lundi 13 septembre 2010

Espace temps sensorialité introduction.

Espace temps sensorialité introduction.


Cet automne au musée des beaux-arts de Tours, nous poursuivons les questionnements de l’oeuvre d’art et de ses interactions sociales. Le cycle «Espace temps et sensorialité» essaiera de décrypter les relations étroites entre l’évolution de la représentation spatiale, l’exercice intellectuel et individuel généré par l’oeuvre et enfin la temporalité qui ressort d’un travail artistique par son observation. L’acquisition de l’oeuvre peinte n’est pas simplement un objet spatial mais par son expérimentation un objet temporel.

Le thème de ce cycle est directement venu de mes travaux de recherche doctoraux. Depuis cinq ans maintenant je mène à l’université François Rabelais un doctorat sur l’artiste allemand Raoul Hausmann et sa réflexion l’optophone. Cet appareil devant permettre aux aveugles d’entendre la lumière, est un système de prothèse appartenant aux réflexions artistiques du début du XXe siècle pour une oeuvre expérimentale entre celui qui la crée et celui qui la pratique.

Entre 1921 et 1922, dans deux textes : le Manifeste du présentisme et Optophonétique, Raoul Hausmann déclare vouloir transformer fondamentalement l’expérience et l’existence physique de l’oeuvre. Pour lui, la perspective et tous les principes géométriques de construction de l’oeuvre sont des systèmes dépassés. Pour qu’une oeuvre soit efficace et fonctionnelle, il faut qu’elle englobe sensoriellement le spectateur. S’inscrivant dans un principe de philologie, Raoul Hausmann ne déconstruit pas les valeur des oeuvres passées mais cherche à actualiser une oeuvre en osmose avec son temps. Au sein des deux manifestes, il déclare que la construction spatiale et temporelle de l’oeuvre doit inclure la logique sensorielle. Pour lui une oeuvre d’art est donc un élément d’espace , de temps et de sensorialité. Arriver à générer un tel processus artistique conduit à l’émergence d’un sixième sens.

Dans le cadre de ce cycle, je veux mettre en place le principe de l’expérimentation de l’oeuvre d’art. Les évolutions spatiales et temporelles de l’oeuvre pour sa réception, explique ou éclaire une nouvelle fois les évolutions plastiques mises en oeuvre par les artistes.

En se focalisant sur la peinture, nous cherchons à comprendre les enjeux du dépassement de la planéité de l’oeuvre. La tridimensionnalité de la perspective géométrique, que nous avons déjà abordé dans le cycle précédent «Transparence et Opacité» fait cohabiter le cône visuel de l’oeil du spectateur et un espace feint par un système mathématique. Le paysage, les décors, les descriptions deviennent des éléments moteurs d’un allongement et d’une réflexion consécutive à l’observation de l’oeuvre. Au travers de 12 conférences nous essaierons de décrypter les méthodes d’évolution et d’interaction sensorielles générées par le tableau.

le cycle passeport pour l’art conserve ses enjeux: À la fois éclairer les collections du musée et permettre au plus grand nombre de se les approprier, repositionner les grandes signatures mais aussi des grands mouvements artistiques afin d’avoir un réel passeport pour accéder dans les meilleures conditions aux collections, aux expositions et à tout objet artistique visible ultérieurement et à l’extérieur du musée. Mon approche de l’histoire de l’art se repose sur une logique de continuité et d’évolution de l’oeuvre depuis le XIVe siècle jusqu’à nos jours. Pour moi, l’oeuvre d’art évolue comme la société autour d’elle et dans un dialogue s’infléchissent réciproquement. Les enjeux empathiques, sentimentaux, voluptueux de l’oeuvre ne sont que des reliquats essayant à chaque période de faire cohabiter l’art avec la perception du monde.

L’espace et le temps forment les quatre dimensions de notre réalité. Les artistes dans une logique de mimésis cherchent que l’oeuvre ait d’un point de vue sensoriel et expérimental cette même valeur , ces quatre dimensions. Les évolutions des connaissances scientifiques, mais aussi philosophiques génèrent un réflexion que l’artiste se doit d’intégrer pour que son oeuvre soit la plus actuelle possible.

Pour en revenir au texte de Raoul Hausmann, dans le Manifeste du présentisme, publié en 1921 dans une revue avant-garde hollandaise, l’artiste milite pour que l’oeuvre s’intègre parfaitement dans son temps. Ce caractère présentiste par obligation nécessite d’intégrer concrètement et complètement toutes les nouvelles données scientifiques. L’électricité, la naissance du cinéma parlant, génèrent chez un certain nombre d’artistes du début du siècle un fantasme une possibilité d’un spectacle englobant intégralement le spectateur dans une expérimentation sensitive. Ces enjeux de l’avant-garde ne sont que les réminiscences de questionnements artistiques antérieurs. Raoul Haussmann appelle à la philologie comme modalité de réflexion. La philologie peut être considérée de trois points de vue : elle vise à saisir, dans leurs manifestations linguistiques, le génie propre d'un peuple ou d'une civilisation et leur évolution culturelle ; elle résulte de l'examen des textes que nous a légués la tradition en question ; elle embrasse non seulement la littérature, mais tout l'écrit. Dans la pratique, la philologie tend à se ramener à l'interprétation textuelle des documents. La philologie se repose sur les acquis historiques afin de proposer un dépassement et une progression. La genèse d’une peinture moderne au début du XIVe siècle est le miroir de l’évolution d’une société qui se perçoit, en s’appuyant sur les bâtis passés entre autre du modèle antique, en train d’évoluer et de le dépasser dans une logique progressistee.

Les enjeux de la figuration de l’espace et du temps, engage donc l’oeuvre d’art à devenir un exercice physique et intellectuel. Nous y reviendrons mais l’évolution de la figuration de l’espace en peinture ne peut se faire qu’avec le développement d’une logique narrative et descriptive des qualités de l’oeuvre.

La temporalité devient terrestre lorsque le tableau se veut le miroir du monde habité et empirique. La disparition des fonds d’or pour «une fenêtre ouverte sur le monde» ne peut se faire que dans la quête d’une mise en place d’un objet représenté, temporellement contemporain de son observateur. C’est en cela que l’oeuvre d’art est à la fois un témoin de son temps, mais aussi un objet inclus dans un espace et dans un temps propre. Même si nous ne sommes pas un spectateur du XIVe siècle ni du XVIIIe, l’oeuvre conserve ses caractéristiques internes d’espace et de temps obligeant le spectateur au dialogue et faisant d’elle un objet générant du sentiment. Avec une petite pointe d’ironie nous pourrions donc dire que la mise en place contemporaine d’une oeuvre, lui confère par l’exercice spirituel qu’elle génère une certaine intemporalité.

La cohabitation entre un référent espace temps artificiel, celui de la peinture et un référent espace temps réel celui du spectateur joue donc d’une modalité interréférentiel où la cohabitation et la fusion des deux doient être optimales pour un principe empirique et empathique.

L’oeuvre d’art n’est donc pas un simple objet du regard mais véritablement une invitation au corps. Derrière cet enjeu se trouve la négation ou la glorification du corps face à la peinture. Entre une spiritualité religieuse et dévotionnelle ou voluptueuse et charnelle, les conséquences sur l’interprétation de l’information visuelle son bien différentes.


La première conférence est consacrée aux paysages en peinture. Intitulée «Paysages pittoresques», elle reviendra sur l’évolution de ce genre du 14e au XXe siècle témoin à la fois de la sélection du sujet, recouvert par le terme de pittoresque : digne d’être représenté en peinture, et du caractère sensoriel allant jusqu’à la disparition même du sujet pour laisser place aux champs colorés. L’ l’abstraction lyrique d’Olivier Debré peut se lire comme une poursuite d’un dialogue entre l’espace pictural et l’espace naturel. Le caractère artificiel et expressif de l’oeuvre repose sur un dialogue avec les sensations et les enjeux de partage de la peinture. Comprendre l’évolution de la représentation de l’espace, d’abord narratifs puis autonomes, éclaire sur plus d’un point l’évolution et la représentation du réel.


La seconde conférence est consacrée à «L’espace pictural en question». En effet, l’artificialité de la peinture repose sur sa qualité de trompe-l’oeil. De tout temps la surface peinte est comprise comme bidimensionnelle. Or pour une interaction avec les trois dimensions de la réalité, les enjeux de la composition se reposent sur une acceptation du trompe-l’oeil par le spectateur. L’espace pictural n’est donc en aucun cas un espace réel mais bien concrètement et complètement artificiel. L’élaboration et la recherche du dialogue entre surface et profondeur peut être analysés comme un des fondamentaux de l’évolution du médium pictural.


La troisième intervention aborde «La temporalité en peinture». Si rapidement la scénographie tridimensionnelle de la peinture génère une plongée du spectateur dans l’oeuvre, le regard et le temps de la description du tableau engagent cet art de l’espace à devenir un art du temps. L’exercice visuel et contemplatif recouvre une double temporalité: de celui qui réalise l’oeuvre, et de celui qui la regarde et la recompose. Le temps en peinture est à la fois lié à la spatialité de son support mais aussi à la temporalité de celui qui l’observe.


Le quatrième thème questionne les rapports entre «Peinture et musique». Dès le XVe siècle, se trouve opposé la peinture et la musique. La peinture, art de l’espace, semble devoir être complétée par la musique, art du temps. La perspective géométrique et mathématique est un point de corrélation de concordance avec la musique. Cette dernière par ses gammes de notes est pour beaucoup d’observateurs et de penseurs un art mathématique et précis. Pour un cheminement vers un art total dans l’absorption du spectateur via la peinture, le modèle musical est un appui.


Le cinquième thème présente un autre dialogue entre deux pratiques artistiques différentes: «Peinture et danse» et poursuit une théâtralisation de l’oeuvre. Le ballet et de L’opéra deviennent pour les peintres un modèle à suivre. Même si le mouvement en peinture est suspendu, il peut par la position du corps devenir dynamique. Les représentations de danseuses et de danseurs sont alors une figuration figée invitant le spectateur a projetter la suite du mouvement. La danse est un art où le performeur vient occuper physiquement l’espace et enchaîne une suite de mouvements appelants à une sensibilité. Les modèles musicaux et de dansés permettent donc à l’artiste de venir se confronter un un autre espace temps.


La sixième conférence intitulée «la peinture comme objet empirique» essaiera de comprendre l’évolution de la représentation des sujets comme le moyen de générer une expérience de la part du spectateur. Pour qu’un tableau soit efficacement empirique : ne s’appuyant uniquement que sur l’expérience et non sur une théorie, l’artiste doit considéré le regard du spectateur. La peinture par ses liens avec les autres arts, devient un module de l’expérience du vécu de son temps.


Septième conférence «la peinture et le toucher». La peinture est un objet visuel qui dans ses fondamentaux ne s’adresse qu’à l’oeil du spectateur et en aucun cas au corps. Pourtant, par un travail de la matière et de l’épaisseur à partir du XVIe siècle, la peinture semble s’adresser à l’oeil et par lui à l’ensemble des sens. Comme saint Thomas, nous ne croyons pas tout ce que nous voyons mais nous accordons de la crédibilité à tout ce que nous touchons. Dans un souci de véracité et de précision la peinture va jouer d’une certaine opacité et d’une palette pour convaincre qu’elle est à la fois un sujet représenté mais aussi une matière sensible. La surface picturale en s’épaississant propose un régime visuel et tactile. Par cette conférence aborde les questions d’inter sensorialité du médium pictural.


Suite logique du dialogue entre la peinture et les autres pratiques artistiques, la huitième conférence revient sur ce dialogue entre «Peinture et sculpture». Tout d’abord pour une question de référence: le rapport à l’Antiquité en peinture se fit principalement sur un dialogue avec la sculpture.. L’objet sculpté est fondamentalement plus en prise avec notre réalité car tridimensionnel. Nous revienrons sur le toucher présent dans l’accès à la sculpture. Si la peinture est une surface fragile, inaccessible et mental, la sculpture quant à elle est un objet concret et physiquement présent. L’autre élément fondamental est que la sculpture est un objet tridimensionnel autour duquel nous pouvons donc tourner pour changer de point de vue. La peinture surface frontale va donc se retrouver à avoir comme modèle un objet qu’elle aplanit. Pour générer le même ressenti, les artistes joueront la multiplication des points de vue d’un même corps identifiable comme pour les trois grâces.


Neuvième conférence, «la description comme activation de l’oeuvre» aborde le discours comme l’empreinte du regard. L’évolution de la représentation du temps et de l’espace par l’inclusion dans ce trompe-l’oeil de la sensorialité du spectateur se fait historiquement par le développement du discours. La description est un argumentaire pour l’artiste mais surtout pour le spectateur de cette qualité d’absorption et de communication de l’oeuvre. Décrire un tableau est une activation et une appropriation du sujet par celui qui le regarde. elle témoigne de la subjectivité générée par le regard et par l’oeuvre.


En poursuite directe de cette conférence, nous nous engageons pour la 10e sur «Le regard de l’amateur». Dès son origine moderne la peinture comme expérience devient un objet polysémique. L’amateur, celui qui partage un certain degré de connaissance, influe sur la lecture même de l’oeuvre. La naissance de la critique d’art, les textes décrivant les oeuvres deviennent alors une expérience s’ajoutant au regard même sur le tableau. Le regard de l’amateur cherche un partage d’expériences vécues, à la fois corporel et et intellectuel, émulation d’un travail du regard intellectualisé et référencé. Cela s’inscrit dans une logique de partage de connaissances où l’oeuvre n’est pas qu’une mimésis, mais un maillage culturel.


La 11e conférence décrit l’exercice de contemplation: «Le régime contemplatif du tableau dans son évolution entre le XIVe et le XXe siècle». La spiritualité, les principes déviotionnels, les enjeux sensibles vont entre le XIVe et le XXe siècle évoluer. Comment passons-nous d’un tableau support d’une élévation religieuse à une oeuvre lyrique. Objet tous les deux hors de notre espace et pourtant qui concrètement nous amène par leur référent à une élévation mentale. La contemplation est un exercice visuel qui dépasse le simple objet observé. La peinture entre le XIVe et le XXe siècle est une interface contemplative et réflexive.


Dernière conférence du cycle, l’installation et la mise en espace comme expérimentation, aborde les questions de mise en volume et de transformation complète d’un espace d’exposition afin d’englober le spectateur. La mise en place des expositions n’est en aucun cas un objet laissant chaque oeuvre s’exprimer individuellement. Les scénographies qu’elles soient muséographiques ou installatoires, réfléchissent à conduire le spectateur dans un cheminement spatial. Le XXe siècle présente une augmentation exponentielle des pratiques d’installation des artistes contemporains. L’enjeu est clair: par la modification de l’espace complet, l’artiste joue un dépassement du cadre pour inclure le spectateur dans l’espace de l’oeuvre. L’installation est une poursuite concrète d’un partage du sensible en liant le référent spatial et temporel de l’oeuvre et du spectateur.


La dernière conférence conclue ce bref cycle « espace temps sensorialité». Les enjeux sont clairs, en travaillant sur l’espace nous revenons sur la question de la surface peinte et de la composition en dialogue avec la réalité. Le temps est à la fois historique, narratif mais aussi contemplatif et contemporain. La peinture lorsqu’elle s’engage sur le cheminement moderne d’un partage du sensible acquiert une qualité sensorielle et sensitive. La peinture, art de l’espace devient le support d’une expression artistique en corrélation avec son temps et cherchant dans un dialogue avec la réalité à émettre du sentiment. Malgré un titre abstrait, ce cycle aborde la peinture comme une matière activée. Un tableau par les sentiments qu’il génère et les volontés d’expression n’est pas un objet inerte et purement décoratif. L’évolution de sa réception et les questionnements de sa représentation jouent dans un enjeu très simple avec notre propre existence.

Nous prenons conscience de la réalité au travers de la saisie sensorielle de l’espace du temps. Pour que la peinture s’inscrive parfaitement dans une possibilité de projection du spectateur à sa surface, elle doit venir dialoguer avec l’espace, le temps et la sensorialité de celui qu’il observe. Nous sommes spectateurs mais aussi acteurs de cette activation.

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