La vraisemblance et la symbolique: une idée derrière une image ?
La vérité en peinture semble portée par l’image et par sa charge symbolique. Le reflet offert par le tableau est celui d’une pensée et d’un schéma de codes. Le contenu d’une oeuvre ne se limite pas à sa simple matière mais aussi à son immatérialité. Les concepts et théories qui nourrissent une réception de l’oeuvre font d’elle un symbole, un discours et une valeur. La symbolique n’est pas uniquement un discours caché, compréhensible par un petit nombre d’initiés. L’oeuvre d’art attire car elle est un symbole expressif. En offrant une image artificielle de la réalité, elle offre au spectateur un faisceau d’interrogations morales et symboliques.
Symbole: ce qui représente une réalité abstraite.
Iconographie: Étude des sujets représentés dans les oeuvres d’art.
Dans notre cycle de conférences consacrées à la compréhension de la vraisemblance et à son élaboration dans le champ visuel par la peinture, la question du symbole et de l’iconographie nourrit une lecture de l’oeuvre et d’une compréhension qui dépasse la réalité figurative par un jeu une réalité abstraite. L’accessibilité à la compréhension de la figuration et à la vérité de la représentation construite par l’artiste interroge le sens caché, ou bien la valeur que porte la représentation d’objets et de tout élément.
La vraisemblance se construit toujours dans une relation entre la représentation peinte et son regardeur. Nous les avons déjà largement évoqués, la vérité et le discours portés par une oeuvre se font dans une construction et dans un dialogue avec son temps. Il ne peut y avoir de valeur symbolique en peinture qui ne soit pas un élément partagé par la société qu’il la voit naître.
Ainsi avant même de s’interroger sur une valeur symbolique vérifiée ou hypothétique de tels éléments constituant la scène figurative, il faut d’abord concéder que l’iconographie engage une connaissance du sujet par l’artiste et par son spectateur. En premier lieu, même si la réforme humaniste de l’image à la renaissance engage le tableau dans une figuration où le principe de délectation apporte un caractère profane à son observation, il faut qu’il y ait reconnaissance du sujet pour en comprendre sa modulation plastique. Toute peinture figurative attachée à une iconographie d’un récit possède une réalité abstraite. La figuration des grands récits bibliques et religieux est déjà en soi un symbole. Nous l’évoquions il y a quelques séances, mais la reconnaissance du Christ, de la vierge, et de l’ensemble des saints ne peut se faire que si nous sommes déjà possesseurs de cette information. Cela se voit principalement dans la difficulté de la reconnaissance des différentes saintes figures dont le culte aujourd’hui disparu complexifie l’accessibilité du contenu de l’oeuvre.
La symbolique iconographique est un enjeu d’une vérité attachée à une connaissance qui s’y elle se veut importante doit être fondamentalement partagée. L’autre élément dont il faut se méfier avec la symbolique, c’est que sa valeur peu changer d’une période à l’autre, d’une région à une autre. C’est pour cette raison qu’il faut toujours se méfier d’une capacité à voir au travers d’une figuration d’un objet, d’un animal, d’une posture, d’un lieu etc. un symbole immédiat et identique. De plus certaines connaissances ont disparu ou ne sont plus aujourd’hui analysables, c’est le cas pour la connaissance alchimique transformant ce qui était une représentation purement symbolique en un mystère des plus épais.
Dans la culture visuelle chrétienne, bien avant la renaissance, la figuration d’un objet ou d’un animal était porteuse d’une valeur symbolique seulement identifiable par la communauté. Par le symbole, l’oeuvre créée une épaisseur supplémentaire dans son degré de vraisemblance et de vérité qu’elle peut véhiculer mais qui se retrouve attaché uniquement un groupe. Ainsi les dictionnaires de symboles, fort pratiques, regroupent pour certains motifs jusqu’à une quinzaine d’interprétations. d Le symbole étant une réalité abstraite, il est donc naturellement porté par la peinture et son degré d’artificialité.
Notre principal cas d’études est la prédelle d’Andréa Mantegna. Si tout élément considéré comme une réalité abstraite est de nature symbolique, l’oeuvre de l’artiste italien foisonne de cette structure théorique et intellectuelle.
En premier lieu, la construction spatiale par l’utilisation de la perspective géométrique peut être considérée comme une valeur symbolique et artistique. En effet, la perspective géométrique témoigne d’une connaissance abstraite dont le régime figuratif est pas considéré à la fois comme un trompe-l’oeil, mais aussi comme une base d’informations sur la compétence technique de l’artiste comme sur sa connaissance théorique.
Dans cet enjeu artistique de modernité, le torse du Christ ressuscité joue parfaitement une valeur d’un symbole purement profane. Ces deux éléments témoignent de la valeur d’un symbole moderne et artistique de l’oeuvre du jeune Mantegna.
La composition d’un espace pictural cohérent habité et détaillé a tendance à estomper la possibilité d’individualiser tout élément dans une lecture et dans un regard. La capacité et la liberté offerte aux spectateurs de pouvoir personnellement individualiser chaque détail comme une source de renseignements quasi autonomes, fait partie de ce fonctionnement du regard et est intégrée par l’artiste dans sa composition. Cela peut signifier que tout objet représenté est porteur d’une symbolique. Cette dernière est en adéquation avec l’iconographie et le rattachement au texte. Ainsi, l’arbre foudroyé qui sert d’articulation plastique entre la vue de Jérusalem et le jardin dans la prière au jardin des oliviers, est un symbole. En effet, Mantegna « habille » de vigne la partie supérieure de ce bois mort. Un arbre foudroyé qui reverdit par la vigne porte symboliquement la signification du basculement entre l’Ancien Testament (l’arbre mort) et le nouveau testament (la vigne/l’eucharistie). Il s’agit d’une évocation emblématique évoquant la passion du Christ tout entière. La construction d’un tel symbole est extrêmement simple dans la ramification sous-entendue par le motif de l’arbre. nous pouvons nous poser la question s’il n’y a pas un renforcement de ce symbole de l’arbre mort par la présence des champignons qui poussent à sa base. Car le souci dans la symbolique est de savoir à quel moment cette lecture détaillée et théorique porteuse d’une réalité abstraite s’arrête pour laisser place qu’à un objet représenté dans une réalité figurative concrète. Tout élément formant le décor est peut posséder une valeur symbolique accompagnant le récit en se faisant l’écho à son contexte de réalisation. Ainsi nous pouvons poser la question de la valeur symbolique, par la multiplication des détails, véritables tours de force illusionnistes, de la représentation des ruches ou bien encore des lapins.
Pour les ruches plusieurs possibilités : par la structure du travail de l’abeille et de la ruche une évocation de la communauté religieuse pour laquelle oeuvre Andrea Mantegna à Vérone. Mais aussi la possibilité d’un sous-entendu iconologique par référence au Psaume 118:12 « les ennemis m’ont entouré comme des abeilles », que Saint-Augustin dans les Enarrationes in Psalmos interprète comme une image de la capture du Christ. Cela est appuyé par le cheminement à la suite de Judas des soldats qui figurent la future arrestation de Jésus.
La lecture symbolique d’une oeuvre repose sur la connaissance du peintre et sur la connaissance du spectateur. Faut-il connaître tous les écrits de Saint-Augustin pour comprendre l’intégration de la représentation de ruche chez Mantegna ? Faut-il considérer que la représentation d’un animal vivant , exemple d’une structuration sociale élaborée et pour certains points de vue idéale, est partie prenante de sa figuration ? Mais ne s’agit-il pas aussi d’une évocation des soucis naturalistes mis en place par les peintres flamands ? En effet, pour revenir sur un régime artistique, l’intérêt pour la peinture flamande en Italie au XVe siècle et son caractère moderne à la représentation de détails plus saisissant de réels les uns que les autres, n’est-il pas l’enjeu évoqué par cette nature chez Mantegna ?
Un autre élément peut soulever des questionnements symboliques. Mantegna utilise De l’or uniquement dans la représentation de son registre inférieur. La plus grande utilisation se faisant dans la résurrection par ces rayonnements dorés émanant de la figure du Christ. Il est surprenant que l’or soit utilisée dans un registre inférieur, au sein d’images au caractère moins paradisiaque que terrestre. Peut-on alors considérer que la représentation de cette figure du Christ n’est plus totalement terrestre mais paradisiaque ? Car encadrer par une structure architecturale la figure se redressant du Christ se retrouve sur un fond d’or et partage ce caractère immatériel figuré depuis la peinture des primitifs.
Le cheminement théorique de connaissances qui accompagne l’élaboration d’une image des plus précises de la réalité est infléchie par la conscience du spectateur. L’artificialité du sujet repose en trop sur un champ théorique qu’il peut activer. L’accession à ce degré supérieur de compréhension de l’image repose sur une analyse textuelle dont la symbolique peut être considérée comme une évocation. Ainsi le spectateur peut activer ses connaissances intellectuelles et ce rattachement à une réalité abstraite des détails de la peinture. Ce qui peut compliquer cette lecture est la raison consciente et volonatire dans la figuration des détails de l’artiste. Toute partie de la composition peut ou doit avoir une justification à la fois comme un témoignage du savoir-faire technique et comme un témoignage du savoir-faire théorique de l’artiste.
Il faut peut-être à ce moment faire une mise en garde. Car dans cette lecture si n’importe quel élément peut avoir une valeur symbolique, il faut que cette dernière soit rattachée à la lecture iconographique de l’oeuvre. Il ne s’agit donc pas d’un morcellement de la composition, mais bien au contraire d’une restructuration intellectuelle. Le petit lapin qui traverse le pont et qui a des oreilles levées semble entendre l’arrivée des soldats et de Judas. L’animal ainsi en état d’alerte et conscient du danger imminent. En est-il alors le symbole ? Ou bien simplement un élément compositionnel permettant de lier la nature et le récit ?
Je suis toujours un peu dubitatif quant à la possibilité de surenchérir en permanence par la valeur symbolique d’un étalage de connaissances. Ne dit-on pas d’une manière populaire que la connaissance c’est comme la confiture, moins on a plus on l'étale. Il faut garder en tête que la logique de la vraisemblance et l’engagement de l’artiste à offrir une oeuvre qui soit une fenêtre ouverte sur le monde et une fenêtre ouverte sur l’histoire, croise un degré où la vérité avant d’être symbolique est iconographique. Dans son lien avec le religieux la peinture doit concéder que tout élément qu’elle figure puisse être l’évocation d’un symbole utilisé dès les premiers arts chrétiens. La symbolique est une grille de compréhension de l’oeuvre nourrissant sa fonction de commentaires.
Un autre exemple, cette vierge à l’enfant réalisé au XVe siècle Cologne présente dans un tout petit format la Vierge et Jésus. La figuration de l’espace est uniquement évoquée par des colonnades et des ouvertures se trouvant derrière les deux saintes figures. En architecture moyenâgeuse, l’arc trilobé évoque la Trinité. Faut-il alors considérer que cet espace architectural à peine suggéré soit une évocation symbolique de la Trinité dont l’incarnation est évoquée par la vierge à l’enfant ? Ou bien cette architecture religieuse n’est rien d’autre qu’une composition spatiale permettant, malgré un cadrage en buste, d’évoquer un espace terrestre dans lequel elles sont représentées.
Le détail, témoin d’une figuration terrestre, n’en demeure pas moins par ce jeu de la peinture un engagement théorique et symbolique du peintre. Dans la nature morte au XVIIe siècle, tous les détails peuvent contenir une réalité abstraite. La mouche dans la nature morte aux fromages en marge peut permettre d’évoquer Pline l’ancien et la peste. Un certain nombre de ces tableaux par leur valeur de memento Mori symbolise le temps qui passe et le caractère mortel de toutes choses.
La composition de la Sainte-Famille d’après le Caravage figure des personnages reposant sur un entablement en marbre comme pour la nature morte. L’éclat, imperfection visible, peut devenir le symbole d’une nature terrestre imparfaite. Faut-il alors entrer dans de telles appréhensions et lectures de l’oeuvre pour en saisir toute la vérité ?
Une structuration académique pour la formation et le jugement de l’oeuvre établit un régime symbolique supplémentaire dans la figuration de la réalité. La représentation de la nature n’a d’intérêt que si celle-ci est plus belle que de nature. L’oeuvre est donc à la fois une réalité concrète, l’ordonnancement, et une réalité abstraite, la disposition. La composition devient alors un ensemble d’éléments qui peuvent donner naissance à une lecture intellectuelle et symbolique. La description du tableau comme une machine, où chaque élément est comme une petite roue dentelée d’un système d’horlogerie appartenant à une mécanique de précision, est à considérer à la fois visuellement et intellectuellement. Il n’y a pas de hasard dans la mise en place des différents éléments constituant l’oeuvre. Le détail porte une symbolique artistique. Tout objet est le témoignage dans sa représentation du savoir-faire du peintre techniquement et intellectuellement.
La représentation figurative est nourrie par une idée derrière l’image. Dans un principe de choix, l’artiste prend conscience que la peinture véhiculant plus que la représentation est en soi un objet symbolique. Cette valeur est portée et soutenue par le regard scrutant l’oeuvre.
Le regardeur faisant l’oeuvre entre autre dans sa lecture symbolique, le tableau peut donc toujours être analysé comme un symbole. Chez François Boucher, la mise en scène de la marquise de Pompadour est un symbole de pouvoir, associant à l’allégorie du roi, la figure de sa favorite. Les chiens au premier plan de la composition des Rémois de Lancret, deviennent des commentaires sur les agissements humains du récit.
Par le jeu de dupes inhérents à la valeur de la représentation peinte, toute image est une réalité abstraite. Ce caractère n’est pas uniquement moderne mais à l’origine même de la figuration et de la relation entre le mot et la forme. L’imitation de la nature est le symbole de la relation au réel de l’artiste et de son temps. Quand un simple objet figuré devient un symbole sociétal, il possède une réalité abstraite. La symbolique nous amène à considérer que l’idée sous-entendue dans l’oeuvre est une clef de sa compréhension et de son observation.
Si l’objet peut par sa pénétration dans l’art être porteur de tel concept alors l’artiste ne peut il pas juste choisir l’objet et l’exposer. Le motif de peindre un sujet à la fin du XIXe siècle est de témoigner de la réalité abstraite de la peinture. Cette symbolique sera consommée quand l’artiste choisira un objet et l’exposera sans aucune transformation. L’oeuvre est toute faite: le ready-made.