mercredi 14 décembre 2011

Conclusion Vrai/faux semblants

Conclusion Vrai/faux semblants


Dernière conférence du cycle, il est l’heure de conclure.

Par le thème de la vraisemblance, nous avons abordé le rapport de l’oeuvre au réel et ce que nous avons défini comme la part de réalité et de vérité dans les pratiques picturales depuis la XVe siècle. Pour résumer et tenter de conclure sur les thèmes les plus vastes de l’art et de son histoire, il est bon de faire un bilan.

Tout d’abord sur le traitement chronologique et historique de notre sujet. Aborder le thème de l’imitation et de la représentation d’une réalité quasi tangible en peinture sur une période aussi étendue soulève le questionnement d’accepter une quasi transversalité de cette notion. Il s’agit aussi d’un positionnement intégrant un socle commun à toutes les pratiques artistiques ou tout du moins picturales entre le XVe et le XXe siècle. Cela peut paraître arbitraire, mais il s’agit de prendre conscience que lorsque l’on recherche la vérité non pas comme une quête, mais comme une interrogation du sujet en peinture, il faut toujours avoir conscience du jeu au sein duquel nous pratiquons. Le cadre des conférences passeport pour l’art est le musée des beaux-arts de Tours. Ce dernier présente une collection qui va de l’Antiquité à nos jours. Matériellement regroupés au sein d’une même structure, il s’agit donc de concevoir que dans une muséologie les oeuvres présentes un point commun est de permettre de creuser ou de tisser une étude entre toutes. Le propos tenu par l’oeuvre est tributaire de son cadre de monstration. Ainsi avoir conscience de ce cadre dans lequel nous présente ses tableaux est déjà une inflexion de sa lecture. La première part dans ce dispositif du discours contenu par le tableau est celle du patrimoine. L’oeuvre « choisie » comme un témoignage de la production artistique de son temps entre dans le musée au sein d’un dispositif qui conduit à ne pas remettre en cause sa valeur artistique.

L’une des données les plus fondamentales de la vraisemblance, du caractère imitatif et expressif de la peinture, est le jugement apposé au tableau. L’un des noeuds que nous avons essayés de défaire durant ce cycle est le rattachement fondamental de la représentation du réel comme la première qualité de la réalisation picturale. La volonté de créer une oeuvre suffisamment convaincante pour que son spectateur y voit un espace mimétique, la clé de voûte de la création d’un dialogue entre eux le sujet et son regardeur. Ces images du monde et les récits qu’elles reproduisent confèrent toujours en a la peinture une double nature quant au discours qu’elle tient. Image à elle seule ne suffit pas à générer un dialogue sentimental avec son sujet. L’imagerie religieuse qui au XIVe siècle oriente la raison d’être de l’image porte ce paradoxe. Donnant à voir ce qui ne peut être perçu dans le monde réel, l’artiste doit proposer en un instant une image qui soit plus belle que la réalité. Ce caractère paradoxal d’un sujet s’inspirant de la nature mais en proposant une image supérieure de ces dernières découlent sur le thème l’apparition et de l’émerveillement. La patrimonialisation de ce corpus d’images témoigne de son caractère supérieur. Ainsi tout objet intégrant la collection tend à être validée par la résonance historique des oeuvres qui chronologiquement le précèdent. Alors la vraisemblance se construit sur cette légitimité ou le spectateur cherche dans un discours polymorphe et individuel le lien qu’ils puissent avoir entre un panneau dévotionnel du XVe siècle et du papier peint du XXe.

Ce nivellement du discours n’est pourtant pas total, au sein du musée chaque période et chaque zone géographique sont individuellement présentées. Chaque pièce conduit le spectateur à circuler au travers d’un maillage historique. La vraisemblance se rattache à une lecture chronologique. La vérité d’un discours et d’une valeur d’un objet s’attache à un contexte sociologique. Pour en saisir son importance il faut faire l’effort de contextualiser les oeuvres. Ainsi les enjeux de la vraisemblance fonctionnent plus sur le principe du reflet que du miroir. L’oeuvre d’art se lie aux notions d’information et de signes qu’elle contient. Notre conscience historique juge la valeur du système artistique par la réception même de l’oeuvre.

Le développement d’une autonomie de l’oeuvre et du statut libérale de l’artiste se produit par le développement d’un discours accompagnant l’objet. La vraisemblance est une posture « critique » quant à la représentation et à sa validation. Quand on peut dématérialiser le tableau en proposant une description écrite ou orale, cela constitue une prise de conscience de l’expression même de l’artiste. Il s’agit d’une intellectualisation de l’art. La recherche de la vérité dans l’oeuvre ne peut se cantonner à la simple observation visuelle mais doit se faire dans la compréhension des réseaux intellectuels et philosophiques qui l’accompagnent. Aborder la vraisemblance consiste à réfléchir aux modalités de sa signification. Les images possèdent une double nature : oculaire et mentale. L’image n’est pas uniquement des formes mais aussi des signes qui doivent être compris et connus de son spectateur. L’oeuvre devient un symbole, c’est-à-dire une réalité abstraite, face à auquel tout spectateur voit un objet portant au-delà de sa représentation un discours. Nous avons abordé la symbolique pour comprendre les différentes strates possibles de la lecture même d’un sujet. Cette intellectualisation connaît pourtant ses limites, par les connaissances que nous possédons aujourd’hui.

L’oeuvre étant un objet socialement engagé, et le témoignage de toute l’évolution des discours de description du monde et de sa pénétration dans cet enjeu imitatif de la peinture. Par les « visions du monde » et le dialogue avec les sciences, nous avons abordé cette perméabilité entre l’oeuvre et son temps. L’artificialité ontologique de la peinture peux rendre méfiants quant à cette intégration des diverses descriptions (scientifique, philosophique, poétique...) dans la peinture.

Cette méfiance et ses interrogations créaient un va-et-vient dans notre rapport avec le tableau. Ayant conscience à ce dernier est un réceptacle à nos propres connaissances notre perception de sa vraisemblance va évoluer au fur et à mesure de notre propre curiosité intellectuelle. En n’y réfléchissant, un tel cycle n’aurait pas été envisageable il y a cinq ans de cela lorsque nous avons mis en place le cycle de conférences sur les collections permanentes au musée. Car comme dans toute démarche d’analyse il nous a fallu passer par ce registre descriptif et technique pour pouvoir aujourd’hui aborder un certain nombre de questionnements intellectuel, d’un enrichissement pas uniquement matériel mais principalement culturel. Rendre au début du XIXe siècle accessible l’ensemble de ses collections au plus grand nombre va dans ce sens. L’intitulé des cycles de conférences « passeport pour l’art » constitue déjà ce principe de passer dans un monde, au-delà d’une frontière pour un cheminement et une évolution.

Le rapport avec l’oeuvre ne peut uniquement se faire par le descriptif, mais elle ne peut non plus se faire uniquement par l’intellectuel. Le paradoxe de la vraisemblance pour l’oeuvre d’art c’est qu’elle nécessite de se confronter physiquement à elle pour pouvoir, dans une démarche d’appropriation, l’intellectualiser. Rien ne peut remplacer l’expérience visuelle face à une oeuvre. La conduite du regard, le jeu d’observation ont, dès son origine moderne, amené l’artiste à composer un tableau dont l’ensemble pouvait être assujetti à une dislocation par son spectateur.

La vraisemblance en peinture se nourrit de ces points de vue que l’on peut prendre sur l’oeuvre. L’oeuvre est une fenêtre ouverte sur le monde et ouverte sur l’histoire. Cette définition que je vous redonne à chaque cycle est pour moi centrale. Par sa subjectivité l’artiste donne son regard et son histoire. L’oeuvre est une matérialisation de sa carrière, de son discours... À ce niveau de compréhension, l’oeuvre est un fragment. C’est-à-dire une infime partie émergente d’un iceberg. La vraisemblance se passe tout autant en surface qu’en profondeur. L’artiste comme son spectateur a conscience de ce contenu souterrain. Ce dialogue qui s’instaure et nourrit par d’une curiosité et d’une délectation intellectuelle qui en résulte.

La compréhension d’une oeuvre d’art, même si elle ne peut jamais être totale, se fait dans une démarche active. D’un côté chez l’artiste qui convoque l’ensemble de ses connaissances afin d’exposer au regard de tous une oeuvre qui les interpelle et qui correspond (ou non) aux critères de son temps. De l’autre, le spectateur doit à son tour activer la composition pour en ressortir une jouissance à la fois physique et mentale.

Souvent nous entendons dire qu’une oeuvre se mérite par les efforts que l’on doit concéder pour son accessibilité. Cela n’est pas un effort douloureux mais doit rester profondément un plaisir. Car dans ce jeu du discours et de la vérité contenus dans l’oeuvre d’art, le terme de délectation sous-entend une logique du plaisir. Représenter une nature plus belle au sein du tableau consiste à offrir au regard une oeuvre visuelle supérieure au réel. Cette hiérarchie repose sur cet émerveillement que l’on peut avoir face à l’oeuvre.

L’une des origines que nous n’avons pas abordée dans le cadre de ce cycle vrai/faux semblants est la poétique. Car il s’agit bien là de la légitimation d’une représentation qui puisse se défaire de la simple figuration du réel. La part poétique dans la description du monde par les artistes plasticiens convoque le sentiment. Ce dernier se nourrit de l’imaginaire, le sentiment même que l’objet représenté puisse être sujet à une flânerie mentale.

L’artiste n’est pas uniquement le manipulé il est aussi manipulateur. Ainsi remettant en cause les données scientifiques et cartésiennes de la description du monde, il nous offre une image qui nous déstabilise. La création de sentiments contradictoires et du plaisir à observer une scène qui dans la réalité nous choquerait, nous interroge personnellement sur cette capacité de l’oeuvre à s’extraire du réel. Ainsi arrêterions nous face à une carcasse d’un boeuf ou bien encore à un gisant ? Une grande partie des sujets religieux et mythologiques nous confronte à la mort, au cadavérique. L’image oscille entre violence et douceur. Cette double nature est provoquée par l’artiste pour générer cette confrontation et des sentiments exacerbés. Car le sujet étant représenté plus beau que de nature, il doit aussi générer des sentiments supérieurs à ceux de l’expérience du réel. Le paradoxe de la vraisemblance, c’est-à-dire de la vérité du discours de l’oeuvre, repose en partie sur son caractère expressif. Les sentiments sont ceux qui confèrent à l’oeuvre une valeur supérieure à un autre objet visuel. Scruter le tableau consiste à chercher les moyens mis en place par le plasticien pour nous toucher. Comprendre cette démarche c’est en partie faire apparaitre/disparaître une part de l’aura immatérielle de l’oeuvre.

Car ce qui est consécutif d’une matérialisation et d’une dématérialisation des discours tenus par l’oeuvre d’art est la création d’une aura, d’un rayonnement. L’oeuvre contient-elle plus que ce qu’elle figure, cela est certain. Étant devenu un symbole elle possède cette réalité abstraite qui crée comme un nimbe imperceptible visuellement et compréhensible mentalement.

Mais il ne faut pas oublier que l’art est aussi un jeu, celui du plaisir de l’oeuvre qui demande notre curiosité. Cette quête d’une vérité nous conduit inexorablement à la faire notre. L’art est délectation, un des historien d’art qui à jouer de cette passerelle est Daniel Arasse. Évidemment que ces propos puisse être remis en cause. Mais il offre une vraie part au subjectif, une vrai part au regard que l’on a tendance à oublier. Dans son ouvrage «On y voit rien», il interroge le fait de regarder une peinture. Que pensons ou imaginons nous devant un tableau ? Qu’est ce que l’on voit ? Qu’est ce que l’on devine ?

Le titre «on y voit rien» fait que ce rien n’est pas rien.

«Je vous vois venir : vous allez encore dire que j'exagère, que je me fais plaisir mais que je surinterprète. me faire plaisir, je ne demande pas mieux, mais, quant à surinterpréter, c'est vous qui exagérez. C'est vrai, j'y vois beaucoup de choses dans cet escargot ; mais après tout, si le peintre l'a peint de cette façon, c'est bien pour qu'on le voie et qu'on se demande ce qu'il vient faire là. Vous trouvez ça normal, vous ? Dans le somptueux palais de Marie, au moment (ô combien sacré de l'Annonciation, un gros escargot qui chemine, yeux bien tendus, de l'Ange vers la Vierge, vous n'y trouvez rien à redire ? Et au tout premier plan, pour un peu, on verrait la piste que sa bave trace derrière lui ! Dans le palais de Marie, si propre, si pure, la Vierge immaculée, ce baveux fait plutôt désordre et, en plus, il est tout sauf discret. Loin de le cacher, le peintre l'a mis sous nos yeux, immanquable. On finit par ne plus voir que lui, par ne plus penser qu'à lui, qu'à ça : qu'est-ce qu'il fait là ?» Daniel Arasse on y voit rien.


«On dirait que tu pars des textes, que tu as besoin de textes pour interpréter les tableaux, comme si tu ne faisais confiance ni à ton regard pour voir ni aux tableaux pour te montrer, d'eux-mêmes, ce que le peintre a voulu exprimer.» Daniel Arasse


Cette question de confiance est inhérente à celle de la vraisemblance et du regard que l’on pose sur la peinture. En aparté, la semaine dernière nous abordions la notion de richesse. La richesse culturelle vient de la confiance que l’on a dans son regard. Évidemment le discours de l’historien d’art à une légitimité intellectuelle. Mais votre regard est tout aussi légitime. Savoir regarder demande du temps et des efforts. Cela apporte, enrichie et surtout distraie. Se distraire c’est s’amuser, mais se n’est pas être inattentif, bien au contraire. C’est se poser des questions qui ne sont flottantes mais reposent sur l’oeuvre, sur cette matérialisation.

Tenter de définir la vérité en peinture c’est comme une quête du Saint Graal, ce qui est important ce n’est le graal, mais le cheminement, la quête.

C’est pour cela qu’il ne faut jamais s’oublier en peinture. Qu’il ne faut jamais omettre cette richesse que donne l’oeuvre à celui qui prend le temps de l’activer. La vérité en peinture est celle de l’artiste et la notre, personnelle et intime.


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