lundi 14 novembre 2011

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Le portrait: vraie ou fausse vraisemblance

Si l’on considère la vraisemblance comme un miroir ou un reflet du réel, le portrait en est le sujet parfait. Représentation de l’image de soi, le portrait cristallise l’image matérielle et immatérielle. Du portrait officiel codifié à l’autoportrait, comment la représentation joue d’une vérité et d’un mensonge de la perception de soi. L’image muette doit parler pour le spectateur. Elle correspond à l’image du sujet pour le peintre et pour lui-même.

Étienne Souriau dans son Vocabulaire de l’esthétique propose une définition: «Au sens général, représentation d’une personne,» mais il considère que dans un concept esthétique, le portrait appelle quelques précisions. Dans les arts plastiques, on n’emploie pas le terme de portrait pour la sculpture. Ce terme se dit pour une oeuvre en deux dimensions, peinture et dessin. Le portrait est donc déjà une interprétation et une transcription donc un choix, pour rendre l’apparence extérieure d’une personne, quel que soit le degré de réalisme. Bien qu’uniquement visuelle le portrait se rend très sensible à la personnalité intérieure du modèle, par de nombreux indices tels que la pose, l’expression de la physionomie, etc.

Dans un principe de vraisemblance et donc de vérité, le fait que le modèle soit une personne réelle ou bien fictive n’a aucune importance, le portrait dans sa construction plastique renvoie à des procédés employés par l’art.

Au sein de la hiérarchie des genres, le portrait occupe une place ambiguë. Son sujet est bien l’homme, créature de Dieu, il devrait occuper la seconde place après le tableau d’histoire. Cependant, la célébration d’individus heurte le sens moral de critiques qui ne voient dans ce genre qu’une glorification de la vanité personnelle. En effet, le genre du portrait témoigne d’un intérêt pour l’individuel ; ce n’est pas seulement les humains en général, ou quel type de toute une espèce, quand le portrait tisse, c’est telle personne en tant qu’elle-même. Dans cet axe l’identification de la personne est fondamentalement rattachée au principe du portrait.

Le portrait réaliste existait déjà pour la période antique, mais disparaît en partie au Moyen Âge. Il faut attendre le XIVe siècle et surtout le XVe pour que, à la faveur des progrès du naturalisme et de l’éloge renaissant de l’individu, la production d’images de personnes singulières, peintes de telle sorte qu’on puisse reconnaître, réapparaissent. Le portrait est donc initialement objet d’une identification sociale au sein de laquelle le peintre doit témoigner d’un savoir-faire technique mais aussi d’une mise en scène. Le portrait Figurant sur une monnaie a une valeur générique et une physionomie symbolique. L’une des profondes réforme consiste en la réorientation des figures peintes. Ainsi d’un profil nous aurons la mise en place d’un trois-quarts. Cette réorientation et la possibilité d’une présentation frontale et d’un échange de regard entre le sujet représenté et le sujet regardant. Nous pouvons même demander qui regarde qui ?

Dans le diptyque tourangeau datant du dernier quart du XVe siècle, le Christ bénissant et la vierge en oraison, présente dans leur figuration et par le cadrage choisi par l’artiste un vocabulaire similaire à celui du portrait tel qu’il fut développé par Jean Fouquet. Si l’on considère que le portrait met en place un régime de la vraisemblance reposant sur des principes de composition, et que cela peut s’appliquer à la fois à des personnages et à des personnes réelles ou fictives, la représentation des deux personnages sacrés vient à proposer un portrait. Nous pouvons argumenter qu’une telle construction est en adéquation avec la volonté d’un rapprochement des saintes figures et du dévot. Ces deux oeuvres croisent ainsi un régime terrestre et paradisiaque. Elle soulève aussi la possibilité de se référer à ce qui sera un genre inférieur permettant une efficacité supérieure à la composition picturale. L’incarnation voire l’humanisation se joue dans cette collusion. Pour nourrir un degré de vérité supplémentaire on propose un portrait de saintes figures. Les détails d’incarnation, les quelques mèches de cheveux de la vierge, ou encore sa féminité sont supportés plastiquement par le choix artistique.

Au XVe et au XVIe siècle, cette volonté du rapprochement du récit et du spectateur crée en permanence des images d’intégration de portraits sociaux. Ainsi l’entrevue entre Judith et Holopherne nous dépeint une jeune femme contemporaine et vénitienne. Cela témoigne d’une nature du portrait comme contemporaine du spectateur. Cela regroupe aussi le caractère symbolique de la représentation, une jeune femme décrite dans le récit comme magnifique et irrésistible, doit l’être visuellement dans son interprétation et correspond à la définition de beauté de la période.

En matière de portraits l’Italie reprend l’initiative au XVIe siècle. Léonard, Raphaël, Titien, adoptent des formats plus vastes pour peindre des hommes et des femmes. Le portrait le plus célèbre aujourd’hui est celui de Mona Lisa, la Joconde. Le tableau montre une jeune femme, anonyme ou en tout cas incertaine non identifiée, qui prend le frais sur sa terrasse devant un paysage profond fait de rochers et de vallées inondées. Les mains sont croisées l’une sur l’autre comme l’exige pour les dames les manuels de bienséance ; la robe est simple et pudique, même si elle ne dissimule pas la belle forme la poitrine ; le visage marqué par le fameux sourire révèle les sentiments intérieurs, volontairement dissimulés et donc difficilement discernables. Cette attitude du modèle est empreinte de retenue mais n’exclut pas une invitation lascive ou un amour modeste, l’ironie ou au contraire la tendresse. La position de trois-quarts, visage tourné vers nous et regard qui semble accompagner cette rotation de l’ensemble du corps permet par un moyen stylistique d’offrir l’impression que nous sommes, nous spectateurs, exposé quel que soit notre position face à l’oeuvre au regard de son sujet. La présence d’un paysage comme décor n’est pas nouveau, au dernier tiers du XVe siècle les artistes inventent un décor souvent un intérieur à la fenêtre ouverte qui crée une profondeur dans la représentation de la figure. Le cadrage lui aussi n’est pas une invention de Léonard de Vinci. Le succès et la célébrité de l’oeuvre réalisée entre 1503 - 1505 par Léonard de Vinci reposent sur le fait que derrière le portrait de cette jeune femme, les valeurs symboliques et la vérité portée par la peinture sont multiples. Techniquement Léonard réalise une oeuvre symptomatique de ces avancées picturales dont le fameux sfumato. Le portrait dépasse un simple enjeu de l’imitation du sujet et s’engage dans une volonté de symboles semblant à certains moments être couvert des volontés de l’artiste. L’autre élément énigmatique, en plus de paysage, c’est ce sourire qui envoie tout simplement à l’émergence d’un portrait que nous pourrions qualifier de psychologique, et qui semble vouloir représenter au-delà de la surface des choses le caractère même du sujet. Lorsque le portrait représente une personne existante, son individualité n’a pas toujours été l’objet d’un récit de sa vie. Lle portrait doit pourtant en une seule description représenter l’ensemble des facettes de la personne. À la représentation d’un individu correspond aussi la destination de cette représentation.

Les portraits « psychologiques » ont une fin généralement plus intime que les grands portraits d’apparat. Le discours qui s’y développe est donc fondamentalement différent. Le portrait intime est amené à être vu par des personnes connaissant, voire proches, du sujet et pouvant discerner au travers de l’image les caractères singuliers et personnels du portrait. Plastiquement cela se retrouve au travers d’oeuvres de format limité dans la représentation au buste ou à la tête. C’est-à-dire qu’il privilégie dans leur vraisemblance, dans la vérité représentée le visage, siège de l’âme. Cette qualité première de ce type de tableaux a tendance à disparaître avec le temps. La typologie est conservée au XVIIe et au XVIIIe siècle. Mais cela nous offre alors une galerie de portraits quasi fantomatiques semblant sortir des ténèbres.

Car le portrait n’est pas qu’une image contemporaine, elle est aussi un objet de mémoire. Tout comme la nature morte offre une image suspendue de la temporalité d’un objet passager, le portrait consiste en une opposition au temps qui passe. Les caractères du modèle sont alors inscrits à la surface de la peinture où tout ce que nous pouvons considérer comme l’éternité. La mémoire ne peut être alors réactivée que par celui qui a connu ou dont on a parlé. Du moment où l’oubli s’est mis en place, la vraisemblance perd une part importante. Tout comme la peinture d’histoire véhicule un récit, le portrait raconte une vie. Toutes ne sont pas historiques ou conservées. Alors le portrait appellent une galerie d’anonymes uniquement caractérisées par une volonté artistique de l’artiste. Je suis toujours dubitatif ou interpellé de savoir qui voit-on aujourd’hui dans une grande galerie de portraits ? Bien que les cartels deviennent une sorte de pierres tombales sur laquelle le nom de la personne est inscrite, notre regard a plutôt tendance à chercher la qualité du peintre lui-même nommé.

Lorsque l’on a défini et hiérarchisé le portrait au sein d’un travail académique, l’artiste devient une part du portrait en lui-même. La reconnaissance de la qualité supérieure de certains portraitistes comme Hyacinthe Rigaud ou Nicolas de Largillière nous font observer dans leurs portraits la qualité d’apparat, ou de paraître du peintre plus que du sujet.

Picturalement la focalisation dans un portrait intime sur le sujet estompe le décor. Que cela soit dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle, où le portrait d’une jeune femme présente un cadrage en buste laissant une très part monumentale à la fraise blanche. Ou bien dans le portrait de jeune homme qui cadré plus large nous présente quelques détails d’un décor absolument indiscernable d’une table sur lequel il semble vouloir déposer ses affaires. L’action ou l’inaction de ces deux portraits joue dans une même accessoirisation minimale de la nature morte. L’effet de pose nécessaire pour le portrait en pied du jeune homme se ressent et restitue une certaine dureté de la représentation. Si nous pouvons nous expliquer l’absence de décor derrière la jeune femme par un cadrage resserré, l’obscurité environnante du portrait du jeune homme est bien moins compréhensible, sauf si l’on considère que le portrait étant un sujet défini, il doit uniquement se rattacher au portrait et non au reste. Cette mise en place normée regroupe les questions plastiques et un positionnement de l’artiste. L’ex-voto de Rubens joue malgré une fonction d’apparat évidente sur cette collusion stylistique. Les deux donateurs très précisément, voire crûment, représenter démontrent (s’il fallait encore que Rubens le fasse) la qualité de portraitiste de l’auteur. La croisée avec un monde paradisiaque illustré par la vierge et l’enfant élève les personnes et abaisse les personnages par un espace pictural partagé. La hiérarchie entre terrestre et sacré semble dans un premier regard respecté, la vierge et l’enfant étant physiquement au-dessus de donateurs, mais le geste de bénédiction de l’enfant peut tout à fait être analysé comme un geste de monstration et le rapport entre paradisiaques et terrestres car celui qui est montré est plus important que celui qui montre.

Nous pouvons comprendre dans de telles structures descriptives la remise en cause de cette moralité. Mais pour ouvrir plus largement la question de celui qui montre et de celui qui est montré, le portrait en est tout autant symptomatique. Car comme souligné précédemment nous sommes aujourd’hui plus attentionné par celui qui réalise le portrait que celui qui est portraituré. Cela fonctionne uniquement pour le portrait anonyme, et non pour le portrait officiel ou de célébrités.

Nous pouvons observer les portraits un peu plus intimes comme ce des danseuses ou des comédiens. Des représentations dans les loges, ou en tout cas dans un espace qui se redéfinit, par les pauses lascives ou concentrées, témoigne plus d’une présentation qu’une représentation. Un jeu sarthois dans un sentiment qui reste mis en scène, mais qui iront avec des personnes interprétant sur scène un rôle. Si une danseuse est représentée dans l’action scénique alors nous somme face à son interprétation. Le grand portrait en pied de Mlle Prévost en bacchante est dans cette optique du faire. À l’inverse le portrait d’une danseuse dans son intimité au moins une mise en scène uniquement picturale. Pourtant que cela soit la représentation théâtrale ou bien encore dans une représentation picturale, la mise en scène est inhérente au portrait. La vraisemblance, c’est-à-dire une nouvelle fois la vérité de la représentation est mise en cause par l’artificialité de son support. La part symbolique induite par la volonté de se faire représenter joue dans cette ligne l’interprétation qu’elle expose.

Ce qui perturbe aujourd’hui cette lecture de la composition du portrait, c’est l’émergence d’un portrait photographique considéré comme spontané. Au XVIIIe siècle, un portrait est à la fois un ordonnancement par la qualité que l’artiste à développer techniquement pour rendre reconnaissable trait pour trait la personne et aussi une disposition, l’artiste composant théoriquement la mise en place de la peinture et construit une image dépassant le simple reflet du visage. L’exposition de sentiments par la matière et par le sujet se retrouve convoqué de la même manière que pour la peinture d’histoire dans le portrait. Dans cette collusion le tableau de François Boucher réalisé pour la marquise de Pompadour montrant Apollon révélant sa divinité à la bergère Issée est symptomatique.

Le tableau représente la scène finale d’un opéra Apollon et Issée dont la marquise de Pompadour a incarné l’héroïne dans une représentation au théâtre des petits appartements durant l’hiver 1749. La commande qu’elle fait ou par et donc un tableau au mémo en cette mise en scène de la marquise pour le roi. François Boucher est donc un second metteur en scène de cette première mise en scène. La bergère est représentée avec le visage de la marquise de Pompadour. Reconnaissable assez facilement car ayant déjà été représentée par François Boucher. Le reste de la composition n’est pas relatif à la mise en scène réelle mais correspond aux compositions du peintre. La structure en v, la mise en lumière corrobore parfaitement l’intégration de ce récit historique dans les compositions rococo habituelles du peintre français. La toile devient le jeu d’un double portrait. Tout d’abord il s’agit d’un portrait de la marquise de Pompadour, physique par le visage, symbolique par l’évocation de la représentation théâtrale, politique par la représentation côte à côte d’un symbole royal, Apollon. Car dans le récit le dieu charme la bergère sous les traits d’un berger, inquiet de la fidélité de sa bien-aimée il tentera de la charmer sous ses traits divins, mais cela ne fonctionnera pas, la bergère reste fidèle à son berger qui dans la scène finale lui révèle qu’il est: Apollon. La marquise, favorite du roi, n’est pas avec le roi car c’est le roi mais parce que c’est un homme. Le dernier volet de cette composition est artistique, la marquise de Pompadour et qu’une protectrice des arts et une protectrice de François Boucher. Le choix de l’artiste pour cette représentation consiste aussi en un portrait artistique. Un portrait défini comme double, à la fois celui qui monte mais surtout celui qui est montré.

La pénétration du principe du goût personnel dans les choix artistiques va modéliser un réel dialogue entre l’artiste et son commanditaire. À partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à nos jours le portraitiste est un garant et un témoin de la valeur culturelle du portraituré.

Les portraits de Balzac au musée des beaux-arts de Tours, témoignent de cette collusion entre le faire et le voir. La décomposition plastique de la sculpture de Rodin ou bien encore du tableau de Boulanger, nous offre une image d’une absolue modernité de l’écrivain. Du moment où la matière devient tout aussi importante que le sujet, elle fait partie prenante de la vérité de la représentation.

De tout temps, nous jugeons la vraisemblance du portrait comme un dialogue réel ou recréé entre l’artiste et son sujet. Malgré le fait qu’un portrait doit ressembler au portraituré, nous cherchons plus au travers de la peinture son faiseur. L’émergence de la signature et de la qualité libérale de la peinture aboutissent sur un portrait de l’artiste plus qu’un portrait du sujet. Ainsi la multiplication des autoportraits peuvent être analyser pour la vraisemblance comme une recherche picturale appliquée à un sujet dont le naturalisme est toujours servi par une idéalisation, ou l’ordonnancement est toujours la base à une disposition.

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