lundi 21 novembre 2011

La copie en peinture, un faux original ?

La copie en peinture, un faux original ?

La copie pose une autre échelle dans la vraisemblance. Car au-delà du sujet, le tableau lui-même devient une vérité en soi. La copie et sa diffusion a connu, suivant les périodes, des valeurs très différentes. Le caractère original d’un tableau repose sur une définition de la vérité qui est changeante. Ainsi un tableau original ayant disparu mais dont une copie fidèle subsiste change la donne de ce dernier. Le copiste est-il un artiste génial ou bien un menteur ? La vérité d’une oeuvre est elle uniquement véhiculée par l’oeuvre originale, ou peut elle l’être par une reproduction ? En retraçant une histoire de la copie nous parcourons une histoire de la vraisemblance.


Dans notre cycle vrais/faux semblants, la copie questionne la vérité d’une oeuvre considérée comme originale et unique. Pourtant pour en arriver à une telle définition, l’oeuvre d’art va durant les premiers siècles de la période moderne entre le XVe et le XIXe siècle avoir un statut où l’original et le tableau n’est pas unique. Si aujourd’hui nous considérons la copie comme un faux, c’est que nous posons un point de vue sur l’oeuvre comme un objet unique d’une volonté d’un individu, l’artiste. De tout temps, par le principe d’atelier, l’artiste travaille comme directeur d’une structure collective. Cela signifie que l’oeuvre sortant de son atelier bien qu’elle soit rattachée à sa main, n’en est pas pour autant uniquement faite par lui. Pourtant aujourd’hui dans les attributions accordées aux oeuvres nous les rattachons uniquement à l’artiste.

Les primitifs flamands par le fonctionnement même de leurs ateliers témoignent de cette complexité de saisie de l’original.

Le développement de la peinture dans les foyers nordiques repose en partie sur une augmentation de la demande. Les besoins du culte se multiplient, les demandes sont nourries par une augmentation des richesses dans ces régions et amènent un développement de la peinture. Nous trouvons un certain nombre de documents permettant de concevoir le statut de l’artiste. Il faut malgré cela prendre une certaine distance avec ces documents. Ils sont des anecdotes administratives qui ne décrivent pas toutes les conditions de création de l’oeuvre. Cette documentation est attachée au principe des corporations.

D’après les règles des guildes, l’établissement consiste en une demeure pour la famille et ses ouvriers, un atelier et un magasin ou tout du moins une vitrine. À la mort du maître, sa femme hérite de tout et peut continuer à exercer. Les collaborateurs les plus anciens devenant, à leur tour, formateurs. La richesse de l’atelier se compose des modèles, dessins ou patrons et des pigments. Ce fait juridique souligne déjà un profond souci dans la logique de l’original. Si à la mort du maître, sa production artistique se poursuit, c’est qu’il est sous-entendu que l’atelier peut poursuivre sans le maître. Cela signifie aussi que travaillant à partir des dessins « originaux », les apprentis sont capables de produire un oeuvre dont les qualités artistiques et techniques sont similaires ou équivalentes à celle du maître. Cette caractéristique est envisageable sous des modalités économiques et professionnelles de l’artisanat. Même si la fonction libérale du travail de l’artiste se met en place, elle est profondément ancrée dans un fonctionnement d’ateliers d’artisans.

Un autre phénomène beaucoup plus étonnant a perduré entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle dans les Pays-Bas méridionaux. Cette zone est le théâtre d’un phénomène caractéristique et d’une ampleur exceptionnelle : la copie.

Nous avons déjà fait part de la grande capacité des artistes flamands à intégrer les nouveautés réalisées par d’autres ateliers. C’est le cas de ce que nous avons défini comme les « visions du monde » des frères Van Eyck diffusées dans l’ensemble des Flandres.

Pendant une centaine d’années des peintres ont pratiqué de manière intensive la copie de modèles prisés dont la reproduction est liée à des facteurs divers, d’ordre spirituel (image de dévotion), économique (pratique d’ateliers) et sociologique (goût pour certaines oeuvres estimées). Les mots «copie» et «réplique» ne renvoient pas à faux. Il est important de préciser que la notion de faux ne s’applique pas à ce domaine pour cette période.

Ainsi le mot copie peut être qualifiée « d’original ». Par le mot de copies, on désigne généralement une classification d’ensemble de l’oeuvre où le peintre effectue un travail de pure répétition, par opposition à l’original caractérisé par un processus de véritables créations. Le travail en série d’une même image est considérée comme un travail de copie mais réalisée par le même artiste elle couvre quand même une volonté expressive et unique.

Un autre type de copies est défini comme « exactes ». Elles présentent une extrême similitude sur le plan iconographique avec par exemple des variations chromatiques. Ses oeuvres sont donc analogues quant à leur apparence, mais d’exécution plus tardive que le modèle, sont définies comme des copies « exactes ».

Les « répliques » présentent quelques écarts de sujets de couleur, mais offre une telle similitude dans leur technique et dans leur esprit, qu’on peut y voir un travail de la même main. Il ne s’agit pas de copie « exacte » mais de « réplique », puisque ces tableaux ont été conçus et exécutés par le même artiste ou peint sous sa direction dans son atelier.

Le dernier type de copies est qualifié de « libres ». Ses oeuvres reproduisent leurs modèles d’une manière interprétative. Elle se caractérise soit par un empreint d’un seul motif (figure, éléments de paysages, parti d’opposition), soit par une reprise de l’ensemble de la proposition transformée par le style du copiste.

Ces variations et cette possibilité de citations, allant jusqu’à la paraphrase, ne témoignent pas d’un classement d’intérêt, mais d’une grande diffusion des modèles par un système sociétal acceptant une oeuvre dont le caractère unique n’est pas encore obligatoire.

Dans l’analyse actuelle de ces tableaux anciens, de critères primordiaux permettent de redistribuer les attributions. Il y a tout d’abord la localisation de réalisation de l’oeuvre attachée ou non à la figure du maître et de son atelier ou bien au contraire à l’extérieur. Et la chronologie, de savoir si l’oeuvre a été réalisée ou non dans le même temps. Ces critères de sélection et de définition de la copie sont liés au fonctionnement actuel de son intérêt. Il s’agit d’une grille appliquée à rebours.

Les raisons du phénomène de copies sont multiples. Dans le cadre du culte, des images de dévotion, miraculeuse, d’indulgence ou de simple prière, sont liées à une fonction précise et à une forme de composition révérée comme telle. Apparaît alors des modèles plus ou moins répandus qui vont être intégrés, repris et copiés. L’autre élément est le fonctionnement et l’organisation des ateliers, qui face à une conjoncture économique pose une rationalité du travail. Ces contraintes de marché aboutissent pour les oeuvres de petit format à des stocks dans certains ateliers, et à des modèles en vogue, trouvant acquéreur auprès de l’amateur ou de l’érudit.

Une nouvelle fois sur ce questionnement et cette problématique de la vraisemblance et de la vérité portée par l’oeuvre, nous remarquons que ce jugement de valeur ne s’applique pas à toutes les périodes. Posséder ne serait-ce qu’une copie « libre » c’est se référer, sans hiérarchie, à l’oeuvre originale pouvant avoir motivé cette réalisation. La vraisemblance ne couvre pas non plus pour ce travail de copie l’exactitude de la reprise. Ainsi, toujours dans cette dernière catégorie, « libre », la volonté d’interprétation de l’artiste se retrouve fondamentalement dans la genèse de l’oeuvre. Le statut de l’oeuvre est rattachée à une modalité technique et à une modalité expressive. Ainsi, la main de l’artiste est aussi son esprit, car partant d’un modèle existant il y a toujours la possibilité d’une interprétation. Ce terme important permet de différencier les artistes. Ce critère est intégré à la valeur de l’oeuvre dès sa réalisation.

La créativité de l’artiste devenantt le critère de la valeur artistique., l’assimilation des références de modèles passés ou contemporains témoigne de la connaissance du créateur. Cette recomposition personnalisée est un jeu de citations prouvant sa modernité.

À la renaissance, l’historicité de l’art et l’application des grandes valeurs portées par l’art antique impactent la création artistique. Ainsi, lorsque Mantegna se réfère un torse de Donatello pour composer le torse de son Christ ressuscité, il joue d’une copie « libre » partielle. Mais si l’on pousse plus loin la généalogie d’un tel vocabulaire, Donatello s’est inspiré du modèle antique, pour composer le sien. N’étant plus dans un schéma artisanal, principalement attaché à une capacité technique, mais conduit par un principe artistique d’expression, l’enjeu pour le jeune Mantegna est de témoigner d’une connaissance des modèles passés dans une interprétation personnelle. S’agit-t-il alors d’une copie ? Dans un sens oui, car ce torse est de fait le même que Donatello. Dans un autre sens non, car ce torse est avant tout un référent antique et sculptural basculé en peinture. N’étant pas sur le même média, le principe de copies ne semble pas pouvoir s’appliquer.

Pourtant dans ce fonctionnement, l’amateur ou l’érudit, possesseur d’une connaissance artistique, peut retrouver la citation. Le fonctionnement de l’art par ce jeu de réécriture témoigne d’une influence des modèles passés dans leur réinvestissement présent. Le modèle antique porte en lui pour les observateurs de la peinture les caractéristiques naturalistes et idéales de l’oeuvre parfaite. Afin de témoigner de sa grande modernité, Mantegna ne peut court-circuiter ce jeu de citations, bien au contraire il doit le dévoiler. L’artiste, comme nous l’avons déjà défini, se retrouve à être un « singe de la nature » et un « singe de l’Antiquité ». Pour faire d’une oeuvre un objet expressif et personnel, l’artiste doit plus que copier, il doit composer.

Lorsque nous définissons les règles de composition classique, les termes d’ordonnancement et de disposition prennent un autre relief. Les capacités techniques de l’artiste ne se cantonnent pas à sa représentation du monde tel qu’il peut l’observer, elle s’ouvre aussi sur sa capacité citatoire et de copie. Cette donnée forge la base de la culture classique. Le jeu de la copie prend toute son épaisseur lorsque celui qui observe le tableau est en mesure de voir les influences et les citations.

La qualité de l’oeuvre repose sur cet étonnant mariage entre matérialité (ordonnancement) et immatérialité (disposition). Cette union permet aujourd’hui encore d’évoquer par la copie, l’oeuvre originale. Pour exemple, la copie de la Joconde d’après Léonard de Vinci en possession du musée des beaux-arts de Tours nous permet d’évoquer l’oeuvre originale. Cela n’est envisageable que si la copie, même si elle ne possède pas les qualités picturales de l’original, respecte sa composition, son format, en bref ses caractéristiques visuelles. La part théorique, témoin de la qualité intellectuelle de l’artiste, peut être portée par une reproduction.

Ce phénomène n’est pas uniquement rattaché à l’histoire de l’art contemporaine. Ainsi lorsque le cardinal de Richelieu amateur de la peinture du Caravage fait reproduire d’après l’original la Sainte-Famille de l’artiste italien, il a conscience que son tableau est une copie, mais possédant toutes les caractéristiques techniques et respectant la composition de l’original elle peut devenir un objet d’évocation non du copiste mais de l’artiste.

L’engouement autour de certaines figures historique de la création artistique créée un autre modèle de copies. Celui où l’original n’étant accessible pour diverses raisons (prix, disponibilité, etc.) on peut en commander une copie afin d’avoir une image support d’un discours équivalent au discours que l’on pourrait porter sur l’original. Ce phénomène trouve ses racines dans l’ekphrasis, discours porté sur une oeuvre qui n’est physiquement pas présente. À ce phénomène discursif, principalement attaché aux commentateurs de l’oeuvre, s’adjoint un phénomène de copies et de confrontation à l’oeuvre originale attachée à l’artiste.

Ainsi, la mise en place de séjours italiens pour les artistes français répond à la nécessité de se confronter aux oeuvres originales. La diffusion des « chefs-d’oeuvre » se fait par la gravure et par le dessin mais ne peut pas se couper de l’observation de l’oeuvre originale. Les jeunes artistes doivent se former en ayant conscience des oeuvres qui les précèdent, et puisent dans ces modèles leur vocabulaire. Le phénomène de copies intègre la formation académique et glisse vers un modèle d’influence nécessaire à l’artiste comme témoin de sa propre connaissance artistique.

Ce système de réécriture fonctionne comme un palimpseste. La composition d’un même sujet ayant déjà été traité par un artiste reconnu de la période précédente ne s’efface pas intégralement. L’invention du peintre doit se modéliser sur ce dialogue qu’il engage et sur sa capacité à proposer une oeuvre singulière témoignant d’une progression. Ainsi pour faire court, il s’agit de proposer une oeuvre contemporaine parfaitement en osmose avec son présent mais qui témoigne d’un régime historique, l’incluant dès sa création dans un vecteur temporel progressiste. L’artiste compose alors une oeuvre au régime particulier, présent et passé. La copie est l’une des clefs de voûte de la vraisemblance stylistique du tableau. Ce jeu n’a d’intérêt que si le spectateur averti est capable de retrouver ses références. Car la copie engage toujours la connaissance de l’oeuvre copiée. Si cela n’est pas possible alors elle peut devenir un original. Un cas est intéressant au musée des beaux-arts de Tours, les larmes de Saint-Pierre d’après Georges de La Tour. L’original est perdu et uniquement connu par quelques gravures. Dans ce cas peut-on considérer que le tableau présenté fait oeuvre originale ? Car il reste l’unique témoignage en peinture, et de ce fait propose la confrontation au matériau original de L’oeuvre disparue. Face a cette oeuvre est bien qu’ayant conscience qu’il s’agisse d’une copie, nous lui accordons un degré de vraisemblance supérieure et nous retrouvons le vocabulaire de l’artiste convoqué par la main d’un autre.

Un autre exemple est plus compliqué et problématique. La copie d’atelier de l’autoportrait de Nicolas de Largillière. Ce tableau respecte en tous points l’oeuvre originale, il est réalisé dans un cercle artistique proche de son créateur. Peut-on alors considérer qu’il s’agit d’une copie « exacte » ? Et alors avons nous la possibilité d’y observer toutes les caractéristiques de l’oeuvre originale ? Entre autre son ordonnancement et sa disposition. Ce qui peut sembler le plus perturbant est le fait que le tableau est un autoportrait, portant fondamentalement le regard de l’artiste sur lui-même et non sur un sujet extérieur. Comme nous l’avons abordé dans la conférence sur le portrait, la vraisemblance d’un tel sujet repose sur la confrontation entre la subjectivité du portraiturée et la subjectivité du portraitiste. Ici il s’agit donc de copier une même entité (portraituré/portraitiste) mais avec un troisième regard, celui de l’atelier.

Le fonctionnement de la formation artistique sous l’égide de l’académie est de toujours puiser dans des modèles passés ou présents, morts ou vivants. Cet exercice de copies est fondamental pour le respect d’un lignage de l’évolution de l’art. La reconnaissance de la signature et de l’individualité de l’artiste ne se fait qu’à la fin de cette formation où il aura intégré dans son vocabulaire tout ce qui est considéré par l’organisme formateur comme digne d’intérêt artistique. Seulement à ce moment-là il pourra lui-même proposé sa propre subjectivité comme une pierre à l’édifice académique.

Ce qui est le plus notable dans ce référencement et ce travail de copie des artistes académiques c’est l’invitation à s’approprier les formes pour leur propre construction. Ainsi la sculpture antique à qui il manque souvent des membres se trouve complétée dans les gravures ou même dans des peintures. Le régime de vraisemblance et d’imitation rend nécessaire au travail de l’artiste l’exercice de la copie. Mais l’individualisation de la posture artistique ne peut se cantonner qu’à ce jeu de références. Car celui qui ne fait que copier n’est pas apte à réaliser un chef-d’oeuvre dixit Félibien.

Ces modalités tendront à disparaître avec l’académie elle-même. Les artistes modernes revendiqueront une oeuvre dont la seule légitimité repose sur sa modernité et son inclusion dans le présent.

La copie alors disparaîtra pour n’être plus évoquée que par une influence que peut avoir un artiste sur un autre. La copie « exacte » d’oeuvres existantes se poursuivra. Le copiste doit pour qu’il n’y ait pas de doute entre l’original et son oeuvre en modifier le format et surtout de ne pas la signer.

Le terme de copie, aujourd’hui très galvaudé, est pourtant un objet primordial dans la logique d’une vraisemblance de l’oeuvre par son référencement historique. Peut-on considérer que seule l’oeuvre originale porte la trace et la volonté de l’artiste et est alors vérité ? L’oeuvre se retrouvant partagée entre une lecture matérielle et immatérielle, son régime conceptuel peut conduire à pouvoir évoquer les champs théoriques comme une part importante de sa composition. Ainsi la copie ne transpose pas uniquement du mensonge, plutôt rattaché à une question visuelle, mais garde une trace de vérité inhérente au sujet et à l’original.


1 commentaire:

  1. Article très intéressant. C'est intéressant de voir les nuances du mot "copie" et ses évolutions avec le temps. C'est bizarre comme de nos jours le terme de copie a une connotation négative pour ce qui concerne les tableaux alors que c'est parfaitement accepté pour la musique.

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