Peinture et musique
Les relations entre la peinture et la musique constitue un axe important de la recherche en histoire de l’art. Les phénomènes de concordance entre les deux arts illustrent une volonté d’émancipation et de sensibilité de la représentation peinte. Pour les artistes abstraits la musique est un modèle d’autonomie et d’harmonie. Si les développements modernes de la peinture conduisent à la définir comme un art libéral, la musique a toujours été perçue comme supérieure. Le rapprochement entre les deux pratiques sert à élever l’art de l’espace vers un régime de temporalité. Comme aborder précédemment, l’allongement et l’absorption de l’observateur par le sujet conduit la peinture à regarder de plus près l’organisation et les règles de composition musicale. Entre le XIVe et le XXe siècle, la représentation de la musique va basculer de la simple iconographie à une réalité compositionnelle.
L’éclosion d’une sensibilité individuelle repose sur une compassion et une dévotion fondée sur un sentiment partagé par le biais d’une expérience intime. Les principes de l’intériorisation semblent être plus facilement atteints par la musique que par la peinture. Dès la période des primitifs les principes empathiques liés à la musique amènent une élévation de l’âme. L’image se voulant dans une conduite similaire va développer un vocabulaire et des règles de compositions musicales. Le parallèle entre les deux pratiques artistiques permet à la peinture de renouveler et de questionner ses propres règles de composition.
La représentation de la musique dans l’histoire de Camille passe par ce groupe de musiciens. Ce dernier illustre le mariage de l’héroïne. Il crée un décalage avec la scène de bataille se trouvant juxtaposée. La peinture est un objet silencieux, mais qui peut par le phénomène d’intériorisation et de description générée du son. Ainsi aux côtés du chaos de la bataille se trouve avec la musique une organisation harmonieuse. Le concert et l’accord s’opposent au conflit de la bataille.
Les anges musiciens représentés dans la partie supérieure du panneau de Lorenzo Veneziano se présente comme un choeur. La musique céleste ici représentée vient appuyer le triomphe du couronnement de la vierge. L’aspect musical se trouve dans la précision des instruments et dans la dynamique et l’individualité de chacun des anges. Ces mouvements semblent presque s’opposer au hiératisme du registre principal. Le mélange entre divin et terrestre offre deux regards. Les anges peuvent être saisis comme une apparition divine ou bien simplement comme une chorale terrestre. Musicalement la polyphonie qu’ils représentent est en adéquation avec le goût du moment. Les anges peuvent être considérées comme une évocation sentimentale et sensible d’une douceur angélique. Cette ornementation ajoute une suavité à la composition. Leur régime plastique sensible est évident.
L’harmonie musicale devient un modèle pour la composition et l’organisation de la peinture. De la simple évocation iconographique, les artistes de la renaissance vont, suivant un certain nombre de principes, saisir dans l’organisation musicale une possibilité de représentation d’une harmonie du monde. La musique est considérée depuis l’Antiquité, entre autre par Platon, comme ayant les plus hautes vertus notamment éducatives et l’aptitude de toucher l’âme, de faciliter la recherche de l’absolu. L’harmonie des sphères de Pythagore aboutit sur une organisation arithmétique qui doit révéler « l’âme du monde » la musique considérée comme la mathématique peut alors dans ses principes renvoyer à une élaboration du cosmos et à une harmonie supérieure. Léon Battista Alberti va pour l’entreprise d’un génie universel conduire à modéliser et à recommander au peintre le rapprochement avec les autres arts libéraux. Le nombre se positionne comme une logique d’harmonie permettant aux artistes la mise en place de justes proportions pour structurer leur oeuvre. Le format du tableau ainsi que son organisation plastique doit correspondre à une règle du nombre. Dans un principe d’idéalisation l’artiste soumet à l’esprit la rigueur de sa composition.
Les deux panneaux d’Andréa Mantegna présentent une organisation plastique non dénuée d’organisation musicale. En effet, les rythmes mis en place correspond un certain nombre de règles mathématiques et musicales énoncées par Alberti. Le jardin des oliviers présente un rythme marqué par un certain nombre de verticales. L’arbre mort s’inscrit comme un premier temps fort, le Christ comme un second. Leurs distance avec le bord du tableau est quasiment la même. La mise en place d’un rythme vertical doit servir à géométriser l’espace pour pouvoir en exploiter les diagonales. Ce principe harmonique semble ici être mis en place par Mantegna.
Pour équilibrer la composition et nourrir une logique harmonieuse de la figuration, un certain nombre de traités vont reprendre les principes d’équilibre des morceaux musicaux pour essayer de les retranscrire en peinture. Le rapport entre les deux arts évolue, les artistes ont commencé à équilibrer et à construire le tableau comme une évocation d’un rythme musical plus à même d’éveiller et de toucher l’âme du spectateur. La géométrisation de la construction du tableau va artistiquement prendre la musique comme modèle. Aux rythmes principaux, Mantegna marque un certain nombre de verticales comme les rythmes secondaires (les arbres). Cette infrastructure propose une harmonie interne au tableau comme une logique sous-jacente à l’équilibre de la composition. Ce dialogue ainsi établi ouvre une autre voie dans l’analyse du rapport musical à l’oeuvre.
La musique conserve dans sa figuration son principe d’harmonie, d’unité. Ainsi, dans le tableau représentant l’audition inspirée d’estampe d’Abraham Bosse, à l’harmonie du concert et de l’échange est opposé les scènes de bataille représentées de part et d’autre de la fenêtre.
Ce modèle musical structure le tableau et conduit le peintre à réfléchir à une temporalité harmonieuse. De nombreux écrits vont à partir du XVIIe siècle chercher à faire correspondre composition musicale et composition picturale.
Si nous résumons brièvement un certain nombre d’écrits nous pourrions considérer que l’accord musical correspond à une combinaison de couleurs. Certains artistes énonçant que l’accord parfait correspond aux couleurs primaires. La composition en musique est liée à l’organisation de la toile. Mais aussi plus étonnant les consonances et dissonances musicales ont comme équivalent le clair-obscur pictural. Les modulations peuvent être considérées comme le passage d’une couleur à une autre. Et enfin d’un point de vue plus moderne les variations musicales correspondent à une série picturale. Le principe d’harmonie supérieure sera par exemple repris en 1636 dans le vaste ouvrage encyclopédique du père Martin Mersenne sous le titre d’harmonie universelle. Il met entre autres en place le mouvement des astres et l’organisation sonore.
Cette unité se conçoit selon un mécanisme identique tant pour la structure que dans la syntaxe. Les moyens d’expression deviennent des méthodes comparables. L’évocation de la musique au XVIIIe siècle repose donc à la fois sur un élément iconographique mais aussi sur un élément compositionnel. Par exemple dans le paysage avec les paysans dansant devant des ruines, l’évocation de la musique vient corroborer un principe d’harmonie et d’unité sociale. La musique garde sa valeur idéale. Dans le portrait de jeune fille avec une guitare, la musique est ici un faire-valoir des qualités de la personne. L’instrument de musique et la posture de la jeune fille sont due à une observation et une restitution d’une pratique musicale.
L’évocation de la musique par un instrument ou même un concert permet à l’artiste de renvoyer une image d’un accord. Cette valeur iconographique et un reliquat de la musique divine. Symbole d’harmonie et de création, la musique est un élément d’unités entre les personnages.
Dans la structure compositionnelle la peinture va dialoguer de plus en plus avec la musique. Le caractère voluptueux recherché par des amateurs au XVIIIe siècle va concourir à une organisation musicale de la composition. Pour la recherche d’une unité de l’objet, les peintres vont s’appuyer sur cette capacité sensible de la musique comme un moyen d’aperception, une perception accompagnée de réflexion et de conscience. L’artiste s’il veut évoqué harmonieusement son sujet doit à certain moment le composer comme un morceau musical.
Le partage du sensible contenu dans l’oeuvre conduit les artistes comme les spectateurs à une expérience sensorielle. La musicalisation de la composition cherche à englober le spectateur. Les sensations sont spécifiques et subjectives, la pluralité des naissances permet la saisie de l’espace. Comme un appui au développement de la temporalité du tableau la musique sert de construction à la peinture.
Les oeuvres de François Boucher sont des représentations théâtrales et chantées, leurs relations avec la musique étant à l’origine de la commande. La sensorialité de telles constructions les rapproche d’une relation au monde. L’évocation de la musique dans Apollon révélant cette divinité à la bergère Issé est figurée par l’instrument de musique qu’apporte un des angelots et par le rythme des diagonales ornementées de détail. La lumière et le sensible devant rendre la composition plus suave. Le peintre se doit de représenter une atmosphère qui au-delà du récit rappel l’interprétation théâtrale.
Dans Sylvie fuyant le loup blessé, le principe de Courbes et contre-courbes permet de toucher l’âme du spectacle. La douceur et la suavité de la composition s’établissent sur un dialogue entre musique et peinture. A L’alliance parfaite du verbe du son, à la qualité de la voix et de ses expressions variées correspond l’harmonie des couleurs, la régularité des très, les courbes élégantes.
La composition picturale renforce sa résonance interne en se faisant l’écho de la musique. Cette recherche sensorielle mène à un certain nombre d’expériences. Par exemple la mise en place du clavecin oculaire par l’abbé Castel. L’enjeu de l’émancipation de l’individu et de la capacité de l’oeuvre à le toucher par ses sens, conduit l’art à une volonté sensible totale. L’union avec la musique pose la peinture comme une émulation sensible. À la temporalité du regard, l’artiste génère des sentiments similaires aux modèles musicaux. L’oeuvre se réforme pour pouvoir intégrer une harmonie supérieure.
Le développement des connaissances du fonctionnement sensoriel de l’homme dresse un pont entre l’oeil et l’oreille. Les stimuli visuels peuvent générer une intériorisation auditive. Ces phénomènes de synesthésie interpellent les observateurs et esquissent la possibilité de toucher l’âme du spectateur complètement juste avec les yeux.
Ces interrogations vont s’accélérer au XIXe siècle. Eugène Delacroix dans son tableau comédiens ou bouffons arabes propose une oeuvre dont l’impact visuel est immédiat. Cette instantanéité sur laquelle nous nous sommes arrêtés lors de la précédente intervention conduit à un impact similaire de la couleur et de la note. Les équivalences entre le système chromatique de la peinture et le système de notes sont débattues et justifiées par un principe sensible. Ce système de concordance décrit la possibilité de reproduction de phénomènes musicaux par la peinture. La surface picturale devient l’unité sensible et une expérience spatiale englobant l’ensemble du sensoriel de l’homme face à l’oeuvre. Cet instant suspendu permet à la peinture de faire appel aux moyens harmoniques (rythme unique mélodie) pour renforcer ses propres qualités internes. L’accord parfait est ici présent par les trois couleurs primaires qui ponctuent sur un rythme d’un tiers la composition du romantique. La peinture devient un art de la suggestion, elle transmet la vision intuitive du monde sans en souiller son innocence par l’accumulation de la connaissance.
Les impressionnistes par le choix de sujets dénués de culture amènent un partage du sensible uniquement empirique. La relation avec la nature et la capacité d’y trouver des moyens d’émulation sont pour eux un principe une communication élargie. Le tableau comme le morceau musical est accessible à tous et touche tout le monde de la même manière. En effet la subjectivité et un certain intellectualisme de la peinture disparaissent avec ces peintres modernes pour laisser place à une expérience sensible. La subjectivité de la touche et la décomposition du sujet ne sont qu’une proposition a suggérer du sentiment. Tout comme la musique résonne différemment en chacun la peinture se veut elle-même une expérience personnelle.
Les mouvements artistiques abstraits du début du XXe siècle construisent un dialogue avec la musique afin de légitimer la rupture avec le sujet. Nous pouvons souligner que le premier tableau abstrait de l’histoire réalisée par l’artiste Kupka se réfère à une fugue en deux temps. Représenter la musique ne peut se faire que si l’on considère que le tableau se déploie dans l’espace et dans le temps.
La volonté d’une oeuvre d’art total développé à Richard Wagner conduit les artistes à envisager que la peinture peut contenir tous les autres arts. Le vocabulaire musical est transposé en peinture et cette dernière devient le lieu d’une expérience polysensorielle.
L’art abstrait devient une expérimentation et une invitation empirique. Sa relation avec la musique est une poursuite de ce régime sensible de l’oeuvre. Les grandes toiles d’Olivier Debré peuvent être à ce titre perçu comme un reliquat de la réalité. Cette dernière est à la fois sonore et visuelle. Le rythme des tableaux leur lecture dans le temps sont des accompagnants du modèle musicale.
Le dialogue entre le peinture et la musique témoigne d’un rapprochement entre les deux pratiques, mais surtout souligne le caractère empirique de la peinture. La communication empathique et sensible du tableau trouve dans la musique un moyen supplémentaire. L’intériorisation des sentiments ne peut se faire que par la conquête du corps sensible. La musique est un modèle pour la peinture lui permettant de construire une autonomie compositionnelle et surtout de revendiquer ses qualités sensorielle et expressive.
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