vendredi 4 novembre 2011

les genres en peintures

Les genres en peinture


Les genres en peinture vont hiérarchiser l’intérêt et la qualité de l’oeuvre avant même sa création. La hiérarchie des genres, c’est à dire des sujets, repose sur la vérité porter par ce dernier. Ainsi comme l’explique Félibien dans son Introduction aux conférences de l’académie royale de peintures et de sculpture, le sujet porte par nature une aura. Ainsi l’imitation si elle reste le coeur même de la pratique picturale ne suffit pas à une élévation, entre autre morale, du spectateur. Ainsi la technicité de la reproduction de la réalité n’est pas suffisante. La vérité de la peinture est sa capacité à porter un discours plus qu’une image.

La hiérarchisation des sujets ou des genres en peinture est définie par André Félibien dans l’introduction qu’il rédige en tant que secrétaire et rapporteur des conférences de l’académie royale de peinture et de sculptures pendant l’année 1667. Dans notre problématique de la vraisemblance et de l’imitation, la hiérarchie des sujets accompagne une pensée qui exhorte les peintres à une confrontation à la nature accompagnant ce principe de son élévation par la peinture.

Les conférences de l’académie ont comme but d’enseigner par des exemples plutôt qu’édicter immédiatement des règles. Si cela est effectivement le cas pour les conférences énoncées, cela ne l’est pas dans la préface écrite par André Félibien.

La préface est un des textes théoriques majeurs de cette époque qui malgré certaines des hésitations formule et classes des concepts fondamentaux pour l’académie royale de peintures et de sculptures. Cela doit permettre à chacun, artistes comme amateur des Beaux-Arts à se former « les idées nettes et claires » sur la peinture et la sculpture et à les mettre en ordre dans son esprit. Les conférences à reflète ainsi l’effort général de rationalisation entreprise à l’époque dans tous les domaines, en premier lieu la philosophie et les sciences.

Cette émancipation intellectuelle accompagne la promotion sociale de l’artiste. André Félibien entend marquer dans sa préface la primauté de l’esprit sur la main, de la libérale sur le métier « mécanique ». Il met l’accent, à la suite d’Alberti, de Léonard de Vinci et des académies de la renaissance, sur « la grandeur dépensée » et l’universalité du peintre. Avant de définir la hiérarchie il définit la peinture.

«La représentation qui se fait d'un corps en traçant simplement des lignes, ou en mêlant des couleurs est considérée comme un travail mécanique ; C'est pourquoi comme dans cet Art il y a différents Ouvriers qui s'appliquent à différents sujets ; il est constant qu'à mesure qu'ils s'occupent aux choses les plus difficiles et les plus nobles, ils sortent de ce qu'il y a de plus bas et de plus commun, et s'anoblissent par un travail plus illustre.»

La première définition repose sur une imitation des corps naturelle par le moyen des lignes et des couleurs, et relève encore d’une conception extrêmement artisanale. Ce travail mécanique comme il le définit lui-même s’anoblie par un travail plus illustre. La suite directe qui en découle est le fameux paragraphe sur le hiérarchie des genres.

« Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l'homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la Terre, il est certain aussi que celui qui se rend l'imitateur de Dieu en peignant des figures humaines, est beaucoup plus excellent que tous les autres ... un Peintre qui ne fait que des portraits, n'a pas encore cette haute perfection de l'Art, et ne peut prétendre à l'honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs ensemble ; il faut traiter l'histoire et la fable ; il faut représenter de grandes actions comme les historiens, ou des sujets agréables comme les Poètes ; et montant encore plus haut, il faut par des compositions allégoriques, savoir couvrir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes, et les mystères les plus relevés. »

Entrant complètement dans le projet pédagogique des conférences, Félibien définit le peintre accompli par une théorie et une pratique, à la fois « artisan incomparable » et « auteur ingénieux et savant».

La vraisemblance ou la vérité en peinture sont conduites par cette grandeur que l’on peut donner à l’art par le sujet. Ainsi « l’on appelle un grand peintre celui qui s’acquitte bien de semblables entreprises. C’est en quoi consiste la force, la noblesse et la grandeur de cet art. Et c’est particulièrement ce que l’on doit apprendre de bonne heure, et dont il faut donner des enseignements aux élèves. »

Toujours dans sa préface l’enjeu de l’imitation et de la représentation de la nature engage comme nous l’avons déjà évoqué la qualité même une pratique picturale dans son rapport au réel. L’artiste a à la fois théoricien et technicien « a cet avantage de pouvoir représenter tout ce qui est dans la nature et ce qui s’est passé dans le monde, et encore d’exposer des choses toutes nouvelles dont il est comme le créateur. » Face à cette dualité de la pratique picturale, l’imitation est engagée dans le même paradoxe. Le jugement inhérent à la valeur de l’artiste se fait par deux angles ou deux approches : « l’une qui regarde le raisonnement des théories, l’autre qui regarde la main ou la pratique. » ce double regard énoncé par Félibien pose comme fondamental le paradoxe et la relation même de la peinture à la nature. Le champ théorique même si il est rattaché aux grands sujets de la fable et de l’histoire n’est qu’une partie à observer de la composition picturale, les données techniques de la capacité à figurer du réel sont autant de parties de la valeur du tableau.

« Les partis qui appartiennent à la théorie sont celles qui font connaître le sujet, et qui sert alors en grand, noble et vraisemblable, comme l’histoire ou la fable ; ce qu’on appelle le costume, et la convenance nécessaire à exprimer cette histoire où cette fable, et la beauté de pensées dont la disposition de toutes choses. Les parties qui regardent la main ou la pratique sont l’ordonnance, le dessin, les couleurs, et tout ce qui sert leur expression en général et en particulier. »

Malgré une hiérarchie du sujet les plus grands ne se retrouvent pas dédouaner de l’observation et de la représentation de la nature et d’une exactitude de son imitation. Nous retrouvons chez Félibien ce qui fera le grand succès des théories artistiques du XVIIIe siècle de cet enjeu entre d’un côté la disposition et de l’autre l’ordonnancement. Bien que le sujet l’histoire soit théorique et puisse être envisagé comme un acte uniquement mental de la part de l’artiste, André Félibien met en garde contre une peinture qui se détournerait de la vraisemblance. L’enjeu de la peinture d’histoire et l’instruction est portée par la figuration d’un sujet dont la théâtralité doit lier le lieu et action dans un seul propos pour paraître supérieur et pour toucher de sa grandeur le spectateur, « il faut dans les grand sujet qu’il y paraisse quelque chose de merveilleux pour faire davantage une histoire que l’on traite et le génie du peintre; ce qui s’exprime par la beauté des figures, par la noblesse des ajustements, et par une grandeur et une majesté qui éclate dans tout l’ouvrage.[...] il faut encore que la possibilité se rencontre dans toutes les actions et dans tous les mouvements des figures aussi bien que dans l’expression du principal sujet, afin que la vraisemblance se trouve partout comme une partie très nécessaire et qui frappe l’esprit, le tout nouveau. Un de ses anciens peintres grecs ayant représenté un oiseau perché sur simple épi de blé, qui même n’a pas ployé sou le poids, a été repris par des villageois comme de peu de jugement. Si une si petite chose ne laisse pas d’offenser les yeux mêmes des ignorants, combien de fautes plus notables qui paraissent dans de grands sujets blessent-elles davantage les personnes savantes. »

Tout l’enjeu de la vraisemblance repose sur le contenu de la vérité d’une image exacte qui puisse être le support d’une image élevée. La mise en garde de Félibien nourrit le thème même de la vérité dans des sujets qui se voudraient uniquement théoriques. L’imitation et la capacité de l’artiste a conféré à sa composition un équilibre entre dispositions et ordonnancements est plus que nécessaire pour que le message véhiculé soit intégralement accessible à tous. La technique de l’art par les genres considérés comme inférieurs peut être perçue comme une composition d’un décor dont l’exactitude sert en tout point la vraisemblance de l’action. La peinture d’histoire, sujet supérieur et parfait doit aussi passer par un exercice d’une observation qui sous-tend celui de la vérité du message qu’elle véhicule. La peinture se bâtit sur un équilibre quant à la vraisemblance figurée. Le raisonnement de Félibien ne coupe en aucun cas malgré sa hiérarchisation tout sujet en peinture de l’observation de la nature. L’imitation des peintres fait le jugement de la valeur du tableau, fait coexister cet équilibre ou cette raison dans la composition entre un sujet d’imagination et un sujet d’observation et aboutit à la notion quasiment de perfection.

« Il y a des peintres et des sculpteurs qui, avec toutes ces connaissances, ont encore une forte imagination admirable pour inventer et pour disposer toutes sortes de grands sujets, lesquels cependant se trouvent comme abandonnés du secours de l’art, et de tous les avantages qu’ils ont reçu de la nature, aussitôt qu’ils veulent exécuter ce qu’ils ont formé dans leur esprit ; et d’ailleurs y en a d’autres qui travaillent assez bien de la main, mais qui ne peuvent rien imaginer de raisonnable. De sorte qu’il ne faut pas s’étonner s’il y a si peu d’excellents ouvrages, puisque non seulement il faut avoir naturellement un esprit fertile pour les belles inventions, mais aussi un jugement solide pour s’en bien servir, et une grande pratique pour les mettre en un beau jour.»

La copie de la nature est un enjeu plus manuel et technique qu’intellectuel. Pourtant la mise en garde du Félibien est claire, s’éloigner de la nature conduit à trouver une oeuvre imparfaite. La raison qui doit guider le peintre dans sa composition est un équilibre entre sa réflexion et sa technique. L’académie royale de peintures et de sculptures est fondée pour former les artistes les plus brillants au service du roi. La formation est ici décrite non techniquement mais dans la valeur de l’objet fini. La chose la plus étonnante dans ce caractère de la vraisemblance pour la peinture d’histoire, est que le jugement n’est pas uniquement tenu par l’amateur mais aussi par le quidam. On éveille la mention qui justifie la supériorité du sujet ne peut s’extraire par son artificialité de la présence même de l’objet ou bien encore de l’espace. Derrière cet équilibre joue toujours la même fonction d’une peinture imitative du réel, celle de proposer à l’âme une image supérieure qui reste profondément ancrée dans le réel.

Le discours d’André Félibien peut si on le détourne en partie être considéré comme une hiérarchie qui ne serait que le support de la composition du tableau supérieur la peinture d’histoire. En effet avons donné la crédibilité suffisante à un discours de vérité devant toucher chacun, le peintre d’histoire se retrouve comme la figure de génie qui regrouperait sous couvert de la vérité représentée une peinture où la nature morte, le paysage et la figure humaine seront réunis à l’imagination du peintre pour donner visuellement une oeuvre élevant l’esprit. La hiérarchie des genres modélise un regard critique où le spécialiste est à même de juger de la valeur du tableau sur deux axes. D’un côté l’imagination, la disposition et le champ théorique. De l’autre la virtuosité de la main, de la technique voire de l’artisanat. Il peut paraître étonnant mais cela nous conduit dans notre questionnement de la vraisemblance a souligné l’obligation d’un travail d’après nature de toutes les catégories d’artistes.

Les théories de Félibien sont le socle à une pensée de la peinture qui trouve une poursuite de ses grands enjeux de l’istoria de Léon Battista Alberti bien encore de la cosa mentale de Léonard de Vinci. Pour notre problématique de ce cycle vrai/faux semblants, la préface d’André Félibien est symptomatique de la reconnaissance du sujet. Les conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture sont un objet de communications devant permettre d’externaliser les questionnements de la pratique du peintre. À la fondation de l’académie en 1648, les peintres se sont déclarés comme techniciens et intellectuels. L’enjeu était de s’émanciper d’une perception qui pouvait encore rester sur des questions techniques comme artisanales. La hiérarchie des genres classe suivant le degré intellectuel les sujets. Il s’agit de considérer que pour s’émanciper uniquement d’un travail technique l’artiste se doit d’offrir une image dont l’élévation du sujet consiste en sa composition à l’émerveillement. Derrière ce plaidoyer pour la grande peinture d’André Félibien se trouve aussi celle de son accessibilité au plus grand nombre. L’exemple des paysans jugeant le peintre grec quant à la vraisemblance d’un oiseau posé sur un épi de blé qui ne fléchit pas, souligne la nécessité aux présentations exactes de la battue pour nourrir la grandeur de la vérité portée par le sujet.

Cette fonction métaphysique de la peinture, sur laquelle nous nous sommes déjà longuement arrêtés trouve son origine dans la posture même de l’artiste et de sa réception.

La vraisemblance étant liée à la vérité, cette dernière ne peut être uniquement conduite à l’évocation du récit mais aussi par la crédibilité accordée à ce dernier. Le peintre doit donc dans un principe quasi sociologique de l’oeuvre faire démonstration de sa subjectivité créatrice par la disposition et de son habilité technique par l’ordonnancement. Ce qui consiste pour Félibien et la quasi intégralité des académiciens, de la grandeur de la peinture, c’est sa capacité à concentrer en un seul objet le témoignage d’une réflexion et un savoir-faire. La hiérarchie des genres est une clef de voûte de la saisie et de la compréhension du sujet et de sa grandeur. Mais le discours Félibien orienté semble prodiguer qu’une suprématie des grands sujets. Pourtant, les sujets inférieurs tels que la nature morte, le portrait ou bien encore le paysage vont en écho à cette vocation à mêler les grandeurs des pensées et principes mécaniques se nourrir d’un schéma théorique. Le dernier élément qui n’est pas exclu par Félibien est le caractère sensitif et sentimental nécessaire au sujet et à sa composition. Même attaché fortement au régime historique et quasi théâtral de la composition, le théoricien français n'omet par de concevoir une peinture comme un objet sensitif. Dans cet engagement les genres en peinture et leur regroupement par la peinture d’histoire, offrent une oeuvre qui oscille entre une vraisemblance et une imitation. Les définitions de Félibien seront remises en cause par le XVIIIe siècle lorsque le caractère sensible et que les enjeux des sensations prendront le pas sur le caractère uniquement moral d’une telle classification. Alors, la peinture comme objet d’une réflexion et d’une maîtrise technique ne sera plus uniquement pour l’histoire mais bien pour les peintres dans leur totalité.

L’engagement d’une classification de la peinture suivant son sujet, engage le thème de la vraisemblance dans un parti pris qui est toujours le même, inspiré de la nature et de son observation ainsi que de sa compréhension, le sujet est élevé à sa disposition en images qui ne portent pas uniquement une donnée technique mais aussi une réflexion que l’on qualifiera d’artistique.

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