lundi 15 novembre 2010

la description comme activation de l'oeuvre

La description comme activation de l’oeuvre


Décrire: représenter, dépeindre par la parole ou l’écriture.


La parole et le texte accompagnent dans son développement humaniste et classique l’oeuvre peinte. La description devient le moyen de qualifier et d’estimer la valeur de l’oeuvre. Avant même l’émergence d’une critique d’art, le texte construit un discours mettant en lumière le tableau. Dans notre cycle de conférences consacrées à la représentation de l’espace, du temps et au questionnement de la sensorialité, le discours sur l’oeuvre est une activation. Lors de la conférence consacrée à la temporalité, nous avions mis en exergue la valeur temporelle du discours. En effet, l’oeuvre d’art est un objet spatial dont seule l’activation par le spectateur lui confère un régime temporel. La description d’une oeuvre n’est pas un acte anodin, au-delà de réfléchir à l’impact visuel que le tableau peut avoir, il s’agit de conférer à la peinture un régime intellectuel et littéraire revendiquant sa qualité libérale.

Le dialogue entre les diverses pratiques artistiques se fait principalement dans une comparaison non simplement technique et visuelle mais aussi discursive. Dès le XIVe siècle, la fonction « illustrative » du tableau avec le texte conduit l’artiste comme le regardeur à comprendre la qualité d’une illustration figée par le développement d’un récit. Cette conférence essaiera de comprendre comment par sa composition l’artiste dans un modèle classique d’élaboration d’une iconographie rattachée à un récit, offre un morceau, ou un extrait d’un récit mental par la description. Ce rattachement à un texte oblige l’artiste à offrir une interprétation.


Le panneau provenant d’un coffre de mariage, représentant l’histoire de Camille, illustre ce principe de recomposition du récit par la description. En effet, la multiplication d’actions de l’héroïne au sein d’un même espace est organisée par le spectateur lui-même. La qualité narrative d’une oeuvre est générée par son spectateur. L’artiste est le premier possesseur du récit mais surtout le spectateur ne peut s’approprier l’oeuvre que par la connaissance de l’histoire. Face aux tableaux dévotionnels et religieux nous ne nous posons jamais la question de la figuration du récit et de son identification. Pourtant, même si la connaissance textuelle est partagée par le plus grand nombre, les qualités individuelles de traitement du sujet témoignent d’une appropriation de l’histoire par celui qui la réalise. Les variations, ou effet de composition, revendique une individualité de son réalisateur. Il peut être identifié que par comparaison et connaissance de son spectateur. La description, c’est-à-dire un regard qui prend une distance suffisante sur l’oeuvre pour en comprendre ses qualités, peut être considéré comme un temps aperceptif et qualificatif du tableau.

L’individualisation de la représentation est une conséquence de la réforme et de la mise en place d’une civilisation humaniste. La valeur de l’artiste consiste à offrir une image identifiable par le plus grand nombre, mais dont la composition reste indubitablement rattachée à la main et un esprit de celui qui l’a réalisé.

À la renaissance, le texte et l’image ne dialoguent plus simplement dans une récupération narrative. Le développement de traités théoriques quant à la qualité même du tableau octroie à la description un aspect rationnel qui doit permettre de juger et de comparer les qualités compositionnelles et individuelles de chaque oeuvre et de chaque artiste. Pour une reconnaissance libérale la peinture va alors dialoguer avec la poésie. La maxime transformée de Horace : «Ut Pictura Poesis » va nourrir une théorie de la peinture classique.

Ce lien peinture et poésie est une revendication d’un art libéral et une bascule entre l’espace et le temps convoqués au sein de l’image. L’écrit est la source du visuel, avec la description le visuel devient la source de l’écrit.

En témoigne l’intérêt pour les textes datant de l’Antiquité et fournissant des descriptions de peinture jamais observées. L’un des plus célèbres est le récit du concours entre le peintre Zeuxis et Parrhasios. Un jour, Zeuxis avait peint des raisins si ressemblants que les oiseaux s’y trompèrent et tentèrent de les picorer. Émerveillement général devant le talent formidable du peintre. Mais voilà que Parrhasios y ajouta en cachette un rideau peint, comme pour protéger le tableau de la lumière du soleil. Zeuxis, peut être encore grisé par son succès, tomba dans le piège et voulut relever le rideau. Peine perdue; il s’avoua vaincu. Les oiseaux n’avait plus qu’à revenir se cogner le bec, amère saveur, à la surface de l’image.

Cette légende a nourri pendant des siècles des interrogations et des références. Elle donne naissance à la croyance en un idéal de l’art par la vraissemblance entre la reproduction picturale et son modèle et montre avec quelle promptitude les hommes aiment à se faire spectateur, participant au prodige et le commentant. L’image attire le regard et le texte. Les raisins n’ont pas traversé le temps mais le récit leur a donné un caractère éternel. Les peintres de la renaissance sont allés chercher une légitimité à l’oeuvre dans la littérature. En s’assimilant au poète, il tente d’accéder à une nouvelle dignité d’un art dit libéral, c’est-à-dire pratiqué par un homme libre et dont la création est ainsi autorité, pour échapper au caractère de métiers mécaniques auquel la peinture était alors apparentée. C’est, entre autres, la raison pour laquelle les tableaux « littéraire » se multiplient à partir du XVIe siècle, enrichissant le fond religieux exploité au Moyen Âge par l’exploration de la veine mythologique. Nous pouvons alors penser à cette phrase de Léonard : « la peinture est une poésie muette et la poésie une peinture aveugle »..

Il faut l’écrit à la peinture en comprendre ses qualités et pour cela l’artiste doit générer un rapprochement avec son observateur. Le principe de la vraisemblance dans ce questionnement de la beauté naturelle et idéale permet à la peinture dans une théorie de l’imitation de revendiquer une image qui soit une idéalisation. Ce dialogue entre le texte et l’image devient alors le fer de lance d’une culture classique où le peintre s’il se veut poète doit générer un sentiment et une relation au texte. La description suppose alors une opération de transposition qui nous fait passer de l’ordre du visuel au registre du langage. Même si elle n’est jamais objective, elle doit pourtant tendre vers un effort descriptif. Cela alors obligea d’affiner le regard et par la description, d’apprendre à voir et à rendre intelligibles l’oeuvre singulière.

Les deux panneaux de Mantegna témoignent de cette culture textuelle émergente. Que cela soit dans la vraisemblance de la nature du jardin des oliviers, ou bien encore dans une complète artificialité de la citation sculpturale du Christ ressuscité, l’ordre du visuel devenant descriptif et narratif amène alors le spectateur érudit à singulariser l’oeuvre singulière, à la décrire dans ses qualités et ses aspects quasi anecdotiques. Le commentaire de l’oeuvre par la possibilité de l’ekphrasis est compris et développé par les artistes eux-mêmes dans la qualité plastique du tableau. La composition se veut un ensemble homogène qui pourtant liés aux principes du texte est véritablement disloquée. Le commentateur devient médiateur entre le spectateur et l’image. Le texte n’est pas simplement l’expression, il en devient une interprétation. Le régime descriptif du tableau se veut à la fois comme un miroir d’une réalité maîtrisée, mais aussi comme l’évocation d’une invention exprimée. L’artiste n’est pas seulement un technicien il est avant tout un interprète. Pour que le tableau puisse avoir un impact moral et élevant pour celui qu’il observe, l’artiste prend comme source même de son récit des textes ayant déjà une valeur historique et morale reconnue. La conquête poétique d’une valeur artistique supérieure se repose sur une évocation du drame et de l’histoire. La description ne s’attache pas simplement à un exercice visuel résultant d’une analyse des codages plastiques mis en place par l’artiste, mais évoque la qualité de ce dernier à interpréter un récit connu ayant alors visuellement un impact mémoriel. L’histoire ou bien encore la poésie deviennent les sources fondamentales et valorisantes d’une oeuvre qui se veut le reflet d’une civilisation.

Dès la renaissance cette union pour une reconnaissance d’une valeur supérieure de la peinture avec le texte génère le régime classique de l’oeuvre. L’imitation, l’invention, l’expression ou bien encore la convenance deviennent des grilles d’analyse de la valeur même de l’artiste. L’histoire et les grands récits mythologiques se situent au-dessus de tous les autres genres, au-delà d’une théorie de l’imitation, l’artiste convoque un régime dramatique où le lecteur spectateur se fait véritablement acteur de l’interprétation.

La description est un mariage étonnant et paradoxale entre une interprétation visuelle et compositionnelle de l’artiste et une interprétation visuelle et intellectuelle de son regardeur. Les commentateurs qu’ils soient français ou italiens vont rechercher le régime et l’idée de perfection de la peinture.

Au XVIIe siècle à l’appel de poussins et pour la promotion d’une grande peinture en France par l’imitation de l’antique, le commentaire cherchent à définir les valeurs artistiques françaises et une beauté idéale. Le texte et la description constituent alors un procédé de représentation narrative où le discours nourrit une réflexion esthétique, un moyen privilégié de la connaissance et de la diffusion de l’oeuvre d’art, de sa création à sa réception. La légitimité d’une oeuvre n’est plus dans une réception collective mais dans un jugement par un petit nombre de de sa valeur. Les théoriciens de l’Académie royale de peinture et de sculptures vont en permanence débattre de cette question de la description comme une grille nécessaire et permettant de mettre en place une hiérarchisation des sujets.

Ce dialogue avec le texte et la littérature repose sur l’histoire et ne retient que la poésie. En effet, ce genre littéraire semble être à même pour générer du sentiment et du récit. Dans une valorisation du réalisateur comme de son commentateur, l’identification et la narration deviennent des faire-valoirs de l’activité du tableau. La comparaison directe ou implicite de la peinture avec la poésie l’anime et la façonne. Le peintre ne doit pas simplement imiter la nature, il doit répondre à une doctrine de cette qualité et de cet idéal par son invention.

Le texte devient une temporalité et une grille de lecture recherchée et revendiquée par l’artiste lui-même. Lorsque l’Académie royale de peintures et de sculptures met en place les conférences, le commentateur de l’image est l’artiste lui-même. Mais surtout ce principe de la description met en avant la logique du détail et de la lecture de l’oeuvre. Le régime historique du tableau attaché aux principes de figuration du récit offre alors un caractère temporel à la peinture. La comparaison avec la poésie mais aussi avec les textes épanouissent cette description narrative et stylistique.

La description est une reproduction littéraire du tableau. L’artiste à partir du XVIIe siècle en a pleinement conscience et doit parfaitement maîtriser cette réception. Nous pourrions émettre l’hypothèse que cette culture classique et une reproduction écrite ou verbale l’oeuvre mènent l’artiste dans une recherche d’un impact sensoriel et intellectuel. L’évocation de grands récits joue dans ce régime instructif du tableau. L’artiste doit avoir conscience qu’il met en place visuellement un objet décrivant l’histoire dans un instant suspendu et qui reprendra son fil narratif dans le regard et le commentaire de celui qu’il observe. Le texte et la description doivent autant toucher les sens que parler à l’intellect.

Le vocabulaire pictural devient alors un vocabulaire littéral. Lorsque l’on observe les morceaux de réception de l’Académie royale de peinture et de sculptures, il est évident que ses oeuvres sont en permanence un appel à un commentaire et une réponse à une grille et à une doctrine plastique. Cette dernière est tout autant visuelle que descriptive. La description et le texte sont un réel épanouissement temporel et l’inscription dans un temps et une stylistique donnée. Le commentaire est le jugement de l’oeuvre et une tentative d’une valorisation et d’épanouissement.

Cette lecture détaillée se voit comme un effet de composition et une réponse visuelle au discours. Dans les fruits de la paix de Ryswick de Marot, les collusions entre imitations et inventions sont permanentes. À la grenade ouverte du premier plan répond le buste antique du second. Le vocabulaire et les qualités plastiques deviennent concrètement et physiquement un faire-valoir de l’artiste. La vocation éducative et morale de ce tableau mêle le régime d’imitation et d’invention.. Le regard se veut culturel et classique cherchant à rendre par des effets de peinture un questionnement intellectuel. La grille utopiquement objective ne peut oublier la vocation sensible de la peinture. La poétique du peintre est de tromper le regard du spectateur tout en recherchant à l’éduquer grâce à un vocabulaire idéalisé.

Tout comme l’évocation de la sculpture, la musique ou bien encore de la danse, les artistes au XVIIIe siècle répondent à une qualité et une beauté universelles. La description est leurs moyens pour représenter le monde et pour générer un discours cohérent et élevant.

Même si la description est empreinte de sensibilité et de sensations, la bascule dans un régime écrit de la reproduction d’un tableau se veut comme un acte intellectuel réfléchissant à l’impact social et collectif de l’oeuvre. Les artistes appartiennent à un ensemble culturel orienté. La description reste le domaine réservé d’un petit nombre d’élus et d’érudits capables de générer et d’observer la peinture comme un objet idéal. Ce renvoi en permanence au récit et à l’histoire par ses sources peuvent lui confère un aspect dramatique.

Les peintres appartenant au néoclassique vont poursuivre ce régime historique du tableau. Tous les détails jouent en faveur d’une oeuvre archéologique renvoyant à la période du récit représenté. Dans Tymoléon à qui les syracusains amènent des étrangers, les vêtements, le mobilier ,la mise en scène , ainsi que l’architecture qui sert de toile de fond, jouent une fenêtre ouverte sur l’histoire et sur le passé. La description est un acte réflexif et moralisateur. Elle n’en reste pas moins une existence et une activation du tableau. Ce souci du récit et de dramatique ne permet pas l’émancipation de sujets inférieurs à l’histoire. La description peut être considérée au-delà de l’intellectuel comme le moyen de retranscrire ou reproduire l’oeuvre par le texte. Cette activation témoigne d’une circulation du regard et du moyen de la parcelliser afin d’en décortiquer la valeur les codes et sa composition. Dès le XVe siècle, l’oeuvre pouvant être décrite en partie ou complètement devient un champ spatial naturellement lié à une temporalité. Cette dernière peut être narrative, description du récit, ou bien encore physique, circulation du regard. Ce paradoxe originel est que la description même si elle se veut un acte intellectuel, reste subjective et rattachée au regard. Nous ne pouvons pas nous couper de notre sensorialité et de notre sensibilité personnelle quant à la description et aux commentaires du tableau. Si dans un régime classique et académique de l’oeuvre, la description devient une grille objective permettant de rattacher l’ensemble des oeuvres à une même doctrine, l’émergence d’un regard individuel et sensible face au tableau conduit alors les peintres à réfléchir à des questions d’effet, d’impact visuel et de communication. La description ne peut pas être un acte objectif car elle est rattachée fondamentalement à une perception subjective. En témoigne le fait que chaque description est signée par celui qui observe. L’épanouissement temporel par le texte est inexorablement rattaché à un principe sensoriel. Prenant conscience de cela les artistes vont à partir du XVe siècle proposé au regard de l’amateur une communication sensible et sensorielle avec l’oeuvre.


Bibliographie

- Sous la direction de Pascal Dethurens, Écrire la peinture de Diderot à Quignard, citadelles & Mazenod, Paris, 2009.

- Rensselear W. Lee, Ut Pictura Poesis, Macula, Paris, 1991.

- La description de l’oeuvre d’art, du modèle classique aux variations contemporaines, collection Histoire de l’art de l’académie de France à Rome, Somogy, Paris, 2004.

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