lundi 20 septembre 2010

paysages pittoresques

Paysages pittoresques


Cette première conférence du cycle « espace temps sensorialité » présente un panorama chronologique de la représentation du paysage dans la peinture XVe au XXe siècle.

L’adjectif pittoresque signifie «qui frappe l’attention par sa beauté, son originalité. Original vivant coloré.» La représentation du paysage en peinture se veut pittoresque car la figuration d’un espace n’est en aucun cas une anecdote mais l’élévation de la nature par sa transposition picturale. Le paysage n’est pas originellement un genre autonome, mais se construit en toile de fond des récits. Avant d’approfondir la notion d’espace en peinture, cette conférence se veut une démonstration d’une généalogie menant le thème du paysage à devenir l’un des moteurs des réformes modernes de la peinture entre le XIVe et le XXe siècle.


Premier exemple de cette conférence, les deux panneaux de prédelle d’Andrea Mantegna datant 1457 - 1459. L’artiste renaissant développe dans le premier panneau, Le jardin des oliviers, une scénographie où le décentrage de l’action laisse une grande place à l’observation d’un paysage aux abords de Jérusalem. La dimension hors normes de ces panneaux de registres inférieurs, mesurant quasiment 90 cm à 60, offre une surface suffisante pour développer l’ensemble des détails d’un paysage terrestre. Mantegna, peintre érudit, revendique dans Le jardin des oliviers que le tableau est réellement une « fenêtre ouverte sur le monde ». Cette phrase présente dans l’ouvrage du théoricien florentin Léon Battista Alberti marque le tournant dans le développement et la représentation d’espace terrestre. Les trois quarts de la surface du panneau de Mantegna deviennent le lieu du développement d’une tridimensionnalité du paysage. Dans un souci de vérité historique Mantegna s’inspire d’un texte datant de 70 après Jésus-Christ pour représenter Jérusalem. La ville dans l’angle supérieur gauche du panneau est un marqueur topographique de l’action du cycle de la passion du Christ. Nous la retrouvons dans chacun des trois panneaux unifiant ainsi l’action dans un seul et même lieu. Jérusalem forme l’arrière-plan de la représentation du jardin des oliviers et est reliée au récit à l’opposé, par un chemin empreinté par les soldats et Judas. Mantegna unifie l’intégralité de son paysage par la circulation. Ces déplacements sont narratifs, alors que le Christ prie au jardin des oliviers, les soldats progressent avec Judas et son arrestation est imminente. Dans le second panneau, la résurrection, Mantegna figure la même temporalité. Le paysage est visuellement moins détaillé, l’ensemble de la composition se focalise sur la figure ressuscitée du Christ au centre, en observant le chemin qui mène de Jérusalem jusqu’au tombeau nous pouvons y voir marcher deux femmes se dirigeant vers le premier plan. Lorsqu’elles arriveront le tombeau sera vide. L’unité spatiale des paysages chez Mantegna se fait par des déplacements en lien avec le récit figuré. La « fenêtre ouverte sur le monde » est comme l’écrit Alberti «une fenêtre sur l’histoire». Le paysage est un support visuel tridimensionnel au récit.


En progressant dans la chronologie, le retable flamand représentant la vierge à l’enfant entourée de Saint-Jean et de Sainte Madeleine présente lui aussi un cadre naturel en fond. Chaque panneau présente une spatialité propre en incohérence avec celle des autres. Les lignes d’horizon ne sont pas les mêmes et les détails figurés ne correspondent. Cela individualise les deux panneaux latéraux du panneau central. La campagne représentée derrière les deux saints personnages des panneaux latéraux reflète une campagne flamande. En effet, nous pouvons voir une ferme, un système de bocage et de champs, donnant une image terrestre des plus contemporaines. Le paysage est moins historique pour rendre plus proche les saints. les artistes flamands figurent un paysage local, humanisé, transformer par l’homme.


Cet aspect vernaculaire se poursuit au siècle suivant dans les développements du paysage hollandais du XVIIe siècle. Le Paysage avec ruines figure au premier plan une action contemporaine sur fond d’un paysage où les ruines antiques idéalisent la représentation spatiale. Même si l’anecdote du premier plan est concrètement contemporaine, l’artificialité des bâtiments l’intellectualise.

Plus réformatrice la Marine deJan van Goyen illustre les grands bouleversements du paysage. Le sujet est anecdotique et n’a aucune valeur historique. Plastiquement, l’artiste abaisse complètement la ligne d’horizon. Alors que chez les primitifs flamands, où encore dans le paysage avec ruines, la ligne d’horizon se trouve au-dessus de la moitié verticale du tableau, ici elle se retrouve dans le quart inférieur. Le paysage devient le reflet de la réalité prise du point de vue de l’homme. En devenant autonome le thème du paysage en devient plus humain, à la fois dans son action mais aussi par son point de vue. Dénué de tout intérêt narratif, ce thème devient purement contemplatif.


La peinture française du XVIIIe siècle est influencée par ce développement du paysage hollandais. Ainsi le tableau de Houel intitulé Paradis près de Chanteloup, réalisé pour le duc de Choiseul en 1769, présente des caractéristiques similaires pour sa construction spatiale. La ligne d’horizon se trouve en dessous de la ligne horizontale médiane. Le point de vue semble à hauteur d’homme. La construction spatiale se repose une perspective géométrique du jardin au premier plan, mais est déformée pour répondre à l’accrochage final du tableau. En effet, le peintre reçoit la commande de réaliser des « dessus de porte », pour que l’espace reste cohérent quant au point de vue du regardeur, il déforme sa perspective pour qu’elle soit correcte en regardant le tableau en contre-plongée. Le point de vue de la figuration du paysage, est extérieur. Le paysage autonome reste un principe de composition pictural.

Cette artificialité se retrouve dans les incohérences lumineuses du morceau de réception paysage Soleil-Levant de Julliard. En étudiant la source de lumière naturelle venant de l’angle supérieur gauche, nous découvrons que les rayons du soleil passent au travers des arbres et des rochers. L’idéalisation du paysage conduit les artistes à rechercher des effets visuels artificiels servant que la composition pittoresque. La représentation de la nature est en aucun cas une recherche d’exactitude. Depuis le paysage idéal du XVIIe siècle, le peintre a comme mission d’élever son sujet à une réalité supérieure. Le paysage n’est en aucun cas une cartographie du territoire. Il est un appareil visuel et intellectuel.

Toujours pour le XVIIIe siècle, nous pouvons regarder le tableau Demachy représentants une vue panoramique de Tours en 1787. L’artiste représente la ville prise la berge nord de la Loire. Document historique il faut pourtant avoir conscience que l’artiste ne s’est jamais déplacé jusqu’à Tours, s’appuyant sur des relevés architecturaux et descriptifs, il va développer une représentation assez exacte de la ville sans jamais s’y être confronté. L’ensemble des tableaux du XVIIIe siècle sont réalisés en atelier. La composition reste un exercice d’intérieur. La peinture de paysage reste fortement compositionnelle et idéale.

La vue des cascatelles de Tivoli et du temple de la Sybille de Hue nous renseigne sur un autre conflit et un autre développement de la peinture de paysage. Dans la hiérarchie des genres, le paysage se trouve être au milieu. Il ne peut pas fondamentalement s’épanouir sur de très grand format, réservés à la peinture d’histoire. Pourtant ici nous avons un paysage aux dimensions imposantes où l’homme semble complètement minoré. Dominé par les cascatelles mais aussi le temple, un philosophe se trouve être une petite présence dans cette immense espace naturel. Le paysage n’en reste pas moins idéal, motivé par une ruine et un élément naturel exceptionnel. Cette théâtralité de la scénographie se retrouve dans ses effets.


À la bascule entre le XVIIIe et le XIXe siècle, Valenciennes définit le paysage historique. Ce dernier ne peut exister dans son autonomie que par son rattachement à un fait historique. Dans une poursuite de libéralisation de la représentation du paysage, sa valeur est historique. Les tableaux Vue du forum le soir et Vue du forum le matin témoignent de ce caractère historique et de l’intérêt à la ruine. L’artiste Sarrasin de Belmont présente des vues du forum comme des champs de ruines sous une lumière matinale ou crépusculaire. La multiplication des références à des peintres du passé comme par exemple Claude Lorrain avec ce soleil visible démontre que l’artiste cherche à s’inscrire dans une généalogie artistique des vues d’Italie. Il s’agit pour elle de témoigner de son attachement au paysage idéal. Le paysage historique est un remontage intellectuel et artistique valorisant la représentation de l’espace et mettant en avant le degré de connaissance artistique et intellectuel. La représentation de la nature n’est donc en aucun cas un élément autonome.


Le voyage et le déplacement deviennent pour les artistes un sujet en soi. Rome ou bien encore l’Orient sont des sujets de prédilection. Les tableaux n’en restent pas moins des compositions d’ateliers où les enjeux picturaux prévalent. Ainsi L’Oasis de Belly représentent autant le sujet que les impressions. Cet artiste joue sur un empattement important pour donner des impressions de chaleur et de flottement. La décomposition picturale dissout le sujet dans un exercice de peinture. La modernité s’approprie l’artificialité de la représentation de la nature. Bien que toujours inspiré par un élément concret, le peintre fait une oeuvre manifeste de la couleur et de la matière. Le tableau devient une expérience visuelle face à la nature de la peinture. L’observation est élevée pour toucher le spectateur.


Le paysage est un sujet d’absorption. Les impressionnistes vont élever ce thème comme le symbole de la modernité. La décomposition par la touche du sujet revendique l’exercice du peintre et la qualité de la matière comme interface sensible. Le tableau de Claude Monet intitulée Un bras de Seine près de Vétheuil illustre ce principe. Le choix du paysage et du point de vue n’est en aucun cas hasardeux. Pour que le sujet soit beau et plastiquement intéressant il doit être pittoresque. La grande révolution se trouve dans la possibilité de peindre en plein air et au milieu du sujet. Mais La sélection se fait pour les caractères picturaux de la nature. Dans ce tableau la frontalité de la frondaison des arbres permet à Monet d’aplanir son sujet. La touche, symptôme impressionniste, est ici traitée différemment suivant l’objet, la Seine présente des touches horizontales, les arbres des touches circulaires. La peinture dans son autonomie semble retranscrire les caractères propres à chaque élément. Ce n’est plus le sujet qui induit la représentation mais les qualités humaines de la représentation qui conduit le sujet. Les deux arbres au centre de la berge forment un V qui avec le reflet à la surface de l’eau donne une croix ou un X. Ainsi dans une vision lointaine le tableau conserve une impression de profondeur. Mais lorsque le spectateur se rapproche, la touche se révèle comme le le sujet. Tel un décor de théâtre, les tableaux impressionnistes jouent sur deux temps d’observation. Le premier lointain semble nous offrir un élément concret. Mais lorsque nous nous approchons ils nous offrent la réalité de la matière. La peinture devient le seul sujet, la seule matière capable de retranscrire les impressions lumineuses d’un paysage. L’opacité de la surface du tableau cherche à rendre les impressions visuelles et l’expérience du regard. La dissolution des sujets correspond à la recherche d’une exactitude des phénomènes visuels en peinture. Le tableau de paysages est une invitation à une expérience sensorielle.


Pour terminer ce bref panorama d’une évolution de la peinture de paysage dans les collections du musée des beaux-arts, Olivier Debré et le tableau de 1976 Longues traversées gris bleu de Loire à la tâche verte. La nature est le point de départ de la peinture abstraite d’Olivier Debré. Ce peintre lyrique cherche non pas l’exactitude mais les impressions laissées dans le paysage. L’expérience du réel ne se fait pas uniquement par la vue mais par le corps entier. La monumentale dimension des formats des tableaux d’Olivier Debré en relation avec la Loire, les rend quasiment panoramique. Les champs colorés ainsi exposés deviennent le moyen d’inclure le spectateur dans la seule réalité du paysage en la peinture: la couleur. La disparition du sujet ne semble pas anormale.

Dès son origine le paysage figure un élément idéal qui sert à la composition du peintre. La peinture abstraite s’appuie sur ce traitement sensoriel de la représentation de la nature pour rapprocher le spectateur du sujet. La peinture de paysage avant même son autonomie est un espace chromatique générant des impressions de proximité. L’artificialité a toujours été une qualité même du paysage.


Entre le XIVe siècle et le XXe siècle, la peinture de paysage s’est construite comme le réceptacle terrestre permettant de rapprocher l’observateur du sujet. Le développement d’une spatialité tridimensionnelle se repose sur la capacité du peintre à figurer le paysage. Ce dernier est pittoresque car construit dans une logique d’idéalisation et non de simple naturalisme. Cette brève histoire du paysage, orienté vers le thème du cycle de conférences espace temps sensorialité, montre à la fois la poursuite mais aussi les points communs qu’il peut y avoir entre un artiste du XVe siècle et un autre du XXe. La peinture se veut l’enregistrement de l’espace concret et sa représentation. Elle est une surface sensible que la construction du paysage rend plus accessibles au regard. Le partage du sensible entre le XVe et le XXe siècle se retrouve dans ce thème du paysage. Images concrètes et toujours idéalisées le paysage est pittoresque car en peinture il est toujours plus beau, plus coloré, original.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire