lundi 3 octobre 2011

la peinture comme un reflet social

La peinture comme un reflet social


Le thème de la vraisemblance et l’enjeu de l’imitation et de la reproduction des connaissances porte le moteur de l’exactitude en peinture et conduisent le tableau à devenir un objet inscrit dans son temps. La peinture contemporaine devient un témoignage de la société qui la génère.

L’évolution de la figuration et de la réalité qu’elle semble représenter inscrit le peintre et son public dans un mouvement similaire.

L’oeuvre d’art peut se définir comme un miroir à la fois pour son créateur, signifiant sa subjectivité et pour son spectateur qui y projette son faisceau de pensées. Le rôle et la valeur des cultures visuelles n’ignorent pas que les oeuvres sont des faits de civilisation qui manifeste des fonctions de l’esprit s’exprimant dans des systèmes. La peinture est un objet qui s’attache à la fois aux notions d’informations et de signes. Ainsi quelques soient la précision ou la dissolution de la représentation, la peinture s’active dans un temps de réception, et devient par sa durée un témoignage de son temps. Les notions d’informations et de signes sont à mettre en relation avec l’ensemble des activités humaines, scientifiques, philosophiques, littéraires, techniques. Traverser la représentation figurative et picturale du XIVe siècle au XXe suppose en préambule que l’objet qui nous est ainsi dévoilé est considéré comme un reflet social.

Un reflet peut être à la fois l’image d’un corps apparaissant sur une surface réfléchissante ou bien encore ce qui reproduit l’image de quelqu’un, d’un groupe. Social peut être définit comme ce qui concerne la société et ce qui vit en société.

Le reflet social des images produites est à la fois extérieur et intégré à la société. Se poser la peinture comme un reflet social c’est regarder un témoignage objectif de son temps et de la subjectivité de sa signification.

Cette réflexion engage une nature double de l’image: descriptive, oculaire et d’une image intellectualisée. Cela évolue et mène à l’origine d’un média d’expression, de création. Toute vraisemblance se construit dans la fausseté de sa reproduction, le caractère illusoire de telles constructions ne peut être abordé que si la représentation d’un objet est porteuse d’un sens, ainsi et d’une signification. La semaine dernière nous abordions la perspective géométrique comme structure d’objectivité et de subjectivité dans la création d’un trompe-l’oeil devenant un objet significatif et support, par son application et sa démonstration, de l’expression artistique.


Les primitifs italiens et la peinture de la renaissance témoignage de l’avènement d’une société humaniste.

Les profondes réformes au sein de l’église et l’émergence de nouveaux ordres prêcheur transforme fondamentalement le rapport au texte et le rapport au religieux dans les sociétés du XIIIe du XIVe siècle en Italie. Les modifications de l’image permettent de concevoir l’artiste comme accompagnant de ce mouvement général. De la figure d’un christ inaccessible et juge de nos comportements, l’image tend à proposer une figuration d’un personnage qui s’active dans un espace humanisé.

Dans le diptyque de l’adoration des rois mages de Ceccareli, l’humanisation et la représentation semble quasi absente et uniquement suggérée pas le sol imitation marbre. Mais le jeu de fléchage de la construction suggère une cohérence spatiale et temporelle. L’oeuvre demeure autonome mais propose une circulation du regard dont l’objectif est de mettre en avant le personnage le plus important : l’enfant.

L’humanisation et l’incarnation sont une poursuite de connaissances scientifiques du corps qui permette de comprendre et d’envisager cette machinerie charnelle. Le message ne s’adressait uniquement qu’à l’âme avec l’apparition d’une pensée humaniste il s’agit aussi de convaincre le corps. L’un des changements profonds de cette période est de considérer que le temps sur terre n’est pas uniquement un passage, mais un moment physique réel.

En conséquence l’image terrestre telle qu’elle se développe et que nous l’avons déjà abordé dans la perspective géométrique devient le moteur de la signification de la représentation.

Andrea Mantegna, comme les peintres de la renaissance, proposent une formalisation de cette fenêtre ouverte sur le monde et sur l’histoire, la simple représentation de la réalité n’est en aucun cas l’unique moteur de l’observation des tableaux : un certain nombre d’objets naturels sont en effet porteurs d’une symbolique, d’un réseau de signes (L’arbre foudroyé, les lapins, les ruches). Mais ce qui confère à la peinture une autre logique et renforce dès son origine son caractère de témoignages historiques est l’intérêt à la figuration d’objets antiques et l’influence des modèles passés sur l’émergence de modèles modernes. Une prise de conscience de la capacité de l’art à durer comme témoignage de la société.

Les Médicis à Florence s’intéressent à l’art antique, comme le témoin de la grandeur de la civilisation passée. La renaissance veut demeurer un témoignage historique de la grandeur de cette période. L’architecture, la sculpture et la peinture deviennent alors des objets dont on considère qu’ils auront la capacité à perdurer. Ce régime particulier conçoit une oeuvre marquant son temps comme un objet présent et devenant un témoignage du passé pour les générations futures. Le tordse du Christ par Mantegna dans sa résurrection en est le parfait témoignage. À première vue d’un torse anatomiquement correct. Sa musculature le lie avec les modèles antérieurs de Donatello. En cela Mantegna témoigne de sa modernité et capable de citer visuellement un des grands maîtres la réforme de l’image en Italie. Mais Donatello s’inspire que de l’antique pour construire lui-même ce modèle et témoigne à son tour de sa valeur d’artistes modernes. L’imitation joue de citations successives hiérarchisant des modèles et leur réutilisation comme une valeur du présent. Le statut de l’oeuvre se complique : entre objet atemporel et assujetti à un effet de mode et un effet de style.

la société ne travaille pas l’amnésie mais se bâtit sur un régime historique par un enjeu progressiste que les nouvelles générations peuvent être par leurs connaissances supérieures aux générations passées.

Nous retrouvons cela chez les primitifs flamands. Dans le retable de la Vierge à l’enfant/Saint-Jean et Sainte Madeleine, sont figurés à la fois une architecture gothique, témoin la période précédente faste et une image de la campagne flamande humanisée par l’organisation du territoriale. La ferme observable derrière Sainte Madeleine ne véhicule pas uniquement son inscription dans un espace commun à son observateur, elle est aussi le témoignage, le signe fort d’une exploitation efficace et rationnelle de la nature.


Les styles et leurs évolutions comme témoin du rapport de l’oeuvre et de son temps

Le maniérisme par son jeu de citations des modèles passés comme validation de la qualité des modèles semble, pour un moment, nous proposer une oeuvre d’art sans référencement extérieur à la structuration de l’image, dans un jeu uniquement «à la manière de» pour construire le vocabulaire de l’oeuvre.

Cela semble être l’aboutissement d’une notion de « montage » d’une société et de ses oeuvres qui se jouent de l’illusionnisme et d’une rupture avec le réel comme point de départ de la composition picturale. Le maniérisme porte la signification de la forme comme une autonomie de l’oeuvre. La profonde transformation sur laquelle nous sommes déjà arrêtés au début du XVIIe siècle bouleverse, avec la notion de plaisir ou délectation, le fonctionnement même du tableau.

Le discours progressiste, bien qu’étant une lecture simpliste de l’évolution de la société, soutient un des axes pour comprendre cette évolution du reflet social.

Au début du XVIIe siècle, de nouveaux modèles de composition structure une théâtralité et une dramaturgie quasi excessive pour soumettre le spectateur à un effet intimiste de son observation. Le clair-obscur qu’il soit dans un développement italien ou bien dans sa reprise hollandaise nous propose une scène en «close up », où très peu d’informations scéniques, focalisent le regard du spectateur sur les personnages. Cette théâtralité n’est pas qu’imaginative, Elle s’appuie sur une observation des plus naturalistes, par un évangéliste ressemblant plus à un paysan, par une jeune beauté contemporaine figurant la Vierge, ou par un outil de charpentier mis sous les projecteurs dans une fuite en Égypte. Cela conduit à l’émergence d’un peinture qui se désengage de son sujet religieux et figure des avancées scientifiques en botanique, en optique et l’émergence des cabinets de curiosités.

le paysage et la nature morte proposent des sujets figurant uniquement la forme et de sa représentation. Pourtant malgré l’objectivité, l’image ne se cantonne pas à une unique lecture formelle et porte une raison ou un signe. L’observation d’un bouquet de tulipes, témoins de la capacité de l’homme à hybrider la nature, la figuration d’un fromage et de denrées, témoins d’une richesse matérielle semblant suffire pour une certaine partie de la société à ne plus être exposée à la famine, sont autant de porteurs symboliques. Les thèmes de vanité véhiculés par les natures mortes hollandaises sont autant de rappels que la peinture est le reflet terrestre de l’existence de l’homme et de son lien avec le divin. Bien que l’homme semble pouvoir atteindre un certain degré d’immortalité par sa figuration (nous en reparlerons dans le cadre du portrait) il demeure dépendant à ce laps de temps terrestre qui lui est accordé. La peinture en cela conserve son caractère d’une temporalité à la fois allongée et brève. Le tableau et la reconnaissance des objets et le concept de leur signification.

La peinture par ce réseau de signes qu’elle tisse est objet de plaisir physique et de signifiant ayant une conséquence morale.


Peinture et politique : engagement du seul artiste au service du pouvoir.

Ce caractère morale fait de la peinture un témoignage de la grandeur du régime qui la soutient. Avant même la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculptures en France au milieu du XVIIe siècle, l’artiste s’est toujours retrouvé à être assujetti à la cour.

En observant les batailles de Richelieu, nous sommes spectateurs d’une théâtralisation des grandes victoires du roi auquel s’attache évidemment le cardinal. Ces tableaux ne portent pas uniquement une évocation historique mais sont aussi véritablement la théâtralité d’une figuration de l’action de personnages contemporains. Le souci du détail en font un témoignage de la stratégie militaire renvoie au portrait et à la qualité du commaditaire. Deux des trois batailles présentent au premier plan le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu qui se tournent tous les deux vers le spectateur et introduisant l’action. La structuration d’une galerie de plus de 10m de large sur 70m de long accueillant l’ensemble des batailles compose une vitrine pas uniquement de délectation mais de commentaires et de mises en lumière de celui qui les a commandé.

Les batailles de Richelieu sont un témoignage visuel d’un développement de plus en plus profond de l’histoire et du récit du temps passé. La rédaction des mémoires, de la biographie, la présence d’historien officiel autour des grands personnages décrit une société qui considère que par l’histoire elle peut perdurer même après sa disparition. L’oeuvre devient comme le texte un reflet social.

En parallèle de cette construction se trouve aussi l’émergence du nom de l’artiste comme étant un marqueur véritablement de son temps et de l’art a un régime historique. Nous en parlions la semaine dernière à propos de la perspective, cette invention qui aurait pu rester anonyme est devenue rattachée à un nom, Brunelleschi, et ainsi est rentré dans l’histoire.

La mise en place de l’Académie royale de peinture de sculptures sous l’égide évidemment la royauté se veut un système de normalisation de la formation des artistes et une main mise de l’État, sur les récompenses. L’académie est une institutionnalisation de l’artiste et son temps. L’Académie royale de peinture et de sculptures modélisée à partir des exemples italiens et à comme but de faire de Paris la nouvelle Rome et la nouvelle Athènes. L’enjeu social peut paraître toujours le même : l’art comme le témoin de la grandeur du temps qui le voit naître. Au-delà de la normalisation plastique les artistes doivent réussir à conserver leur subjectivité et leur caractère individuel dans l’observation et la composition.

Cette intégration sociale se structure autours les salons de peinture. Ce dernier est une vitrine de la grandeur des peintres au service du roi. Le salon public devient le lieu de débat et d’échanges entre les différents regards que l’on peut poser sur le tableau. Si dans un premier temps seul l’académie est jugée apte à évaluer les travaux des peintres, très rapidement toute une littérature va reposer le questionnement de la valeur de l’oeuvre et voir l’émergence au XVIIIe siècle de la critique d’art. Dont la vraisemblance est un des grands sujets, car il s’agit fondamentalement du jeu de l’invention , le peintre devant proposer une composition dépassant le simple reflet de la nature.

Le salon peut faire et défaire les carrières, et il témoigne d’une montée en force du regard individuel. Les amateurs ne sont pas le roi et la portée morale de la peinture n’est plus la seule recherche. Les débats internes à l’académie deviennent des débats de société. L’opposition de la couleur et du dessin est le témoignage d’une opposition entre le plaisir et la morale. Bien que l’oeuvre devient un objet purement présent et assujetti à une mode, elle n’en conserve pas moins son caractère éternel. La multiplication des sources à la grande figuration de la peinture d’histoire, l’émergence des scènes de genres, du paysage témoignent d’une société qui bien qu’elles soient rattachées à un pouvoir centralisé laisse une place à une liberté individuelle. L’amateur éclairé, c’est-à-dire celui dont les connaissances intellectuelles sont aptes à décrypter le tableau, appartient tranches supérieures de la société.

Le salon va devenir un événement, l’oeuvre va devenir événementielle. La multiplication des commentaires et la diffusion de ces derniers devenant le témoignage de l’impact social de l’oeuvre.

Les changements politiques qui s’opèrent dans le dernier quart du XVIIIe siècle von,t une nouvelle fois dans ce lien entre l’art et son temps, marquer une profonde réorientation.


Une peinture de musée et de dessus le commode.

La consécration historique et contemporaine du peintre va être portée par l’invention des musées. La mise en place de telles structures est consécutive de la révolution et repose sur un principe d’accessibilité maximale de l’oeuvre dans la société française. Cela va provoquer un schisme dans la production picturale. Les peintres officiels d’histoire et leur très forte dépendance à l’État conduisent à des compositions dont les dimensions matérielles et le contenu sont uniquement muséographiques. Une autre classe d’artistes vont répondre à une demande individuelle. La société du spectacle et la société événementielle aboutit à une peinture spectaculaire et une peinture événement. Nous observons bien que le classique tend à garder la main sur une normalisation de la production artistique. L’accélération d’une perception progressiste de la société aboutit à la fragmentation même de la production artistique, à une multiplication et à un chevauchement des données stylistiques. Ainsi, néoclassiques et romantiques sont-ils des contemporains. Et cette bataille s’organise au sein des différents salons au XIXe siècle n’en sont pas moins qu’un fait de critiques, d’une peinture que l’on positionne et qui occupe un débat médiatico-plastique.

Le principe de la réception développée par le salon se structure autour de la question de la vraisemblance, du sujet et de sa représentation. La peinture comme reflet social est toujours conduite par la même question : est-elle une pictura uniquement exercice visuel ou imago jouant une réception intellectuelle.

La consécration des artistes contemporains croisent la subjectivité de la création enclin à être une expression personnelle. Ainsi dans ce questionnement de la vraisemblance le sujet a quasiment tendance à s’effacer derrière le nom de l’artiste. Il suffit pour cela de lire les comptes-rendus d’exposition pour y voir l’émergence du nom de l’artiste et la disparition de son sujet. Cette individualité se présente comme une conclusion de la renaissance. L’artiste a une pratique libérale et propose une expression uniquement personnelle.


L’artiste moderne comme un engagé social?

L’artiste moderne tend à interagir avec son temps, non plus comme un support et un reflet d’une civilisation mais comme un regard posé en tant qu’observateur de son temps. La peinture impressionniste propose des sujets urbains, comme un sujet moderne de l’évolution de la société individuelle et urbaine. La carte postale du peintre paysager allant battre la campagne seule n’a d’intérêt que si cette dernière est le témoin de la mise en place du chemin de fer, la compréhension d’une science permettant une explication du monde et d’un environnement.

L’oeuvre d’art est une communication et une recherche sensible, où chacun est invité à se projeter. La fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle avec les avant-gardes voit s’accélérer les renouvellements stylistiques. Les artistes sont toujours en lien avec les mouvements précédents mais comme une valorisation de la progression, le mouvement suivant se veut toujours supérieur, non plus dans un régime historique et passéiste mais bien dans une conduite présentiste. L’oeuvre réagit à l’actualité, l’artiste va commenter visuellement ce qui se passe dans son propre monde. La subjectivité de la représentation lui permet de s’éloigner petit à petit d’une simple imitation. Les moyens mécaniques de reproduction telle que la photographie ou bien le cinéma justifieront la peinture comme devant se retrouver en tant que matériau objectif singulièrement activé.


La peinture est un reflet social, cela ne peut être remis en cause car le jugement de la représentation est porté par la société qui la réceptionne. À partir du XIVe siècle une oeuvre avec une double nature temporelle, contemporaine et éternelle, propose un reflet comme une description précise et une image dématérialisée. L’artiste ne propose pas qu’une forme mais bien des signes. Considérer une lecture de l’oeuvre uniquement par la représentation tronque la question de la vraisemblance. L’imitation ou la réalité figurative compose un réseau de signes qui ne prend toute sa place sur l’instant de sa réalisation. Car quelle que soit la temporalité que l’on donne à l’oeuvre et à son sujet, il s’agit bien d’un instant de création et d’expression artistique dont on reconnaît depuis l’origine de son artificialité et son expressivité. Le reflet social et une image qui peut déformer, dissoudre la réalité figurative comme spectateur et acteur de son temps. La vraisemblance est un des enjeux de cette peinture par son caractère expressif.


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