Un renouveau du naturalisme, du Caravage à l'impressionnisme
La grande peinture ne se contente plus de grands sujets mythologiques, historiques et religieux. L’intégration d’images et d’actions appartenant au quotidien témoigne du retour des scènes de genre et des sujets plus légers au coeur même de la peinture. Le radeau de la Méduse de Théodore Géricault avait pour le romantisme déjà ouvert la voie à l’anecdotique. Ces iconographies donnent naissance à un mouvement que l’on qualifiera vers 1875: le naturalisme et qui peut bien avant cette date être étendu à une modernité allant du romantisme jusqu’à l’impressionnisme.
Le naturalisme en peinture est opposé au principe d’idéalisation. L’artiste italien le Caravage, en prenant comme modèle des gens de petites conditions, avait déjà introduit cette quotidienneté au coeur même de sa pratique picturale. Au XVIIe siècle la multiplication des scènes d’activités quotidiennes ou bien encore du portrait dans la peinture hollandaise démontre un engouement pour une peinture naturaliste, témoin de son temps.
La réintroduction de tels sujets dans la peinture du XIXe siècle montre de nouvelles sources et surtout un autre référencement historique de la pratique de la peinture. Les artistes ne cherchent plus uniquement les modèles en Italie, il regarde aussi les écoles du Nord. Ce qui était minoré voire effacé de l’histoire de la peinture par les tenants de l’académie revient en force pour ses artistes qui proposent alors une voie entre l’académie et l’impressionnisme. Le terme de naturaliste apparaît dans les salons de 1875 et regroupe des artistes plus divers les uns que les autres. Émile Zola intègre sous cette appellation Manet, l’impressionnisme, l’école française du paysage et les réalistes. Le dénominateur commun de tous ces mouvements est une peinture de plein air, une réalité observée et non imaginée, le refus de l’atelier et des conventions académiques.
Le naturalisme se distingue de la peinture académique de cette époque. L’affrontement se déroule sur deux plans : iconographique et stylistique. L’académie rejette fermement le naturalisme en cet idéal qui vient de la renaissance, qui a traversé le néoclassicisme et offre l’image d’un monde idéal où les hommes se comportent comme les dieux grecs. L’honneur, les grands sentiments, la grande vertu, la mythologie grecque sont des sources intarissables de ses sujets. On comprend dès lors que la peinture académique ne peut accepter le naturalisme qui puise son propos dans le quotidien des gens modestes. L’opposition est également formelle mais les lignes de front sont bien moins établies. En effet nous retrouvons dans le naturalisme une pluralité de manière de peindre. Certains artistes naturalistes empruntent au grand genre son trait précis, sa touche, son lécher et sa lumière artificielle d’ateliers. Alors que d’autres sensibles au plein air et aux jeux de lumière du soleil adoptent la touche visible et synthétique et la simplification des formes.
Pour définir le naturalisme nous pouvons convenir qu’il dépend de trois critères :
- en premier lieu, il se définit par son iconographie. Le sujet doit être pris dans une réalité observable et observée par le peintre, ce qui exclut l’histoire ancienne mythologique ou religieuse.
- En deuxième lieu, le traitement doit être descriptif et non pas narratif. Nous pouvons toujours considéré que même si il n’y a rien de raconter, le paysage le plus aride a toujours un tant soit peu quelque chose. Quels que soient les intentions du peintre, l’ordonnancement de tous les détails nous met en présence d’une narration ou d’une description.
- En troisième lieu, le naturalisme suppose un effet de réel, subtile et subjectif mais déterminant. Le sentiment d’authenticité n’est pas lié à un cas précis. Il ne suffit pas de peindre le moindre bouton pour atteindre le réel. Et paradoxalement, le non fini par son pouvoir de suggestion, produit un puissant effet de réel.
Par le terme de naturalisme, je regroupe donc tout d’un pan de la peinture qui à partir de 1830 considère les sujets inférieurs comme digne d’intérêt. Les excès du romantisme et des tableaux mythologiques ont incité quelques jeunes peintre à revenir à des sujets beaucoup plus prosaïques. La critique n’utilise le terme naturaliste qu’à partir de 1866, mais l’on peut rattacher les compositions largement antérieures à cette terminologie.
Pour terminer cette introduction, l’éclosion et le renforcement d’un appel du réel plus analytique et descriptif sont liés à une situation politique et sociale bien différente. La fin humiliante de l’empire, la guerre perdue contre la Prusse, le siège de Paris, l’insurrection des communards, la guerre civile ne peut qu’appeler à la réalité. L’accélération des transformations de la société, le développement de l’industrie et des mines changent le paysage et engendrent la formation d’une classe ouvrière avec son habitat spécifique. Le chemin de fer modifie la physionomie du territoire et réduit les distances. La science apparaît comme un facteur de progrès, une source de bien-être mais aussi comme une analyse de la société. Cette époque de rationalisation d’analyse et de scientificité a peut-être poussé les peintres réalistes à davantage de description. Le dernier élément est l’avènement de la photographie, concurrençant la peinture sur ses propres terres. La peinture n’a plus le monopole de la représentation du monde. Même si la photographie est encore imparfaite elle est perçue par les peintres comme le rival assuré de sa victoire.
Le naturalisme n’est pas une considération nouvelle du sujet et de sa composition en peinture, le mouvement réinvesti une image pour être au plus près de son temps et de son public.
Le salon conserve son rôle essentiel, l’académie forme, juge et récompense les peintres. Au milieu des années 70 on recense 3300 peintres actifs. Ces productions artistiques ne se limitent pas la peinture académique qui en réalité devient minoritaire. Au salon de 1876 le grand genre ne représente que 10 % des oeuvres exposées. Le paysage est le plus présent avec 40 %, suivi des scènes de genre 30 % et du portrait 20 %. Le goût du public se porte sur ses scènes, car il se délecte de cette image tantôt critique tantôt humoristique de la société. Les artistes ont développé des stratégies spécifiques pour le salon, parfois au détriment de leurs propres recherches pour être vu.
Le naturalisme n’est donc pas un agissements minoritaire de quelques peintres et de quelques toiles, il correspond à la volonté des artistes de se rapprocher de leur public et de proposer plus qu’une alternative aux mouvements académiques.
La nature morte
Adèle Riché fleurs, raisins blancs et noirs 1831.
Cette nature morte révèle l’attachement de l’artiste à la manière héritée de la tradition hollandaise répondant au goût des amateurs pour un art descriptif et minutieux, cette nature morte présente un rendu lisse et claire, illusionniste. La composition est savamment étudiée et les nombreux détails. sont autant de rappels des modèles nordiques. La touche y est parfaitement transparente. Bien que d’un genre inférieur cette composition n’en garde pas moins la précision et le dessin d’une volonté académique.
Édouard Ender Un antiquaire 1849.
Immédiatement nous remarquons les dimensions ambitieuse de ce tableau semblant vouloir élever la nature morte au rang de la peinture d’histoire. Cette accumulation d’objets d’art semble offrir un profil de l’antiquaire, de l’amateur de curiosité.
Les jeux de lumière, et la précision du rendu des matières dans un brillant et une certaine séduction, témoignent d’un traitement historique d’une nature morte. Dans un dialogue avec l’amateur d’art et collectionneur, il est possible d’identifier un certain nombre d’objets de cette composition.
Les deux crânes se trouvant dans la partie gauche portent les mêmes valeurs de vanité. Les drapés tombant à gauche et à droite encadrent cette composition et semble lui offrir malgré un thème inférieur une réelle composition historique. L’artiste joue dans un mélange des genres, même si son sujet est inanimé et non historique, le caractère descriptif et anecdotique permet d’évoquer une morale.
Blaise Desgoffe casque circassien, poire à poudre orientale du musée de l’artillerie 1890.
Dépourvu de décor, le fond sombre met les éléments de la composition particulièrement en relief. La capeline de fer gravé et doré placé au centre, la profusion ornementale de la poire à poudre en vermeil, émail et pierreries suspendues sont en pleine lumière alors que le fourreau du poignard et un étui à flèche semble s’enfoncer dans l’obscurité. Les objets choisis révèlent un goût pour la rareté et les matières précieuses.
Les très beaux effets de lumière accompagnent une exécution virtuose d’une quasi exactitude photographique. Ce tableau perpétue la tradition de la nature morte établi au XVIIe siècle par les allemands et les hollandais et participe au culte des objets de la seconde moitié du XIXe siècle. Répondant à la passion du siècle pour les inventaires archéologiques, au goût pour la classification et par la diffusion des oeuvres d’art conservées dans les collections publiques et privées. Ce tableau « naturalistes » est une image de son temps, et conserve la volonté de mettre en avant la technicité du peintre. Le puissant clair-obscur opacifie en partie la touche et montre à l’inverse du bouquet d’Adèle Riché une épaisseur et une subjectivité dans son traitement.
Ces trois tableaux de natures mortes illustrent à côté du Grand genre de la poursuite et de l’évolution du traitement plastique des sujets inférieurs. Ils peuvent être digne d’intérêt et capable de l’expression de la subjectivité de son créateur.
Le portrait
Louis Candide Boulanger Honoré de Balzac
Image célébrissime d’un des grands auteurs du XIXe siècle, il est la rencontre entre un peintre et son sujet. La posture de Balzac ainsi que ses vêtements témoignent de sa volonté de se montrer comme l’un des grands tenants de la modernité. Portrait « officiel », le peintre va accompagner cette stature d’un brossé dynamique correspondant parfaitement au sujet. Ainsi sa mise en matière témoigne d’une seule et même volonté expressive. Une nouvelle fois nous pouvons souligner l’utilisation du clair-obscur comme un révélateur de ce penchant pour un naturalisme. L’impression de rapide exécution due à cette visibilité de la matière donne quasiment une image instantanée à ce portrait d’Honoré de Balzac.
Jules Bastien Lepage Portrait d’André Theuriet 1878.
André Theuriet est poète et romancier. La mise en page choisie par l’artiste vibre par son extrême sobriété. La finesse des traits du personnage, la calvitie naissante accentuant l’importance du front sont soulignées par le trait qui contribue à détacher nettement la figure du fonds sur lequel le peintre place son modèle. Cette économie de moyens attache son auteur à la tradition du portrait nordique. Les critiques de l’époque comparent sa matière à la fois lisse et sensuelle à Fantin-Latour. Une nouvelle fois ce sont bien ces modèles du Nord qui semblent constituer la base de l’évolution même de cette peinture. Le fond structure le tableaux, ayant fait ressortir simplement les quelques parties blanches et surtout le travail et la finesse de la carnation du visage.
Léon Bonnat portrait de mademoiselle Denouille 1884.
Cet artiste est fortement marqué par l’enseignement académique et sa familiarité avec l’art espagnol. Il se rend en Italie en 1861 où il côtoie Gustave Moreau, Degas, Delaunay.
La jeune femme vêtue d’une élégante robe du soir dont la tonalité est claire sied à son âge. Elle se détache sur un fond de couleur pourpre. L’artiste en fait un usage fréquent. Selon une manière qui lui est propre il utilise la technique du frottis, modulée à petits coups de pinceau, rendue perceptible par l’emploi de deux tons, bruns rouges et noirs. Le halo sombre qui sert de repoussoir à la figure ainsi que la zone plus claire de la partie inférieure confère toute sa profondeur à la composition. L’artiste consacre un soin tout particulier au traitement de la robe et à la lourde étoffe satinée aux reflets nacrés qui lui donnent alors l’occasion d’une mise en avant de sa virtuosité picturale. La matière ne se cache plus elle se révèle.
Ces trois exemples montrent les modularités que peut prendre le portrait, il flirte avec le sentiment, la matière est le sujet.
Scènes de genre et historiques
Émile Signol la folie de la fiancée de Lammermoor 1850
Cette oeuvre témoigne de la volonté l’artiste d’avant-garde d’un renouveau. Ce détournant des références théologiques, il aborde le roman historique. La fiancée de Lammermoor de Walter Scott suscite de 1827 à 1861 une vingtaine d’oeuvres.
La folie captive les romantiques. La position de la jeune femme repliée sur elle-même, ses mains montrant une certaine crispation, témoigne la part de l’artiste de cette capacité à figurer un problème psychologique. Cette thématique de la folie meurtrière accompagne une curiosité romantique pour le surnaturel et le fantastique. Le regard de la jeune femme ainsi que la déformation de son corps témoigne d’une prise de distance des grands modèles académiques. Le cadrage étroit de la figure hagarde et les modulations avec le fond sombre renforcent cette expression nos sentiments et de passion.
Gaëtan Cathelineau vieux paysan 1848
Ce tableau portraiture un vieux paysan d’une manière générique. La déformation le visage et des traits nous permettent d’envisager un tableau proche du misérabilisme. En dépit d’un traitement maladroit de la blouse de travail, cette expressivité du visage ainsi que l’exécution soignée et l’élégance de la gamme colorée témoignent de la maîtrise de l’artiste. La description scrupuleuse de la physionomie du personnage révèle une tentative au-delà d’un type régional d’évoquer un être solidement caractérisé. Opposant le fond clair et un fond sombre sur lequel se découpe le profil, l’artiste restitue une légèreté de la chevelure qui semble presque flotté autour de la tête et accentue surtout le caractère buriné du visage.
Édouard Debat-Ponsan Avant le Bal
Nous pourrions en parallèle de ce tableau analyser quelques esquisses présentées dans la même salle que cette toile intitulée avant le bal.
Les esquisses présentent une activité quotidienne du peintre illustrant des thèmes proches et affectifs comme son petit-fils. Le tableau intitulé avant le bal représente une scène bourgeoise dans un intérieur dicté dans un mélange entre le goût oriental et néogothique. Cette scène est traitée avec une précision et un dessin académique et montre par quelques intrusions une palette qui s’opacifie.
En conclusion, le terme de naturalisme définit une peinture qui se rapproche d’un sujet et de son observation. Plus large que le réalisme, dont la pluralité n’est pas à démontrer, le naturalisme permet de comprendre comment ces artistes vont se tourner vers des modèles nordiques, peinture qui sur la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle avait été écartée. Cela ne se fait pas simplement dans le monde de l’art, mais dans une modification la société entière où l’artiste si il veut participer doit se mettre au diapason de l’évolution sociologique de son temps. Ce naturalisme n’est pas homogène, il court de l’académisme jusqu’à l’impressionnisme. Il n’est pas une attaque en règle de la modernité contre le classique, mais est une première pierre à l’établissement et à l’éclosion de son mouvement suivant, l’impresionnisme. Il aura entre autres comme sujet l’Orient mouvement qui sera lui-même hétérogène.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire