lundi 28 novembre 2011

La vraisemblance et la symbolique: une idée derrière une image ?

La vraisemblance et la symbolique: une idée derrière une image ?

La vérité en peinture semble portée par l’image et par sa charge symbolique. Le reflet offert par le tableau est celui d’une pensée et d’un schéma de codes. Le contenu d’une oeuvre ne se limite pas à sa simple matière mais aussi à son immatérialité. Les concepts et théories qui nourrissent une réception de l’oeuvre font d’elle un symbole, un discours et une valeur. La symbolique n’est pas uniquement un discours caché, compréhensible par un petit nombre d’initiés. L’oeuvre d’art attire car elle est un symbole expressif. En offrant une image artificielle de la réalité, elle offre au spectateur un faisceau d’interrogations morales et symboliques.

Symbole: ce qui représente une réalité abstraite.

Iconographie: Étude des sujets représentés dans les oeuvres d’art.

Dans notre cycle de conférences consacrées à la compréhension de la vraisemblance et à son élaboration dans le champ visuel par la peinture, la question du symbole et de l’iconographie nourrit une lecture de l’oeuvre et d’une compréhension qui dépasse la réalité figurative par un jeu une réalité abstraite. L’accessibilité à la compréhension de la figuration et à la vérité de la représentation construite par l’artiste interroge le sens caché, ou bien la valeur que porte la représentation d’objets et de tout élément.

La vraisemblance se construit toujours dans une relation entre la représentation peinte et son regardeur. Nous les avons déjà largement évoqués, la vérité et le discours portés par une oeuvre se font dans une construction et dans un dialogue avec son temps. Il ne peut y avoir de valeur symbolique en peinture qui ne soit pas un élément partagé par la société qu’il la voit naître.

Ainsi avant même de s’interroger sur une valeur symbolique vérifiée ou hypothétique de tels éléments constituant la scène figurative, il faut d’abord concéder que l’iconographie engage une connaissance du sujet par l’artiste et par son spectateur. En premier lieu, même si la réforme humaniste de l’image à la renaissance engage le tableau dans une figuration où le principe de délectation apporte un caractère profane à son observation, il faut qu’il y ait reconnaissance du sujet pour en comprendre sa modulation plastique. Toute peinture figurative attachée à une iconographie d’un récit possède une réalité abstraite. La figuration des grands récits bibliques et religieux est déjà en soi un symbole. Nous l’évoquions il y a quelques séances, mais la reconnaissance du Christ, de la vierge, et de l’ensemble des saints ne peut se faire que si nous sommes déjà possesseurs de cette information. Cela se voit principalement dans la difficulté de la reconnaissance des différentes saintes figures dont le culte aujourd’hui disparu complexifie l’accessibilité du contenu de l’oeuvre.

La symbolique iconographique est un enjeu d’une vérité attachée à une connaissance qui s’y elle se veut importante doit être fondamentalement partagée. L’autre élément dont il faut se méfier avec la symbolique, c’est que sa valeur peu changer d’une période à l’autre, d’une région à une autre. C’est pour cette raison qu’il faut toujours se méfier d’une capacité à voir au travers d’une figuration d’un objet, d’un animal, d’une posture, d’un lieu etc. un symbole immédiat et identique. De plus certaines connaissances ont disparu ou ne sont plus aujourd’hui analysables, c’est le cas pour la connaissance alchimique transformant ce qui était une représentation purement symbolique en un mystère des plus épais.

Dans la culture visuelle chrétienne, bien avant la renaissance, la figuration d’un objet ou d’un animal était porteuse d’une valeur symbolique seulement identifiable par la communauté. Par le symbole, l’oeuvre créée une épaisseur supplémentaire dans son degré de vraisemblance et de vérité qu’elle peut véhiculer mais qui se retrouve attaché uniquement un groupe. Ainsi les dictionnaires de symboles, fort pratiques, regroupent pour certains motifs jusqu’à une quinzaine d’interprétations. d Le symbole étant une réalité abstraite, il est donc naturellement porté par la peinture et son degré d’artificialité.

Notre principal cas d’études est la prédelle d’Andréa Mantegna. Si tout élément considéré comme une réalité abstraite est de nature symbolique, l’oeuvre de l’artiste italien foisonne de cette structure théorique et intellectuelle.

En premier lieu, la construction spatiale par l’utilisation de la perspective géométrique peut être considérée comme une valeur symbolique et artistique. En effet, la perspective géométrique témoigne d’une connaissance abstraite dont le régime figuratif est pas considéré à la fois comme un trompe-l’oeil, mais aussi comme une base d’informations sur la compétence technique de l’artiste comme sur sa connaissance théorique.

Dans cet enjeu artistique de modernité, le torse du Christ ressuscité joue parfaitement une valeur d’un symbole purement profane. Ces deux éléments témoignent de la valeur d’un symbole moderne et artistique de l’oeuvre du jeune Mantegna.

La composition d’un espace pictural cohérent habité et détaillé a tendance à estomper la possibilité d’individualiser tout élément dans une lecture et dans un regard. La capacité et la liberté offerte aux spectateurs de pouvoir personnellement individualiser chaque détail comme une source de renseignements quasi autonomes, fait partie de ce fonctionnement du regard et est intégrée par l’artiste dans sa composition. Cela peut signifier que tout objet représenté est porteur d’une symbolique. Cette dernière est en adéquation avec l’iconographie et le rattachement au texte. Ainsi, l’arbre foudroyé qui sert d’articulation plastique entre la vue de Jérusalem et le jardin dans la prière au jardin des oliviers, est un symbole. En effet, Mantegna « habille » de vigne la partie supérieure de ce bois mort. Un arbre foudroyé qui reverdit par la vigne porte symboliquement la signification du basculement entre l’Ancien Testament (l’arbre mort) et le nouveau testament (la vigne/l’eucharistie). Il s’agit d’une évocation emblématique évoquant la passion du Christ tout entière. La construction d’un tel symbole est extrêmement simple dans la ramification sous-entendue par le motif de l’arbre. nous pouvons nous poser la question s’il n’y a pas un renforcement de ce symbole de l’arbre mort par la présence des champignons qui poussent à sa base. Car le souci dans la symbolique est de savoir à quel moment cette lecture détaillée et théorique porteuse d’une réalité abstraite s’arrête pour laisser place qu’à un objet représenté dans une réalité figurative concrète. Tout élément formant le décor est peut posséder une valeur symbolique accompagnant le récit en se faisant l’écho à son contexte de réalisation. Ainsi nous pouvons poser la question de la valeur symbolique, par la multiplication des détails, véritables tours de force illusionnistes, de la représentation des ruches ou bien encore des lapins.

Pour les ruches plusieurs possibilités : par la structure du travail de l’abeille et de la ruche une évocation de la communauté religieuse pour laquelle oeuvre Andrea Mantegna à Vérone. Mais aussi la possibilité d’un sous-entendu iconologique par référence au Psaume 118:12 « les ennemis m’ont entouré comme des abeilles », que Saint-Augustin dans les Enarrationes in Psalmos interprète comme une image de la capture du Christ. Cela est appuyé par le cheminement à la suite de Judas des soldats qui figurent la future arrestation de Jésus.

La lecture symbolique d’une oeuvre repose sur la connaissance du peintre et sur la connaissance du spectateur. Faut-il connaître tous les écrits de Saint-Augustin pour comprendre l’intégration de la représentation de ruche chez Mantegna ? Faut-il considérer que la représentation d’un animal vivant , exemple d’une structuration sociale élaborée et pour certains points de vue idéale, est partie prenante de sa figuration ? Mais ne s’agit-il pas aussi d’une évocation des soucis naturalistes mis en place par les peintres flamands ? En effet, pour revenir sur un régime artistique, l’intérêt pour la peinture flamande en Italie au XVe siècle et son caractère moderne à la représentation de détails plus saisissant de réels les uns que les autres, n’est-il pas l’enjeu évoqué par cette nature chez Mantegna ?

Un autre élément peut soulever des questionnements symboliques. Mantegna utilise De l’or uniquement dans la représentation de son registre inférieur. La plus grande utilisation se faisant dans la résurrection par ces rayonnements dorés émanant de la figure du Christ. Il est surprenant que l’or soit utilisée dans un registre inférieur, au sein d’images au caractère moins paradisiaque que terrestre. Peut-on alors considérer que la représentation de cette figure du Christ n’est plus totalement terrestre mais paradisiaque ? Car encadrer par une structure architecturale la figure se redressant du Christ se retrouve sur un fond d’or et partage ce caractère immatériel figuré depuis la peinture des primitifs.

Le cheminement théorique de connaissances qui accompagne l’élaboration d’une image des plus précises de la réalité est infléchie par la conscience du spectateur. L’artificialité du sujet repose en trop sur un champ théorique qu’il peut activer. L’accession à ce degré supérieur de compréhension de l’image repose sur une analyse textuelle dont la symbolique peut être considérée comme une évocation. Ainsi le spectateur peut activer ses connaissances intellectuelles et ce rattachement à une réalité abstraite des détails de la peinture. Ce qui peut compliquer cette lecture est la raison consciente et volonatire dans la figuration des détails de l’artiste. Toute partie de la composition peut ou doit avoir une justification à la fois comme un témoignage du savoir-faire technique et comme un témoignage du savoir-faire théorique de l’artiste.

Il faut peut-être à ce moment faire une mise en garde. Car dans cette lecture si n’importe quel élément peut avoir une valeur symbolique, il faut que cette dernière soit rattachée à la lecture iconographique de l’oeuvre. Il ne s’agit donc pas d’un morcellement de la composition, mais bien au contraire d’une restructuration intellectuelle. Le petit lapin qui traverse le pont et qui a des oreilles levées semble entendre l’arrivée des soldats et de Judas. L’animal ainsi en état d’alerte et conscient du danger imminent. En est-il alors le symbole ? Ou bien simplement un élément compositionnel permettant de lier la nature et le récit ?

Je suis toujours un peu dubitatif quant à la possibilité de surenchérir en permanence par la valeur symbolique d’un étalage de connaissances. Ne dit-on pas d’une manière populaire que la connaissance c’est comme la confiture, moins on a plus on l'étale. Il faut garder en tête que la logique de la vraisemblance et l’engagement de l’artiste à offrir une oeuvre qui soit une fenêtre ouverte sur le monde et une fenêtre ouverte sur l’histoire, croise un degré où la vérité avant d’être symbolique est iconographique. Dans son lien avec le religieux la peinture doit concéder que tout élément qu’elle figure puisse être l’évocation d’un symbole utilisé dès les premiers arts chrétiens. La symbolique est une grille de compréhension de l’oeuvre nourrissant sa fonction de commentaires.

Un autre exemple, cette vierge à l’enfant réalisé au XVe siècle Cologne présente dans un tout petit format la Vierge et Jésus. La figuration de l’espace est uniquement évoquée par des colonnades et des ouvertures se trouvant derrière les deux saintes figures. En architecture moyenâgeuse, l’arc trilobé évoque la Trinité. Faut-il alors considérer que cet espace architectural à peine suggéré soit une évocation symbolique de la Trinité dont l’incarnation est évoquée par la vierge à l’enfant ? Ou bien cette architecture religieuse n’est rien d’autre qu’une composition spatiale permettant, malgré un cadrage en buste, d’évoquer un espace terrestre dans lequel elles sont représentées.

Le détail, témoin d’une figuration terrestre, n’en demeure pas moins par ce jeu de la peinture un engagement théorique et symbolique du peintre. Dans la nature morte au XVIIe siècle, tous les détails peuvent contenir une réalité abstraite. La mouche dans la nature morte aux fromages en marge peut permettre d’évoquer Pline l’ancien et la peste. Un certain nombre de ces tableaux par leur valeur de memento Mori symbolise le temps qui passe et le caractère mortel de toutes choses.

La composition de la Sainte-Famille d’après le Caravage figure des personnages reposant sur un entablement en marbre comme pour la nature morte. L’éclat, imperfection visible, peut devenir le symbole d’une nature terrestre imparfaite. Faut-il alors entrer dans de telles appréhensions et lectures de l’oeuvre pour en saisir toute la vérité ?

Une structuration académique pour la formation et le jugement de l’oeuvre établit un régime symbolique supplémentaire dans la figuration de la réalité. La représentation de la nature n’a d’intérêt que si celle-ci est plus belle que de nature. L’oeuvre est donc à la fois une réalité concrète, l’ordonnancement, et une réalité abstraite, la disposition. La composition devient alors un ensemble d’éléments qui peuvent donner naissance à une lecture intellectuelle et symbolique. La description du tableau comme une machine, où chaque élément est comme une petite roue dentelée d’un système d’horlogerie appartenant à une mécanique de précision, est à considérer à la fois visuellement et intellectuellement. Il n’y a pas de hasard dans la mise en place des différents éléments constituant l’oeuvre. Le détail porte une symbolique artistique. Tout objet est le témoignage dans sa représentation du savoir-faire du peintre techniquement et intellectuellement.

La représentation figurative est nourrie par une idée derrière l’image. Dans un principe de choix, l’artiste prend conscience que la peinture véhiculant plus que la représentation est en soi un objet symbolique. Cette valeur est portée et soutenue par le regard scrutant l’oeuvre.

Le regardeur faisant l’oeuvre entre autre dans sa lecture symbolique, le tableau peut donc toujours être analysé comme un symbole. Chez François Boucher, la mise en scène de la marquise de Pompadour est un symbole de pouvoir, associant à l’allégorie du roi, la figure de sa favorite. Les chiens au premier plan de la composition des Rémois de Lancret, deviennent des commentaires sur les agissements humains du récit.

Par le jeu de dupes inhérents à la valeur de la représentation peinte, toute image est une réalité abstraite. Ce caractère n’est pas uniquement moderne mais à l’origine même de la figuration et de la relation entre le mot et la forme. L’imitation de la nature est le symbole de la relation au réel de l’artiste et de son temps. Quand un simple objet figuré devient un symbole sociétal, il possède une réalité abstraite. La symbolique nous amène à considérer que l’idée sous-entendue dans l’oeuvre est une clef de sa compréhension et de son observation.

Si l’objet peut par sa pénétration dans l’art être porteur de tel concept alors l’artiste ne peut il pas juste choisir l’objet et l’exposer. Le motif de peindre un sujet à la fin du XIXe siècle est de témoigner de la réalité abstraite de la peinture. Cette symbolique sera consommée quand l’artiste choisira un objet et l’exposera sans aucune transformation. L’oeuvre est toute faite: le ready-made.



lundi 21 novembre 2011

La copie en peinture, un faux original ?

La copie en peinture, un faux original ?

La copie pose une autre échelle dans la vraisemblance. Car au-delà du sujet, le tableau lui-même devient une vérité en soi. La copie et sa diffusion a connu, suivant les périodes, des valeurs très différentes. Le caractère original d’un tableau repose sur une définition de la vérité qui est changeante. Ainsi un tableau original ayant disparu mais dont une copie fidèle subsiste change la donne de ce dernier. Le copiste est-il un artiste génial ou bien un menteur ? La vérité d’une oeuvre est elle uniquement véhiculée par l’oeuvre originale, ou peut elle l’être par une reproduction ? En retraçant une histoire de la copie nous parcourons une histoire de la vraisemblance.


Dans notre cycle vrais/faux semblants, la copie questionne la vérité d’une oeuvre considérée comme originale et unique. Pourtant pour en arriver à une telle définition, l’oeuvre d’art va durant les premiers siècles de la période moderne entre le XVe et le XIXe siècle avoir un statut où l’original et le tableau n’est pas unique. Si aujourd’hui nous considérons la copie comme un faux, c’est que nous posons un point de vue sur l’oeuvre comme un objet unique d’une volonté d’un individu, l’artiste. De tout temps, par le principe d’atelier, l’artiste travaille comme directeur d’une structure collective. Cela signifie que l’oeuvre sortant de son atelier bien qu’elle soit rattachée à sa main, n’en est pas pour autant uniquement faite par lui. Pourtant aujourd’hui dans les attributions accordées aux oeuvres nous les rattachons uniquement à l’artiste.

Les primitifs flamands par le fonctionnement même de leurs ateliers témoignent de cette complexité de saisie de l’original.

Le développement de la peinture dans les foyers nordiques repose en partie sur une augmentation de la demande. Les besoins du culte se multiplient, les demandes sont nourries par une augmentation des richesses dans ces régions et amènent un développement de la peinture. Nous trouvons un certain nombre de documents permettant de concevoir le statut de l’artiste. Il faut malgré cela prendre une certaine distance avec ces documents. Ils sont des anecdotes administratives qui ne décrivent pas toutes les conditions de création de l’oeuvre. Cette documentation est attachée au principe des corporations.

D’après les règles des guildes, l’établissement consiste en une demeure pour la famille et ses ouvriers, un atelier et un magasin ou tout du moins une vitrine. À la mort du maître, sa femme hérite de tout et peut continuer à exercer. Les collaborateurs les plus anciens devenant, à leur tour, formateurs. La richesse de l’atelier se compose des modèles, dessins ou patrons et des pigments. Ce fait juridique souligne déjà un profond souci dans la logique de l’original. Si à la mort du maître, sa production artistique se poursuit, c’est qu’il est sous-entendu que l’atelier peut poursuivre sans le maître. Cela signifie aussi que travaillant à partir des dessins « originaux », les apprentis sont capables de produire un oeuvre dont les qualités artistiques et techniques sont similaires ou équivalentes à celle du maître. Cette caractéristique est envisageable sous des modalités économiques et professionnelles de l’artisanat. Même si la fonction libérale du travail de l’artiste se met en place, elle est profondément ancrée dans un fonctionnement d’ateliers d’artisans.

Un autre phénomène beaucoup plus étonnant a perduré entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle dans les Pays-Bas méridionaux. Cette zone est le théâtre d’un phénomène caractéristique et d’une ampleur exceptionnelle : la copie.

Nous avons déjà fait part de la grande capacité des artistes flamands à intégrer les nouveautés réalisées par d’autres ateliers. C’est le cas de ce que nous avons défini comme les « visions du monde » des frères Van Eyck diffusées dans l’ensemble des Flandres.

Pendant une centaine d’années des peintres ont pratiqué de manière intensive la copie de modèles prisés dont la reproduction est liée à des facteurs divers, d’ordre spirituel (image de dévotion), économique (pratique d’ateliers) et sociologique (goût pour certaines oeuvres estimées). Les mots «copie» et «réplique» ne renvoient pas à faux. Il est important de préciser que la notion de faux ne s’applique pas à ce domaine pour cette période.

Ainsi le mot copie peut être qualifiée « d’original ». Par le mot de copies, on désigne généralement une classification d’ensemble de l’oeuvre où le peintre effectue un travail de pure répétition, par opposition à l’original caractérisé par un processus de véritables créations. Le travail en série d’une même image est considérée comme un travail de copie mais réalisée par le même artiste elle couvre quand même une volonté expressive et unique.

Un autre type de copies est défini comme « exactes ». Elles présentent une extrême similitude sur le plan iconographique avec par exemple des variations chromatiques. Ses oeuvres sont donc analogues quant à leur apparence, mais d’exécution plus tardive que le modèle, sont définies comme des copies « exactes ».

Les « répliques » présentent quelques écarts de sujets de couleur, mais offre une telle similitude dans leur technique et dans leur esprit, qu’on peut y voir un travail de la même main. Il ne s’agit pas de copie « exacte » mais de « réplique », puisque ces tableaux ont été conçus et exécutés par le même artiste ou peint sous sa direction dans son atelier.

Le dernier type de copies est qualifié de « libres ». Ses oeuvres reproduisent leurs modèles d’une manière interprétative. Elle se caractérise soit par un empreint d’un seul motif (figure, éléments de paysages, parti d’opposition), soit par une reprise de l’ensemble de la proposition transformée par le style du copiste.

Ces variations et cette possibilité de citations, allant jusqu’à la paraphrase, ne témoignent pas d’un classement d’intérêt, mais d’une grande diffusion des modèles par un système sociétal acceptant une oeuvre dont le caractère unique n’est pas encore obligatoire.

Dans l’analyse actuelle de ces tableaux anciens, de critères primordiaux permettent de redistribuer les attributions. Il y a tout d’abord la localisation de réalisation de l’oeuvre attachée ou non à la figure du maître et de son atelier ou bien au contraire à l’extérieur. Et la chronologie, de savoir si l’oeuvre a été réalisée ou non dans le même temps. Ces critères de sélection et de définition de la copie sont liés au fonctionnement actuel de son intérêt. Il s’agit d’une grille appliquée à rebours.

Les raisons du phénomène de copies sont multiples. Dans le cadre du culte, des images de dévotion, miraculeuse, d’indulgence ou de simple prière, sont liées à une fonction précise et à une forme de composition révérée comme telle. Apparaît alors des modèles plus ou moins répandus qui vont être intégrés, repris et copiés. L’autre élément est le fonctionnement et l’organisation des ateliers, qui face à une conjoncture économique pose une rationalité du travail. Ces contraintes de marché aboutissent pour les oeuvres de petit format à des stocks dans certains ateliers, et à des modèles en vogue, trouvant acquéreur auprès de l’amateur ou de l’érudit.

Une nouvelle fois sur ce questionnement et cette problématique de la vraisemblance et de la vérité portée par l’oeuvre, nous remarquons que ce jugement de valeur ne s’applique pas à toutes les périodes. Posséder ne serait-ce qu’une copie « libre » c’est se référer, sans hiérarchie, à l’oeuvre originale pouvant avoir motivé cette réalisation. La vraisemblance ne couvre pas non plus pour ce travail de copie l’exactitude de la reprise. Ainsi, toujours dans cette dernière catégorie, « libre », la volonté d’interprétation de l’artiste se retrouve fondamentalement dans la genèse de l’oeuvre. Le statut de l’oeuvre est rattachée à une modalité technique et à une modalité expressive. Ainsi, la main de l’artiste est aussi son esprit, car partant d’un modèle existant il y a toujours la possibilité d’une interprétation. Ce terme important permet de différencier les artistes. Ce critère est intégré à la valeur de l’oeuvre dès sa réalisation.

La créativité de l’artiste devenantt le critère de la valeur artistique., l’assimilation des références de modèles passés ou contemporains témoigne de la connaissance du créateur. Cette recomposition personnalisée est un jeu de citations prouvant sa modernité.

À la renaissance, l’historicité de l’art et l’application des grandes valeurs portées par l’art antique impactent la création artistique. Ainsi, lorsque Mantegna se réfère un torse de Donatello pour composer le torse de son Christ ressuscité, il joue d’une copie « libre » partielle. Mais si l’on pousse plus loin la généalogie d’un tel vocabulaire, Donatello s’est inspiré du modèle antique, pour composer le sien. N’étant plus dans un schéma artisanal, principalement attaché à une capacité technique, mais conduit par un principe artistique d’expression, l’enjeu pour le jeune Mantegna est de témoigner d’une connaissance des modèles passés dans une interprétation personnelle. S’agit-t-il alors d’une copie ? Dans un sens oui, car ce torse est de fait le même que Donatello. Dans un autre sens non, car ce torse est avant tout un référent antique et sculptural basculé en peinture. N’étant pas sur le même média, le principe de copies ne semble pas pouvoir s’appliquer.

Pourtant dans ce fonctionnement, l’amateur ou l’érudit, possesseur d’une connaissance artistique, peut retrouver la citation. Le fonctionnement de l’art par ce jeu de réécriture témoigne d’une influence des modèles passés dans leur réinvestissement présent. Le modèle antique porte en lui pour les observateurs de la peinture les caractéristiques naturalistes et idéales de l’oeuvre parfaite. Afin de témoigner de sa grande modernité, Mantegna ne peut court-circuiter ce jeu de citations, bien au contraire il doit le dévoiler. L’artiste, comme nous l’avons déjà défini, se retrouve à être un « singe de la nature » et un « singe de l’Antiquité ». Pour faire d’une oeuvre un objet expressif et personnel, l’artiste doit plus que copier, il doit composer.

Lorsque nous définissons les règles de composition classique, les termes d’ordonnancement et de disposition prennent un autre relief. Les capacités techniques de l’artiste ne se cantonnent pas à sa représentation du monde tel qu’il peut l’observer, elle s’ouvre aussi sur sa capacité citatoire et de copie. Cette donnée forge la base de la culture classique. Le jeu de la copie prend toute son épaisseur lorsque celui qui observe le tableau est en mesure de voir les influences et les citations.

La qualité de l’oeuvre repose sur cet étonnant mariage entre matérialité (ordonnancement) et immatérialité (disposition). Cette union permet aujourd’hui encore d’évoquer par la copie, l’oeuvre originale. Pour exemple, la copie de la Joconde d’après Léonard de Vinci en possession du musée des beaux-arts de Tours nous permet d’évoquer l’oeuvre originale. Cela n’est envisageable que si la copie, même si elle ne possède pas les qualités picturales de l’original, respecte sa composition, son format, en bref ses caractéristiques visuelles. La part théorique, témoin de la qualité intellectuelle de l’artiste, peut être portée par une reproduction.

Ce phénomène n’est pas uniquement rattaché à l’histoire de l’art contemporaine. Ainsi lorsque le cardinal de Richelieu amateur de la peinture du Caravage fait reproduire d’après l’original la Sainte-Famille de l’artiste italien, il a conscience que son tableau est une copie, mais possédant toutes les caractéristiques techniques et respectant la composition de l’original elle peut devenir un objet d’évocation non du copiste mais de l’artiste.

L’engouement autour de certaines figures historique de la création artistique créée un autre modèle de copies. Celui où l’original n’étant accessible pour diverses raisons (prix, disponibilité, etc.) on peut en commander une copie afin d’avoir une image support d’un discours équivalent au discours que l’on pourrait porter sur l’original. Ce phénomène trouve ses racines dans l’ekphrasis, discours porté sur une oeuvre qui n’est physiquement pas présente. À ce phénomène discursif, principalement attaché aux commentateurs de l’oeuvre, s’adjoint un phénomène de copies et de confrontation à l’oeuvre originale attachée à l’artiste.

Ainsi, la mise en place de séjours italiens pour les artistes français répond à la nécessité de se confronter aux oeuvres originales. La diffusion des « chefs-d’oeuvre » se fait par la gravure et par le dessin mais ne peut pas se couper de l’observation de l’oeuvre originale. Les jeunes artistes doivent se former en ayant conscience des oeuvres qui les précèdent, et puisent dans ces modèles leur vocabulaire. Le phénomène de copies intègre la formation académique et glisse vers un modèle d’influence nécessaire à l’artiste comme témoin de sa propre connaissance artistique.

Ce système de réécriture fonctionne comme un palimpseste. La composition d’un même sujet ayant déjà été traité par un artiste reconnu de la période précédente ne s’efface pas intégralement. L’invention du peintre doit se modéliser sur ce dialogue qu’il engage et sur sa capacité à proposer une oeuvre singulière témoignant d’une progression. Ainsi pour faire court, il s’agit de proposer une oeuvre contemporaine parfaitement en osmose avec son présent mais qui témoigne d’un régime historique, l’incluant dès sa création dans un vecteur temporel progressiste. L’artiste compose alors une oeuvre au régime particulier, présent et passé. La copie est l’une des clefs de voûte de la vraisemblance stylistique du tableau. Ce jeu n’a d’intérêt que si le spectateur averti est capable de retrouver ses références. Car la copie engage toujours la connaissance de l’oeuvre copiée. Si cela n’est pas possible alors elle peut devenir un original. Un cas est intéressant au musée des beaux-arts de Tours, les larmes de Saint-Pierre d’après Georges de La Tour. L’original est perdu et uniquement connu par quelques gravures. Dans ce cas peut-on considérer que le tableau présenté fait oeuvre originale ? Car il reste l’unique témoignage en peinture, et de ce fait propose la confrontation au matériau original de L’oeuvre disparue. Face a cette oeuvre est bien qu’ayant conscience qu’il s’agisse d’une copie, nous lui accordons un degré de vraisemblance supérieure et nous retrouvons le vocabulaire de l’artiste convoqué par la main d’un autre.

Un autre exemple est plus compliqué et problématique. La copie d’atelier de l’autoportrait de Nicolas de Largillière. Ce tableau respecte en tous points l’oeuvre originale, il est réalisé dans un cercle artistique proche de son créateur. Peut-on alors considérer qu’il s’agit d’une copie « exacte » ? Et alors avons nous la possibilité d’y observer toutes les caractéristiques de l’oeuvre originale ? Entre autre son ordonnancement et sa disposition. Ce qui peut sembler le plus perturbant est le fait que le tableau est un autoportrait, portant fondamentalement le regard de l’artiste sur lui-même et non sur un sujet extérieur. Comme nous l’avons abordé dans la conférence sur le portrait, la vraisemblance d’un tel sujet repose sur la confrontation entre la subjectivité du portraiturée et la subjectivité du portraitiste. Ici il s’agit donc de copier une même entité (portraituré/portraitiste) mais avec un troisième regard, celui de l’atelier.

Le fonctionnement de la formation artistique sous l’égide de l’académie est de toujours puiser dans des modèles passés ou présents, morts ou vivants. Cet exercice de copies est fondamental pour le respect d’un lignage de l’évolution de l’art. La reconnaissance de la signature et de l’individualité de l’artiste ne se fait qu’à la fin de cette formation où il aura intégré dans son vocabulaire tout ce qui est considéré par l’organisme formateur comme digne d’intérêt artistique. Seulement à ce moment-là il pourra lui-même proposé sa propre subjectivité comme une pierre à l’édifice académique.

Ce qui est le plus notable dans ce référencement et ce travail de copie des artistes académiques c’est l’invitation à s’approprier les formes pour leur propre construction. Ainsi la sculpture antique à qui il manque souvent des membres se trouve complétée dans les gravures ou même dans des peintures. Le régime de vraisemblance et d’imitation rend nécessaire au travail de l’artiste l’exercice de la copie. Mais l’individualisation de la posture artistique ne peut se cantonner qu’à ce jeu de références. Car celui qui ne fait que copier n’est pas apte à réaliser un chef-d’oeuvre dixit Félibien.

Ces modalités tendront à disparaître avec l’académie elle-même. Les artistes modernes revendiqueront une oeuvre dont la seule légitimité repose sur sa modernité et son inclusion dans le présent.

La copie alors disparaîtra pour n’être plus évoquée que par une influence que peut avoir un artiste sur un autre. La copie « exacte » d’oeuvres existantes se poursuivra. Le copiste doit pour qu’il n’y ait pas de doute entre l’original et son oeuvre en modifier le format et surtout de ne pas la signer.

Le terme de copie, aujourd’hui très galvaudé, est pourtant un objet primordial dans la logique d’une vraisemblance de l’oeuvre par son référencement historique. Peut-on considérer que seule l’oeuvre originale porte la trace et la volonté de l’artiste et est alors vérité ? L’oeuvre se retrouvant partagée entre une lecture matérielle et immatérielle, son régime conceptuel peut conduire à pouvoir évoquer les champs théoriques comme une part importante de sa composition. Ainsi la copie ne transpose pas uniquement du mensonge, plutôt rattaché à une question visuelle, mais garde une trace de vérité inhérente au sujet et à l’original.


lundi 14 novembre 2011

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Si l’on considère la vraisemblance comme un miroir ou un reflet du réel, le portrait en est le sujet parfait. Représentation de l’image de soi, le portrait cristallise l’image matérielle et immatérielle. Du portrait officiel codifié à l’autoportrait, comment la représentation joue d’une vérité et d’un mensonge de la perception de soi. L’image muette doit parler pour le spectateur. Elle correspond à l’image du sujet pour le peintre et pour lui-même.

Étienne Souriau dans son Vocabulaire de l’esthétique propose une définition: «Au sens général, représentation d’une personne,» mais il considère que dans un concept esthétique, le portrait appelle quelques précisions. Dans les arts plastiques, on n’emploie pas le terme de portrait pour la sculpture. Ce terme se dit pour une oeuvre en deux dimensions, peinture et dessin. Le portrait est donc déjà une interprétation et une transcription donc un choix, pour rendre l’apparence extérieure d’une personne, quel que soit le degré de réalisme. Bien qu’uniquement visuelle le portrait se rend très sensible à la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices tels que la pose, l’expression de la physionomie, etc.

Dans un principe de vraisemblance et donc de vérité, le fait que le modèle soit une personne réelle ou bien fictive n’a aucune importance, le portrait dans sa construction plastique renvoie à des procédés employés par l’art.

Au sein de la hiérarchie des genres, le portrait occupe une place ambiguë. Son sujet est bien l’homme, créature de Dieu, il devrait occuper la seconde place après le tableau d’histoire. Cependant, la célébration d’individus heurte le sens moral de critiques qui ne voient dans ce genre qu’une glorification de la vanité personnelle. En effet, le genre du portrait témoigne d’un intérêt pour l’individuel ; ce n’est pas seulement les humains en général, ou quel type de toute une espèce, quand le portrait tisse, c’est telle personne en tant qu’elle-même. Dans cet axe l’identification de la personne est fondamentalement rattachée au principe du portrait.

Le portrait réaliste existait déjà pour la période antique, mais disparaît en partie au Moyen Âge. Il faut attendre le XIVe siècle et surtout le XVe pour que, à la faveur des progrès du naturalisme et de l’éloge renaissant de l’individu, la production d’images de personnes singulières, peintes de telle sorte qu’on puisse reconnaître, réapparaissent. Le portrait est donc initialement objet d’une identification sociale au sein de laquelle le peintre doit témoigner d’un savoir-faire technique mais aussi d’une mise en scène. Le portrait Figurant sur une monnaie a une valeur générique et une physionomie symbolique. L’une des profondes réforme consiste en la réorientation des figures peintes. Ainsi d’un profil nous aurons la mise en place d’un trois-quarts. Cette réorientation et la possibilité d’une présentation frontale et d’un échange de regard entre le sujet représenté et le sujet regardant. Nous pouvons même demander qui regarde qui ?

Dans le diptyque tourangeau datant du dernier quart du XVe siècle, le Christ bénissant et la vierge en oraison, présente dans leur figuration et par le cadrage choisi par l’artiste un vocabulaire similaire à celui du portrait tel qu’il fut développé par Jean Fouquet. Si l’on considère que le portrait met en place un régime de la vraisemblance reposant sur des principes de composition, et que cela peut s’appliquer à la fois à des personnages et à des personnes réelles ou fictives, la représentation des deux personnages sacrés vient à proposer un portrait. Nous pouvons argumenter qu’une telle construction est en adéquation avec la volonté d’un rapprochement des saintes figures et du dévot. Ces deux oeuvres croisent ainsi un régime terrestre et paradisiaque. Elle soulève aussi la possibilité de se référer à ce qui sera un genre inférieur permettant une efficacité supérieure à la composition picturale. L’incarnation voire l’humanisation se joue dans cette collusion. Pour nourrir un degré de vérité supplémentaire on propose un portrait de saintes figures. Les détails d’incarnation, les quelques mèches de cheveux de la vierge, ou encore sa féminité sont supportés plastiquement par le choix artistique.

Au XVe et au XVIe siècle, cette volonté du rapprochement du récit et du spectateur crée en permanence des images d’intégration de portraits sociaux. Ainsi l’entrevue entre Judith et Holopherne nous dépeint une jeune femme contemporaine et vénitienne. Cela témoigne d’une nature du portrait comme contemporaine du spectateur. Cela regroupe aussi le caractère symbolique de la représentation, une jeune femme décrite dans le récit comme magnifique et irrésistible, doit l’être visuellement dans son interprétation et correspond à la définition de beauté de la période.

En matière de portraits l’Italie reprend l’initiative au XVIe siècle. Léonard, Raphaël, Titien, adoptent des formats plus vastes pour peindre des hommes et des femmes. Le portrait le plus célèbre aujourd’hui est celui de Mona Lisa, la Joconde. Le tableau montre une jeune femme, anonyme ou en tout cas incertaine non identifiée, qui prend le frais sur sa terrasse devant un paysage profond fait de rochers et de vallées inondées. Les mains sont croisées l’une sur l’autre comme l’exige pour les dames les manuels de bienséance ; la robe est simple et pudique, même si elle ne dissimule pas la belle forme la poitrine ; le visage marqué par le fameux sourire révèle les sentiments intérieurs, volontairement dissimulés et donc difficilement discernables. Cette attitude du modèle est empreinte de retenue mais n’exclut pas une invitation lascive ou un amour modeste, l’ironie ou au contraire la tendresse. La position de trois-quarts, visage tourné vers nous et regard qui semble accompagner cette rotation de l’ensemble du corps permet par un moyen stylistique d’offrir l’impression que nous sommes, nous spectateurs, exposé quel que soit notre position face à l’oeuvre au regard de son sujet. La présence d’un paysage comme décor n’est pas nouveau, au dernier tiers du XVe siècle les artistes inventent un décor souvent un intérieur à la fenêtre ouverte qui crée une profondeur dans la représentation de la figure. Le cadrage lui aussi n’est pas une invention de Léonard de Vinci. Le succès et la célébrité de l’oeuvre réalisée entre 1503 - 1505 par Léonard de Vinci reposent sur le fait que derrière le portrait de cette jeune femme, les valeurs symboliques et la vérité portée par la peinture sont multiples. Techniquement Léonard réalise une oeuvre symptomatique de ces avancées picturales dont le fameux sfumato. Le portrait dépasse un simple enjeu de l’imitation du sujet et s’engage dans une volonté de symboles semblant à certains moments être couvert des volontés de l’artiste. L’autre élément énigmatique, en plus de paysage, c’est ce sourire qui envoie tout simplement à l’émergence d’un portrait que nous pourrions qualifier de psychologique, et qui semble vouloir représenter au-delà de la surface des choses le caractère même du sujet. Lorsque le portrait représente une personne existante, son individualité n’a pas toujours été l’objet d’un récit de sa vie. Lle portrait doit pourtant en une seule description représenter l’ensemble des facettes de la personne. À la représentation d’un individu correspond aussi la destination de cette représentation.

Les portraits « psychologiques » ont une fin généralement plus intime que les grands portraits d’apparat. Le discours qui s’y développe est donc fondamentalement différent. Le portrait intime est amené à être vu par des personnes connaissant, voire proches, du sujet et pouvant discerner au travers de l’image les caractères singuliers et personnels du portrait. Plastiquement cela se retrouve au travers d’oeuvres de format limité dans la représentation au buste ou à la tête. C’est-à-dire qu’il privilégie dans leur vraisemblance, dans la vérité représentée le visage, siège de l’âme. Cette qualité première de ce type de tableaux a tendance à disparaître avec le temps. La typologie est conservée au XVIIe et au XVIIIe siècle. Mais cela nous offre alors une galerie de portraits quasi fantomatiques semblant sortir des ténèbres.

Car le portrait n’est pas qu’une image contemporaine, elle est aussi un objet de mémoire. Tout comme la nature morte offre une image suspendue de la temporalité d’un objet passager, le portrait consiste en une opposition au temps qui passe. Les caractères du modèle sont alors inscrits à la surface de la peinture où tout ce que nous pouvons considérer comme l’éternité. La mémoire ne peut être alors réactivée que par celui qui a connu ou dont on a parlé. Du moment où l’oubli s’est mis en place, la vraisemblance perd une part importante. Tout comme la peinture d’histoire véhicule un récit, le portrait raconte une vie. Toutes ne sont pas historiques ou conservées. Alors le portrait appellent une galerie d’anonymes uniquement caractérisées par une volonté artistique de l’artiste. Je suis toujours dubitatif ou interpellé de savoir qui voit-on aujourd’hui dans une grande galerie de portraits ? Bien que les cartels deviennent une sorte de pierres tombales sur laquelle le nom de la personne est inscrite, notre regard a plutôt tendance à chercher la qualité du peintre lui-même nommé.

Lorsque l’on a défini et hiérarchisé le portrait au sein d’un travail académique, l’artiste devient une part du portrait en lui-même. La reconnaissance de la qualité supérieure de certains portraitistes comme Hyacinthe Rigaud ou Nicolas de Largillière nous font observer dans leurs portraits la qualité d’apparat, ou de paraître du peintre plus que du sujet.

Picturalement la focalisation dans un portrait intime sur le sujet estompe le décor. Que cela soit dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle, où le portrait d’une jeune femme présente un cadrage en buste laissant une très part monumentale à la fraise blanche. Ou bien dans le portrait de jeune homme qui cadré plus large nous présente quelques détails d’un décor absolument indiscernable d’une table sur lequel il semble vouloir déposer ses affaires. L’action ou l’inaction de ces deux portraits joue dans une même accessoirisation minimale de la nature morte. L’effet de pose nécessaire pour le portrait en pied du jeune homme se ressent et restitue une certaine dureté de la représentation. Si nous pouvons nous expliquer l’absence de décor derrière la jeune femme par un cadrage resserré, l’obscurité environnante du portrait du jeune homme est bien moins compréhensible, sauf si l’on considère que le portrait étant un sujet défini, il doit uniquement se rattacher au portrait et non au reste. Cette mise en place normée regroupe les questions plastiques et un positionnement de l’artiste. L’ex-voto de Rubens joue malgré une fonction d’apparat évidente sur cette collusion stylistique. Les deux donateurs très précisément, voire crûment, représenter démontrent (s’il fallait encore que Rubens le fasse) la qualité de portraitiste de l’auteur. La croisée avec un monde paradisiaque illustré par la vierge et l’enfant élève les personnes et abaisse les personnages par un espace pictural partagé. La hiérarchie entre terrestre et sacré semble dans un premier regard respecté, la vierge et l’enfant étant physiquement au-dessus de donateurs, mais le geste de bénédiction de l’enfant peut tout à fait être analysé comme un geste de monstration et le rapport entre paradisiaques et terrestres car celui qui est montré est plus important que celui qui montre.

Nous pouvons comprendre dans de telles structures descriptives la remise en cause de cette moralité. Mais pour ouvrir plus largement la question de celui qui montre et de celui qui est montré, le portrait en est tout autant symptomatique. Car comme souligné précédemment nous sommes aujourd’hui plus attentionné par celui qui réalise le portrait que celui qui est portraituré. Cela fonctionne uniquement pour le portrait anonyme, et non pour le portrait officiel ou de célébrités.

Nous pouvons observer les portraits un peu plus intimes comme ce des danseuses ou des comédiens. Des représentations dans les loges, ou en tout cas dans un espace qui se redéfinit, par les pauses lascives ou concentrées, témoigne plus d’une présentation qu’une représentation. Un jeu sarthois dans un sentiment qui reste mis en scène, mais qui iront avec des personnes interprétant sur scène un rôle. Si une danseuse est représentée dans l’action scénique alors nous somme face à son interprétation. Le grand portrait en pied de Mlle Prévost en bacchante est dans cette optique du faire. À l’inverse le portrait d’une danseuse dans son intimité au moins une mise en scène uniquement picturale. Pourtant que cela soit la représentation théâtrale ou bien encore dans une représentation picturale, la mise en scène est inhérente au portrait. La vraisemblance, c’est-à-dire une nouvelle fois la vérité de la représentation est mise en cause par l’artificialité de son support. La part symbolique induite par la volonté de se faire représenter joue dans cette ligne l’interprétation qu’elle expose.

Ce qui perturbe aujourd’hui cette lecture de la composition du portrait, c’est l’émergence d’un portrait photographique considéré comme spontané. Au XVIIIe siècle, un portrait est à la fois un ordonnancement par la qualité que l’artiste à développer techniquement pour rendre reconnaissable trait pour trait la personne et aussi une disposition, l’artiste composant théoriquement la mise en place de la peinture et construit une image dépassant le simple reflet du visage. L’exposition de sentiments par la matière et par le sujet se retrouve convoqué de la même manière que pour la peinture d’histoire dans le portrait. Dans cette collusion le tableau de François Boucher réalisé pour la marquise de Pompadour montrant Apollon révélant sa divinité à la bergère Issée est symptomatique.

Le tableau représente la scène finale d’un opéra Apollon et Issée dont la marquise de Pompadour a incarné l’héroïne dans une représentation au théâtre des petits appartements durant l’hiver 1749. La commande qu’elle fait ou par et donc un tableau au mémo en cette mise en scène de la marquise pour le roi. François Boucher est donc un second metteur en scène de cette première mise en scène. La bergère est représentée avec le visage de la marquise de Pompadour. Reconnaissable assez facilement car ayant déjà été représentée par François Boucher. Le reste de la composition n’est pas relatif à la mise en scène réelle mais correspond aux compositions du peintre. La structure en v, la mise en lumière corrobore parfaitement l’intégration de ce récit historique dans les compositions rococo habituelles du peintre français. La toile devient le jeu d’un double portrait. Tout d’abord il s’agit d’un portrait de la marquise de Pompadour, physique par le visage, symbolique par l’évocation de la représentation théâtrale, politique par la représentation côte à côte d’un symbole royal, Apollon. Car dans le récit le dieu charme la bergère sous les traits d’un berger, inquiet de la fidélité de sa bien-aimée il tentera de la charmer sous ses traits divins, mais cela ne fonctionnera pas, la bergère reste fidèle à son berger qui dans la scène finale lui révèle qu’il est: Apollon. La marquise, favorite du roi, n’est pas avec le roi car c’est le roi mais parce que c’est un homme. Le dernier volet de cette composition est artistique, la marquise de Pompadour et qu’une protectrice des arts et une protectrice de François Boucher. Le choix de l’artiste pour cette représentation consiste aussi en un portrait artistique. Un portrait défini comme double, à la fois celui qui monte mais surtout celui qui est montré.

La pénétration du principe du goût personnel dans les choix artistiques va modéliser un réel dialogue entre l’artiste et son commanditaire. À partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à nos jours le portraitiste est un garant et un témoin de la valeur culturelle du portraituré.

Les portraits de Balzac au musée des beaux-arts de Tours, témoignent de cette collusion entre le faire et le voir. La décomposition plastique de la sculpture de Rodin ou bien encore du tableau de Boulanger, nous offre une image d’une absolue modernité de l’écrivain. Du moment où la matière devient tout aussi importante que le sujet, elle fait partie prenante de la vérité de la représentation.

De tout temps, nous jugeons la vraisemblance du portrait comme un dialogue réel ou recréé entre l’artiste et son sujet. Malgré le fait qu’un portrait doit ressembler au portraituré, nous cherchons plus au travers de la peinture son faiseur. L’émergence de la signature et de la qualité libérale de la peinture aboutissent sur un portrait de l’artiste plus qu’un portrait du sujet. Ainsi la multiplication des autoportraits peuvent être analyser pour la vraisemblance comme une recherche picturale appliquée à un sujet dont le naturalisme est toujours servi par une idéalisation, ou l’ordonnancement est toujours la base à une disposition.

vendredi 4 novembre 2011

les genres en peintures

Les genres en peinture


Les genres en peinture vont hiérarchiser l’intérêt et la qualité de l’oeuvre avant même sa création. La hiérarchie des genres, c’est à dire des sujets, repose sur la vérité porter par ce dernier. Ainsi comme l’explique Félibien dans son Introduction aux conférences de l’académie royale de peintures et de sculpture, le sujet porte par nature une aura. Ainsi l’imitation si elle reste le coeur même de la pratique picturale ne suffit pas à une élévation, entre autre morale, du spectateur. Ainsi la technicité de la reproduction de la réalité n’est pas suffisante. La vérité de la peinture est sa capacité à porter un discours plus qu’une image.

La hiérarchisation des sujets ou des genres en peinture est définie par André Félibien dans l’introduction qu’il rédige en tant que secrétaire et rapporteur des conférences de l’académie royale de peinture et de sculptures pendant l’année 1667. Dans notre problématique de la vraisemblance et de l’imitation, la hiérarchie des sujets accompagne une pensée qui exhorte les peintres à une confrontation à la nature accompagnant ce principe de son élévation par la peinture.

Les conférences de l’académie ont comme but d’enseigner par des exemples plutôt qu’édicter immédiatement des règles. Si cela est effectivement le cas pour les conférences énoncées, cela ne l’est pas dans la préface écrite par André Félibien.

La préface est un des textes théoriques majeurs de cette époque qui malgré certaines des hésitations formule et classes des concepts fondamentaux pour l’académie royale de peintures et de sculptures. Cela doit permettre à chacun, artistes comme amateur des Beaux-Arts à se former « les idées nettes et claires » sur la peinture et la sculpture et à les mettre en ordre dans son esprit. Les conférences à reflète ainsi l’effort général de rationalisation entreprise à l’époque dans tous les domaines, en premier lieu la philosophie et les sciences.

Cette émancipation intellectuelle accompagne la promotion sociale de l’artiste. André Félibien entend marquer dans sa préface la primauté de l’esprit sur la main, de la libérale sur le métier « mécanique ». Il met l’accent, à la suite d’Alberti, de Léonard de Vinci et des académies de la renaissance, sur « la grandeur dépensée » et l’universalité du peintre. Avant de définir la hiérarchie il définit la peinture.

«La représentation qui se fait d'un corps en traçant simplement des lignes, ou en mêlant des couleurs est considérée comme un travail mécanique ; C'est pourquoi comme dans cet Art il y a différents Ouvriers qui s'appliquent à différents sujets ; il est constant qu'à mesure qu'ils s'occupent aux choses les plus difficiles et les plus nobles, ils sortent de ce qu'il y a de plus bas et de plus commun, et s'anoblissent par un travail plus illustre.»

La première définition repose sur une imitation des corps naturelle par le moyen des lignes et des couleurs, et relève encore d’une conception extrêmement artisanale. Ce travail mécanique comme il le définit lui-même s’anoblie par un travail plus illustre. La suite directe qui en découle est le fameux paragraphe sur le hiérarchie des genres.

« Celui qui fait parfaitement des paysages est au-dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ; et comme la figure de l'homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la Terre, il est certain aussi que celui qui se rend l'imitateur de Dieu en peignant des figures humaines, est beaucoup plus excellent que tous les autres ... un Peintre qui ne fait que des portraits, n'a pas encore cette haute perfection de l'Art, et ne peut prétendre à l'honneur que reçoivent les plus savants. Il faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs ensemble ; il faut traiter l'histoire et la fable ; il faut représenter de grandes actions comme les historiens, ou des sujets agréables comme les Poètes ; et montant encore plus haut, il faut par des compositions allégoriques, savoir couvrir sous le voile de la fable les vertus des grands hommes, et les mystères les plus relevés. »

Entrant complètement dans le projet pédagogique des conférences, Félibien définit le peintre accompli par une théorie et une pratique, à la fois « artisan incomparable » et « auteur ingénieux et savant».

La vraisemblance ou la vérité en peinture sont conduites par cette grandeur que l’on peut donner à l’art par le sujet. Ainsi « l’on appelle un grand peintre celui qui s’acquitte bien de semblables entreprises. C’est en quoi consiste la force, la noblesse et la grandeur de cet art. Et c’est particulièrement ce que l’on doit apprendre de bonne heure, et dont il faut donner des enseignements aux élèves. »

Toujours dans sa préface l’enjeu de l’imitation et de la représentation de la nature engage comme nous l’avons déjà évoqué la qualité même une pratique picturale dans son rapport au réel. L’artiste a à la fois théoricien et technicien « a cet avantage de pouvoir représenter tout ce qui est dans la nature et ce qui s’est passé dans le monde, et encore d’exposer des choses toutes nouvelles dont il est comme le créateur. » Face à cette dualité de la pratique picturale, l’imitation est engagée dans le même paradoxe. Le jugement inhérent à la valeur de l’artiste se fait par deux angles ou deux approches : « l’une qui regarde le raisonnement des théories, l’autre qui regarde la main ou la pratique. » ce double regard énoncé par Félibien pose comme fondamental le paradoxe et la relation même de la peinture à la nature. Le champ théorique même si il est rattaché aux grands sujets de la fable et de l’histoire n’est qu’une partie à observer de la composition picturale, les données techniques de la capacité à figurer du réel sont autant de parties de la valeur du tableau.

« Les partis qui appartiennent à la théorie sont celles qui font connaître le sujet, et qui sert alors en grand, noble et vraisemblable, comme l’histoire ou la fable ; ce qu’on appelle le costume, et la convenance nécessaire à exprimer cette histoire où cette fable, et la beauté de pensées dont la disposition de toutes choses. Les parties qui regardent la main ou la pratique sont l’ordonnance, le dessin, les couleurs, et tout ce qui sert leur expression en général et en particulier. »

Malgré une hiérarchie du sujet les plus grands ne se retrouvent pas dédouaner de l’observation et de la représentation de la nature et d’une exactitude de son imitation. Nous retrouvons chez Félibien ce qui fera le grand succès des théories artistiques du XVIIIe siècle de cet enjeu entre d’un côté la disposition et de l’autre l’ordonnancement. Bien que le sujet l’histoire soit théorique et puisse être envisagé comme un acte uniquement mental de la part de l’artiste, André Félibien met en garde contre une peinture qui se détournerait de la vraisemblance. L’enjeu de la peinture d’histoire et l’instruction est portée par la figuration d’un sujet dont la théâtralité doit lier le lieu et action dans un seul propos pour paraître supérieur et pour toucher de sa grandeur le spectateur, « il faut dans les grand sujet qu’il y paraisse quelque chose de merveilleux pour faire davantage une histoire que l’on traite et le génie du peintre; ce qui s’exprime par la beauté des figures, par la noblesse des ajustements, et par une grandeur et une majesté qui éclate dans tout l’ouvrage.[...] il faut encore que la possibilité se rencontre dans toutes les actions et dans tous les mouvements des figures aussi bien que dans l’expression du principal sujet, afin que la vraisemblance se trouve partout comme une partie très nécessaire et qui frappe l’esprit, le tout nouveau. Un de ses anciens peintres grecs ayant représenté un oiseau perché sur simple épi de blé, qui même n’a pas ployé sou le poids, a été repris par des villageois comme de peu de jugement. Si une si petite chose ne laisse pas d’offenser les yeux mêmes des ignorants, combien de fautes plus notables qui paraissent dans de grands sujets blessent-elles davantage les personnes savantes. »

Tout l’enjeu de la vraisemblance repose sur le contenu de la vérité d’une image exacte qui puisse être le support d’une image élevée. La mise en garde de Félibien nourrit le thème même de la vérité dans des sujets qui se voudraient uniquement théoriques. L’imitation et la capacité de l’artiste a conféré à sa composition un équilibre entre dispositions et ordonnancements est plus que nécessaire pour que le message véhiculé soit intégralement accessible à tous. La technique de l’art par les genres considérés comme inférieurs peut être perçue comme une composition d’un décor dont l’exactitude sert en tout point la vraisemblance de l’action. La peinture d’histoire, sujet supérieur et parfait doit aussi passer par un exercice d’une observation qui sous-tend celui de la vérité du message qu’elle véhicule. La peinture se bâtit sur un équilibre quant à la vraisemblance figurée. Le raisonnement de Félibien ne coupe en aucun cas malgré sa hiérarchisation tout sujet en peinture de l’observation de la nature. L’imitation des peintres fait le jugement de la valeur du tableau, fait coexister cet équilibre ou cette raison dans la composition entre un sujet d’imagination et un sujet d’observation et aboutit à la notion quasiment de perfection.

« Il y a des peintres et des sculpteurs qui, avec toutes ces connaissances, ont encore une forte imagination admirable pour inventer et pour disposer toutes sortes de grands sujets, lesquels cependant se trouvent comme abandonnés du secours de l’art, et de tous les avantages qu’ils ont reçu de la nature, aussitôt qu’ils veulent exécuter ce qu’ils ont formé dans leur esprit ; et d’ailleurs y en a d’autres qui travaillent assez bien de la main, mais qui ne peuvent rien imaginer de raisonnable. De sorte qu’il ne faut pas s’étonner s’il y a si peu d’excellents ouvrages, puisque non seulement il faut avoir naturellement un esprit fertile pour les belles inventions, mais aussi un jugement solide pour s’en bien servir, et une grande pratique pour les mettre en un beau jour.»

La copie de la nature est un enjeu plus manuel et technique qu’intellectuel. Pourtant la mise en garde du Félibien est claire, s’éloigner de la nature conduit à trouver une oeuvre imparfaite. La raison qui doit guider le peintre dans sa composition est un équilibre entre sa réflexion et sa technique. L’académie royale de peintures et de sculptures est fondée pour former les artistes les plus brillants au service du roi. La formation est ici décrite non techniquement mais dans la valeur de l’objet fini. La chose la plus étonnante dans ce caractère de la vraisemblance pour la peinture d’histoire, est que le jugement n’est pas uniquement tenu par l’amateur mais aussi par le quidam. On éveille la mention qui justifie la supériorité du sujet ne peut s’extraire par son artificialité de la présence même de l’objet ou bien encore de l’espace. Derrière cet équilibre joue toujours la même fonction d’une peinture imitative du réel, celle de proposer à l’âme une image supérieure qui reste profondément ancrée dans le réel.

Le discours d’André Félibien peut si on le détourne en partie être considéré comme une hiérarchie qui ne serait que le support de la composition du tableau supérieur la peinture d’histoire. En effet avons donné la crédibilité suffisante à un discours de vérité devant toucher chacun, le peintre d’histoire se retrouve comme la figure de génie qui regrouperait sous couvert de la vérité représentée une peinture où la nature morte, le paysage et la figure humaine seront réunis à l’imagination du peintre pour donner visuellement une oeuvre élevant l’esprit. La hiérarchie des genres modélise un regard critique où le spécialiste est à même de juger de la valeur du tableau sur deux axes. D’un côté l’imagination, la disposition et le champ théorique. De l’autre la virtuosité de la main, de la technique voire de l’artisanat. Il peut paraître étonnant mais cela nous conduit dans notre questionnement de la vraisemblance a souligné l’obligation d’un travail d’après nature de toutes les catégories d’artistes.

Les théories de Félibien sont le socle à une pensée de la peinture qui trouve une poursuite de ses grands enjeux de l’istoria de Léon Battista Alberti bien encore de la cosa mentale de Léonard de Vinci. Pour notre problématique de ce cycle vrai/faux semblants, la préface d’André Félibien est symptomatique de la reconnaissance du sujet. Les conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture sont un objet de communications devant permettre d’externaliser les questionnements de la pratique du peintre. À la fondation de l’académie en 1648, les peintres se sont déclarés comme techniciens et intellectuels. L’enjeu était de s’émanciper d’une perception qui pouvait encore rester sur des questions techniques comme artisanales. La hiérarchie des genres classe suivant le degré intellectuel les sujets. Il s’agit de considérer que pour s’émanciper uniquement d’un travail technique l’artiste se doit d’offrir une image dont l’élévation du sujet consiste en sa composition à l’émerveillement. Derrière ce plaidoyer pour la grande peinture d’André Félibien se trouve aussi celle de son accessibilité au plus grand nombre. L’exemple des paysans jugeant le peintre grec quant à la vraisemblance d’un oiseau posé sur un épi de blé qui ne fléchit pas, souligne la nécessité aux présentations exactes de la battue pour nourrir la grandeur de la vérité portée par le sujet.

Cette fonction métaphysique de la peinture, sur laquelle nous nous sommes déjà longuement arrêtés trouve son origine dans la posture même de l’artiste et de sa réception.

La vraisemblance étant liée à la vérité, cette dernière ne peut être uniquement conduite à l’évocation du récit mais aussi par la crédibilité accordée à ce dernier. Le peintre doit donc dans un principe quasi sociologique de l’oeuvre faire démonstration de sa subjectivité créatrice par la disposition et de son habilité technique par l’ordonnancement. Ce qui consiste pour Félibien et la quasi intégralité des académiciens, de la grandeur de la peinture, c’est sa capacité à concentrer en un seul objet le témoignage d’une réflexion et un savoir-faire. La hiérarchie des genres est une clef de voûte de la saisie et de la compréhension du sujet et de sa grandeur. Mais le discours Félibien orienté semble prodiguer qu’une suprématie des grands sujets. Pourtant, les sujets inférieurs tels que la nature morte, le portrait ou bien encore le paysage vont en écho à cette vocation à mêler les grandeurs des pensées et principes mécaniques se nourrir d’un schéma théorique. Le dernier élément qui n’est pas exclu par Félibien est le caractère sensitif et sentimental nécessaire au sujet et à sa composition. Même attaché fortement au régime historique et quasi théâtral de la composition, le théoricien français n'omet par de concevoir une peinture comme un objet sensitif. Dans cet engagement les genres en peinture et leur regroupement par la peinture d’histoire, offrent une oeuvre qui oscille entre une vraisemblance et une imitation. Les définitions de Félibien seront remises en cause par le XVIIIe siècle lorsque le caractère sensible et que les enjeux des sensations prendront le pas sur le caractère uniquement moral d’une telle classification. Alors, la peinture comme objet d’une réflexion et d’une maîtrise technique ne sera plus uniquement pour l’histoire mais bien pour les peintres dans leur totalité.

L’engagement d’une classification de la peinture suivant son sujet, engage le thème de la vraisemblance dans un parti pris qui est toujours le même, inspiré de la nature et de son observation ainsi que de sa compréhension, le sujet est élevé à sa disposition en images qui ne portent pas uniquement une donnée technique mais aussi une réflexion que l’on qualifiera d’artistique.