture. En effet, si la vue est le premier repère spatial, le corps et le toucher en est le deuxième.


L’incarnation consécutive d’un rapprochement entre le divin et le dévot conduit à une représentation tactile et à une accessibilité du corps figuré. Dans la Vierge aux cerises, l’enfant bras tendu semble vouloir attraper les fruits que tient sa mère dans sa main droite. Au-delà de donner une image infantile, les cerises deviennent un objet de convoitise. La peinture doit rendre convaincant ce geste de vouloir attraper et de créer un contact.

Les Vierges à l’enfant sont une iconographie de contact entre la mère et le fils. Marie représente la part terrestre à l’origine de l’incarnation de Jésus. En l’appuyant sur sa mère, cette iconographie renvoie directement au mystère de son incarnation. La Vierge incarne l’intercession entre son fils et nous. Les cerises qu’elle tient dans sa main, sont la preuve sa nature terrestre permettant d’envisager que nous-mêmes nous la touchions. Le corps de la sainte nous est ainsi offert. Les caractéristiques de féminisation perceptibles par les hanches marquées et une poitrine naissante renforce une accessibilité. La Vierge est une interface de contacts entre le dévot et l’enfant.

Le contact et les communications physiques entre les différents personnages d’une figuration religieuse permettent de construire un réseau dans lequel le dévot fait lui-même partie. L’enjeu d’une iconographie dévotionnelle est de mettre en contact les saints personnages avec le dévot. Le tactile permet d’appuyer la relation entre les figures de nature humaine et des figures de nature divine. Si le regard et sa vectorisation ont un rôle didactique et directif, le toucher et les contacts physiques entre les saints personnages jouent du même fonctionnement en convoquant non plus la perception visuelle mais la projection corporelle dans une relation au figures saintes.

Une autre iconographie mettant en scène la Vierge et Jésus joue d’un phénomène inverse. Il s’agit du couronnement de la Vierge. Le geste représenté de déposer la couronne sur la tête de Marie est comme suspendu. La consécration de la Vierge par son couronnement lui confère une nature moins humaine et plus divine. En comparant le couronnement réalisé à Bologne et le couronnement de Lorenzo Veneziano, nous pouvons comprendre cette esthétique du contact par le geste même de la Vierge. En ouvrant ses bras sur le panneau vénitien elle témoigne de l’acceptation de son couronnement. Ce geste peut être analysé comme un mouvement pour enlacer son fils. Même si le contact ou le toucher ne sont pas figurés, la gestuelle permet de les imaginer. La relation entre la mère et le fils est de plus en plus étroite et intime. Comme observé dans la précédente conférence «la peinture, un objet empirique ?», le lien entre la mère et le fils pour la Vierge allaitante figure ce compact et ce toucher d’une intimité où l’enfant saisi pour téter le sein de sa mère.

Cette représentation du contact et du lien physique unifiant la mère et le fils renforce l’accessibilité à la figure de Jésus, mais aussi consacre une part de la divinité de la figure de Marie. En représentant un lien terrestre et incarné, cela rend les figures accessibles non simplement visuellement dans une scène distante mais physiquement et corporellement dans une proximité avec le sujet. Le toucher pour la période des primitifs est un vocabulaire où la figuration sert un rapprochement de l’image et du spectateur. En convoquant ainsi l’incarnation des figures, mais aussi l’incarnation et l’individualité du spectateur, le toucher témoigne de cette mutation de l’image entre le Moyen Âge et la Renaissance.

La communication tactile entre les différents personnages peut définir leur nature. Chez Eustache Le Sueur dans son tableau la Vierge à l’enfant et saint Jean-Baptiste, nous pouvons voir saint Jean-Baptiste soulever et toucher la jambe de l’enfant. Cette figuration renforce la vérification de l’incarnation. En effet, avec la représentation du toucher, l’artiste figure un poids du à la chair. Du point de vue iconographique, cette « vérification » de saint Jean-Baptiste permet de figurer la validation par le dernier prophète de l’incarnation du fils de Dieu. Cela appuie le rapprochement et l’accessibilité à la figure de l’enfant pour le dévot. Le corps présenté ne nous est pas inaccessible bien au contraire, il nous est concrètement et complètement offert visuellement mais aussi tactilement.

Si la vue est le sens fondamental de la peinture, le toucher est une construction et un vocabulaire renforçant l’accessibilité aux figures. Pour la même période du XVIIe siècle, nous pouvons nous arrêter sur le sens du toucher repris à partir d’une estampe d’Abraham Bosse. Ce tableau présente la mauvaise et la bonne utilisation du sens. Commençons par la mauvaise, figurée au premier plan, avec cette jeune femme sur les genoux d’un homme qui s’échangent un certain nombre de caresses. Si dans une image religieuse l’accessibilité aux corps sert à valider l’incarnation et à rendre le saint personnage accessible aux spectateurs, cela ne doit pas être dévoyé dans une image représentant un corps profane et accessible. La bonne utilisation est figurée par la servante au second plan de la composition qui touche les draperies leur douceur et leur qualité tactile. Le toucher est important pour renforcer le lien avec la réalité. Mais faut-il encore savoir ce qui est bon ou mauvais de toucher.

Dans la Sainte-Famille avec saint Jean-Baptiste copie d’après le Caravage, nous voyons se mettre en place une double mise en scène tactile. La main de saint Jean-Baptiste est comme arrêteée ou guideée par celle de Joseph. Saint Jean-Baptiste figure intermédiaire entre la Sainte-Famille et nous , nous met physiquement en contact avec Joseph. Notre circulation au sein du groupe pour arriver jusqu’à l’enfant va donc passer dans un cheminement dévotionel hiérarchisé. Par contact nous passons de saint Jean-Baptiste à Joseph, de Joseph à Marie et de Marie à l’enfant. Le Caravage utilise toujours le principe du toucher comme un moyen de rendre accessible les figures représentées. Mais avec le clair-obscur et l’attention apportée aux teintes et textures des drapés, il semble que le toucher ne soit pas simplement convoqué religieusement. La matière picturale par son épaississement, et par sa mise en place sensible définit autant d’attraits tactiles dénués de toute religiosité. La représentation de la matière convoque le sens du toucher par la perception visuelle comme un plaisir supplémentaire apporté au regard et au corps.

Une nouvelle fois cette bascule de la réception de l’oeuvre d’art d’un régime empathique à un régime plaisant conduit les artistes à développer une convocation du corps non plus simplement religieuse mais sensorielle.

Dans les natures mortes hollandaises, ce principe du rendu de la matière dans un trompe-l’oeil visuel mais aussi physique conduit les artistes à développer de plus en plus ce principe d’un ressenti corporel par le visuel. La nature morte au fromage témoigne de cette recherche et de cette confrontation de textures et de surface différentes, devant générer chez celui qui l’observe un ressenti physique. Les pêches, tout comme les grappes de raisins ou bien encore les deux oranges renvoient à l’expérience et à la connaissance de ces fruits le spectateur qui ainsi retrouve visuellement ce qu’il a pu expérimenter tactilement. Le sens du toucher n’est pas direct, il est remémoré. Tout comme la conférence précédente posait la question de la peinture comme un objet empirique, c’est-à-dire non pas rattachés à la théorie mais à l’expérience, le sens du toucher dans le cadre de la figuration de natures mortes est concrètement convoquées par l’expérience de celui qui observe l’oeuvre. En s’éloignant de thématique religieuse, la peinture propose un ressenti et de s projections corporelles empiriques. Le sens du toucher est « caressé » par le peintre qui joue en de sa virtuosité a représenter la nature externe et tactile des objets pour permettre au spectateur de convoquer son corps et ses expériences sensibles comme une interface supplémentaire à l’observation. Le plaisir sensoriel d’un tableau n’est donc pas simplement visuel, il devient par cette structure du toucher un élément convoquant l’ensemble du corps.

Les peintres du XVIIIe vont par la touche, par la teinte chercher ce partage du sensible. Le dessin contient la forme, permet l’identification visuelle de l’objet. Mais la peinture joue sur la texture. L’artificialité du sujet n’est jamais écartée. La surface picturale devient tactile. Les coups de brosse de Charles de la Fosse ou bien encore les effets de matière du portrait de Nicolas de Largillière sont autant de témoignages d’une matérialisation du tactile non plus remémorés mais revendiqués par la qualité tactile du pigment, de son liant et de sa mise en place. La finesse d’un grain de peau, l’épaisseur d’un velours sont des jeux auxquels se prête le regard pour son plaisir de l’observation de la peinture. La volupté et le partage du sensible sont convoqués par le peintre non comme une simple transparence, mais comme une opacité. L’amateur, dans sa quête d’un plaisir sensoriel, se réjouie de la peinture comme une surface activée où le toucher est directement convoqué. Le contact du pinceau à la surface de la toile témoigne de la trace du peintre. L’esthétique du contact se matérialise comme le témoignage de l’activité créatrice. Le spectateur va se confronter par sa sensibilité à cette activation de la surface. Les toiles de François boucher montre la matière dans son épaisseur et dans sa capacité sensible. Le corps du spectateur ne se projette plus simplement mentalement mais se confronte physiquement à la peinture, à la couleur, à son contact. Cette bascule sensorielle convoque de plus en plus le corps et de ce fait le toucher. Même si la relation n’est pas physique, les empâtements observables témoignent d’une rupture de la vraisemblance pourront renforcer l’impact physique sur le spectateur.

Le ressenti et le sentiment conduit par un principe empirique, questionne l’oeuvre d’art dans le rapport physique qu’elle génère avec son regardeur. Ce partage du sensible dont l’oeuvre est l’interface devient un sujet de développement de la peinture moderne au XIXe siècle. La concrétisation du regard et de sa matérialisation conduit l’objet picturale à devenir une expérience sensorielle et tactile.

Eugène Delacroix dans son tableau de 1848 comédiens ou bouffons arabes présente une matière épaisse, revendiquant son opacité et surtout ayant un traitement uniformisé à l’ensemble de sa surface. L’oeil est bien sûr l’organe visé, nous en avons déjà largement débattu lors des conférences précédentes. Mais ces empâtements et les épaisseurs deviennent l’objet de toutes observations de proximité. Nous pourrions émettre une idée : éloigné le spectateur ne perçoit que le sujet et sa composition. En se rapprochant le tableau devient accessible à la main et étonnamment la touche et la structure peinte deviennent tactiles. Dans une position identique à celle du peintre, le spectateur se retrouve lui-même dans un rapport purement tactile est presque manuel avec la peinture. À portée de main, le tableau figure une surface purement tactile et décomposé.

Nous retrouvons ce même principe chez les impressionnistes, la touche il est encore plus fortement marquée. Revendication d’un geste et d’un contact entre leurs mains, le pinceau, la peinture et la toile, cette fragmentation renforce fondamentalement l’aspect tactile. La surface de l’oeuvre irrégulière, chaotique dialogue avec le spectateur dans un tableau qui ne feint plus l’impression de surface et attire quasiment la main à le toucher. La sensorialité et le tactilisme d’une telle composition matérialise plus qu’elle l’abstrait l’objet même de la peinture. L’oeil reste l’organe visé, mais la main est un intermédiaire nécessaire. La touche témoigne du geste du peintre, et invite quasiment le geste du spectateur.

Le ressenti tactile du tableau n’est plus attaché à son sujet mais à sa matière. Lorsque l’on observe les grands tableaux d’Olivier Debré, nous pouvons être véritablement touchés par les aspects de brillance et de mat de la peinture. Les impacts de la matière crée une saillie, des volumes. Une nouvelle fois ces tableaux sont des exercices visuels. L’oeil est l’organe central du lyrisme et de l’expression. Mais lorsque le corps du peintre est convoqué, que l’échelle du tableau est celle de son réalisateur, la main et le toucher ne sont jamais omis ou écartés. La toile intitulée la Grande grise de 1959 témoigne parfaitement de cette gestuelle et de cet impact de ce contact entre la main et la surface. Comme une réponse à ce tactilisme, les sculptures signes personnages du début des années 60 montre l’impact des doigts d’Olivier Debré et invite la main du spectateur à refaire le geste du créateur.

La peinture reste fondamentalement manuelle bien qu’on veuille en faire un objet intellectuel. Le tactile est en permanence présent. Qu’il soit simplement signifié ou bien concrètement représenté, le toucher est une nécessité pour la peinture, car elle permet de convoquer le corps et donc le réel.

Pour faire correspondre l’espace le temps par la sensorialité, la peinture invite naturellement le toucher à l’exercice visuel de son observation. Combien de textes décrivant des tableaux se réjouissent où s’épanouissent à la vue de réalisation de drapés qui semblent plus doux les uns que les autres. Dans une figuration de la pondération, du poids et de la pesanteur, le toucher reste fondamentalement le sens convoqué. Son activation se modifie au fur et à mesure des évolutions de la peinture mais surtout de sa réception. Pour les artistes le peinture réussie peut être celle qui tout en rendant la réalité fait de sa surface un élément concret de son observation et de sa qualité. On ne touche pas un tableau avec les mains. Pourquoi est-il si dur à certains moments de se retenir, car la main et le toucher en permanence sont convoqués par le peintre dans cette expérience sensorielle de la peinture.