Enjeux de la mimèsis dans la valeur de l’oeuvre
Quels sont les enjeux de la mimèsis dans les discours et la critique d’art? Pour la valeur de l’oeuvre la mimèsis ou imitation occupe une place centrale. Quelle valeur à l’imitation dans la finalité de l’oeuvre dans sa réception? Que couvre ce terme de mimèsis?
Un sujet au coeur des écrits et des réflexions sur l’oeuvre
Inscrite au cœur de la plupart des poétiques et des esthétiques, l'imitation est l'une des notions les plus chargées de la pensée des arts. Qu'il s'agisse de la littérature artistique, de l'histoire ou de la théorie des arts et de la philosophie de l'art, il n'est pas d'écrits qui, depuis l'Antiquité, ne l'abordent, ne s'y réfèrent, ou ne la rejettent.
Elle n'a aujourd'hui rien perdu de son actualité. Si l'idée d'une reproduction fidèle de la réalité « telle qu'elle est » – objet, monde, sujet – n'a plus cours, les idées de représentation, puis, très récemment, de fiction ont permis de réinterpréter l'imitation à partir de notre temps.
La mimèsis terme grec, une interprétation, une polarité...
À l'origine était la mimèsis. Ce terme grec, dont « imitation » est une traduction, désigne ce que l'on pourrait appeler une action interprétative. L'imitation ne restitue pas le réel, elle construit une représentation qui produit de la réalité. Nous croyons en cette représentation et lui prêtons un effet de réel.
La fonction cognitive de la mimèsis est, dans cette perspective, évidente. L'exercice inventif qui conduit, par toutes sortes de moyens, à une représentation dotée de réalité, est un vecteur d'intelligibilité tant pour celui qui imite que pour celui qui est en position de récepteur.
La copie n’égale jamais le modèle mais reste un objet sensible
La copie n'égale jamais le modèle, et puisque sa qualité essentielle est l'excellence de la ressemblance à l'Idée, l'œuvre d'art n'a d'autre visée que d'orienter vers cette dernière. Pour donner l'apparence du vrai, l'œuvre d'art est vouée à leurrer le spectateur par le biais d'une imitation illusionniste.
Un caractère falsificateur
Certes, le verdict ne vaut pas pour tous les arts. Si Platon chasse peintres et poètes de son État idéal, il conserve les arts du nombre (qui ont par là un ancrage dans le Vrai) que sont l'architecture et la musique. Il accorde, dans le Phèdre, un statut glorieux à l'Idée de Beauté, dont l'éclat et l'évidence font la force. Il n'en reste pas moins que, en liant certains arts à une imitation dont elle dénonce avec violence le caractère, à ses yeux, erroné, et plus encore, falsificateur, la philosophie platonicienne engage pour de longs siècles la pensée des arts dans une apologie autolégitimatrice.
La rectification aristotélicienne, la mimèsis cognitive comme plaisir, entre reconnaissance et poesis
Aristote ancre, quant à lui, sa conception de la mimèsis dans la cognition, en faisant du plaisir un opérateur et un symptôme de cette activité mentale. La mimèsis nous offre deux types de satisfaction : celle éprouvée à retrouver le modèle dans la copie (la reconnaissance), comme celle que constitue l'habileté à produire des images conformes (la poïèsis). Si l'imitation peut se jouer d'une ressemblance parfaite, elle ne nous piège qu'autant que nous prenons plaisir à la réussite de la copie.
« l'art imite la nature » ne saurait signifier que l'art la copie.
L'adage « l'art imite la nature » ne saurait signifier que l'art la copie. En indexant l'imitation sur le pouvoir de cognition et son aptitude à créer du contentement, Aristote est à l'origine de sa libération. Il écarte le spectre d'un jugement moral, sinon moralisant, et ouvre la voie au refus de la duplication d'un quelconque réel, qui existerait là, à côté de nous, offert à un réalisme esthétique.
Platon comme une mise en tension de la conception aristotélicienne. Vers une doctrine positive de l’imitation
La donne platonicienne est mise en tension par la conception aristotélicienne de la mimèsis. Le souci de la vérité, l'idée d'une responsabilité, n'ont cessé de solliciter les artistes, mais la moralisation que suppose l'illusionnisme, ou le défaut de consistance de la copie, n'ont guère tenu face à l'offensive d'une doctrine positive de l'imitation. Activité symbolisante, cette dernière peut se prévaloir aisément du gain en compréhension qu'elle produit. Les débats d'aujourd'hui sur le statut et la fonction des images dans nos sociétés témoignent encore de la validité de la polarité originaire que nous avons héritée de la Grèce.
La valeur de la mimèsis au XVIIIe siècle
Imitation comme création déplacée
L’imitation a été le fondement de l’art pendant des siècles, l’idée de la création (action d’inventer) n’étant apparue qu’au XIX e siècle.
L’imitation de la nature, la mimésis restreinte et générale, entre nature et antique.
Nous savons déjà que l’imitation de la nature est le fondement de la peinture. Or, analyser des tableaux du XVIII e siècle démontre que la couleur émerge pour s’emparer de la totalité de la toile et « déclare » l’importance de la picturalité dans la production d’un tableau figuratif. Se rejoignent ici les mimésis « restreinte » et « générale ».
En France au XVIII e siècle, ces dernières perpétuaient une tradition artistique héritée de l’Italie et fondée sur l’imitation de la « Nature parfaite » et de l’Antique ».
L’exemplarité des « ouvrages des autres » antique et maître du passé.
Les peintres devaient puiser dans « les fonds de l’Antiquité » pour reprendre l’expression de La Font de Saint Yenne. Diderot, pour sa part les incite à suivre les conseils de l’un des leurs : Antoine Coypel était certainement un homme d’esprit, lorsqu’il dit aux artistes : « Faisons, s’il se peut, que les figures de nos tableaux soient plutôt les modèles vivants des statues antiques, que ces statues les originaux des figures que nous peignons.
L’action de suppléer est implicite dans cette recommandation, tout comme elle l’est dans les propos de de Piles :
«Il faut qu’Il (le peintre) regarde l’Antique comme un Livre qu’on traduit dans une autre Langue, dans laquelle il suffit de bien rapporter le sens & l’esprit, sans s’attacher servilement aux paroles.»
Selon de Piles, en copiant les œuvres des grands maîtres, les artistes doivent « s’imaginer que leurs tableaux sont la nature ». Néanmoins, le choix est décisif, car si, « copier n’est rien, choisir c’est tout » aux dires de Marmontel. Dans le même ordre d’idées, une auteure anonyme écrivait dans sa critique du Salon de 1785 : « L’art consiste à inventer, choisir & assembler ».
L’invention
L’invention était définie par Liotard comme « la facilité de composer le sujet d’une peinture, d’en faire une esquisse ».Il faut ajouter que De Pile dans « L’idée du Peintre parfait » écrit que « la première partie de la peinture » est la composition qu’il subdivise en deux « L’invention et la Disposition. L’invention trouve seulement les objets du Tableau, & la Disposition les place».
Liotard formule le même point de vue autrement : « Lorsque le peintre guidé par le jugement a inventé toutes les parties qui constituent un tableau, il faut ensuite les disposer chacune à leur place, de manière que l’ordonnance d’un sujet de peinture ne puisse être mieux disposée … ». Compte tenu de ces précisions, au XVIII e siècle, la composition aurait été l’élément pictural donnant au peintre la possibilité d’exprimer son originalité, voire d’innover.
Illusion et fiction, la peinture comme poésie
La combinaison de perfections de la nature, la sélection de motifs empruntés à d’autres œuvres, quand ce n’étaient pas des tableaux entiers « faits à la manière de » étaient conseillés dans le but d’embellir », de « perfectionner », voire « d’inventer» la nature. Le peintre à partir d’éléments divers composait l’œuvre, lui donnait sa consistance, mais le faisait-il seulement dans le sens d’une perfection déterminée par le pouvoir de l’homme à imiter la nature? Les motifs prélevés, on peut les comparer aux « matériaux précontraints », sont greffés dans un nouvel ensemble dans lequel l’espace est organisé en fonction des intentions du peintre.Vertu de la mimésis vers un beau idéal
Enfin bref, la mimésis se veut au service du « Vrai » : de la vérité de l’art. L’art du XVIII e siècle était une projection vers un idéal de beauté atteint par l’intermédiaire d’éléments de la nature et de la culture qui s’agencaient comme les pièces d’un casse-tête ou d’un jeu de patience. La « Composition », certains auteurs emploient le mot « Invention », aurait été l ‘élément pictural qui donnait au peintre l’occasion d’exprimer son originalité, historiquement liée au génie et, peut-être d’innover picturalement.
Plaisir et imitation au XVIIIe siècle
Par la poétique l’imitation est un objet de plaisir et dépassement de la pure vraisemblance. Au XVIIIe siècle l’exercice visuel et spirituel généré par l’oeuvre oscille entre un plaisir de coeur et un plaisir d’esprit. Cette double nature de la réception de l’oeuvre et de son sujet se trouve dans ce filtre poétique de la vraisemblance et de la déformation. Principe d’une poétique dans les modalités classiques qui conduisent à émouvoir par une mimèsis poétique.
L’imitation comme objet de plaisir
C’est à l’imitation, cette notion classique cardinale du point de vue du plaisir que fait naître l’acte d’imiter ainsi que ses produits dont les écrits sont susceptibles d’ouvrir sur la conception d’un plaisir proprement esthétique.
L’imitation pour le XVIIIe siècle
La conception d’un plaisir proprement esthétique lié à, c’est-à-dire exigeant, l’imitation en tant que telle, aide à mieux comprendre ce que signifie « Imitation » pour l’âge classique, Lumières y comprises.
Le plaisir comme une constante de l’expérience esthétique, un lien vers le beau
Le plaisir est unanimement reconnu comme composante de l’expérience esthétique, mais dans quelles proportions - par rapport en particulier à ce qu’on appelle l’instruction. L’agrément ou le beau est pour simplicité réduit au sensoriel : ce qui « flatte » l’œil ou l’oreille. L’abbé Trublet avait le sentiment que les choses se passaient ailleurs : « Beau est dit de tout ce qui plaît, lorsque le sentiment de plaisir, quoique reçu par quelque organe du corps, est dans l’âme et non dans cet organe » car « je rapporte à mon corps, explique-t-il, et à certaines parties de mon corps, certains plaisirs et certaines peines. Il y en a d’autres que je n’y rapporte point, quoique ce soit par l’entremise de mon corps que je les éprouve ».
Le lien entre poésie et peinture par la notion de plaisir
C’est à la notion de plaisir, touchant poésie et peinture, que s’est attaché Dubos, non pas d’emblée dans la perspective du lien de celui-ci avec l’imitation mais dans celle, on le sait, du caractère paradoxal de cette espèce de plaisir dont l’intensité est d’autant plus grande que le sujet des ouvrages qui en sont la cause est désagréable, voire franchement affligeant. Comme une réultante des principes empathique de les primitifs. Il en rend compte par l’agitation affective, l’émotion provoquée par ce que représente le poème ou le tableau, puisque le mouvement est agréable en tant que tel à l’âme humaine, foncièrement inquiète et guettée par l’ennui – à condition toutefois de ne pas être excessif et de ne pas dégénérer en souffrance, ce que garantit le caractère fictif de sa cause : le spectateur de tragédies ou de tableaux à sujet pénible reste à distance de ces situations dangereuses.
Le plaisir dans la mise en exergue de la réalité
Ce plaisir n’entretient pas de lien immédiat et privilégie avec l’imitation, laquelle n’est prise en compte par Dubos que dans le cas de la représentation d’objets « qui ne nous auraient point attachés, si nous les avions vu dans la nature » (natures mortes ou animaux par exemple) ou bien, comme on vient de le voir, dans celui d’objets pénibles : elle sert, dans le premier cas, à justifier l’intérêt pris à ces tableaux dans lesquels « l’adresse de l’artisan » fait s’attarder les regards ; dans le second, elle sert à créer la distance par rapport à une situation qui, réelle, serait dangereuse, permettant ainsi, on le sait, d’éprouver sans risque le plaisir de l’émotion.
L’imitation en relation avec le plaisir.
Essence des beaux-arts, l’imitation est aussitôt mise en relation avec le plaisir, mais, quoique l’analyse inscrive bien l’expression générale de « plaisir de l’imitation » – sans rien en dire au demeurant –, elle cherche à préciser la nature de ce plaisir en distinguant le cas des objets agréables et désagréables ; l’agrément de la représentation artistique s’explique donc différemment, en fonction de celui des objets représentés : il est moindre dans le cas des objets agréables, selon la logique de l’idée dubossienne de déperdition ontologique de l’imitation, et celle-ci se voit alors dotée de quelques vertus euphorisantes, afin de compenser cette perte : « plaisir de l’imitation », dans lequel il faut probablement reconnaître l’admiration pour la réussite de l’artiste que mobilise Dubos pour justifier qu’on s’attarde sur des objets d’aussi peu d’intérêt que les natures mortes. Quant à ceux qui « n’exciteraient étant réels que des sentiments tristes ou tumultueux, l’analyse résume celle de Dubos : « Leur imitation est plus agréable que les objets mêmes, parce qu’elle nous place à cette juste distance où nous éprouvons le plaisir de l’émotion sans en ressentir le désordre ».
Le plaisir artistique par la distance de l’émotion avec l’objet représenté
Le plaisir artistique est nettement ici celui d’une émotion qui ne diffère de l’émotion ordinaire qu’en tant que celle-ci met à distance un objet réel. Le plaisir ne trouve de spécificité ni dans la nature de l’émotion dans laquelle il consiste, ni dans la relation qu’il entretient avec l’imitation puisque cette relation, on vient de le voir, diffère selon les objets représentés : agréables ou non.
Logique de l’émotion mais différence entre coeur et esprit
La logique de cette explication oblige l’auteur des Beaux-arts (Batteux) réduits à un même principe à retrouver aussi la thèse de Dubos selon laquelle le plaisir artistique consiste dans l’émotion. Mais il faut bien prendre garde à la distinction qu’a préalablement opérée Batteux entre cœur et esprit. Ces deux facultés interviennent dans l’expérience du plaisir artistique d’une manière différente et, de ce fait, la définition donnée, au chapitre 4 de la deuxième partie , de la « fin » de l’imitation pratiquée dans les beaux-arts : « plaire, remuer, toucher, en un mot le plaisir », ne doit pas être lue comme un simple écho de celle de Dubos. C’en est plutôt un remaniement.
Le coeur est touché par intérêt/ le mouvement comme vecteur du sentiment
C’est le cœur qui est touché, qui aime à être remué, qui envisage les objets du point de vue de l’intérêt, c’est-à-dire « selon les rapports qu’ils ont avec notre avantage propre » ; aussi doit-il « s’intéresser moins aux objets artificiels qu’aux objets naturels », à moins que, comme on vient de le voir, les objets naturels ne soient effrayants, donc capables de provoquer une émotion violente que la représentation artistique viendra tempérer tout en en préservant le plaisir de tout « mélange désagréable ».
L’esprit questionne le beau et non l’agitation
Quant à l’esprit, c’est « sans intérêt » qu’il envisage les objets représentés et ce qui le « flatte » ou lui « plaît », c’est la perfection que ces objets ont en eux-mêmes, c’est-à-dire sans relation immédiate avec un sentiment agréable de notre existence. Aussi est-ce lui qui assure pour ainsi dire les fonctions proprement esthétiques : il est, explique Batteux, « plus satisfait des ouvrages de l’art qui lui offrent le beau, qu’il ne l’est ordinairement de ceux de la nature, qui a toujours quelque chose d’imparfait ». L’esprit a à voir avec le beau (alors que le cœur est sensible au bon),
Vers un principe de perfection
l’artifice et la belle nature dont l’imitation a pour fin de « charmer » : c’et à dire de susciter un plaisir consistant non dans l’agitation affective, mais dans l’accès à une « sphère plus parfaite que celle où nous sommes », propre à étendre et perfectionner les idées d’un esprit qui désire s’élever et s’agrandir.
Le dépassement du récit ordinaire par le récit poétique
Aussi, selon cette logique, l’émotion réelle ne l’emporte-t-elle pas sur celle que provoque la « copie », pour parler comme Dubos : « Quelle différence, s’écrie Batteux, entre l’émotion que produit une histoire ordinaire qui ne nous offre que des exemples imparfaits ou communs, et cette extase que nous cause la poésie lorsqu’elle nous enlève dans ces régions enchantées, où nous trouvons réalisés en quelque sorte les plus beaux fantômes de l’imagination. L’histoire nous fait languir dans une sorte d’esclavage, et dans la poésie notre âme jouit avec complaisance de son élévation et de sa liberté ». De manière fort intéressante ici, la formulation déplace la cause de la jouissance, des beaux fantômes qui émerveillent l’âme aux qualités de l’âme elle-même. L’amour-propre trouve ici à se satisfaire doublement : plaisir aux qualités des objets qui répondent aux désirs de l’esprit et plaisir aux qualités mêmes de cet esprit qui devient l’objet de sa propre jouissance.
Le plaisir vient de l’imitation ou du «portrait» c’est à dire de la comparaison par le spectateur.
Or cette orientation de la réflexion de Batteux sur « le plaisir que causent les arts » s’est fortement manifestée non à propos du plaisir né de la perfection des objets produits par l’imitation de la belle nature mais de celui pris à l’imitation de tout court, de façon générale – présentée il est vrai, d’une manière légèrement restrictive : « Cette imitation est une des principales sources du plaisir que causent les arts ». Imitation s’entend ici comme opération d’imiter, puisque ce n’est pas, je le répète, du caractère agréable ou non de l’objet imité que provient le plaisir du spectateur mais du fait qu’il est en présence d’une imitation, d’un « portrait », selon le lexique classique, lequel appelle, en tant que tel, la comparaison – et c’est de cette dernière opération effectuée par le spectateur que Batteux fait procéder le plaisir artistique : « L’esprit s’exerce dans la comparaison du modèle avec le portrait, et le jugement qu’il en porte fait sur lui une impression d’autant plus agréable qu’elle lui est un témoignage de sa pénétration et de son intelligence ».
L’art comme fonction de représenter de manière artificielle le naturel
L’auteur des Beaux-arts a fortement insisté sur la transposition qui constitue l’activité artistique : la « fonction des arts » est de « transporter les traits qui sont dans la nature et de les présenter dans des objets à qui ils ne sont point naturels ». C’est l’imitation de la belle nature, essence des beaux arts dont la fin, par opposition aux arts nécessaires ou même à l’éloquence et l’architecture, compromises avec l’utilité, est essentiellement le plaisir.
Le plaisir dans la distance, l’exercice spirituel comme objet de la jouissance
Batteux semble toujours soucieux d’insister surtout sur le rôle de l’imitation dans la mise à distance du danger éventuel : « Ainsi, écrit-il, l’imitation est toujours la source de l’agrément ». Elle l’est en effet dans le cas des objets parfaits de la belle nature, comme dans celui des objets désagréables ou du simple « portrait », dit aussi « imitation froide », puisque le spectateur s’y attache en tant qu’acte, appelé à déclencher en lui, au moins, l’exercice minimal de comparaison, déjà capable de satisfaire l’esprit, dans la mesure où celui-ci y devient l’objet de sa propre jouissance.
Le plaisir comme un domaine sensible et intellectuel
Cette notion de plaisir ouvre sur un domaine dont la spécificité consiste à ne se confondre ni avec l’intellectuel ni avec le sensible, tout en ayant à voir avec l’un et l’autre.
L’expression de « plaisir d’apprendre » et de ce que l’on nomme le « plaisir dogmatique » (entendons didactique), pour être discutée (« L’esprit ne saurait jouir deux fois du plaisir d’apprendre la même chose ») et c’est au cœur, capable lui de « jouir deux fois du plaisir de sentir la même émotion », que revient le plaisir artistique, puisque « le plaisir d’apprendre est consommé, dit-il, par le plaisir de savoir ».
Sur l’objet représenté, le père Lamy avait répondu (Bernard) dans les Nouvelles réflexions sur l’art poétique de 1668: « La raison pour laquelle les images sont agréables, c’est que ceux qui considèrent une image prennent plaisir à apprendre et à découvrir par raisonnement quelle chose elle représente ».
Le plaisir lié à la curiosité
Quoique respectant bien l’explication intellectualiste du plaisir pris au raisonnement qui découvre le « plaisir d’apprendre » comme « plaisir de savoir » : l’esprit voit donc avec plaisir satisfaire un de ses besoins, la curiosité, mais ce plaisir, lié au contenu de ce savoir, ne saurait survivre à la reconnaissance de l’objet représenté.
L’image spiritualisée, poétisée
Aussi Lamy poursuit-il en proposant une autre explication, juxtaposée à la première : « Mais outre cette raison, ce plaisir vient apparemment de ce que les hommes, quoique très attachés à leurs sens, ont un certain sentiment naturel qui leur fait préférer ce qui est spirituel aux choses matérielles et qui les oblige par exemple d’estimer davantage que les corps mêmes, l’art avec lequel une personne ingénieuse les représente, d’où vient que toutes ces imitations et des peintures des poètes leur sont plus agréables que les choses mêmes ». L’image, est cristallisée par le travail en elle et la spiritualise, un ordre de réalité supérieur et un sentiment qui saisit les rapports de perfection y trouve satisfaction.
L’imitation vient garantir, à travers le plaisir de la reconnaissance, celui de la perception d’une forme organisatrice, d’un sens. « On doit juger d’une musique comme d’un tableau. Je vois dans celui-ci des traits et des couleurs dont je comprends le sens ; il me flatte, il me touche. Que dirait-on d’un peintre qui se contenterait de jeter sur la toile des traits hardis et des masses de couleurs les plus vives mais sans aucune ressemblance avec quelque objet connu ? »
L’imitation comme un garde fou de la peinture académique.
Interroger l’imitation depuis le point de vue du plaisir permet d’éclairer quelques aspects peu connus des fonctions de cette notion pour un esprit de l’âge classique : elle apparaît ici comme une sorte de garde-fou, ce qui vient préserver contre la menace du chaos, de l’informe ou de ce qui est désigné, dans les arts du langage, comme « frivole », le pur cliquetis verbal, le jeu gratuit qui ne renvoie qu’à lui-même, vertige, folie, le sens d’une forme intelligible. Elle garantit la présence de l’esprit et de l’ordre et il faut probablement y voir, moins l’obstacle absolu à l’émergence de l’idée moderne de création, que le seul moyen, dans un certain contexte historique et idéologique, de penser la production de ces totalités refermées sur leur propre logique, qui ne ressemblent à rien et dont la contemplation suscite de grands plaisirs autres que sensuels.
La mimèsis dans la peinture du XVIIIe siècle se joue sur une reconnaissance technique de la représentation de l’objet mais comme une poursuite de l’évolution de l’oeuvre liée au plaisir qu’elle génère. A ce titre nous pouvons soulevé qu’il y a un glissement et surtout une double nature à l’imitation. La première cognitive est sensorielle et corporelle, mais elle semble correspondre uniquement à la qualité technique du peintre. La seconde spirituelle et plus dogmatique est un pont avec la poésie. Il n’est pas étonnant de voir l’avènement de la peinture d’histoire comme vecteur de sentiment et poursuit du principe de tragédie de la mimèsis aristotélicienne. La vraisemblance en peinture se joue dans un volet poétique d’un déplacement de l’objet entre sa représentation et sa reconnaissance. Le plaisir est multiple mais repose sur un dépassement historique et poétique de sa représentation.
La seconde moitié du XIXe siècle et le XXe, réorientation de la mimèsis
L'artiste ne cherchera bientôt plus qu'en lui-même, dans le rejet des règles, le moyen d'accorder le son et le sens : mystérieux privilège de son génie où travail de l'artifice pour celui qui, convaincu de l'indépassable arbitraire du signe, forge avec la langue, au moyen surtout de la comparaison ou de la métaphore, un texte saturé de sens. Dans les deux cas (disons : le romantisme et le symbolisme), il ne s'agit plus, comme avec l'usage naïf de l'allégorie, d'une correspondance réglée entre le monde et le poème, mais d'une activité propre au langage, qu'il accède magiquement au « surréel » ou qu'il se coupe délibérément de son dehors, rompant avec l'illusion de la représentation. La rupture cette fois est complète : c'en serait fini de ce qu'André Breton qualifiait avec mépris, reprenant un mot de Marcel Duchamp, de peinture « rétinienne » ; l'art n'imite plus, il crée.
La peinture n’est pas vérité
En 1857, Jules Jamin publie un article consacré aux liens entre « la peinture et l’optique équipée. Le sujet n’est pas nouveau mais avec la montée pour l’intérêt de la physiologie une réflexion esthétique devient de plus en plus sensible à la dynamique de la perception à la densité corporelle.» L’auteur conteste l’ambition du naturalisme. En se reposant sur la récente mise au point du photomètre il va démontrer la puissance « naturelle » de la peinture à rivaliser avec le réel. La conclusion tombe comme un couperet : « non la peinture n’est pas la vérité, le réalisme est un but qui ne faut pas chercher, parce qu’on ne peut l’atteindre. » 15 ans plus tard avec impression, soleil levant Monet présente un paysage où l’ambiance lumineuse est portée par le contraste simultané. Les formes s’estompent dans la densité matérielle de la lumière avec à terme l’objectif de créer une vaste surface incandescente ou la viendrait goûter l’ivresse rétinienne de l’éblouissement, tel un vis-à-vis frontal avec le soleil dans le débordement de la sensation et le fantasme d’une clarté absolue. La peinture s’affranchit de la finitude du contour pour la béance du regard ébloui c’est ce qui se qualifiait en 1904 d’une tentation abstractionniste de l’impressionnisme.
L’innocence de l’oeil
L’impressionnisme français, proclamant « l’innocence de l’oeil » et la réduction facteur subjective au strict minimum, présentera la sensation esthétique du peintre sur le modèle de la photographie : comme l’inscription d’une impression visuelle sur un écran intérieur, puis sur la toile, comme un processus de traduction mimétique aussi fidèle et immédiate que possible une perception du tableau. Nul arrangement, nul pouvoir démiurgique de l’oeil du peintre ne sont censés s’interposées entre le tableau du peintre et la réalité.
Les couleurs comme objet de la vision
L’impact du traité des couleurs de Goethe joue sur une anthropologie historique du regard et de la vision. Il ne faut pas oublier que les théories de Goethe sur les couleurs sont en droite ligne d’une tradition antique et médiévale selon laquelle l’optique était d’abord une « sur ce terrain », c’est-à-dire qu’elle « se donnait la vision et le visible en un couple indissociable complémentaire. La lumière et les couleurs étaient toujours définies en temps qu’elle s’était objet de la vision. L’optique s’étendait comme science de la vision et non comme science de la lumière».
L’observateur moderne se trouve alors face à une « expérience de la lumière coupée de tout point de référence stable, de toute source de toutes origines qui pourraient servir de centre la constitution et à l’appréhension du vrai (...) La vision serait définie comme la faculté d’éprouver des sensations qui ne sont pas nécessairement liées à un référent »
La lisibilité de l’objet nuit à la peinture
La conséquence de cette phénoménologie est que par cette réflexion sur une vibration du coloris une totale dissolution du sujet par sa réévaluation impressionniste. Dans une lecture à rebours, la lisibilité de l’objet nuit à l’efficacité vise la peinture ; le peintre doit donc se libérer le coloris du dessin pour capturer l’attention d’un oeil avide de formes libres, non déterminée, propice à un déploiement l’émotion de la puissance extatique de « l’éclat ».
Perte du sens mimétique de la couleur impressionniste
À l’époque impressionniste, la couleur cesse d’être fonction de la lumière : c’est la lumière qui devient fonction de la couleur. Le rôle « mimétique » de la couleur perd son importance par rapport à sa valeur expressive et à son rôle primordial dans l’organisation et la construction du tableau. La lumière devient alors ambivalente avec la couleur et sont traitées à la fois comme des réalités naturelles comme des abstractions intellectuelles.
Lumière et couleur comme nature et symbole
L’idée que la lumière et les couleurs sont à la fois un langage, la nature et une symbolique, parlant à la fois au sens et à l’intellect, s’adressant au corps autant qu’à l’esprit, c’est-à-dire, en somme un être humain tout entier, Goethe l’exprimait dans les premières pages la théorie des couleurs, traité dans la peinture avait été l’inspiration secrète - devenir un texte de source l’abstraction colorée.
Objet transfiguré et rupture de la mimésis le XXe
La peinture se fait écho des changements, elle n’est plus une permanence d’un objet visuel transposé mais subjectivement transfiguré. La rupture de la mimésis n’est donc pas une révolution, elle est simplement une conséquence inhérente au tableau depuis le XVe siècle, un trompe-l’oeil se reposant sur la définition du monde par la société qui le produit à fin qu’il soit le plus efficace pour toucher son observateur contemporain. La peinture n’est pas alors qu’un miroir des connaissances dans un souci de vraisemblance, elle est un miroir sociologique. Dès l’origine les artistes, les théoriciens et les spectateurs ont conscience d’un élément : l’harmonie naturelle ne sont pas les mêmes que l’harmonie artificielle de la peinture qui reste un objet dégagé de la réalité. L’artiste devra tout de même garder un lien avec la mimèsis, point de départ du plaisir et dela fonction de la l’oeuvre dans sa valeur académique.
Du sentiment à la psyché
Aux descriptions objectives va venir s’ajouter un troisième élément que l’on voit petit à petit montée en puissance depuis la moitié du XVIIIe siècle, sous le thème de sentiment ou bien encore de subjectivité ou de la psychologie. La volonté du sentiment de l’objet artistique ne doit pas simplement être dans une vocation de minutie mais doit conduire naturellement un principe quasi d’émerveillement jouant avec la psychologie ou bien encore la subjectivité la culture en bref ce qui définit le regardeur. L’enjeu est absolument fondamental car dans la bascule entre le XIXe et le XXe siècle la peinture dont la caractéristique subjective progresse très grand pas.
La valeur de m’oeuvre repose sur l’imitation ou la représentation du réel. Ces dernière engagent l’oeuvre dans une perspective: Celle que la simple imitation ne nourrit pas le plaisir de l’observation et de l’existence même de l’oeuvre. La vraisemblance comme élément de la mimèsis joue d’une vérité: l’oeuvre propose une artificielle image de la réalité dont l’intérêt est de nourrir une conscience superieure
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