lundi 27 septembre 2010

l'espace pictural en question

L’espace pictural en question.



Un paradoxe fondamental de la peinture repose sur la volonté de représenter un espace tridimensionnel sur un support bidimensionnel. La perspective géométrique est une icône de la modernité spatiale. Pourtant malgré ses moyens techniques, la peinture conserve une organisation architectonique en deux dimensions. La composition d’un espace pictural peut donc être abordée à la fois comme un sujet tridimensionnel, et de ce fait « naturaliste » et un sujet bidimensionnel « idéal ». Les artistes réalisent une structure où une géométrie vient organiser la surface du tableau. L’artificialité d’un trompe-l’oeil repose sur la connivence du spectateur et la structure mentale du tableau témoigne de ce concordat.

« La caractéristique de la peinture, depuis des siècles, a toujours été de développer et de créer sans cesse de nouveaux symboles d’expression, de nouvelles structures expressives. Mais c’est uniquement lorsque les hommes acceptent, quand de nouveaux son ou de nouveaux symboles sont émis par quelques uns d’entre eux, d’y projeter des mécanismes de signification, que ceux-ci parviennent à un plan authentique d’existence. » (Fernande Saint Martin, Structure de l’espace pictural, éditions HMH, Montréal, 1968, p. 13). La construction ou la composition d’un tableau repose sur les effets et les symboles recherchés. Dans le cycle espace temps sensorialité, cette signification nous conduit à concevoir l’espace en peinture comme une surface de composition, à la fois organisée en deux et en trois dimensions. La perspective géométrique qui semble « ouvrir une fenêtre sur le monde » se structure sur une grille géométrique bidimensionnelle.

« L’essentiel, à mes yeux, serait que l’on reconnaisse la nécessité d’étudier les oeuvres de la peinture comme un système de signes et qu’on n’y applique les méthodes rigoureuses d’interprétation qui ont assuré le progrès de tant d’autres sciences. Il ne suffit pas de voir dans un tableau un sujet anecdotique, il faut scruter le mécanisme individuel et social qui l’a rendu lisible et efficace. Une oeuvre d’art est un moyen d’expression et de communication des sentiments ou de la pensée. » (Pierre Francastel, Peinture et société, Denoël et Gonthier, Paris, 1977, p.10)

Un tableau n’est pas un objet comme un autre, il n’appartient plus à une construction uniquement artisanale, l’espace figuré ou utilisé doit être un moyen expressif de communication. L’oeil ne donne pas une perception spatiale complète, il n’y a pas d’engagement du corps à proprement parler dans les espaces figurés. Le tableau peut être perçu comme une surface active et projective. Pour son efficacité le peintre va donc utiliser les moyens de lignes, de formes. Le plan ainsi consciemment construit est lui-même un sujet d’étude. Questionner l’espace pictural s’est simplement de construire ses effets de composition.


Les fonds d’or des oeuvres sur bois des primitifs italiens rabattent ou aplanissent l’espace pour présenter les saintes figures. Cette absence d’un cône perspectif témoigne d’une organisation géométrique. Pour équilibrer la composition et l’occupation de la surface de l’oeuvre, les artistes se reposent des grilles. Chez Naddo Ceccarelli, les informations spatiales sont minimales. Une bande marron à motifs curvilignes figure un sol en marbre. Pourtant l’artiste unifie les deux registres de son diptyque par des motifs décoratifs incisés directement dans le fond d’or et par les regards et échanges entre chaque personnage créant ainsi des lignes et des liens. Sur le registre inférieur, le roi mage le plus à droite regarde l’ange qui se trouve sur l’autre panneau en haut à gauche. Pour le panneau de gauche, le roi mage agenouillé devant la vierge à l’enfant, compose une diagonale. Cette ligne dynamique rompt avec la stabilité des autres postures.

L’élaboration d’un réseau de lignes accompagnant ou s’opposant au cadre permet aux artistes de structurer et de rendre dynamique leur composition. Ces lignes sont une grille sur laquelle l’artiste vient apposer sa composition.

Le cadre physique de l’oeuvre en devient le repère spatial. Chez Lorenzo Veneziano, les anges musiciens s’organisent sur la place laissée par le cadre. Ce dialogue entre surface disponible et organisation interne, témoigne que la spatialité du tableau est avant tout un fait matériel et physique.

Les panneaux de prédelle d’Andréa Mantegna sont comme nous l’avons déjà souligné de grandes dimensions. Les développements « paysagistes » témoignent d’une vraie volonté d’ouvrir la fenêtre. Pourtant si nous analysons les «lignes de force», c’est-à-dire l’organisation sur une grille géométrique des principales lignes figurées, l’artiste italien conserve ses effets dynamiques. L’arbre mort cadre le Christ priant au jardin des oliviers, ce dernier se trouve être le sommet d’une pyramide ou d’un triangle dont la base est formée en les apôtres. Cette composition permet à Mantegna un effet d’élévation. Conséquence d’une volonté perspective, elle est une organisation dynamique et valorisant par un traitement géométrique en deux dimensions, la mise en place plastique et picturale du Christ. Cette triangulation se retrouve dans la résurrection. La perspective géométrique malgré la troisième dimension qu’elle feint, reste une structure triangulaire. Le Christ se retrouve une nouvelle fois le sommet, le triangle réorganise la surface rectangulaire du panneau.

Ces effets dynamiques servent à organiser le champ pictural comme une surface active. Ces lignes guident le regard dans sa circulation. Ces principes d’ornements (détails destinés à la décoration, à l’embellissement d’une composition artistique) ne sont pas accessoires mais nécessaires pour rendre l’oeuvre expressive et sensitive. La multiplication des détails dans la composition sert de structure même à l’espace pictural.

L’architecture gothique sous laquelle trône la vierge à l’enfant de ce retable avec Saint-Jean et Sainte Madeleine joue parfaitement ce rôle d’ornement géométrique et actif. Elle individualise et singularise les personnages les plus importants tout en rajoutant des détails embellissant la composition. Les peintres flamands jouent de ces ornements géométriques voire même artistiques. Dans le petit panneau de la messe de saint Grégoire, la mise en abîme d’une image dans l’image permet de questionner l’espace pictural. Le Christ debout sur l’autel se trouve à côté de sa face inscrite sur le linceul lui-même devant un tableau d’autel sur fond doré. Ce qui n’est à l’origine que détails et ornements, renforce la vraisemblance et l’incarnation du Christ debout.

La géométrie comme support de la composition appuie des principes de composition superficielle, c’est-à-dire de surface, nécessaire à l’organisation plastique du tableau. L’oeuvre s’organise comme un maillage de lignes dynamiques.

Au XVIIe siècle, la diagonale et le triangle vont se retrouver, dans un caractère ornemental, accompagné de la courbe. La volonté de plaisir revendiqué dans la composition, à partir de la période baroque, complexifie cette structure superficielle, continuant à guider et à allonger le temps de regard à la surface de l’oeuvre.

Les compositions des deux tableaux de Providoni, présente une organisation plastique où le regard par les lignes dynamiques du tableau est ramené inexorablement aux scènes de martyrs. L’architecture et les groupes de personnages forment un réseau qui conduit l’oeil à s’élever, a balayer l’ensemble de la surface pour mieux revenir à la scène principale. Ces deux oeuvres maniéristes jouent de l’ornementation sans pour autant dissoudre le principe de concentration. Malgré une composition qui semble beaucoup plus diffuse, l’artiste italien joue avec le format de son oeuvre pour que le regard circule mais ne se perde pas. Les artistes prennent conscience que le tableau est perçu avant tout dans sa totalité, mais que pour que la composition puisse mettre en avant la scène il faut concentrer le regard. Par des ruptures, comme la courbe par rapport au format rectangulaire du tableau, les artistes font circuler le regard d’une manière plus douce mais toujours dirigée. La courbe assouplit la composition mais conserve une volonté didactique. Les motifs arabesques deviennent le moyen de conduire en souplesse le regard du spectateur sur le sujet.

Les structures géométriques sont ornementées, voire agrémentées de détails. Le peintre français François Boucher utilise ses effets que l’on pourrait qualifier décoratifs. Dans Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, la composition géométrique offre de structures triangulaires. La première ayant comme base la partie supérieure du tableau, pointe en bas. La seconde est un triangle composé de la bergère et d’Apollon, pointe en haut. Cette structure se reposant sur les diagonales est animée par des angelots ou bien encore les vêtements des deux personnages principaux. Les courbes et contre-courbes accompagnent la structure primaire.

Dans l’oeuvre Sylvie fuyant le loup blessé, Boucher utilise à d’autres fins ses effets. Les vêtements de Sylvie s’enroulent autour de son corps, ou inversement, et servent de fils conducteurs au regard qui ainsi caresse en souplesse l’ensemble du corps de la nymphe. Nous pourrions multiplier les exemples de ces constructions où une structure géométrique est allongée ou ornementée de ce phénomène.

Pour mieux répondre à cette volonté de regard, les artistes développent un vocabulaire reposant d’un effet de surface et non pas d’un effet de profondeur. Cette structure de l’espace pictural est accompagnée d’effets chromatiques ornementaux, Les couleurs jouant le révélateur et l’embellissement de l’oeuvre.

À la géométrie primaire organisant un sujet narratif, à partir du XVIIe siècle les artistes vont lier un principe chromatique jouant sur des aspects sensitifs. La couleur comme la ligne sont les fondamentaux d’une composition picturale. Prendre conscience que le sujet est composé signifie que l’espace pictural n’est pas conduit par le sujet mais inversement que le sujet est conduit par la volonté de composition. La surface picturale n’est donc en aucun cas uniquement un trompe-l’oeil. L’empathie, la volupté ou bien encore le plaisir sont des éléments fondamentaux de la qualité expressive du tableau. Les artistes doivent lier la précision d’une représentation naturaliste et la construction idéale permettant de générer le plaisir. Comme cité en introduction, un tableau n’est pas un objet artisanal, il doit fondamentalement être un objet dépassant sa simple construction matérielle. Les artistes réfléchissent et organisent de la surface de l’oeuvre et non pas simplement sa vraisemblance. L’animation de la surface picturale guide le regard du spectateur vers le sujet principal, mais cette théâtralité dialogue avec la subjectivité du créateur et du regardeur.

La culture classique repose sur une volonté d’une géométrie idéalisant la représentation. Le conflit qui oppose ouvertement les tenants de la couleur et du dessin incarne le questionnement des effets de composition et de surface. En effet, la peinture n’est pas qu’un réseau de lignes géométriques permettant de concentrer l’attention du spectateur sur l’oeuvre en elle-même, elle est aussi une surface chromatique jouant des effets « psychologiques » et compositionnelles de la couleur. Les courbes et contre-courbes ornementales s’accompagnent d’effets de teintes qui sont autant de qualités propre à la peinture.

Un tableau est une expression de l’artiste, son organisation de surface est la conséquence de sa réflexion sur l’établissement de son sujet. Au XIXe siècle, nous observons une bascule. La géométrie classique d’organisation du sujet disparaît pour laisser place à une culture visuelle de la surface. En effet, quelles que soit la construction le tableau, l’oeil prend la surface peinte dans son intégralité. Devant l’échec du détail, les artistes vont construire et développer un régime surperficielle de l’oeuvre. Ces développements se font en accompagnement des avancées des sciences de la perception. La logique d’une perception centrée laisse place à une perception excentrique. La couleur devient le moteur de ce recouvrement intégral d’une oeuvre, surface expressive complète. Les structurations géométriques ayant servi jusqu’ici de faire valoir à la composition et de mises en avant de son régime historique sont remplacées par un principe contemplatif et sensoriel.

L’espace pictural changeant de fonction sa composition se modifie. Eugène Delacroix dans son oeuvre de 1848 Comédiens ou bouffons arabes, compose son tableau non comme une concentration sur le sujet même de l’intitulé, mais sur un champ chromatique devant permettre à l’oeil d’être touché. Le mariage entre la couleur primaire rouge et sa complémentaire verte génère dans la composition du peintre le blanc. La concentration du regard se fait par une diffusion sur cette surface chromatique de ce phénomène additif résultant sur du blanc. Il se retrouve répéter tout les plans de profondeur de la toile. Au premier plan par ce « patchwork », dans la scène principale avec le personnage rouge, ou bien encore au fond avec ce même personnage en rouge cheminant. Il n’y a plus d’effet centrifuge mais au contraire une répartition et une occupation de composition sur la surface complète du tableau. L’oeuvre se regarde comme un tout, ou l’ornemental sert de raison au tableau, sa fonction devenant sensitive.

La structure géométrique demeure un moyen d’organisation générale du tableau. L’oeuvre de 1878 de Claude Monet témoigne de ces reliquats. Le X qui barre l’ensemble de la composition du Bras Seine près de Vétheuil, constitue pour le regard une accroche justifiant que de loin l’oeuvre semble représenter un espace tridimensionnel. Pourtant la technique de la touche et la dilution du sujet conduit à ne voir qu’une impression est non pas une représentation.

La surface picturale par son activation devient un enjeu sensoriel. La touche, l’empattement, et les effets de matière attachés à la nature unique de la peinture sont pour les peintres le seul motif justifiable pour le tableau.

Ce dernier poursuit l’enjeu de structurer l’espace pictural pour en faire un objet expressif. Par la visibilité de l’acte dans la mise en place de la matière, les artistes modernes cherchent à revendiquer leur propre subjectivité. Alors que la qualité d’un artiste des périodes précédentes se trouve dans une analyse de sa composition, la période moderne revendique que dès l’impression nous sommes face à une subjectivité expressive.

La bascule vers l’abstraction peut être considérée comme une simple poursuite de l’activation subjective de l’espace pictural. Les toiles d’Olivier Debré, le dessin de Zaou Wou Ki ou encore de Geneviève Asse revendique un espace pictural autonome. Surface d’expression, de plein et de vide, la peinture revendique son caractère purement visuel.

L’oeil ne reconstruit la réalité que sur un questionnement de pleins et le vide et en aucun cas sur une quelconque présence physique. L’organisation d’un espace pictural se veut être un objet visuel efficace dans sa communication et sa volonté d’englober visuellement le spectateur. De tout temps, la peinture malgré sa volonté de mimésis recherche une organisation superficielle permettant efficacement la retranscription et la représentation d’un sujet. La surface est en aucun cas transpercée par le peintre mais exploiter comme une possibilité expressive.

L’espace en peinture est de nature compositionnelle et expressive. En accord avec son temps, la structuration d’un tableau n’en reste pas un jeu de surface de lignes et de formes.

lundi 20 septembre 2010

paysages pittoresques

Paysages pittoresques


Cette première conférence du cycle « espace temps sensorialité » présente un panorama chronologique de la représentation du paysage dans la peinture XVe au XXe siècle.

L’adjectif pittoresque signifie «qui frappe l’attention par sa beauté, son originalité. Original vivant coloré.» La représentation du paysage en peinture se veut pittoresque car la figuration d’un espace n’est en aucun cas une anecdote mais l’élévation de la nature par sa transposition picturale. Le paysage n’est pas originellement un genre autonome, mais se construit en toile de fond des récits. Avant d’approfondir la notion d’espace en peinture, cette conférence se veut une démonstration d’une généalogie menant le thème du paysage à devenir l’un des moteurs des réformes modernes de la peinture entre le XIVe et le XXe siècle.


Premier exemple de cette conférence, les deux panneaux de prédelle d’Andrea Mantegna datant 1457 - 1459. L’artiste renaissant développe dans le premier panneau, Le jardin des oliviers, une scénographie où le décentrage de l’action laisse une grande place à l’observation d’un paysage aux abords de Jérusalem. La dimension hors normes de ces panneaux de registres inférieurs, mesurant quasiment 90 cm à 60, offre une surface suffisante pour développer l’ensemble des détails d’un paysage terrestre. Mantegna, peintre érudit, revendique dans Le jardin des oliviers que le tableau est réellement une « fenêtre ouverte sur le monde ». Cette phrase présente dans l’ouvrage du théoricien florentin Léon Battista Alberti marque le tournant dans le développement et la représentation d’espace terrestre. Les trois quarts de la surface du panneau de Mantegna deviennent le lieu du développement d’une tridimensionnalité du paysage. Dans un souci de vérité historique Mantegna s’inspire d’un texte datant de 70 après Jésus-Christ pour représenter Jérusalem. La ville dans l’angle supérieur gauche du panneau est un marqueur topographique de l’action du cycle de la passion du Christ. Nous la retrouvons dans chacun des trois panneaux unifiant ainsi l’action dans un seul et même lieu. Jérusalem forme l’arrière-plan de la représentation du jardin des oliviers et est reliée au récit à l’opposé, par un chemin empreinté par les soldats et Judas. Mantegna unifie l’intégralité de son paysage par la circulation. Ces déplacements sont narratifs, alors que le Christ prie au jardin des oliviers, les soldats progressent avec Judas et son arrestation est imminente. Dans le second panneau, la résurrection, Mantegna figure la même temporalité. Le paysage est visuellement moins détaillé, l’ensemble de la composition se focalise sur la figure ressuscitée du Christ au centre, en observant le chemin qui mène de Jérusalem jusqu’au tombeau nous pouvons y voir marcher deux femmes se dirigeant vers le premier plan. Lorsqu’elles arriveront le tombeau sera vide. L’unité spatiale des paysages chez Mantegna se fait par des déplacements en lien avec le récit figuré. La « fenêtre ouverte sur le monde » est comme l’écrit Alberti «une fenêtre sur l’histoire». Le paysage est un support visuel tridimensionnel au récit.


En progressant dans la chronologie, le retable flamand représentant la vierge à l’enfant entourée de Saint-Jean et de Sainte Madeleine présente lui aussi un cadre naturel en fond. Chaque panneau présente une spatialité propre en incohérence avec celle des autres. Les lignes d’horizon ne sont pas les mêmes et les détails figurés ne correspondent. Cela individualise les deux panneaux latéraux du panneau central. La campagne représentée derrière les deux saints personnages des panneaux latéraux reflète une campagne flamande. En effet, nous pouvons voir une ferme, un système de bocage et de champs, donnant une image terrestre des plus contemporaines. Le paysage est moins historique pour rendre plus proche les saints. les artistes flamands figurent un paysage local, humanisé, transformer par l’homme.


Cet aspect vernaculaire se poursuit au siècle suivant dans les développements du paysage hollandais du XVIIe siècle. Le Paysage avec ruines figure au premier plan une action contemporaine sur fond d’un paysage où les ruines antiques idéalisent la représentation spatiale. Même si l’anecdote du premier plan est concrètement contemporaine, l’artificialité des bâtiments l’intellectualise.

Plus réformatrice la Marine deJan van Goyen illustre les grands bouleversements du paysage. Le sujet est anecdotique et n’a aucune valeur historique. Plastiquement, l’artiste abaisse complètement la ligne d’horizon. Alors que chez les primitifs flamands, où encore dans le paysage avec ruines, la ligne d’horizon se trouve au-dessus de la moitié verticale du tableau, ici elle se retrouve dans le quart inférieur. Le paysage devient le reflet de la réalité prise du point de vue de l’homme. En devenant autonome le thème du paysage en devient plus humain, à la fois dans son action mais aussi par son point de vue. Dénué de tout intérêt narratif, ce thème devient purement contemplatif.


La peinture française du XVIIIe siècle est influencée par ce développement du paysage hollandais. Ainsi le tableau de Houel intitulé Paradis près de Chanteloup, réalisé pour le duc de Choiseul en 1769, présente des caractéristiques similaires pour sa construction spatiale. La ligne d’horizon se trouve en dessous de la ligne horizontale médiane. Le point de vue semble à hauteur d’homme. La construction spatiale se repose une perspective géométrique du jardin au premier plan, mais est déformée pour répondre à l’accrochage final du tableau. En effet, le peintre reçoit la commande de réaliser des « dessus de porte », pour que l’espace reste cohérent quant au point de vue du regardeur, il déforme sa perspective pour qu’elle soit correcte en regardant le tableau en contre-plongée. Le point de vue de la figuration du paysage, est extérieur. Le paysage autonome reste un principe de composition pictural.

Cette artificialité se retrouve dans les incohérences lumineuses du morceau de réception paysage Soleil-Levant de Julliard. En étudiant la source de lumière naturelle venant de l’angle supérieur gauche, nous découvrons que les rayons du soleil passent au travers des arbres et des rochers. L’idéalisation du paysage conduit les artistes à rechercher des effets visuels artificiels servant que la composition pittoresque. La représentation de la nature est en aucun cas une recherche d’exactitude. Depuis le paysage idéal du XVIIe siècle, le peintre a comme mission d’élever son sujet à une réalité supérieure. Le paysage n’est en aucun cas une cartographie du territoire. Il est un appareil visuel et intellectuel.

Toujours pour le XVIIIe siècle, nous pouvons regarder le tableau Demachy représentants une vue panoramique de Tours en 1787. L’artiste représente la ville prise la berge nord de la Loire. Document historique il faut pourtant avoir conscience que l’artiste ne s’est jamais déplacé jusqu’à Tours, s’appuyant sur des relevés architecturaux et descriptifs, il va développer une représentation assez exacte de la ville sans jamais s’y être confronté. L’ensemble des tableaux du XVIIIe siècle sont réalisés en atelier. La composition reste un exercice d’intérieur. La peinture de paysage reste fortement compositionnelle et idéale.

La vue des cascatelles de Tivoli et du temple de la Sybille de Hue nous renseigne sur un autre conflit et un autre développement de la peinture de paysage. Dans la hiérarchie des genres, le paysage se trouve être au milieu. Il ne peut pas fondamentalement s’épanouir sur de très grand format, réservés à la peinture d’histoire. Pourtant ici nous avons un paysage aux dimensions imposantes où l’homme semble complètement minoré. Dominé par les cascatelles mais aussi le temple, un philosophe se trouve être une petite présence dans cette immense espace naturel. Le paysage n’en reste pas moins idéal, motivé par une ruine et un élément naturel exceptionnel. Cette théâtralité de la scénographie se retrouve dans ses effets.


À la bascule entre le XVIIIe et le XIXe siècle, Valenciennes définit le paysage historique. Ce dernier ne peut exister dans son autonomie que par son rattachement à un fait historique. Dans une poursuite de libéralisation de la représentation du paysage, sa valeur est historique. Les tableaux Vue du forum le soir et Vue du forum le matin témoignent de ce caractère historique et de l’intérêt à la ruine. L’artiste Sarrasin de Belmont présente des vues du forum comme des champs de ruines sous une lumière matinale ou crépusculaire. La multiplication des références à des peintres du passé comme par exemple Claude Lorrain avec ce soleil visible démontre que l’artiste cherche à s’inscrire dans une généalogie artistique des vues d’Italie. Il s’agit pour elle de témoigner de son attachement au paysage idéal. Le paysage historique est un remontage intellectuel et artistique valorisant la représentation de l’espace et mettant en avant le degré de connaissance artistique et intellectuel. La représentation de la nature n’est donc en aucun cas un élément autonome.


Le voyage et le déplacement deviennent pour les artistes un sujet en soi. Rome ou bien encore l’Orient sont des sujets de prédilection. Les tableaux n’en restent pas moins des compositions d’ateliers où les enjeux picturaux prévalent. Ainsi L’Oasis de Belly représentent autant le sujet que les impressions. Cet artiste joue sur un empattement important pour donner des impressions de chaleur et de flottement. La décomposition picturale dissout le sujet dans un exercice de peinture. La modernité s’approprie l’artificialité de la représentation de la nature. Bien que toujours inspiré par un élément concret, le peintre fait une oeuvre manifeste de la couleur et de la matière. Le tableau devient une expérience visuelle face à la nature de la peinture. L’observation est élevée pour toucher le spectateur.


Le paysage est un sujet d’absorption. Les impressionnistes vont élever ce thème comme le symbole de la modernité. La décomposition par la touche du sujet revendique l’exercice du peintre et la qualité de la matière comme interface sensible. Le tableau de Claude Monet intitulée Un bras de Seine près de Vétheuil illustre ce principe. Le choix du paysage et du point de vue n’est en aucun cas hasardeux. Pour que le sujet soit beau et plastiquement intéressant il doit être pittoresque. La grande révolution se trouve dans la possibilité de peindre en plein air et au milieu du sujet. Mais La sélection se fait pour les caractères picturaux de la nature. Dans ce tableau la frontalité de la frondaison des arbres permet à Monet d’aplanir son sujet. La touche, symptôme impressionniste, est ici traitée différemment suivant l’objet, la Seine présente des touches horizontales, les arbres des touches circulaires. La peinture dans son autonomie semble retranscrire les caractères propres à chaque élément. Ce n’est plus le sujet qui induit la représentation mais les qualités humaines de la représentation qui conduit le sujet. Les deux arbres au centre de la berge forment un V qui avec le reflet à la surface de l’eau donne une croix ou un X. Ainsi dans une vision lointaine le tableau conserve une impression de profondeur. Mais lorsque le spectateur se rapproche, la touche se révèle comme le le sujet. Tel un décor de théâtre, les tableaux impressionnistes jouent sur deux temps d’observation. Le premier lointain semble nous offrir un élément concret. Mais lorsque nous nous approchons ils nous offrent la réalité de la matière. La peinture devient le seul sujet, la seule matière capable de retranscrire les impressions lumineuses d’un paysage. L’opacité de la surface du tableau cherche à rendre les impressions visuelles et l’expérience du regard. La dissolution des sujets correspond à la recherche d’une exactitude des phénomènes visuels en peinture. Le tableau de paysages est une invitation à une expérience sensorielle.


Pour terminer ce bref panorama d’une évolution de la peinture de paysage dans les collections du musée des beaux-arts, Olivier Debré et le tableau de 1976 Longues traversées gris bleu de Loire à la tâche verte. La nature est le point de départ de la peinture abstraite d’Olivier Debré. Ce peintre lyrique cherche non pas l’exactitude mais les impressions laissées dans le paysage. L’expérience du réel ne se fait pas uniquement par la vue mais par le corps entier. La monumentale dimension des formats des tableaux d’Olivier Debré en relation avec la Loire, les rend quasiment panoramique. Les champs colorés ainsi exposés deviennent le moyen d’inclure le spectateur dans la seule réalité du paysage en la peinture: la couleur. La disparition du sujet ne semble pas anormale.

Dès son origine le paysage figure un élément idéal qui sert à la composition du peintre. La peinture abstraite s’appuie sur ce traitement sensoriel de la représentation de la nature pour rapprocher le spectateur du sujet. La peinture de paysage avant même son autonomie est un espace chromatique générant des impressions de proximité. L’artificialité a toujours été une qualité même du paysage.


Entre le XIVe siècle et le XXe siècle, la peinture de paysage s’est construite comme le réceptacle terrestre permettant de rapprocher l’observateur du sujet. Le développement d’une spatialité tridimensionnelle se repose sur la capacité du peintre à figurer le paysage. Ce dernier est pittoresque car construit dans une logique d’idéalisation et non de simple naturalisme. Cette brève histoire du paysage, orienté vers le thème du cycle de conférences espace temps sensorialité, montre à la fois la poursuite mais aussi les points communs qu’il peut y avoir entre un artiste du XVe siècle et un autre du XXe. La peinture se veut l’enregistrement de l’espace concret et sa représentation. Elle est une surface sensible que la construction du paysage rend plus accessibles au regard. Le partage du sensible entre le XVe et le XXe siècle se retrouve dans ce thème du paysage. Images concrètes et toujours idéalisées le paysage est pittoresque car en peinture il est toujours plus beau, plus coloré, original.

lundi 13 septembre 2010

Espace temps sensorialité introduction.

Espace temps sensorialité introduction.


Cet automne au musée des beaux-arts de Tours, nous poursuivons les questionnements de l’oeuvre d’art et de ses interactions sociales. Le cycle «Espace temps et sensorialité» essaiera de décrypter les relations étroites entre l’évolution de la représentation spatiale, l’exercice intellectuel et individuel généré par l’oeuvre et enfin la temporalité qui ressort d’un travail artistique par son observation. L’acquisition de l’oeuvre peinte n’est pas simplement un objet spatial mais par son expérimentation un objet temporel.

Le thème de ce cycle est directement venu de mes travaux de recherche doctoraux. Depuis cinq ans maintenant je mène à l’université François Rabelais un doctorat sur l’artiste allemand Raoul Hausmann et sa réflexion l’optophone. Cet appareil devant permettre aux aveugles d’entendre la lumière, est un système de prothèse appartenant aux réflexions artistiques du début du XXe siècle pour une oeuvre expérimentale entre celui qui la crée et celui qui la pratique.

Entre 1921 et 1922, dans deux textes : le Manifeste du présentisme et Optophonétique, Raoul Hausmann déclare vouloir transformer fondamentalement l’expérience et l’existence physique de l’oeuvre. Pour lui, la perspective et tous les principes géométriques de construction de l’oeuvre sont des systèmes dépassés. Pour qu’une oeuvre soit efficace et fonctionnelle, il faut qu’elle englobe sensoriellement le spectateur. S’inscrivant dans un principe de philologie, Raoul Hausmann ne déconstruit pas les valeur des oeuvres passées mais cherche à actualiser une oeuvre en osmose avec son temps. Au sein des deux manifestes, il déclare que la construction spatiale et temporelle de l’oeuvre doit inclure la logique sensorielle. Pour lui une oeuvre d’art est donc un élément d’espace , de temps et de sensorialité. Arriver à générer un tel processus artistique conduit à l’émergence d’un sixième sens.

Dans le cadre de ce cycle, je veux mettre en place le principe de l’expérimentation de l’oeuvre d’art. Les évolutions spatiales et temporelles de l’oeuvre pour sa réception, explique ou éclaire une nouvelle fois les évolutions plastiques mises en oeuvre par les artistes.

En se focalisant sur la peinture, nous cherchons à comprendre les enjeux du dépassement de la planéité de l’oeuvre. La tridimensionnalité de la perspective géométrique, que nous avons déjà abordé dans le cycle précédent «Transparence et Opacité» fait cohabiter le cône visuel de l’oeil du spectateur et un espace feint par un système mathématique. Le paysage, les décors, les descriptions deviennent des éléments moteurs d’un allongement et d’une réflexion consécutive à l’observation de l’oeuvre. Au travers de 12 conférences nous essaierons de décrypter les méthodes d’évolution et d’interaction sensorielles générées par le tableau.

le cycle passeport pour l’art conserve ses enjeux: À la fois éclairer les collections du musée et permettre au plus grand nombre de se les approprier, repositionner les grandes signatures mais aussi des grands mouvements artistiques afin d’avoir un réel passeport pour accéder dans les meilleures conditions aux collections, aux expositions et à tout objet artistique visible ultérieurement et à l’extérieur du musée. Mon approche de l’histoire de l’art se repose sur une logique de continuité et d’évolution de l’oeuvre depuis le XIVe siècle jusqu’à nos jours. Pour moi, l’oeuvre d’art évolue comme la société autour d’elle et dans un dialogue s’infléchissent réciproquement. Les enjeux empathiques, sentimentaux, voluptueux de l’oeuvre ne sont que des reliquats essayant à chaque période de faire cohabiter l’art avec la perception du monde.

L’espace et le temps forment les quatre dimensions de notre réalité. Les artistes dans une logique de mimésis cherchent que l’oeuvre ait d’un point de vue sensoriel et expérimental cette même valeur , ces quatre dimensions. Les évolutions des connaissances scientifiques, mais aussi philosophiques génèrent un réflexion que l’artiste se doit d’intégrer pour que son oeuvre soit la plus actuelle possible.

Pour en revenir au texte de Raoul Hausmann, dans le Manifeste du présentisme, publié en 1921 dans une revue avant-garde hollandaise, l’artiste milite pour que l’oeuvre s’intègre parfaitement dans son temps. Ce caractère présentiste par obligation nécessite d’intégrer concrètement et complètement toutes les nouvelles données scientifiques. L’électricité, la naissance du cinéma parlant, génèrent chez un certain nombre d’artistes du début du siècle un fantasme une possibilité d’un spectacle englobant intégralement le spectateur dans une expérimentation sensitive. Ces enjeux de l’avant-garde ne sont que les réminiscences de questionnements artistiques antérieurs. Raoul Haussmann appelle à la philologie comme modalité de réflexion. La philologie peut être considérée de trois points de vue : elle vise à saisir, dans leurs manifestations linguistiques, le génie propre d'un peuple ou d'une civilisation et leur évolution culturelle ; elle résulte de l'examen des textes que nous a légués la tradition en question ; elle embrasse non seulement la littérature, mais tout l'écrit. Dans la pratique, la philologie tend à se ramener à l'interprétation textuelle des documents. La philologie se repose sur les acquis historiques afin de proposer un dépassement et une progression. La genèse d’une peinture moderne au début du XIVe siècle est le miroir de l’évolution d’une société qui se perçoit, en s’appuyant sur les bâtis passés entre autre du modèle antique, en train d’évoluer et de le dépasser dans une logique progressistee.

Les enjeux de la figuration de l’espace et du temps, engage donc l’oeuvre d’art à devenir un exercice physique et intellectuel. Nous y reviendrons mais l’évolution de la figuration de l’espace en peinture ne peut se faire qu’avec le développement d’une logique narrative et descriptive des qualités de l’oeuvre.

La temporalité devient terrestre lorsque le tableau se veut le miroir du monde habité et empirique. La disparition des fonds d’or pour «une fenêtre ouverte sur le monde» ne peut se faire que dans la quête d’une mise en place d’un objet représenté, temporellement contemporain de son observateur. C’est en cela que l’oeuvre d’art est à la fois un témoin de son temps, mais aussi un objet inclus dans un espace et dans un temps propre. Même si nous ne sommes pas un spectateur du XIVe siècle ni du XVIIIe, l’oeuvre conserve ses caractéristiques internes d’espace et de temps obligeant le spectateur au dialogue et faisant d’elle un objet générant du sentiment. Avec une petite pointe d’ironie nous pourrions donc dire que la mise en place contemporaine d’une oeuvre, lui confère par l’exercice spirituel qu’elle génère une certaine intemporalité.

La cohabitation entre un référent espace temps artificiel, celui de la peinture et un référent espace temps réel celui du spectateur joue donc d’une modalité interréférentiel où la cohabitation et la fusion des deux doient être optimales pour un principe empirique et empathique.

L’oeuvre d’art n’est donc pas un simple objet du regard mais véritablement une invitation au corps. Derrière cet enjeu se trouve la négation ou la glorification du corps face à la peinture. Entre une spiritualité religieuse et dévotionnelle ou voluptueuse et charnelle, les conséquences sur l’interprétation de l’information visuelle son bien différentes.


La première conférence est consacrée aux paysages en peinture. Intitulée «Paysages pittoresques», elle reviendra sur l’évolution de ce genre du 14e au XXe siècle témoin à la fois de la sélection du sujet, recouvert par le terme de pittoresque : digne d’être représenté en peinture, et du caractère sensoriel allant jusqu’à la disparition même du sujet pour laisser place aux champs colorés. L’ l’abstraction lyrique d’Olivier Debré peut se lire comme une poursuite d’un dialogue entre l’espace pictural et l’espace naturel. Le caractère artificiel et expressif de l’oeuvre repose sur un dialogue avec les sensations et les enjeux de partage de la peinture. Comprendre l’évolution de la représentation de l’espace, d’abord narratifs puis autonomes, éclaire sur plus d’un point l’évolution et la représentation du réel.


La seconde conférence est consacrée à «L’espace pictural en question». En effet, l’artificialité de la peinture repose sur sa qualité de trompe-l’oeil. De tout temps la surface peinte est comprise comme bidimensionnelle. Or pour une interaction avec les trois dimensions de la réalité, les enjeux de la composition se reposent sur une acceptation du trompe-l’oeil par le spectateur. L’espace pictural n’est donc en aucun cas un espace réel mais bien concrètement et complètement artificiel. L’élaboration et la recherche du dialogue entre surface et profondeur peut être analysés comme un des fondamentaux de l’évolution du médium pictural.


La troisième intervention aborde «La temporalité en peinture». Si rapidement la scénographie tridimensionnelle de la peinture génère une plongée du spectateur dans l’oeuvre, le regard et le temps de la description du tableau engagent cet art de l’espace à devenir un art du temps. L’exercice visuel et contemplatif recouvre une double temporalité: de celui qui réalise l’oeuvre, et de celui qui la regarde et la recompose. Le temps en peinture est à la fois lié à la spatialité de son support mais aussi à la temporalité de celui qui l’observe.


Le quatrième thème questionne les rapports entre «Peinture et musique». Dès le XVe siècle, se trouve opposé la peinture et la musique. La peinture, art de l’espace, semble devoir être complétée par la musique, art du temps. La perspective géométrique et mathématique est un point de corrélation de concordance avec la musique. Cette dernière par ses gammes de notes est pour beaucoup d’observateurs et de penseurs un art mathématique et précis. Pour un cheminement vers un art total dans l’absorption du spectateur via la peinture, le modèle musical est un appui.


Le cinquième thème présente un autre dialogue entre deux pratiques artistiques différentes: «Peinture et danse» et poursuit une théâtralisation de l’oeuvre. Le ballet et de L’opéra deviennent pour les peintres un modèle à suivre. Même si le mouvement en peinture est suspendu, il peut par la position du corps devenir dynamique. Les représentations de danseuses et de danseurs sont alors une figuration figée invitant le spectateur a projetter la suite du mouvement. La danse est un art où le performeur vient occuper physiquement l’espace et enchaîne une suite de mouvements appelants à une sensibilité. Les modèles musicaux et de dansés permettent donc à l’artiste de venir se confronter un un autre espace temps.


La sixième conférence intitulée «la peinture comme objet empirique» essaiera de comprendre l’évolution de la représentation des sujets comme le moyen de générer une expérience de la part du spectateur. Pour qu’un tableau soit efficacement empirique : ne s’appuyant uniquement que sur l’expérience et non sur une théorie, l’artiste doit considéré le regard du spectateur. La peinture par ses liens avec les autres arts, devient un module de l’expérience du vécu de son temps.


Septième conférence «la peinture et le toucher». La peinture est un objet visuel qui dans ses fondamentaux ne s’adresse qu’à l’oeil du spectateur et en aucun cas au corps. Pourtant, par un travail de la matière et de l’épaisseur à partir du XVIe siècle, la peinture semble s’adresser à l’oeil et par lui à l’ensemble des sens. Comme saint Thomas, nous ne croyons pas tout ce que nous voyons mais nous accordons de la crédibilité à tout ce que nous touchons. Dans un souci de véracité et de précision la peinture va jouer d’une certaine opacité et d’une palette pour convaincre qu’elle est à la fois un sujet représenté mais aussi une matière sensible. La surface picturale en s’épaississant propose un régime visuel et tactile. Par cette conférence aborde les questions d’inter sensorialité du médium pictural.


Suite logique du dialogue entre la peinture et les autres pratiques artistiques, la huitième conférence revient sur ce dialogue entre «Peinture et sculpture». Tout d’abord pour une question de référence: le rapport à l’Antiquité en peinture se fit principalement sur un dialogue avec la sculpture.. L’objet sculpté est fondamentalement plus en prise avec notre réalité car tridimensionnel. Nous revienrons sur le toucher présent dans l’accès à la sculpture. Si la peinture est une surface fragile, inaccessible et mental, la sculpture quant à elle est un objet concret et physiquement présent. L’autre élément fondamental est que la sculpture est un objet tridimensionnel autour duquel nous pouvons donc tourner pour changer de point de vue. La peinture surface frontale va donc se retrouver à avoir comme modèle un objet qu’elle aplanit. Pour générer le même ressenti, les artistes joueront la multiplication des points de vue d’un même corps identifiable comme pour les trois grâces.


Neuvième conférence, «la description comme activation de l’oeuvre» aborde le discours comme l’empreinte du regard. L’évolution de la représentation du temps et de l’espace par l’inclusion dans ce trompe-l’oeil de la sensorialité du spectateur se fait historiquement par le développement du discours. La description est un argumentaire pour l’artiste mais surtout pour le spectateur de cette qualité d’absorption et de communication de l’oeuvre. Décrire un tableau est une activation et une appropriation du sujet par celui qui le regarde. elle témoigne de la subjectivité générée par le regard et par l’oeuvre.


En poursuite directe de cette conférence, nous nous engageons pour la 10e sur «Le regard de l’amateur». Dès son origine moderne la peinture comme expérience devient un objet polysémique. L’amateur, celui qui partage un certain degré de connaissance, influe sur la lecture même de l’oeuvre. La naissance de la critique d’art, les textes décrivant les oeuvres deviennent alors une expérience s’ajoutant au regard même sur le tableau. Le regard de l’amateur cherche un partage d’expériences vécues, à la fois corporel et et intellectuel, émulation d’un travail du regard intellectualisé et référencé. Cela s’inscrit dans une logique de partage de connaissances où l’oeuvre n’est pas qu’une mimésis, mais un maillage culturel.


La 11e conférence décrit l’exercice de contemplation: «Le régime contemplatif du tableau dans son évolution entre le XIVe et le XXe siècle». La spiritualité, les principes déviotionnels, les enjeux sensibles vont entre le XIVe et le XXe siècle évoluer. Comment passons-nous d’un tableau support d’une élévation religieuse à une oeuvre lyrique. Objet tous les deux hors de notre espace et pourtant qui concrètement nous amène par leur référent à une élévation mentale. La contemplation est un exercice visuel qui dépasse le simple objet observé. La peinture entre le XIVe et le XXe siècle est une interface contemplative et réflexive.


Dernière conférence du cycle, l’installation et la mise en espace comme expérimentation, aborde les questions de mise en volume et de transformation complète d’un espace d’exposition afin d’englober le spectateur. La mise en place des expositions n’est en aucun cas un objet laissant chaque oeuvre s’exprimer individuellement. Les scénographies qu’elles soient muséographiques ou installatoires, réfléchissent à conduire le spectateur dans un cheminement spatial. Le XXe siècle présente une augmentation exponentielle des pratiques d’installation des artistes contemporains. L’enjeu est clair: par la modification de l’espace complet, l’artiste joue un dépassement du cadre pour inclure le spectateur dans l’espace de l’oeuvre. L’installation est une poursuite concrète d’un partage du sensible en liant le référent spatial et temporel de l’oeuvre et du spectateur.


La dernière conférence conclue ce bref cycle « espace temps sensorialité». Les enjeux sont clairs, en travaillant sur l’espace nous revenons sur la question de la surface peinte et de la composition en dialogue avec la réalité. Le temps est à la fois historique, narratif mais aussi contemplatif et contemporain. La peinture lorsqu’elle s’engage sur le cheminement moderne d’un partage du sensible acquiert une qualité sensorielle et sensitive. La peinture, art de l’espace devient le support d’une expression artistique en corrélation avec son temps et cherchant dans un dialogue avec la réalité à émettre du sentiment. Malgré un titre abstrait, ce cycle aborde la peinture comme une matière activée. Un tableau par les sentiments qu’il génère et les volontés d’expression n’est pas un objet inerte et purement décoratif. L’évolution de sa réception et les questionnements de sa représentation jouent dans un enjeu très simple avec notre propre existence.

Nous prenons conscience de la réalité au travers de la saisie sensorielle de l’espace du temps. Pour que la peinture s’inscrive parfaitement dans une possibilité de projection du spectateur à sa surface, elle doit venir dialoguer avec l’espace, le temps et la sensorialité de celui qu’il observe. Nous sommes spectateurs mais aussi acteurs de cette activation.