lundi 24 octobre 2011

Principe perceptif et de réception de la peinture.

Principe perceptif et de réception de la peinture.


La vraisemblance ou l’imitation engage la reconnaissance par le spectateur des formes proposées par l’artiste. L’oeil dans ce système est l’interface sensible. La reconnaissance des formes mises en place par le peintre se fait par l’oeil mais surtout par l’esprit. L’oeil est défini comme un simple appareil objectif, tel la caméra obscura décrite lors de la précédente conférence. La mimésis conduit à une question sensible par ce jeu de l’interprétation de la forme. L’objet ainsi présenté est supérieur à la réalité car au-delà d’une nature arrangée il s’agit aussi de véhiculer un certain nombre de symboles. Derrière une nature morte se trouve le thème de la vanité, derrière la figure d’un saint se trouve un principe dévotionnel. L’interface sensible que constitue l’oeil va devenir à la fin du XVIIIe siècle un élément actif et non plus passif du principe de saisie de l’oeuvre.

La compréhension et la connaissance du fonctionnement que l’oeil va profondément changer la notion et la figuration de l’imitation de la réalité. Dans une oeuvre qui se veut de plus en plus sensualiste, l’artiste cherchera avant de toucher l’esprit du spectateur de créer une excitation sensorielle. Il faut donc considérer que l’oeil n’est pas un élément passif de l’observation du bien totalement actif.

Le principe perceptif, l’interface sensible qui permet la saisie du réel modélise la construction de la vérité. Le régime sensible de l’oeuvre prôné par la réforme empathique du tableau dès la renaissance établit un dialogue étonnant. Toucher le spectateur signifie générer du sensible. Comprendre le fonctionnement des sens permet dans une certaine mesure de générer un ressenti supérieur au réel. La confrontation entre le vrai-semblant et le faux-semblant repose sur cette illusion sensorielle, et débouche sur une réception de l’oeuvre dépendante pour sa qualité de cette excitation. Le sujet par son intérêt mène aux sentiments les plus grands ou les plus infimes.


Les théories de Newton comme celle en général de la physique décrivent des phénomènes extérieurs. Dans une question environnementale, il s’agissait de considérer que la vraisemblance en peinture étaie la figuration et les correspondances avec les phénomènes physiques.

Isaac Newton propose un schéma de décomposition de la couleur assez proche du modèle moyenâgeux et des siècles précédents. Les diagrammes newtoniens octroient aux peintres une grande cohérence sur la composition et une certaine homogénéité. Les théories physiques du rayon ont appuyé la perspective géométrique, les théories d’un oeil actif déstructurent et redéfinissent la relation entre l’observateur et son environnement.

Les descriptions de Newton met en place une impression d’un contrôle absolu de la couleur et de sa représentation. La place que prend le phénomène coloré et lumineux ainsi que sa réception dans la compréhension du sentiment au sein de l’oeuvre va petit à petit déconstruire ses certitudes. Dès 1664 chez Boyle nous trouvions une interrogation sur l’utilisation de la couleur et son lien avec la nature :

« l’emploi mécanique des couleurs chez les peintres et les teinturiers dépend en grande partie de la connaissance des couleurs qui résultent des mélanges de pigments colorés (...) Et il est profitable aux naturalistes contemplatifs de savoir combien il y a de couleur primitive (si je puis est nommé ainsi) ou simple est de savoir lesquelles, car cela facilite à la fois la tâche, confinant son enquête bien attentive à un petit nombre de couleurs dont le reste dépend, et l’aide à juger de la nature des couleurs composées particulières, en lui montrant, d’après le mélange, de quelle couleur simple, et dans quelle proportion de celle-ci par rapport aux autres, résulte la couleur particulière en considération (...) ».

Cette pensée trouve un écho chez Roger de piles, qui dans un ouvrage très populaire démontre qu’en peinture de facteurs détermine la couleur : la justesse de la perception des tons et l’habilité à leur donner de l’importance requise. On atteint le premier en comparant sans cesse les couleurs du motif à celle de la palette. La seconde s’acquiert par l’étude des effets chromatiques dus à la juxtaposition et la disposition passe spatiale, où intervient la perspective atmosphérique.

L’observation des variations de la couleur par des enjeux de la lumière devient l’une des clés de voûte l’exactitude de la composition picturale. Pouvoir faire correspondre les variations de la palette avec celle de la nature coïncide toujours avec l’enjeu d’un peintre dont la composition est inspirée de la nature.

L’observateur devient petit à petit un faiseur de réalité, ainsi les théories de Buffon, décrites à l’Académie des sciences en 1743 soulèvent d’étranges phénomènes colorés.

« lorsqu’on regarde fixement et longtemps une tâche ou une figure rouge sur un fond blanc, comme un petit carré de papier rouge sur un papier blanc, on voit naître autour du petit carré rouge une espèce de couronnes à verre faible ; en cessant de regarder le carré rouge si on porte l’oeil sur le papier blanc, on voit très distinctement un carré d’un vert tendre, tirant un peu sur le bleu ; cette apparence subsiste plus ou moins longtemps, selon que l’impression de la couleur rouge a été plus ou moins forte. La grandeur du carré vert, est la même que celle du carré réel rouge, et ce vert s’est admis qu’après que l’oeil s’est rassuré et s’est porté successivement su plusieurs autres objets dont les images détruisent l’impression trop forte causée par le rouge. »

Bien que incapable d’y trouver une explication, il nomme ses couleurs « accidentelles » pour les opposer aux couleurs naturelles. Dans le cadre d’un questionnement de la vraisemblance nous pourrions considérer que ces phénomènes observés par Buffon s’éloignent de l’enjeu de la mimésis.

Pourtant il s’agit de trouver un lien ou ne comprend ce qui peut relier le couleur accidentelle considérer comme un écart et la couleur naturelle considérée comme la norme. Cette conception d’écart énorme repose sur une opposition lourde de conséquences entre la subjectivité des couleurs accidentelles et l’objectivité des lois de la physique, qui fournissent les conditions de la vision normale. Cette dualité en posant une image objective et une impression subjective. L’expression de « couleurs accidentelles » fait fortune évaluée à une abondante littérature jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans notre cycle sur la vraisemblance il s’agit de comprendre l’émergence d’une subjectivité de la perception qu’il devient alors moteur pour la critique de la perception de l’oeuvre et de sa réception.

Par la remise au centre de la composition de son regardeur, la peinture suivant le modèle scientifique questionne de plus en plus de physiologiques et de moins en moins l’optique. Si Newton n’est pas effacé, il est plus que compléter par ces questions d’effet d’apparition de et surtout par cette mise en place d’un lien concentrique et excentrique entre l’homme et son environnement.

La physiologie perceptible crée un phénomène de polarité dans la perception du réel. Des images rémanentes peuvent venir se superposer dans l’oeil. Le caractère accidentel n’a de tels phénomènes appuie le régime d’artificialité la représentation peinte. La vraisemblance se trouve alors redéployer par des questionnements de la perception visuelle.


Sous la plume de Goethe les couleurs accidentelles devient une arme contre Newton. Ce qui n’était décrit par Buffon que comme un constat d’un oeil malade et par la définition de phénomènes marginaux deviennent avec le philosophe allemand une donnée normale. Goethe décide de les nommer couleur physiologique, « parce qu’elles appartiennent à l’oeil sain et normal, et parce que nous voyons en elle les conditions nécessaires de la vision ».

Goethe s’est reposé son ouvrage de 1810 la théorie des couleurs sur l’expérience vécue par lui-même dans cette sensation générale. L’écran de Goethe et sa propre rétine et l’oeil semble un outil suffisant pour étudier la couleur.

L’enjeu des phénomènes décrits par le philosophe comprend qu’il n’a pas simplement un modèle scientifique physique mais bien au contraire une mise au centre de tous les intérêts de l’observation de l’observateur. L’oeil est une structure qui peut s’émerveiller et qui surtout n’est pas inactive. Le phénomène des couleurs complémentaires, utilisé depuis la peinture du bas Moyen Âge trouve ici une nouvelle orientation argumentée par cette activité physiologique de l’oeil du spectateur. La couleur devient alors la possibilité d’un rapprochement de l’art et de la nature.

La forme porte toujours la fonction théâtrale de la peinture mais va petit à petit se dissoudre dans une compréhension coloriste de son lien au réel.

La théorie des couleurs de Goethe repose sur trois points:

  • S’en tient aux phénomènes lui même : « le fait est déjà théorie»
  • S’appuie sur les propriétés phosphériques de l‘oeil vivant. (procède du plus proche au plus lointain)
  • Débouche sur une plénitude du visuel vécu comme un art et comme une technique.

La théorie de Goethe débouche sur un je plus présent, sur une technique picturale, art du visible, exercée en tant que fruit de la maîtrise du regard, et instruit la voie de la maîtrise. Le je plus présent génère une autoanalyse.

Sept divisions opérationnelles de l’esthétique constituent une des clés d’un principe d’exercices mentaux quotidiens. L’allongement du temps d’observation du tableau, comme exercice visuel conduit la couleur à devenir une expérience consciente et surtout amène la possibilité que la vue soit un sens développable.

Le lien entre la nature et l’oeil pour la vraisemblance est validé.

Goethe: « Nous disions donc que la nature entière se manifeste au sens de la vue par la couleur. Nous affirmerons maintenant, bien que la chose puisse paraitre quelque peu étrange, que l’oeil ne voit aucune forme, le clair, l’obscur et la couleur constituant ensemble ce qui pour l’organe distingue un objet de l’autre, et les parties de l’objet entre elles. Ainsi édifions nous avec ces trois éléments le monde visible et rendons du coup la peinture possible, laquelle est capable de produire sur la toile un monde visible beaucoup plus parfait que le monde réel». Traité des couleurs p.80.

La validation d’une peinture rendue possible par la compréhension d’une composition d’un monde uniquement de champs colorés ouvre une nouvelle voie au régime de vraisemblance de la pratique picturale.

Il faut distinguer les théories scientifiques et des théories artistiques de la couleur. Dans ce dialogue entre arts et sciences, on finit par perdre de vue que chaque activité répond à des objectifs très différents même s’ils peuvent avoir plusieurs traits en commun. L’objectif d’une théorie scientifique de la couleur est de comprendre et d’expliquer les différents phénomènes chromatiques du point de vue de leur mécanisme physique, physiologique, etc. L’objectif d’une théorie artistique de la couleur est, en s’appuyant ou non sur une théorie scientifique, de fournir aux artistes un ensemble de principes, de règles, de conception, de forme ou de « loi ».

Chevreul en 1841 dira : « les couleurs sont vues modifiées avant qu’on éprouve la moindre fatigue». C’est donc une nouvelle recherche à laquelle Chevreul s’adonnent au travers d’observation. Si en effet la fatigue l’oeil ne peut être allégué, comment rendre compte d’une manière irréfutable de ces phénomènes subjectifs de la vision la couleur, en dépassant la seule description du phénomène ?

Que cela soit chez Goethe ou que cela soit chez Buffon les deux théoriciens n’ont simplement qu’observer des phénomènes, sans en développer les raisons. Ampère ami de Chevreul lui fit remarquer que pour lui tant que ces observations ne seront pas résumées une loi elles n’ont aucune valeur pour lui. Chevreul remporte le défi lancé par Ampère avec l’énoncé de la loi des contrastes simultanés. L’enjeu est de taille il s’agit pour le chimiste de faire basculer un phénomène qualifié d’accidentel en un phénomène permanent qui lui vaudra une reconnaissance et un caractère d’universalité. Pour le scientifique les phénomènes décrits par Buffon ne sont certes plus accidentels, puisqu’il en montre la généralité, mais ils restent néanmoins subjectifs.

Pour développer son champ théorique Chevreul doit faire appel à d’autres travaux qui contribuent une remise en question des rapports traditionnels de l’oeil et de l’objet perçu. Les phénomènes de contrastes sur lesquels Chevreul attire l’attention s’interpose entre l’oeil et ce qu’il regarde, la perception des couleurs est comprise comme un processus transparent. Et de fait un certain nombre de peintres manifesteront à partir du XIXe siècle un vif intérêt tant pour les effets subjectifs de perception que pour le rendu des « accidents » de la lumière. La découverte par Chevreul d’une loi générale régissant la perception des rapports entre couleur contiguë constitue une revalorisation massive de la couleur qui exerce une influence soutenue sur plusieurs générations de peintres dans la conquête des voix propres à la couleur qui mèneront jusqu’à l’abstraction.

Chevreul est un chimiste qui s’appuie sur une méthodologie extrêmement stricte, mais il travaille la couleur dans des domaines de la physiologie et de la psychologie par les impressions que nous recevons de la vue des couleurs et les jugements que nous en portons. Un quart de siècle avant les travaux de Helmholtz, Chevreul adopte une position préfigurant ce qui allait devenir l’optique physiologique, en mettant l’accent sur l’importance des facteurs psychologiques de la perception les propriétés organoleptiques valent aussi pour les couleurs. Chevreul souligne qu’en appelant « rouge, orangé, jaune, vert, bleu et violet » les rayons de lumière auxquels nous attribuons ses couleurs, « nous leur transportons les sensations particulières qu’ils éveillent en nous ». Il met un point final au vieux débat évoqué dans l’encyclopédie : les modifications de couleurs qui se produisent en nous peuvent désormais être étudiées comme des propriétés organoleptiques. Par ce positionnement Chevreul rend compatible la physique de Newton faisant de l’objet d’une étude scientifique et l’utilisation des méthodes appropriées. Chevreul n’est pas le seul à rédiger des ouvrages sur la théorie des couleurs au XIXe siècle mais cette position singulière lui octroie un intérêt substantiel.

Dès le début du XIXe siècle se manifeste un intérêt qui ira croissant pour les effets subjectifs de la perception des couleurs. Il convient cependant de préciser que cette valorisation du pôle physiologique chez Goethe ou encore Schopenhauer voulait contrecarrer l’optique physique de Newton, alors que Chevreul tente de faire rentrer ses effets physiologiques dans le cadre que définit l’optique. L’intérêt pour ces effets constitue une récurrence de l’approche de la couleur au XIXe siècle avec comme caractéristiques que le corps lui-même produit des couleurs, et devient un agent actif dans l’expérience optique. La vision, qui constituaient jusque-là une forme privilégiée de connaissances, perd sa transparence et devient elle-même objet de connaissance. Cette importance dévolue au sens de la vue ne signifie pas cependant le retour à un empirisme naïf, il a croyance pure et dure dans les données, dans les faits, tels qu’ils nous sont positivement transmis par les sens.

Clarifions quelque peu le concept central de complémentarité qui joue à partir du début du XIXe siècle un rôle de tout premier plan dans les théories scientifiques de la couleur, comme dans celle de l’harmonie chromatique. Pour clarifier un peu les choses nous pouvons distinguer deux courants dans l’intérêt croissant qui se manifeste dès la seconde moitié du XVIIIe siècle pour les couleurs opposées et qui culmine au XIXe siècle pour encore aujourd’hui faire force de loi.

Naturaliste La première tendance est celle que l’on pourrait qualifier de naturalistes, inauguré par le mémoire de Buffon sur les couleurs accidentelles en 1743. Retrouver cette question dans le système naturel des couleurs vers 1770 d’un naturaliste anglais Moses Harris, où l’on retrouve les deux premiers cercles chromatiques montrant clairement trois couleurs primaires et trois couleurs composées (rouge jaune et bleu ; orange, violet pourpre) avec indication de contraste. On retrouve aussi dans un système des couleurs en Allemagne en 1771 une logique harmonieuse chez Ignace Schiffermüller. Tous ces scientifiques travaillent dans un intérêt de situer les phénomènes physiologiques dans la physique newtonienne.

Artificielle ou peinte Deuxième tendance est élaborée par les théoriciens de la peinture et concerne les mélanges de piment. La constitution de couleur « primaire » et la mise au point de règles présidant leur mélange. Cette tendance antérieure permet d’entrevoir une sorte de prédisposition des peintres à la complémentarité, mais surtout un principe d’une couleur technique et industrielle.


Il faut pourtant très rapidement mettre une limite à cette juxtaposition d’une tendance naturaliste que l’on pourrait qualifier plutôt de scientifiques et d’une tendance artificielle que l’on pourrait rattacher à la teinte et à la peinture. La lumière par un type de mélanges additifs résulte sur du blanc le pigment par un type de mélange soustractif résulte sur du noir ou du gris. Il n’y a pas de possibilité de lier semble-t-il fondamentalement dans une seule et même théorie un travail pigmentaire de la couleur et un travail lumineux. Les grammaires des arts et des couleurs tendent à vouloir décrire un système d’harmonie générale dont le principe des complémentaire serait la clé de voûte. L’application de contrastes et de complémentarité montre bien aussi des questions sémantiques fondamentales. Si une couleur est en contraste, elle est en opposition. Si elle est complémentaire elle est en adéquation, en complément.

Il faut souligner la raison de chevauchements de contrastes et de juxtaposition qui viennent évidemment éclater le principe d’une couleur et d’une variation de la teinte. Il va donner à cette théorie une loi structurale qui organise concrètement l’ensemble des contrastes.

Pour Chevreul il existe deux types de contraste :

« le contraste simultané des couleurs renferme tous les phénomènes de modifications que les objets diversement colorés paraissent éprouver dans la composition physique, et la hauteur du ton de leur couleur respective renvoie simultanément.

Le contraste successif des couleurs renferme tous les phénomènes qu’on observe lorsque les yeux ayant regardé pendant un certain temps un ou plusieurs objets colorés, aperçoivent après avoir cessé de regarder les images de ces objets aux francs la couleur complémentaire de celle qui est propre à chacun d’eux. »

Ces règles semblent extrêmement dogmatiques et peu applicables à un système pictural. Pourtant ils vont proposer une approche cognitive et sensible permettant de faire de l’oeil le véritable auteur de la construction du tableau. Le livre de Chevreul a comme but l’application de ces modalités et de cette loi dans tout système régi par la couleur. La peinture ne déroge pas à la règle et il va pour cela développer un certain nombre de systèmes.

La théorie des contrastes simultanés propose une loi qui dresse des ponts entre un phénomène observable physiquement et psychologiquement et sa représentation picturale. La déstructuration de la composition par et l’avènement des aplats colorés sont en partie de la part des artistes romantiques l’évocation d’une recomposition mentale de la réalité. Ce qui peut sembler comme une rupture dans la mimésis n’en est pas moins un rapprochement pour les artistes d’une prise en considération du phénomène perceptif lui-même. La logique d’harmonie sous-entendue part Chabrol nourrit une nouvelle harmonie picturale. En cela le phénomène sensitif demeure l’enjeu de la peinture et de sa vraisemblance.

Le physiologue allemand Hermann von Helmholtz écrira un ouvrage sur les liens entre l’optique et la peinture traduit en français en 1878. Nous pouvons lire: « j’ai déjà désigné la représentation que la peinture doit donner des lumières et des couleurs de ces objets comme une traduction, j’ai fait ressortir qu’en général elle ne pourrait être une copie fidèle de tous les détails. L’échelle modifiée d’écarter, que l’artiste est obligé d’employer dans beaucoup de cas, s’y opposent déjà. Il doit reproduire, non pas la couleur réelle des objets, mais l’impression qu’elle a produite ou produirait sur la vue, de façon à créer une image visible de ces objets aussi nette et aussi vivante que possible.»

La bascule qui s’opère tout au long du XIXe siècle dans ce principe de la vraisemblance face à une modélisation scientifique, sert de support à l’établissement de la représentation. L’avènement de la modernité, dont les romantiques semblent être la première vague, renvoie à une autre réalité en peinture : la subjectivité. Avec son traité des couleurs, Goethe décrète que tout fait observé devient théorie. Sur ce postulat on conçoit alors rapidement que la subjectivité de l’artiste dépasse l’objectivité de la représentation. L’avènement d’un artiste comme utilisant la teinte en faire valoir de cette technique prend toute sa place dans un XIXe siècle où la subjectivité prime sur le collectif. Delacroix qui se pose des questions similaires à Chevreul, apporte des réponses uniques et subjectives.

Les impressionnistes semblent cohérents car regroupés en un seul mouvement, pourtant le phénomène de l’impression lumineuse est totalement subjective et physiologique. Chaque oeil ne voit pas le monde de la même manière, et la retranscription transparente du phénomène lumineux se fait par l’opacité de la touche.

En 1857, Jules Jamin publie un article consacré aux liens entre « la peinture et l’optique équipée. Le sujet n’est pas nouveau mais avec la montée pour l’intérêt de la physiologie une réflexion esthétique devient de plus en plus sensible à la dynamique de la perception à la densité corporelle édition. L’auteur conteste l’ambition du naturalisme. En se reposant sur la récente mise au point du photomètre il va démontrer la puissance « naturelle » de la peinture à rivaliser avec le réel. La conclusion tombe comme un couperet : « non la peinture n’est pas la vérité, le réalisme est un but qui ne faut pas chercher, parce qu’on ne peut l’atteindre. » 15 ans plus tard avec impression, soleil levant Monet présente un paysage où l’ambiance lumineuse est portée par le contraste simultané. Les formes s’estompent dans la densité matérielle de la lumière avec à terme l’objectif de créer une vaste surface incandescente ou la viendrait goûter l’ivresse rétinienne de l’éblouissement, tel un vis-à-vis frontal avec le soleil dans le débordement de la sensation et le fantasme d’une clarté absolue. La peinture s’affranchit de la finitude du contour pour la béance du regard ébloui c’est ce qui se qualifiait en 1904 d’une tentation abstractionniste de l’impressionnisme.

L’impressionnisme français, proclamant « l’innocence de l’oeil » et la réduction facteur subjective au strict minimum, présentera la sensation esthétique du peintre sur le modèle de la photographie : comme l’inscription d’une impression visuelle sur un écran intérieur, puis sur la toile, comme un processus de traduction mimétique aussi fidèle et immédiate que possible une perception du tableau. Nul arrangement, nul pouvoir démiurgique de l’oeil du peintre ne sont censés s’interposées entre le tableau du peintre et la réalité.


Les profondes modifications de la compréhension du principe perceptif modifie profondément la vraisemblance et son enjeu dans la réception de l’oeuvre. La décomposition et la prise en considération d’un oeil actif et surtout sensible transforme une partie de la composition et de la raison d’être de l’oeuvre. L’avènement de la couleur et sa disposition dans la peinture sont la recherche pour les artistes d’une vraisemblance qui n’engagerait dans un premier temps uniquement un phénomène sensible et oculaire. La valeur harmonieuse de telles compositions étayées par le domaine scientifique poursuit toujours l’enjeu de se rapprocher de la perception de la réalité en peinture. Malgré ce qui semble être une perte de sujets et de perte de sens de la peinture, il s’agit pour les artistes de construire un média aux qualités expressives indéniables. La rupture de la mimésis met pas une rupture de la vraisemblance. L’interaction entre un discours scientifique est une pratique artistique sur le sensoriel construit une quête de vérité subjective de la part des artistes. Des couleurs accidentelles de Buffon aux résonances de l’optique physiologique de Hemholtz, la peinture poursuit toujours cet enjeu de se rapprocher du réel pour émerveiller son spectateur.


lundi 17 octobre 2011

La science comme modèle de la vraisemblance?

La science comme modèle de la vraisemblance?



Suite directe de la conférence précédente, La science comme modèle de la vraisemblance aborde la science et son discours positiviste dans la description du monde. Les recherches et la connaissance scientifique pèsent dans la façon de regarder et de comprendre le monde. La vérité est détenue par le scientifique qui analyse, décortique et explique au plus grand nombre le monde. L’artiste va étayer sa composition de ces règles et de ces lois venant d’un domaine qui souvent est considérer comme opposé. L’artiste pour défendre et démontrer sa vraisemblance se repose sur la science. Un étrange dialogue s’instaure entre une parole scientifique cherchant des modèles objectif et une parole artistique cherchant une expression subjective.


La vision du monde a ouvert l’engagement d’une pratique artistique qui est fondamentalement liée avec celle d’une observation scientifique. Dans une société où la science devient l’analyse et la raison même de la description précise du monde et de l’environnement, l’artiste se doit pour être vraisemblable dans sa composition se faire l’écho ou l’interprète du domaine scientifique. Si l’intitulé de cette conférence est interrogative, c’est qu’il s’agit bien d’essayer de comprendre quelles sont les limites d’une telle application. En effet, la semaine dernière par le terme de vision du monde, nous engagions l’artiste à conserver une perception et une représentation qui soit subjective et non uniquement objective. Cela conduit à ce que le dialogue entre art et science témoigne plus d’une adaptation des connaissances scientifiques que d’une de simple copie.

La véritable représentation scientifique de la nature va résulter d’une entente réciproque entre chercheurs et artistes. Avec les progrès élaborés par la proximité de la nature, la précision des détails et la multiplication des motifs constituent l’un des attraits principaux des images de fleurs, d’insectes, de légumes et de coquillages. Au même moment où l’on remarque l’éclosion au sein de la peinture flamande de la représentation de différentes variété de végétaux on voit arriver en Europe l’existence d’un certain nombre de précis et d’herbiers qui prennent place dans la culture visuelle et scientifique européenne. Ces reproductions exactes, exécutés sur le motif, peuvent être rapidement disponibles pour tous les chercheurs grâce au bois et au cuivre gravé, mais surtout grâce à la multiplication que permet l’imprimerie. Cet intérêt pour la nature est une clé de compréhension de la puissance créatrice des vieux principes du microcosme jusqu’au macrocosme. Au travers de la construction spatiale qui s’élabore il y a alors une vraie volonté environnementale qui se joue dans les représentations de ces premiers plans d’une nature omniprésente.


La semaine dernière nous sommes arrêtés chronologiquement au XVIe siècle, avec la figure Léonard de Vinci, nous repartons donc cette semaine du XVIIe siècle. Dans notre étude d’une vraisemblance comme la possibilité de la peinture de renvoyer une image concrète et tangible. ce sont une nouvelle fois les artistes nordiques et entre autres hollandais qui vont marquer profondément cette intrusion et ce questionnement dans la pratique de la peinture d’un certain nombre de connaissances scientifiques. Cette évolution se voit aussi par l’avènement que cela soit en Italie ou bien en Hollande de nouveaux sujets. Le portrait, la nature morte et le paysage forment tous les trois le témoignage d’un plaisir d’une image qui n’est plus rattachée à une logique dévotionnelle immédiate. En effet ce qui semble motiver les artistes comme leurs commanditaires et leurs collectionneurs au XVIIe en Hollande n’est plus une image dévotionnelle mais qui semble dans un premier temps uniquement un exercice du regard et d’observation la nature.

Nous avons déjà fait état d’une certaine réticence de la peinture flamande à intégrer la perspective géométrique italienne. Mais si nous revenons à la définition première de perspective au Moyen Âge il s’agissait des traités d’optique, il s’agit pour les hollandais d’avoir une image où l’exactitude de sa construction puisse se faire entre une vision naturelle et une observation artificielle.

La caméra obscura est un prolongement des études scientifiques relatives à l’optique. Le succès qu’elle rencontre et son utilisation par les artistes témoignent au travers d’un appareillage d’une croisée entre la logique d’un tableau qui se veut une reflet social, une vision du monde et une vraisemblance reposant sur une exactitude objective.

Il s’agit d’un appareillage au demeurant fort simple, le bois est percé d’un petit orifice laissant entrer la lumière. Pénétrant dans cette chambre noire elle est projeté sur une feuille. L’objet se trouvant à l’extérieur de la boîte est projetté et l’artiste alors n’a plus qu’à tracer les contours pour pouvoir représenter avec la plus grande exactitude ce qu’il observe naturellement.

Entre le 17e et le XIXe siècle, la chambre noire présente plusieurs échelles, à certains moments elle sera même une pièce entière dans laquelle l’artiste pénètre et à d’autre une petite boite, qualifiée de portative, et permettant à chacun de pouvoir jouer de phénomènes optiques et de l’exactitude de la représentation.

L’apparition d’appareillages permettant de compléter la vision, de la recorriger sont autant d’éléments qui doivent permettre à l’artiste lui-même de compléter sa vision du monde. L’observation étant le moyen de la perception et de la compréhension du monde, l’invention des lentilles et la mise en place d’un tel appareil permet par ces prothèses de compléter et de croiser une perception naturelle et une perception artificielle. C’est aussi une juxtaposition entre vraisemblance et faux-semblants, inhérente à la peinture et à son rapport à la réalité.

La chambre noire n’est pas uniquement un appareillage utilisé dans le nord. En effet elle est nécessaire à la renaissance en Italie car elle remplit une fonction didactique permettant la démonstration d’un phénomène et d’une nature projective partagée avec la perspective artificielle. En Hollande le modèle le contexte scientifique, sociologique et artistique propice à son développement. Ainsi, les études du physicien Kepler, largement diffusées, nourrissent un souci d’une exactitude optique. L’appareil va susciter dès cette époque une curiosité et un émerveillement particulier dans sa capacité de représenter les mouvements et les couleurs. En opposition à une perspective artificielle il y a une démonstration de phénomènes temporels qui semble se dérouler dans la même réalité que celle du spectateur.

Le paysage va être le premier sujet à être confronté à une telle construction et à l’utilisation de cette connaissance scientifique. Le tableau représentant l’intérieur de la Oude Kerk de Delft montre une scène de vie quotidienne. La déformation, dans cet arrondi et le petit effet de flou sur les parties extérieures du tableau, comme nous l’avons déjà analysée dans des conférences précédentes, témoigne d’une utilisation à peu près certaine de la caméra obscura .

Ce qui est le plus étonnant pour nous aujourd’hui, c’est de voir des artistes intégrer les déformations dues à des limites techniques des appareillages dans la perception et la vision même du monde. Cela correspond de nouveaux à cette logique d’une réception sociale et de sa capacité à figurer une réalité perçue comme équivalente voir supérieure par l’appareil.

La chambre noire devient une autorité pour une représentation « naturelle » d’un espace et de la projection du corps du spectateur dans cet espace. Il s’agit de considérer l’application d’un phénomène comme une norme dans l’exactitude de la représentation.

La vraisemblance n’est en aucun cas la possibilité de rattacher ces études scientifiques à une exactitude que nous pourrions structurellement la comprendre. Cela repose sur la perception en ce début du XVIIe siècle de l’appareillage de la caméra obscura comme une modélisation du fonctionnement de l’oeil. Pourtant il n’en reste pas moins un équivalent artificiel et non naturel. La chambre noire témoigne de la connaissance des phénomènes optiques reproductibles peut être considérée comme une annihilation de l’individu.

Nous serions confrontés à un phénomène optique qui n’est même plus rattaché à une compétence technique, car chacun y a accès, mais dont la mise en oeuvre peut et se doit de rester personnelle par ces variations. Car cette prothèse reproduit la perception mais de manière incomplète. Cela va découler directement sur une révolution fondamentale dans la représentation de la nature. Car la caméra obscura met à hauteur d’homme l’observation du monde.

La petite marine de Jan van Goyen présente un paysage anecdotique, à la ligne d’horizon extrêmement basse témoignent d’une observation à hauteur d’homme. Dans la construction d’un paysage à la perception un peu satellitaire agissait comme une projection et une perception supérieure. Son décalage ou son affaissement à hauteur d’homme est la conséquence immédiate de observation à l’échelle de l’homme du monde et de sa perception.

Cela témoigne d’un basculement et d’une disparition petite à petit dans la nature terrestre de l’angle de vue de son créateur divin. Les artistes hollandais appartiennent à une société où la description du monde n’est plus confiée simplement la théologie mais aux sciences exactes qui sont en train de mesurer et rationaliser sa perception.

Le tableau reposant sur une méthodologie exacte n’en reste pas moins une composition subjective. Les empattements et l’effet vaporeux composent un point de vue particulier et non une description objective mais d’amener petit à petit par le choix de cadrage et par les différentes propositions une vision symptomatique de l’artiste. La chambre noire est un appareil entre l’objet et l’observateur, elle est la matérialisation d’une mobilisation mentale, mathématique et physique de la réalité. Elle permet un plus grand balayage de l’espace et de sa représentation.Mais tout comme la science, elle n’est qu’un filtre permettant à l’artiste d’accéder à la subjectivité de la représentation. En effet, la matérialisation des connaissances scientifiques est un équilibre utilisable par les artistes pour accéder à une composition expressive. Le rapport au réel modélisé par la science est une base sur laquelle l’artiste élabore une vision personnelle de la réalité. Dans ce questionnement de la science comme modèle d’une vraisemblance, nous comprenons et nous assistons toujours aux mêmes règles du jeu, celle d’une peinture qui comme objet mental doit se permettre de dépasser la simple réalité mais ne doit pas ignorer ces définitions.

C’est ainsi que les peintres hollandais offrent des oeuvres dont l’oscillation entre l’exactitude et inexactitude semble à l’image d’une société qui a conscience que ce qu’elle voit en peinture est un arrangement de la réalité et non pas la réalité elle-même. Dans une culture du détail, se jouer d’un référencement scientifique est nécessaire aux artistes pour justifier de leurs contemporanéités, mais avec l’avènement de la subjectivité du créateur il faut en faire un objet d’expressivité. Cet étrange mariage entre objectif et subjectif illustre parfaitement l’intégration des connaissances scientifiques et techniques dans cet espace artificiel de la peinture. C’est pour cela que nous ne sommes pas face à une image scientifique de relevés et décrite dans les traités l’optique, mais bien une adaptation.


Le second exemple que nous pouvons prendre est celui de l’application des théories de la couleur et de la pesanteur d’Isaac Newton. Nous l’avons déjà largement traité dans une conférence consacrée au Newtonisme. Pourtant il faut de nouveaux y revenir dans cette question de la vraisemblance de son dialogue avec le domaine scientifique. L’impact des théories de Newton à travers l’ensemble de l’Europe ont affiner des connaissances optiques sur la science de la couleur et sur la pondération.

Le dialogue entre art et science est entériné depuis maintenant deux siècles et trouve dans cette philosophie de Newton la possibilité d’unir une logique d’une harmonie du monde avec celle d’une harmonie peinte.

La large diffusion à partir de 1700 des pensées de Newton dans la société française aboutissent à ce que le physicien remplace le philosophe. Cela se trouve nourri d’une perception vertueuse et noble de l’étude de la physique et intègre l’enseignement au sein de l’académie pour devenir un corollaire nécessaire à la représentation du monde. Le propos de Newton a été par son auteur lui-même arrangé pour sembler pouvoir correspondre aux anciennes modalités d’harmonie. Le cercle chromatique Isaac Newton et la possibilité de poursuivre les résonances et les volontés d’harmonie de la composition.

Toutes les observations de Newton sont groupées dans son ouvrage intitulé « optique », cet ouvrage a plus lieu d’être une esthétique qu’une simple étude scientifique.

Le chevauchement entre pensée esthétique et théories scientifiques témoigne à quel point la société générale fantasme une instance collective générale d’un principe d’harmonie globale. L’ordonnancement consécutif à la diffraction du spectre coloré joue sur une mondélisation qui dans le questionnement de la teinte et de la couleur conduit l’oeuvre à prendre une distance avec l’observation du monde. Le caractère de l’imitation jouant sur une perfection et imperfection de la nature se trouve recorriger en peinture et les observations de Newton deviennent le point de départ d’un questionnement de l’artiste sur un partage des connaissances qui doivent conduire à la composition.

L’artiste applique non en scientifique mais en poète les théories de Newton afin d’obtenir une composition équilibrée dont les champs colorés soutiennent le sujet choisi. La grande force de la pensée de Newton c’est qu’il ne s’agit pas d’une simple bascule et d’une simple analyse d’observations scientifiques mais de l’évocation d’une possibilité d’une harmonie.

La peinture est un objet tourné vers la délectation de l’oeil. Les connaissances scientifiques d’Isaac Newton et leur large diffusion en font un socle social de la compréhension de la perception du monde et de son harmonie. L’artiste, intégré socialement, doit composer avec ces nouvelles données qui ne sont qu’une certaine poursuite des résonances de la perspective géométrique et artificielle du XVe siècle. Le cercle chromatique de Newton devient une organisation de la palette de l’artiste pour permettre la composition d’une oeuvre dont la perception doit toujours être supérieure à la réalité.

La science est un modèle. Le modèle d’une description objective du monde et de la réalité. La qualité de l’oeuvre réalisée par le peintre reste dans la logique de l’invention. L’artiste doit effectivement relever la réalité mais l’art est de la disposer dans sa composition. De cette part de la subjectivité de l’artiste découle la valeur et la qualité de son oeuvre. C’est en cela que malgré une très forte présence dans la première moitié du XVIIIe siècle des pensées de Newton, ces dernières ne sont qu’une partie de la définition du rapport au réel et en aucun cas un modèle uniquement applicable. Nous restons toujours avec la peinture et les arts plastiques dans une pratique où la subjectivité de l’artiste dépasse l’objectivité de l’artisan.

La pesanteur, phénomène sur lequel nous nous sommes déjà largement penché dans les conférences précédentes, devient le même enjeu pour les artistes. Le sujet en peinture même si il est rattaché à une réalité de sa figuration n’en est pas moins détaché dans sa pondération. La peinture reste un sujet détaché en partie de toute logique de vraisemblance. L’artiste ne fait pas une erreur inconsciente bien au contraire tend vers des limites et des dépassements dans son sujet pour proposer une vision supérieure.

Cela va se poursuivre au travers du XVIIIe et du XIXe siècle. La peinture est un art de la vision et doit par cette sensation générer de grands sentiments.

Le sentiment va être scientifiquement définit par une excitation sensitive. Ainsi la perception métaphysique va devenir une question d’une sensation supérieure à la réalité.

La science ne définit la réalité que d’une manière objective, mathématiques, en un mot rationnelle. L’art doit pour être efficace et conduire à un émerveillement joué de l’irrationnel. C’est en cela que si la science est un modèle de la vraisemblance, l’artiste doit le suivre mais en aucun cas uniquement l’appliquer. Sinon l’oeuvre ne serait qu’une sorte de reliquat d’un artisanat s’appuyant sur les compétences scientifiques pour proposer une image plus exacte. L’enjeu d’un sensualisme infléchit la science à la subjectivité de l’artiste. Celui-ci ne se veut aucunement comme un scientifique mais bien au contraire comme un regard transformant la réalité. L’art fondamentalement même lorsqu’il se repose sur des modèles abstraits ou concrets propose toujours une image interpellant notre rapport à la réalité. Nous sommes amenés à être convaincus que la vraisemblance du sujet en peinture repose sur le fait que cette dernière n’est qu’un artefact. Ainsi la peinture n’est pas une image de la science mais une application de la question sociale et contemporaine de la définition et de la représentation du monde.


lundi 10 octobre 2011

Visions du monde: la peinture comme miroir du monde.

Visions du monde: la peinture comme miroir du monde.


La vraisemblance et l’imitation engage la peinture dans la volonté de la figuration de la nature. Cette dernière comme nous en avons déjà discuté coïncide avec une image arrangée ou sublimée. En effet, il semble être présupposé que l’image seule de la nature n’est pas un sujet suffisant pour l’exercice métaphysique de l’observation d’un sujet peint. Ainsi la nature en peinture est plus belle qu’en réalité.

Pourtant, il y a bien une invention de la nature à partir du XVe siècle qui conduit les artistes à l’observation et à la compréhension des questions environnementales. La vision du monde, en allemand Weltanschauung, est un parti pris, où dans la subjectivité de chacun, la perception et la compréhension des phénomènes naturels témoignent de la connaissance de l’individu. Vouloir représenter et interagir avec le monde constituent pour le peintre l’obligation de comprendre et de synthétiser ce qui le décrit, physiquement et intellectuellement. De reflet, la peinture devient miroir, à la fois pour celui qui crée et pour celui qui regarde.

La signifiance du sensible couvre celui de trompe l’oeil. L’objet par sa figuration est intellectuellement recomposé, mentalement formé. La nature de l’oeuvre dans ce dialogue avec la vision intérieure joue en faveur d’une surface ou d’une frontière largement dépassée par le spectateur dans sa relation à la nature, au réel par sa figuration artistique. Cette représentation du réel va changer profondément avec l’apparition du terme d’environnement en lieu et place de la nature.

Ainsi, Alain Gauthier écrit dans Le virtuel au quotidien (édition Circé, Belfort, 2002, p.61): « La notion d’environnement témoigne du niveau d’abstraction de l’espace auquel nous sommes parvenus, elles se prêtent à la combinaison des registres, à l’expérimentation, au programme. L’espace est devenu une idée complexe qu’on essaie de triturer dans tous les sens, ce n’est plus une force ou une forme.»

L’environnement définit l’ensemble des événements naturels et leur relation. Léonard de Vinci en observant la nature essaie de trouver des théories, des fonctionnements qu’il appliquera ensuite dans sa peinture.

La nature se compose des quatre éléments, l’environnement les unit dans leur fonctionnement. Raoul Hausmann au début des années 20 propose «d’accorder plus de réalité à la création des formes provenant de la perception du monde».

À la renaissance et malgré l’artificialité de la représentation de l’objet naturel, nous pouvons observer pour les artistes porte une attention toute particulière à l’observation et la transposition du monde.

Dans cette figuration de la réalité terrestre deux éléments semblent ressortir, la représentation du ciel et de la terre. A la fin du moyen-âge nous sortons d’un modèle purement théorique de pensée du monde pour rentrer dans un modèle d’observation et d’examen.

Premier exemple de cette mutation et de son intégration dans l’art: le ciel bleu et les nuages.

Les premiers ciels bleus n’ont rien à voir avec une observation météorologique, mais avec un souci décoratif des artistes, ils peuvent aussi être rouges ou dorés. Cela change dans les flandres par l’influence des frères Van Eyck. Le bleu du ciel n’est plus alors un aplat monochrome, mais présente des dégradés de bleus allant vers le blanc. Ce changement se manifeste d’abord dans l’enluminure et rapidement arrive dans la peinture de panneaux. Ces modulations chromatiques vont s’accompagner de la mise en place de nuages. Le ciel devient météorologique et les nuages semblent correspondre à une certaine réalité. Cette mesure et application d’une observation de la nature confère à l’image une vraisemblance et une profondeur accrue. Le ciel qui jusqu’à maintenant n’avait qu’une fonction décorative de la partie supérieure d’une image, devient un élément à part entière de l’environnement terrestre. Ainsi il est aussi une zone habitée, la représentation de vols d’oiseaux dans le ciel permet de figurer par le traitement de ces volatiles, comme des signes. Leur petite taille révèle un changement radical dans la façon de concevoir le naturalisme de la représentation. En effet, la représentation des oiseaux correspondait à des illustrations des bestiaires et des traités de fauconnerie permettant aux spectateurs de reconnaître avec facilité les espèces représentées. Dans le cas des vols d’oiseaux dans le lointain, le jeu de la reconnaissance est caduque, il s’agit au contraire de proposer une image du monde et d’un environnement, le vol d’oiseaux permettant de donner un espace sensible supérieur à la représentation de l’air et de ce que nous appelons aujourd’hui l’atmosphère.

Dans ce même enjeu environnemental de la vision du monde, les représentations des différents circulations de l’eau illustrent un jeu identique. Les cascades et autres représentations du flux nous permettent une transposition des observations de cet élément. Il s’agit pour les artistes de saisir d’une manière tout à fait réaliste le mouvement de l’eau, et tout comme on rend épais l’atmosphère on épaissit aussi le milieu aqueux.

Représenter le monde n’est pas uniquement l’air et l’eau il y a aussi la terre.

Vers le milieu du XVe siècle, l’intérêt que les peintres italiens portent au minéral se fait par des raisons symboliques et non d’une curiosité pour la nature. Chez les peintres nordiques l’intérêt pour le minéral amène les artistes à figurer des données géologiques dans un souci de précision d’une vision du monde. Ainsi, même si la végétation recouvre en bonne partie le sol, elle laisse la place à une observation de la roche. Il ne faut pas y voir d’études scientifiques d’artistes qui seraient des géologues, mais plutôt une collection de morceaux choisis permettant un rapprochement entre la composition et la disposition fleurtant parfois avec une invraisemblable. La peinture qui ainsi fait sentir cette diversité des phénomènes est plus une poétique qu’un savoir. Et pourtant, la disposition témoigne de la part des artistes d’une volonté d’intégrer une connaissance et une capacité à figurer le réel.

Le terrain restant toujours en en partie visible sous le manteau de la végétation il ne se limite pas à des formes conventionnelles. L’art de l’invention des premiers peintres flamands devient rapidement une mise en place d’un stéréotype : les pierres érodées, signes de la réalité. Ces roches arrondies, usées deviennent le témoignage du souci du réel et de sa transposition. Ce qui dans un premier temps témoignait d’une étude, devient dans un second une habitude de peinture. À l’imitation de la nature succède ainsi au XVe siècle un maniérisme qui privilégie la singularité du style plutôt que celle des formes, les peintres définissent ainsi leur écriture par une façon propre de traiter les rochers. Il s’agit toujours du même phénomène d’artialisation de la nature.

Les modèles nordiques vont migrer et ses influences se retrouvent dans la peinture italienne du XVe siècle.

Ainsi, dans les deux panneaux de Mantegna nous retrouvons le traitement en dégradé du ciel. La complexité d’intégrer la donnée artistique flamande vient principalement de la difficulté de l’appliquer avec la peinture à l’oeuf. Les oeuvres de jeunesse de l’artiste italien sont révélatrices de la sensibilité qu’il porte à cette influence des tableaux du nord arrivant en Italie en grand nombre dans la fin des années 1440. Dans la Prière au jardin des oliviers, il accompagne le blanchiment du ciel au niveau de la ligne d’horizon avec une brume lointaine semblant provenir de la fonte des nuages en ce point. La composition météorologique transforme les nuages en marqueurs de la perspective, plus gros au premier plan est plus petit à l’arrière. Les nuages présentent quasiment tous la même forme et semblent se répartir sur un quadrillage assez précis qui appuie la perspective géométrique et l’impression de profondeur. Cela provient du fait que la peinture italienne ne s’en tient qu’à des objets connaissables, c’est-à-dire mesurables ou en tout cas susceptible d’être définis précisément et explique ainsi une structuration beaucoup plus géométrique. L’invention du ciel est une affaire nordique car comme le soulignent certains historiens comme Kenneth Clark, l’Italie apprécie les certitudes et les formes des nuages, faute de se résoudre, ne peuvent passer pour telles. (anecdote à souligner que pour sa petite machinerie du trompe-l’oeil, Brunelleschi n’avait pas par le ciel mais utiliser une plaque d’argent pour le refléter)

Dans la Résurrection nous retrouvons le même principe. Mantegna représente un ciel similaire entre un coucher de soleil et un lever. Les nuages au delà d’une formation météorologique deviendront la possibilité d’une signification allégorique avec l’introduction de formes au sein même de ces éléments vaporeux. Ainsi Mantegna devait en partie cité Aristote qui dans les météorologiques relève qu’il arrive que la surface des nuages semble dessiné des figures.

Les panneaux de la prédelle de San Zeno n’est pas un univers où la végétation domine. Nous pouvons observer un chaos de roc faillés et des traces minérales fissurées où les pierres se disputent avec la végétation. Nous trouvons une nouvelle fois leurs origines dans les tableaux flamands qui ont inspiré Mantegna en ce moment, il serait impossible confondre la campagne de Mantegna avec un paysage conçu par un Flamand. Lorsqu’il peint la terre comme lorsqu’il peint du ciel, Andrea Mantegna reste fondamentalement italien. Sa passion pour le minéral n’est pas géologique, elle est archéologique. Le peintre témoigne d’un style qui imiterait les reliefs des anciens : les oeuvres qu’on croirait avoir toujours été monochrome dans une gamme limitée de teintes. Mantegna manifeste une vision singulière du minéral, ainsi ils distinguent peu la roche naturelle et la pierre travaillée. La première sous forme de blocs qui paraissent joints par une main ordonnatrice et la seconde fissurée, en ruine, revenant peu à peu son aspect primitif. Ainsi, dans la Prière au jardin des oliviers, tout comme la ville de Jérusalem semble poursuivre la colline au sommet de laquelle la ville se développe, le rocher semble lui-même poursuivre la seconde colline sur laquelle il se trouve. Ce rapprochement des formes naturelles et artificielles altère considérablement le traitement des formes naturelles. Si les peintres flamands reproduisaient les accumulations résultant d’une évolution géologique sans en comprendre le sens, Mantegna, lui, les construit de telle sorte qu’on voit croire qu’une intelligence les a ordonnés. Ainsi les bords de la rivière sont comme maçonnés ou seuls quelques lignes semblent presque figurer l’ancien lit de la rivière qui passe dans l’angle inférieur gauche et témoigne d’une érosion naturelle.

Dans la résurrection, nous trouvons un sol beaucoup plus uniforme. La régularité présente un sol d’une carrière qu’une minéralogie naturelle. Dans l’angle inférieur droit de Pierre sont comme abandonnées, des fragments taillés, peut-être la version réduite de ces pierres dégrossires sur place afin d’être transportée aisément. La minéralogie de Mantegna est caractérisée par une approche singulière. Dans ses peintures, les pierres sont au service de l’homme, et réalisée pour cette usage soit par la nature soit par des ouvriers.

La vision naturelle de Mantegna nous propose un environnement où tout comprend l’artificialité via la volonté d’une mainmise de la part de l’artiste sur la composition. Ainsi que cela soit pour la représentation de la terre, de l’eau, ou bien de l’air, la nature ne joue pas un principe d’un environnement mais bien celle d’une composition plastique.

La vision du monde correspond à une compréhension et à une volonté d’une figuration d’un certain nombre d’événements naturels. Si dans les premiers temps de la peinture flamande il s’agit uniquement d’un relevé, cela va très vite nourrir un fantasme d’un artiste capable de comprendre et décrire les phénomènes naturels. Celui qui incarne cela n’est pas Flamand mais un peintre italien, Léonard de Vinci.

La semaine dernière, nous questionnions l’impact de la société sur l’artiste. Par la figure de l’artiste ingénieur, donc Léonard semble être l’un des premiers dépositaires, il s’agit alors de comprendre qu’au-delà de la volonté de représenter le mot, sa compréhension et son intellectualisation peut permettre à l’artiste de proposer des formes fonctionnelles et non uniquement esthétiques.

Par exemple, Léonard de Vinci réalisa un certain nombre d’études d’après nature de rochers, de roches, de flux d’air et d’eau, de plantes et de tout ce qui semble pouvoir composer la nature.

Ces carnets de dessins de notes demeurent aujourd’hui le témoignage de sa vision du monde. Mais surtout cela lui permis d’appliquer ces diverses observations comme toile de fond de ses compositions picturales.

Sa toile la plus célèbre, la Joconde, a toujours été un très grand fantasme d’une symbolique de significations cachées. Avant même d’essayer de comprendre l’existence ou non d’un message, le paysage qui s’élabore au fond est le témoignage de cette vision du monde que Léonard a construite. Que cela soit par le dégradé de bleu du ciel, par la circulation de l’eau au sein de ce paysage montagneux, ou bien encore de l’observation des concrétions telles qu’elles peuvent se faire à proximité des lits des rivières ou bien dans les massifs montagneux, Léonard de Vinci ne se veut pas un spectateur mais un observateur de la nature. Souvent, ces observations l’ amène à la construction de machines, et aujourd’hui encore nous considérons que cela est uniquement dans cette vocation constructive, que les carnets de Léonard ont été réalisés. Pourtant il s’agit bien de la part de l’artiste de proposer sa propre vision du monde au travers d’une compréhension de ce dernier et de son analyse. Ainsi pour la question des flux, Léonard a créé des homologies entre l’eau et l’air. Nous pouvons relever dans cette copie de la Joconde il y a un traitement picturale de matières similaires de l’air et de l’eau.

Si le tableau est un objet de connaissance, il doit par conséquent être son reflet. Par la vision du monde, il s’agit de comprendre comment dans ces premiers temps de la peinture moderne et de son rapport à la réalité, les artistes se trouvent à devoir analyser le réel et comprendre que la nature fonctionne comme un environnement pour pouvoir proposer une image des plus concrètes à son spectateur.

La vision du monde reste artistique. En aucun cas l’artiste se doit d’être uniquement le scientifique. L’artiste ne pourra ignorer le fait scientifique mais conservera toujours sa part de liberté afin de proposer au travers de sa propre subjectivité son regard et sa vision sur le monde.

La vision du monde passe par sa compréhension, son observation. Si l’oeuvre d’art doit proposer un monde plus beau que la nature, l’artiste prendra conscience de cette dernière.

Ce sera le cas dans les années 20 de Raoul Hausmann. Cet artiste dadaïste, fondamentalement nihiliste durant la première guerre mondiale, cherche à inclure d’une manière fonctionnelle l’artiste dans son temps. La semaine dernière, nous terminions le discours progressiste de l’oeuvre comme un reflet social avec la première guerre mondiale. Au lendemain de ce carnage humain, les avant-gardes cherchent artistiquement à influencer la vie quotidienne de l’humanité. Ce qui normalement était cantonné à un exercice visuel et artistique va devenir un enjeu social beaucoup plus étendu.

Le mythe de l’artiste ingénieur tel qu’il avait pu apparaître avec la figure Léonard de Vinci revient sur le devant des débats artistiques. Si l’artiste doit avoir une fonction: proposer des formes, des interactions avec le monde qui soit plus dynamique à l’image de ce qu’est la donnée énergétique du monde. Ainsi la question des flux observée par Léonard de Vinci, deviennent chez Raoul Hausmann les questions vibratoires du son, de la lumière, de l’électricité.

Les visions du monde dans ce thème de la vraisemblance mettent en lumière le travail d’observation d’après nature de l’artiste bien avant que cela soit un élément définissant la démarche moderne de l’art. Venant des écoles du Nord, ce régime d’une observation scientifique induit toujours une relation aux connaissances de son temps et une oeuvre qui n’est pas uniquement un reflet mais bien le miroir d’une réalité.

lundi 3 octobre 2011

la peinture comme un reflet social

La peinture comme un reflet social


Le thème de la vraisemblance et l’enjeu de l’imitation et de la reproduction des connaissances porte le moteur de l’exactitude en peinture et conduisent le tableau à devenir un objet inscrit dans son temps. La peinture contemporaine devient un témoignage de la société qui la génère.

L’évolution de la figuration et de la réalité qu’elle semble représenter inscrit le peintre et son public dans un mouvement similaire.

L’oeuvre d’art peut se définir comme un miroir à la fois pour son créateur, signifiant sa subjectivité et pour son spectateur qui y projette son faisceau de pensées. Le rôle et la valeur des cultures visuelles n’ignorent pas que les oeuvres sont des faits de civilisation qui manifeste des fonctions de l’esprit s’exprimant dans des systèmes. La peinture est un objet qui s’attache à la fois aux notions d’informations et de signes. Ainsi quelques soient la précision ou la dissolution de la représentation, la peinture s’active dans un temps de réception, et devient par sa durée un témoignage de son temps. Les notions d’informations et de signes sont à mettre en relation avec l’ensemble des activités humaines, scientifiques, philosophiques, littéraires, techniques. Traverser la représentation figurative et picturale du XIVe siècle au XXe suppose en préambule que l’objet qui nous est ainsi dévoilé est considéré comme un reflet social.

Un reflet peut être à la fois l’image d’un corps apparaissant sur une surface réfléchissante ou bien encore ce qui reproduit l’image de quelqu’un, d’un groupe. Social peut être définit comme ce qui concerne la société et ce qui vit en société.

Le reflet social des images produites est à la fois extérieur et intégré à la société. Se poser la peinture comme un reflet social c’est regarder un témoignage objectif de son temps et de la subjectivité de sa signification.

Cette réflexion engage une nature double de l’image: descriptive, oculaire et d’une image intellectualisée. Cela évolue et mène à l’origine d’un média d’expression, de création. Toute vraisemblance se construit dans la fausseté de sa reproduction, le caractère illusoire de telles constructions ne peut être abordé que si la représentation d’un objet est porteuse d’un sens, ainsi et d’une signification. La semaine dernière nous abordions la perspective géométrique comme structure d’objectivité et de subjectivité dans la création d’un trompe-l’oeil devenant un objet significatif et support, par son application et sa démonstration, de l’expression artistique.


Les primitifs italiens et la peinture de la renaissance témoignage de l’avènement d’une société humaniste.

Les profondes réformes au sein de l’église et l’émergence de nouveaux ordres prêcheur transforme fondamentalement le rapport au texte et le rapport au religieux dans les sociétés du XIIIe du XIVe siècle en Italie. Les modifications de l’image permettent de concevoir l’artiste comme accompagnant de ce mouvement général. De la figure d’un christ inaccessible et juge de nos comportements, l’image tend à proposer une figuration d’un personnage qui s’active dans un espace humanisé.

Dans le diptyque de l’adoration des rois mages de Ceccareli, l’humanisation et la représentation semble quasi absente et uniquement suggérée pas le sol imitation marbre. Mais le jeu de fléchage de la construction suggère une cohérence spatiale et temporelle. L’oeuvre demeure autonome mais propose une circulation du regard dont l’objectif est de mettre en avant le personnage le plus important : l’enfant.

L’humanisation et l’incarnation sont une poursuite de connaissances scientifiques du corps qui permette de comprendre et d’envisager cette machinerie charnelle. Le message ne s’adressait uniquement qu’à l’âme avec l’apparition d’une pensée humaniste il s’agit aussi de convaincre le corps. L’un des changements profonds de cette période est de considérer que le temps sur terre n’est pas uniquement un passage, mais un moment physique réel.

En conséquence l’image terrestre telle qu’elle se développe et que nous l’avons déjà abordé dans la perspective géométrique devient le moteur de la signification de la représentation.

Andrea Mantegna, comme les peintres de la renaissance, proposent une formalisation de cette fenêtre ouverte sur le monde et sur l’histoire, la simple représentation de la réalité n’est en aucun cas l’unique moteur de l’observation des tableaux : un certain nombre d’objets naturels sont en effet porteurs d’une symbolique, d’un réseau de signes (L’arbre foudroyé, les lapins, les ruches). Mais ce qui confère à la peinture une autre logique et renforce dès son origine son caractère de témoignages historiques est l’intérêt à la figuration d’objets antiques et l’influence des modèles passés sur l’émergence de modèles modernes. Une prise de conscience de la capacité de l’art à durer comme témoignage de la société.

Les Médicis à Florence s’intéressent à l’art antique, comme le témoin de la grandeur de la civilisation passée. La renaissance veut demeurer un témoignage historique de la grandeur de cette période. L’architecture, la sculpture et la peinture deviennent alors des objets dont on considère qu’ils auront la capacité à perdurer. Ce régime particulier conçoit une oeuvre marquant son temps comme un objet présent et devenant un témoignage du passé pour les générations futures. Le tordse du Christ par Mantegna dans sa résurrection en est le parfait témoignage. À première vue d’un torse anatomiquement correct. Sa musculature le lie avec les modèles antérieurs de Donatello. En cela Mantegna témoigne de sa modernité et capable de citer visuellement un des grands maîtres la réforme de l’image en Italie. Mais Donatello s’inspire que de l’antique pour construire lui-même ce modèle et témoigne à son tour de sa valeur d’artistes modernes. L’imitation joue de citations successives hiérarchisant des modèles et leur réutilisation comme une valeur du présent. Le statut de l’oeuvre se complique : entre objet atemporel et assujetti à un effet de mode et un effet de style.

la société ne travaille pas l’amnésie mais se bâtit sur un régime historique par un enjeu progressiste que les nouvelles générations peuvent être par leurs connaissances supérieures aux générations passées.

Nous retrouvons cela chez les primitifs flamands. Dans le retable de la Vierge à l’enfant/Saint-Jean et Sainte Madeleine, sont figurés à la fois une architecture gothique, témoin la période précédente faste et une image de la campagne flamande humanisée par l’organisation du territoriale. La ferme observable derrière Sainte Madeleine ne véhicule pas uniquement son inscription dans un espace commun à son observateur, elle est aussi le témoignage, le signe fort d’une exploitation efficace et rationnelle de la nature.


Les styles et leurs évolutions comme témoin du rapport de l’oeuvre et de son temps

Le maniérisme par son jeu de citations des modèles passés comme validation de la qualité des modèles semble, pour un moment, nous proposer une oeuvre d’art sans référencement extérieur à la structuration de l’image, dans un jeu uniquement «à la manière de» pour construire le vocabulaire de l’oeuvre.

Cela semble être l’aboutissement d’une notion de « montage » d’une société et de ses oeuvres qui se jouent de l’illusionnisme et d’une rupture avec le réel comme point de départ de la composition picturale. Le maniérisme porte la signification de la forme comme une autonomie de l’oeuvre. La profonde transformation sur laquelle nous sommes déjà arrêtés au début du XVIIe siècle bouleverse, avec la notion de plaisir ou délectation, le fonctionnement même du tableau.

Le discours progressiste, bien qu’étant une lecture simpliste de l’évolution de la société, soutient un des axes pour comprendre cette évolution du reflet social.

Au début du XVIIe siècle, de nouveaux modèles de composition structure une théâtralité et une dramaturgie quasi excessive pour soumettre le spectateur à un effet intimiste de son observation. Le clair-obscur qu’il soit dans un développement italien ou bien dans sa reprise hollandaise nous propose une scène en «close up », où très peu d’informations scéniques, focalisent le regard du spectateur sur les personnages. Cette théâtralité n’est pas qu’imaginative, Elle s’appuie sur une observation des plus naturalistes, par un évangéliste ressemblant plus à un paysan, par une jeune beauté contemporaine figurant la Vierge, ou par un outil de charpentier mis sous les projecteurs dans une fuite en Égypte. Cela conduit à l’émergence d’un peinture qui se désengage de son sujet religieux et figure des avancées scientifiques en botanique, en optique et l’émergence des cabinets de curiosités.

le paysage et la nature morte proposent des sujets figurant uniquement la forme et de sa représentation. Pourtant malgré l’objectivité, l’image ne se cantonne pas à une unique lecture formelle et porte une raison ou un signe. L’observation d’un bouquet de tulipes, témoins de la capacité de l’homme à hybrider la nature, la figuration d’un fromage et de denrées, témoins d’une richesse matérielle semblant suffire pour une certaine partie de la société à ne plus être exposée à la famine, sont autant de porteurs symboliques. Les thèmes de vanité véhiculés par les natures mortes hollandaises sont autant de rappels que la peinture est le reflet terrestre de l’existence de l’homme et de son lien avec le divin. Bien que l’homme semble pouvoir atteindre un certain degré d’immortalité par sa figuration (nous en reparlerons dans le cadre du portrait) il demeure dépendant à ce laps de temps terrestre qui lui est accordé. La peinture en cela conserve son caractère d’une temporalité à la fois allongée et brève. Le tableau et la reconnaissance des objets et le concept de leur signification.

La peinture par ce réseau de signes qu’elle tisse est objet de plaisir physique et de signifiant ayant une conséquence morale.


Peinture et politique : engagement du seul artiste au service du pouvoir.

Ce caractère morale fait de la peinture un témoignage de la grandeur du régime qui la soutient. Avant même la fondation de l’Académie royale de peinture et de sculptures en France au milieu du XVIIe siècle, l’artiste s’est toujours retrouvé à être assujetti à la cour.

En observant les batailles de Richelieu, nous sommes spectateurs d’une théâtralisation des grandes victoires du roi auquel s’attache évidemment le cardinal. Ces tableaux ne portent pas uniquement une évocation historique mais sont aussi véritablement la théâtralité d’une figuration de l’action de personnages contemporains. Le souci du détail en font un témoignage de la stratégie militaire renvoie au portrait et à la qualité du commaditaire. Deux des trois batailles présentent au premier plan le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu qui se tournent tous les deux vers le spectateur et introduisant l’action. La structuration d’une galerie de plus de 10m de large sur 70m de long accueillant l’ensemble des batailles compose une vitrine pas uniquement de délectation mais de commentaires et de mises en lumière de celui qui les a commandé.

Les batailles de Richelieu sont un témoignage visuel d’un développement de plus en plus profond de l’histoire et du récit du temps passé. La rédaction des mémoires, de la biographie, la présence d’historien officiel autour des grands personnages décrit une société qui considère que par l’histoire elle peut perdurer même après sa disparition. L’oeuvre devient comme le texte un reflet social.

En parallèle de cette construction se trouve aussi l’émergence du nom de l’artiste comme étant un marqueur véritablement de son temps et de l’art a un régime historique. Nous en parlions la semaine dernière à propos de la perspective, cette invention qui aurait pu rester anonyme est devenue rattachée à un nom, Brunelleschi, et ainsi est rentré dans l’histoire.

La mise en place de l’Académie royale de peinture de sculptures sous l’égide évidemment la royauté se veut un système de normalisation de la formation des artistes et une main mise de l’État, sur les récompenses. L’académie est une institutionnalisation de l’artiste et son temps. L’Académie royale de peinture et de sculptures modélisée à partir des exemples italiens et à comme but de faire de Paris la nouvelle Rome et la nouvelle Athènes. L’enjeu social peut paraître toujours le même : l’art comme le témoin de la grandeur du temps qui le voit naître. Au-delà de la normalisation plastique les artistes doivent réussir à conserver leur subjectivité et leur caractère individuel dans l’observation et la composition.

Cette intégration sociale se structure autours les salons de peinture. Ce dernier est une vitrine de la grandeur des peintres au service du roi. Le salon public devient le lieu de débat et d’échanges entre les différents regards que l’on peut poser sur le tableau. Si dans un premier temps seul l’académie est jugée apte à évaluer les travaux des peintres, très rapidement toute une littérature va reposer le questionnement de la valeur de l’oeuvre et voir l’émergence au XVIIIe siècle de la critique d’art. Dont la vraisemblance est un des grands sujets, car il s’agit fondamentalement du jeu de l’invention , le peintre devant proposer une composition dépassant le simple reflet de la nature.

Le salon peut faire et défaire les carrières, et il témoigne d’une montée en force du regard individuel. Les amateurs ne sont pas le roi et la portée morale de la peinture n’est plus la seule recherche. Les débats internes à l’académie deviennent des débats de société. L’opposition de la couleur et du dessin est le témoignage d’une opposition entre le plaisir et la morale. Bien que l’oeuvre devient un objet purement présent et assujetti à une mode, elle n’en conserve pas moins son caractère éternel. La multiplication des sources à la grande figuration de la peinture d’histoire, l’émergence des scènes de genres, du paysage témoignent d’une société qui bien qu’elles soient rattachées à un pouvoir centralisé laisse une place à une liberté individuelle. L’amateur éclairé, c’est-à-dire celui dont les connaissances intellectuelles sont aptes à décrypter le tableau, appartient tranches supérieures de la société.

Le salon va devenir un événement, l’oeuvre va devenir événementielle. La multiplication des commentaires et la diffusion de ces derniers devenant le témoignage de l’impact social de l’oeuvre.

Les changements politiques qui s’opèrent dans le dernier quart du XVIIIe siècle von,t une nouvelle fois dans ce lien entre l’art et son temps, marquer une profonde réorientation.


Une peinture de musée et de dessus le commode.

La consécration historique et contemporaine du peintre va être portée par l’invention des musées. La mise en place de telles structures est consécutive de la révolution et repose sur un principe d’accessibilité maximale de l’oeuvre dans la société française. Cela va provoquer un schisme dans la production picturale. Les peintres officiels d’histoire et leur très forte dépendance à l’État conduisent à des compositions dont les dimensions matérielles et le contenu sont uniquement muséographiques. Une autre classe d’artistes vont répondre à une demande individuelle. La société du spectacle et la société événementielle aboutit à une peinture spectaculaire et une peinture événement. Nous observons bien que le classique tend à garder la main sur une normalisation de la production artistique. L’accélération d’une perception progressiste de la société aboutit à la fragmentation même de la production artistique, à une multiplication et à un chevauchement des données stylistiques. Ainsi, néoclassiques et romantiques sont-ils des contemporains. Et cette bataille s’organise au sein des différents salons au XIXe siècle n’en sont pas moins qu’un fait de critiques, d’une peinture que l’on positionne et qui occupe un débat médiatico-plastique.

Le principe de la réception développée par le salon se structure autour de la question de la vraisemblance, du sujet et de sa représentation. La peinture comme reflet social est toujours conduite par la même question : est-elle une pictura uniquement exercice visuel ou imago jouant une réception intellectuelle.

La consécration des artistes contemporains croisent la subjectivité de la création enclin à être une expression personnelle. Ainsi dans ce questionnement de la vraisemblance le sujet a quasiment tendance à s’effacer derrière le nom de l’artiste. Il suffit pour cela de lire les comptes-rendus d’exposition pour y voir l’émergence du nom de l’artiste et la disparition de son sujet. Cette individualité se présente comme une conclusion de la renaissance. L’artiste a une pratique libérale et propose une expression uniquement personnelle.


L’artiste moderne comme un engagé social?

L’artiste moderne tend à interagir avec son temps, non plus comme un support et un reflet d’une civilisation mais comme un regard posé en tant qu’observateur de son temps. La peinture impressionniste propose des sujets urbains, comme un sujet moderne de l’évolution de la société individuelle et urbaine. La carte postale du peintre paysager allant battre la campagne seule n’a d’intérêt que si cette dernière est le témoin de la mise en place du chemin de fer, la compréhension d’une science permettant une explication du monde et d’un environnement.

L’oeuvre d’art est une communication et une recherche sensible, où chacun est invité à se projeter. La fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle avec les avant-gardes voit s’accélérer les renouvellements stylistiques. Les artistes sont toujours en lien avec les mouvements précédents mais comme une valorisation de la progression, le mouvement suivant se veut toujours supérieur, non plus dans un régime historique et passéiste mais bien dans une conduite présentiste. L’oeuvre réagit à l’actualité, l’artiste va commenter visuellement ce qui se passe dans son propre monde. La subjectivité de la représentation lui permet de s’éloigner petit à petit d’une simple imitation. Les moyens mécaniques de reproduction telle que la photographie ou bien le cinéma justifieront la peinture comme devant se retrouver en tant que matériau objectif singulièrement activé.


La peinture est un reflet social, cela ne peut être remis en cause car le jugement de la représentation est porté par la société qui la réceptionne. À partir du XIVe siècle une oeuvre avec une double nature temporelle, contemporaine et éternelle, propose un reflet comme une description précise et une image dématérialisée. L’artiste ne propose pas qu’une forme mais bien des signes. Considérer une lecture de l’oeuvre uniquement par la représentation tronque la question de la vraisemblance. L’imitation ou la réalité figurative compose un réseau de signes qui ne prend toute sa place sur l’instant de sa réalisation. Car quelle que soit la temporalité que l’on donne à l’oeuvre et à son sujet, il s’agit bien d’un instant de création et d’expression artistique dont on reconnaît depuis l’origine de son artificialité et son expressivité. Le reflet social et une image qui peut déformer, dissoudre la réalité figurative comme spectateur et acteur de son temps. La vraisemblance est un des enjeux de cette peinture par son caractère expressif.