lundi 8 novembre 2010

peinture et sculpture

Peinture et sculpture


Suite de la peinture comme un objet empirique et du tactilisme dans le développement du sujet et de la forme, cette semaine nous revenons sur le dialogue entre les arts. La peinture et la sculpture appartiennent toute les deux au domaine de l’académie des arts. Les échanges, rapprochement et distance entre ces deux pratiques artistiques témoignent d’une tentative de hiérarchisation. Cela repose sur l’expérience de l’oeuvre et la cohérence sensorielle qu’elle convoque. En effet, le sens du toucher état de très nombreuses fois considéré comme supérieur à celui de la vue. Si l’oeil peut être trompé, la main est un élément de vérité. Ainsi la sculpture se présente comme une pratique plus vraisemblable. Les rapports entre la peinture et la sculpture conduisent les deux pratiques à échanger et à regarder ce que l’autre fait. Les formations académiques cristallisent ces échanges, au sein de l’Académie royale de peintures et de sculptures l’apprentissage débute par le dessin à partir de la sculpture.

Dans le cadre du cycle de conférences « espace, temps et sensorialité » le dialogue et les échanges entre la peinture et sculpture témoignent de recherches et de développements spatiaux temporels confrontés à la sensorialité. Trop souvent opposées, les deux pratiques artistiques sont pourtant étroitement liées. Que cela soit comme source d’inspiration des motifs peints, ou bien comme interrogation de la qualité de vraisemblance de la sculpture, cela écalire l’enjeu d’une certaine volumétrie en peinture, et de ses développements dans la culture académique occidentale. Cette conférence ne reviendra pas sur les nombreux développements existants dans l’historiographie de ses échanges. Il s’agit bien au contraire d’observer comment la récupération de vocabulaires appartenant à l’un des domaines peu concrètement modifiés l’évolution de l’autre.


Avant même la renaissance, le dialogue entre la peinture et la sculpture est présent. Chez Lorenzo Veneziano, comme pour beaucoup d’artistes vénitiens, les échanges avec les sculpteurs sont importants. Pour le développement d’une spatialité tridimensionnelle, l’artiste vénitien utilise un trompe-l’oeil, cette grande pièce de tissu doré tendue derrière le Christ et la vierge de son panneau central. Pour augmenter la projection des saintes figures dans l’espace du spectateur, il l’accroche sur le cadre sculpté qui entoure le panneau. Le cadre appartient à l’oeuvre, élément physiquement en saillie, il renforce un lien et une matérialité entre l’espace peint et l’espace réel. Le cadre reste un élément d’ornementation qui chez Lorenzo devient un élément d’intercession physique entre l’image et le dévot. La tridimensionnalité de la sculpture et son accessibilité tactile peuvent être considérées comme un élément concret et accessible aux dévots. L’utilisation et le dialogue entre le peintre et le sculpteur permet un renforcement de l’intercession du rapprochement du sujet et de son spectateur.

Ce dialogue entre peinture et sculpture nous le retrouvons aussi chez les primitifs tourangeaux. Les anges de Bueil témoignent d’un adoucissement des formes et des données stylistiques de la sculpture en Touraine. Ce développement est une suite des mêmes facteurs établis en peinture. L’oeuvre peinte comme l’oeuvre sculpturale sont sujettes aux mêmes variations stylistiques. L’avènement de la peinture comme l’art novateur ne peut se faire que dans un dialogue avec le sculpture.

À la renaissance, la volonté de se rapprocher des modèles antiques génère une relation de dépendance de la peinture vis-à-vis de la sculpture. En effet, les seules traces visibles au XVe siècle d’antiquités sont des éléments sculptés. Le peintre, invité à intégrer l’antique dans sa composition, se doit d’observer la sculpture, d’enregistrer son vocabulaire pour pouvoir l’intégrer à sa composition. Le Christ ressuscité de Mantegna témoigne de cette récupération. Le déhanché ainsi que le torse ne sont qu’un basculement d’un vocabulaire sculptural en un vocabulaire pictural. Nous savons que pour son torse Mantegna s’est inspiré d’une oeuvre sculptée de Donatello. La posture n’est pas une invention de l’artiste mais un vocabulaire devenu symbole d’une iconographie. Cette intégration d’un vocabulaire antique sculpté en peinture permet à cette dernière de proposer une élévation de sa nature. Le dialogue avec l’antique est pour les arts, dans cette émergence d’une culture humaniste et pré académique, le moyen de travailler des oeuvres d’après nature, c’est-à-dire qui ont la beauté de cette période passée et sa précision de la représentation du corps. Il est assez étonnant de comprendre alors que la reprise d’un modèle artistique est pour le peintre le moyen de se rapprocher d’une image considérée comme plus naturelle.

Ces échanges entre les deux pratiques artistiques ne consistent pas un simple débat de l’art pour l’art bien au contraire à une qualité d’un renouvellement du vocabulaire jouant sur un effet plus beau et naturel. Par ce témoignage de la culture de l’artiste, le dialogue entre la sculpture et la peinture à la renaissance se fait dans une volonté d’une précision de la représentation et de la vraisemblance. Il y a un paradoxe, l’artiste pour se rapprocher d’une beauté « idéale » doit s’inspirer d’un modèle artificiel pour que son spectateur puisse en apprécier sa vraisemblance naturelle. La monumentalité des masses et de la posture du Christ ressuscité vient appuyer une iconographie relative au pouvoir et à la puissance. La sculpture, reliquat de la période antique, semble être le seul vocabulaire visuel qui est traversé les siècles pour arriver jusqu’aux artistes. Si la peinture reste un art temporel la sculpture semble être un art éternel. Dans la reconsidération du statut de la peinture, son rapprochement avec la sculpture lui octroie un caractère supérieur.

Dans les Flandres, le dialogue entre la sculpture et la peinture est bien différent. Le rapprochement entre les deux pratiques est similaires théoriquement aux fondements italiens. Pourtant les sources sculptées sont bien différentes. L’architecture et la sculpture gothiques sont les grands modèles des peintres flamands. Dans cette Vierge à l’enfant, l’architecture servant de toile de fond figure des ouvertures trilobées renvoyant directement à un modèle gothique. Il en est de même pour ce retable où le panneau central présente une Vierge à l’enfant trônant sous un énorme bâti gothique.

Le débat entre la peinture et la sculpture va changer avec la volonté de revendiquer un statut libéral la pratique artistique. L’art se veut plus mental que manuel. La peinture, ouvrage visuel, semble mieux correspondre à cette vocation de rêverie et de réflexion que la sculpture, ouvrage tactile. Si comme nous l’avons abordé la semaine dernière, le toucher est un renforcement d’une vraisemblance, l’oeuvre devant générer une réflexion, une figuration peinte peut être considérée comme supérieure à une figuration sculptée.

Dans la Sainte-Famille d’après le Caravage, ce Christ dénudé à la pâleur toute sculpturale est une revendication par une certaine mollesse de ses chairs de la douceur et de la sensualité que peut générer la peinture au regard de la sculpture. Le déséquilibre provoqué par une utilisation d’un déhanché renvoie à un principe de masse sculptée, mais ici par son interprétation peinte, offre une incarnation plus convaincante et interprétative. L’organisation du groupe serré dans ce cadre sans aucun autre renseignement spatial que la plaque de marbre sur laquelle il repose démontre une poursuite du dialogue entre sculpture et peinture. Ainsi regroupés, les protagonistes semblent tous physiquement liés comme pour un bas-relief sculptural, le clair-obscur renforçant cet effet de saillie observable en sculpture. La couleur et le vocabulaire de la peinture octroie à cette représentation un sentiment, une dramatique supérieure.

La fondation de l’académie royale de peintures et de sculptures en 1648, dans ce débat entre les deux pratiques artistique, propose une hypothétique hiérarchisation. La sculpture est le point de départ de tout travail de peinture. De nouveaux le dialogue avec l’Antiquité passe par le basculement d’un vocabulaire sculptural vers un vocabulaire pictural. L’artiste doit même si il est rattaché à une pratique peinte se référer à cette antiquité et à cette monumentalité de la sculpture. Le morceau de réception Hercule jetant Lycas à la mer de Michel-Ange Houasse dépeint dans sa composition une concentration sur le groupe composé des deux protagonistes. Cette focalisation sur la représentation du corps conduit l’artiste à une structure sculpturale. La massivité et la position d’Hercule sont de toute évidence de la part de l’artiste la revendication de sa connaissance de la sculpture. En regardant bien, nous pouvons considérer qu’au-delà des quelques détails de paysage ou encore de ce satyre s’enfuyant, le tableau de Houasse est une transposition sculpturale.

Dans le morceau de réception de Jean-Marc Nattier, Persée assisté de Minerve pétrifie Phinée et ses compagnons, nous retrouvons ce même rapport et cette même comparaison. Aux sculptures et bas-reliefs antiques de l’architecture de l’arrière-plan correspond les soldats du premier plan. La pétrification permet à l’artiste de démontrer une certaine suprématie dans la représentation des chairs de la peinture. Le dialogue est ici évident lorsque l’on observe le corps de Phinée. Le torse et la tête sont pétrifiés, ses jambes ne le sont pas. Dans ce jeu de comparaison de figuration du corps, Nattier témoigne d’un débat de plus en plus important de la figuration de l’incarnation. Aux soldats pétrifiés de la partie gauche correspondent ceux encore de chair de la partie droite. Aux gris la pierre correspondent les carnations des corps morts aux corps vivants. Ces variations de teintes permet à l’artiste de témoigner visuellement de sa grande capacité technique.

La représentation de la chair et la sensualité qui en découle devient très rapidement un enjeu d’une suprématie de la peinture sur la sculpture. Le tableau Pygmalion voyant sa statue s’animer en témoigne. La comparaison se fait directement par superposition d’un modèle sculpté et d’un modèle incarné. Le bras de la statue devant ce buste de philosophe dépolie son incarnation et témoigne de cette capacité de la peinture à animer le corps.

Pour Diderot, la représentation de la chair est bien le plus grand défi que la nature est jamais lancée à l’art. C’est la raison pour laquelle la sculpture est à ses yeux incontestablement moins ressemblante que la peinture :

« c’est que la matière qu’elle emploie est si froide, si réfractaire, si impénétrable ; mais surtout, c’est que la principale difficulté de son imitation consiste dans le secret d’abolir cette matière dure et froide, d’en faire de la chair douce et molle. » salon 1765.

L’avènement d’une sensualité et la volonté de toucher le spectateur positionne la peinture comme capable d’émettre cette sensualité et ce réchauffement d’un corps qui en sculpture reste, même s’il est accessible à la main, froid.

La sculpture reste toujours la base la représentation du corps, mais le peintre représente un sensualisme supérieur au sculpteur. Le dessin du corps reste fondamentalement sculptural mais son traitement chromatique lui permet d’être incarné

Sylvie fuyant le loup blessé de François Boucher témoigne d’un détournement de la sculpture pour une perception immédiate de la peinture. Bien que le toucher ne disparaisse pas dans l’évocation et de la qualité matérielle de l’oeuvre, l’avènement du point de vue unique conduit la peinture à se revendiquer supérieure à la sculpture. En observant le désossement appliqué par François boucher dans la construction du corps de Sylvie, nous en comprenons un principe de « copier coller » d’éléments sculpturaux. La jambe droite de Sylvie compose quasiment le socle pour son torse. La rotation dans laquelle se trouve engagé la jambe gauche mais aussi l’ensemble de la partie supérieure du corps semble évoquer la sculpture antique du discobole. Ce qui est étonnant c’est que Sylvie devrait courir, alors qu’en fait elle tourne sur elle-même. Par ce mouvement, François Boucher semble exposer en un seul corps une rotation autour de la sculpture. La primauté du point de vue unique mène l’artiste a évoquer non plus un déplacement physique mais bien un déplacement mental. Le corps en plus d’être incarné en peinture se retrouve déployé spatialement sous toutes ses facettes. Alors que le rapport entre la peinture et la sculpture jouait en faveur d’une beauté d’après nature, la peinture s’émancipe et revendique au-delà de la couleur la capacité à générer un point de vue plus efficace et plus englobant de la construction du corps.

Préoccupé par les effets sur le spectateur, les débats au XVIIIe siècle proposent une polarité : la sculpture, le toucher, le dessin et les anciens d’une part ; la peinture la vue, le coloris et les modernes de l’autre. Cette scission due à Roger de Piles marque profondément et durablement le discours critique qui se développera ultérieurement. Alors que la structure académique s’est construite sur un dialogue et une référence de la sculpture et de la peinture, la sensorialité dans son évocation moderne sépare fondamentalement les deux médias.

Le néoclassique reconsidérera cet échange et cette influence de la sculpture et de la peinture. Dans la vue du forum le soir, Louis Joséphine Sarrasin de Belmont figure un artiste qui a si sur un bloc de ruines croquent un bas-relief encore en place sur la frise. Cette culture classique revendique son lien à l’antique et sa capacité à l’intégrer dans la peinture.

Avec les romantiques, se renforce le principe d’une oeuvre expressive. Ce partage du sensible propose une émancipation de la peinture et de la sculpture au travers de leurs caractéristiques propres. Là où le peintre décompose son sujet en un patchwork chromatique jouant parfaitement une convocation de l’oeil et ensuite du corps, le sculpteur propose au contraire un ensemble d’effets où la dynamique est à la fois renvoyée visuellement mais surtout physiquement. Ainsi à la dynamique des couleurs d’Eugène Delacroix nous pouvons proposer la dynamique de ces petites sculptures de Sirocco ou bien encore de ce cavalier pris dans un mouvement circulaire qui semble plier sa monture et lui-même.

Le rapport entre la sculpture et la peinture s’émancipe alors de toute hiérarchie. Le sculpteur comme le peintre réfléchit sur le caractère propre de son art pour proposer une structure plus formelle et expressive. Nous retrouvons cela illustré dans le Balzac drapé de Rodin. Les masses et les volumes du tissu entourant le corps massif de l’écrivain lui confèrent une énergie toute symbolique. En comparant cette sculpture au portrait de l’auteur par Boulanger, nous voyons comment les deux artistes proposent plastiquement une réponse soient sculpturales soient picturales à l’enjeu de représenter le caractère même du sujet simplement par les spécificités du vocabulaire. À la touche et aux coups de brosse de boulanger correspond les volumes et saillies de la sculpture de Rodin.

Au XXe siècle, la sculpture et la peinture sont devenues deux objets qui questionnent le même principe d’utiliser un vocabulaire matériel pour l’expression de sentiments. La semaine dernière nous analysions par le toucher les deux sculptures du début des années 60 d’Olivier Debré. Cette semaine nous allons arrêter brièvement sur la sculpture de l’artiste américain Alexander Calder. Le mobile est une réponse matérielle à l’immobilisme habituel de la sculpture. Par son animation et son mouvement, l’oeuvre n’est plus simplement un objet autour duquel on tourne mais véritablement un objet qui s’anime face à nous. L’équilibre et le déséquilibre de ses sculptures sur la possibilité de jouer sur un ressenti immédiat et un partage sensible où l’espace le temps et la sensorialité sont immédiatement convoquées. Si les grandes toiles d’Olivier Debré sont une invitation à une certaine introspection par l’englobement physique du corps à la surface du tableau, le mobile d’Alexander Calder est une confrontation plus physique et matiériste avec l’oeuvre. Étonnamment cinq siècles après la mise en place d’un dialogue entre une oeuvre plus mentale, la peinture, et une oeuvre plus physique, la sculpture, nous comprenons bien que malgré un,cheminement et un rapport émancipé, la sculpture et la peinture n’en conserve pas moins cette différence fondamentale entre mental et physique.

Dans notre problématique consacrée à l’espace au temps et à la sensorialité, ce dialogue et ce rapport entre la peinture et la sculpture propose de concevoir comment s’inspirant d’une oeuvre plus matérielle et plus accessible, la peinture en témoigne sa supériorité par cette projection mentale et sensorielle qu’elle convoque. C’est donc par la description et par la circulation du regard à la surface de l’oeuvre que se trouvent générés les sentiments que l’artiste peut y exprimer. C’est bien alors le regard et la description qui fait en partie l’oeuvre. L‘espace et le temps sont consécutifs de la sensorialité.


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