lundi 6 décembre 2010

L’installation, la mise en espace comme expérimentation de l’oeuvre.

L’installation, la mise en espace comme expérimentation de l’oeuvre.


L’installation artistique consiste à mettre dans le même espace le sujet et le spectateur. La réflexion sur une scénographie et une construction spatiale de l’oeuvre est de la part des artistes de la seconde moitié du XXe siècle la réponse à la logique d’absorption sensorielle. Dans notre réflexion sur le dialogue et l’impact de l’oeuvre, les données spatiales et temporelles sont infléchies par la sensorialité. L’élaboration d’espaces praticables physiquement par le spectateur semble liée espace temps.

Mais bien avant l’installation artistique au XXe siècle, le rapport physique et la mise en espace de la peinture questionne déjà cette problématique. Le regard devenant une expérience sensorielle à partir du XIVe siècle est dans un principe d’installation, c’est-à-dire d’une mise en espace active. Ce qui se trouve autour de l’oeuvre infléchie naturellement la perception du spectateur.

Dans notre cycle espace, temps et sensorialité, l’installation peut être perçue comme une des conclusions de l’ouverture de la boîte scénique de la peinture. La pénétration physique supplée une distance morale que le spectateur peut conserver avec le tableau. Pourtant, même si un mouvement de la peinture peut considérer que le tableau devient autonome et suffisant, ces données physiques et matérielles extérieures n’en sont pas moins ne pris en considération. La mise en espace et sa réflexion peuvent être considérée comme une théâtralité extra picturale nécessaire à l’absorption du spectateur. Le simple fait de valoriser ou non une oeuvre d’art par sa mise en espace et par son éclairage peut être analysé comme un régime installatoire.

L’installation peut donc être considérée comme une expérimentation visuelle et contemplative, physique et sensorielle.


Le premier exemple que nous pouvons considérer sont les grands ensembles de polyptyques au XIVe siècle. Ainsi, le jeu de trompe-l’oeil développé dans le panneau central le couronnement de la vierge de Lorenzo Veneziano permet d’envisager une oeuvre où la structure physique de l’image sert de passerelle vers le sujet. Le cadre conserve son rôle ornemental en unifiant l’ensemble des panneaux, et ajoute une mise en espace active. Il ne s’agit pas de considérer Lorenzo Veneziano comme un artiste faisant une installation, mais de comprendre que pour un impact visuel augmenté, la collusion entre espace réel et espace fictif est appuyée.

La scénographie rattachée au grand retable du XVe et du XVIe siècle que l’on ouvre et que l’on ferme participe du même élément. L’oeuvre s’active physiquement et temporellement. La découverte des panneaux intérieurs, riches en matières et en couleurs, s’oppose aux traitements en grisaille des panneaux extérieurs. Une telle apparition change la perception de l’oeuvre, et surtout la fait rentrer dans une temporalité similaire à celle du spectateur. L’installation provoque une synchronisation entre un calendrier et la temporalité de l’oeuvre.

La mise en espace peut même aller beaucoup plus loin. Pour le grand retable de Mantegna, le commanditaire a percé une ouverture supplémentaire pour amener une lumière naturelle sur l’oeuvre de l’artiste. La composition consciente de cette lumière latérale organise son propre éclairage en adéquation. On modifie l’espace d’accueil de l’oeuvre afin de la mettre en valeur mais surtout au fait concorder la lumière artificielle avec la lumière naturelle de l’église. Mettant ainsi un dialogue visuel cohérent entre l’espace du spectateur et l’espace fictif de la peinture son rapprochement en est augmenté.

Les grands ensembles de panneaux de bois du XIVe et XVe siècle lorsqu’ils sont accrochés dans un bâtiment religieux appartiennent à une scénographie qui commence à l’extérieur où l’architecture et la sculpture viennent amènent le spectateur à concevoir la sacralité du lieu. Une fois à l’intérieur la progression amène à une élévation devant conduire, pour les grands panneaux d’autel à l’apparition d’une image paradisiaque. Aujourd’hui extraites de ses structures, ces oeuvres semblent, comme pour les productions postérieures, autonomes, alors qu’elles faisaient parti de toute une installation. Cette collusion se trouvait plus investie dans les travaux de fresques murales.

Dans un cadre privé, la réduction des formats, explicable pour une question de coût de réalisation de l’oeuvre, joue aussi dans un effet de proximité physique du spectateur. En effet, l’image étant réduit en dimension, invite celui qui l’observe à se rapprocher et à se laisser absorber visuellement. La modification des cadrages en «close up » comme pour les vierges à l’enfant, ou bien encore pour le diptyque de Touraine du Christ bénissant et de la vierge en oraison, conduit l’artiste à une modification iconographique permettant un rapprochement physique et l’élaboration d’un dialogue beaucoup plus efficace et intime.

La mise en espace du tableau suivant sa commande génère une évolution du cadre et du format et de l’espace de figuration. Suivant sa destination l’artiste dès le XIVe siècle, dans cette volonté contemplative d’une absorption du spectateur, modifie les images pour que celle-ci acquiert une efficacité de communication supérieure.

Ces caractéristiques vont être conservées dans les périodes suivantes. Comme nous le soulignons dans la conférence sur le regard de l’amateur et dans celle sur la contemplation, le format de l’oeuvre joue avec une absorption ou au contraire une distanciation. La dimension du tableau reste attachée aux sujets représentés. Ainsi la hiérarchie des genres définit cela. Aux grands sujets doivent correspondre les grandes dimensions et aux petits sujets les petites dimensions. Cela a une conséquence physique immédiate, face aux sujets historiques, par leurs dimensions, nous domine visuellement et crée une distance. Ne serait-ce que pour embrasser visuellement l’ensemble de la composition il faut naturellement légèrement reculer. Au contraire sur une oeuvre de petites dimensions comme pour les natures mortes ou bien encore les paysages (hollandais du XVIIe siècle), pour pénétrer l’image il faut fondamentalement s’en rapprocher. La fonction morale et pédagogique des grands tableaux historiques nécessite une distance et conserve une certaine sacralité de l’oeuvre. Au contraire dans des sujets plus accessibles, cette désacralisation de l’oeuvre permet aux spectateurs une confrontation peut-être un peu plus sensorielle.

Dans ce dialogue entre espace de présentation et espace représenté, nous remarquons que la peinture d’histoire figure toujours les personnages dans leur intégralité. Pour le portrait ou bien encore les scènes d’activités quotidiennes, la coupure, le recadrage, le resserrement sert à rapprocher le spectateur du sujet. Par exemple un portrait en pied aura immédiatement un effet plus historique qu’un portrait en cadré à mi-corps. En prenant conscience de ses effets de construction de l’espace et de la représentation du corps nous pouvons élaborer une hypothèse sur le dialogue et le rapprochement de l’oeuvre du spectateur.

Dans l’accrochage même du salon au Louvre, les grands formats occupent le champ visuel central, ainsi ils sontmis en avant visuellement. Cette scénographie témoigne d’une compréhension de la focalisation du regard du spectateur sur ce qu’il peut avoir à hauteur des yeux. Dans l’espace privé, la construction est similaire. Par exemple au château de Chanteloup, les paysages sont des dessus de porte, alors que les grands tableaux viennent se mettre en place dans les boiseries. Le format des oeuvres peut même être défini par l’espace où elles viendront s’inscrire. Le format ovale de Sylvie fuyant le blessé ou bien encore d’Amintas revenant à la vie dans les bras de Sylvie sont influencés par l’organisation des boiseries.

Ce jeu entre espace de monstration et format du tableau permet de comprendre comment les artistes sont en permanence interpellés par l’espace de présentation de l’oeuvre.

Le régime installatoire infléchit la construction matérielle et visuelle de l’oeuvre en elle-même.

L’autonomie du tableau telle qu’elle se développe au XIXe siècle peut faire penser à une certaine disparition de ce principe. Pourtant tous les artistes sont amenés à devoir faire de grandes compositions devant venir occuper les bâtiments officiels ou bien encore privés. Ainsi, lorsque Eugène Delacroix fait l’acquisition d’un carnet de notes des conférences de Chevreul aux Gobelins, c’est pour comprendre l’impact visuel de compositions monumentales des tapisseries et les appliquer dans ses grandes compositions. Lorsque Monet réalise la structure des nymphéas, la pièce devant accueillir les oeuvres joue et dialogue avec la réalisation des oeuvres elles-mêmes. À chaque fois nous observons que la collusion entre les deux espaces réels et fictifs conduit les artistes à agrandir la surface picturale et rend quasiment architecturale la composition. À la différence des modèles académiques des sujets historiques, la monumentalisation de sujets plus anecdotiques voire banals sert à une absorption et une confrontation du spectateur avec une réalité augmentée. Le tableau un antiquaire démontre qu’une nature morte peut s’épanouir sur une toile de plus de 2 m, et nous ramène à une échelle lilliputienne. En proposant un format de plus en plus grand, la peinture soumet à une absorption visuelle et physique le spectateur pour augmenter l’absorption sensorielle et le partage du sensible.

Cette histoire de l’installation connaît pour le XIXe siècle quelques hauts faits. Ainsi Gustave Courbet construira son propre pavillon du réalisme pour présenter ses oeuvres. L’architecture, l’accrochage, ainsi que tout élément visuel perceptible joue dans une seule et même direction d’une revendication d’un réalisme en peinture et en ressenti.

Lorsque les artistes modernes se démarquent et prennent leurs distances vis-à-vis d’une culture visuelle académique, les principes d’accrochages et de monstrations vont être renouvelés. L’oeuvre d’art devant être sensorielle et conserver une part morale doit se construire un nouveau cocon pour augmenter son efficacité. Au début du XXe siècle cette logique va voir naître le principe de présenter une oeuvre d’art sur un mur blanc. Les différents mouvements d’avant-garde développent alors des scénographies plus déstabilisantes les unes que les autres. K. Malevitch dans l’exposition consacrée au suprématisme présente carré noir sur fond blanc dans un angle de la pièce. Ainsi accroché à hauteur du plafond le tableau ne se veut plus une simple surface frontale à bonne hauteur. Il l’inscrit exactement là où dans l’intérieur orthodoxe les icônes sont accrochés. Les habitudes visuelles d’observation de la peinture deviennent un des questionnements de son renouvellement au XXe siècle.

Les dadaïstes ou bien encore les surréalistes, vont saturer leurs espaces de présentation jusqu’à noyer le spectateur sous l’information visuelle et écrite. Ainsi en 1920 la foire dada à Berlin présente des mannequins suspendus au plafond, des oeuvres de peinture ou collages accrochées à toute hauteur sur les murs, des affiches clamant les slogans politiques ou bien nihilistes voir artistiques. En parallèle nous observons des interventions physiques de l’artiste au sein de l’espace. En même temps que se met en place une structure d’installation, nous voyons naître dans l’art du XXe siècle la performance. Si l’installation est une activation d’un espace où l’oeuvre devient celui du spectateur, la performance permet exactement la même chose du point de vue temporel. Le cinéma, les enregistrements sonores sont de moyens d’activer le temps dans une oeuvre qui ne se construisait jusqu’ici que dans l’espace. Raoul Hausmann le dit dans le texte de 1921 Le Manifeste du Présentisme le nouvel art c’est le cinéma.

Pour les peintres abstraits l’oeuvre picturale reste l’objet suffisant et autonome. Pourtant, limité par des toiles de petites ou de moyennes dimensions, le tableau ne génère pas l’impact physique recherché. Dans les années 40, aux États-Unis, les artistes ont commencé à augmenter la dimension de la toile. Deux raisons semblent expliquer ce fait, le peintre devient actif et expressif par son mouvement face à la toile (la peinture d’action) cette dernière ne peut se cantonner à une toile tenant sur un chevalet. Elle est une arène où il pénètre. Deuxième élément, des toiles de plus en plus monumentales absorbent physiquement le spectateur. Face un tableau qui peut mesurer jusqu’à 5 m de large, tout spectateur ne pourra jamais totalement s’en échapper même en reprenant du recul. La leçon est étonnante. En prenant les dimensions de la peinture d’histoire et des grands systèmes décoratifs, les artistes détournent la distance morale pour en faire une absorption sensorielle.

La salle consacrée aux toiles d’Olivier Debré joue sur ce phénomène de dialogue et d’absorption du visiteur dans la peinture monumentale du peintre tourangeau. Les quatre toiles se faisant face définit l’espace dans lequel nous nous trouvons. Recouvrant la quasi intégralité des murs elles en deviennent architecturales, faisant oublier l’espace de présentation pour être l’espace réel.

Les modules des frères Bouroullec accrochés sur la rambarde de l’escalier entre le deuxième et troisième étage viennent comme contaminer l’espace et le faire disparaître. Ainsi dispatcher, cette oeuvre peut plier et transformer son rendu visuel suivant l’espace dans lequel elle est présentée. Le régime installatoire conduit l’oeuvre a réagir à l’espace de monstration en le transformant et non plus simplement en l’accompagnant.

Il suffit pour prendre conscience de cela de comparer les tableaux d’Olivier Debré dans leurs monstrations au musée des Beaux-arts et à la mairie. Le lieu transforme fondamentalement la façon dont perçoit l’oeuvre et inversement l’oeuvre transforme fondamentalement le lieu.

Actuellement au centre de création contemporaine, l’exposition de Tania Mouraud présente ce principe de l’installation. En 1969, cet artiste français brûle la quasi intégralité des tableaux qu’elle avait réalisés. Elle se lance dans la construction de pièces initiatiques. Des espaces pour la plupart blancs dans lequel le spectateur lorsqu’il pénètre se retrouve face à rien. Le centre d’art avec l’artiste a recréé un espace réalisé en 1969 intitulé initiation room 2. L’espace vide de tout élément touche le spectateur par une d’introspection. À la monochromie de l’espace correspond la monotonie d’un son d’une fréquence de 200 Hz qui isolent alors le spectateur dans une bulle. L’enjeu pour l’artiste est de revenir sur cette assimilation de l’oeuvre par le regardeur. L’installation est alors une mise en condition physique par l’oeuvre de celui qui la pratique.

L’autonomie du tableau telle qu’aujourd’hui on le présente dans les musées est une sorte de détournement de l’oeuvre en elle-même. Dès le XIVe siècle le retable est produit pour un espace spécifique. La scénographie qu’elle soit interne ou externe au tableau dialogue entre l’espace de l’observateur et l’espace artistique. Le principe de l’installation est de se remémorer la scénographie qui pouvait mener à observer ses tableaux dans leurs contextes originaux. Même si l’oeuvre va devenir autonome et semble t-il suffisante à partir du milieu du XVIIe siècle, elle n’en reste pas moins dépendante de l’espace de monstration. En effet, comme le spectateur fait l’oeuvre, l’espace de présentation impacte celui qu’il observe. La prise de conscience des artistes d’une telle inflexion les conduit toujours à envisager l’espace de présentation comme opérant dans l’observation de leurs travaux. Dans notre cycle consacré à l’espace au temps et à la sensorialité, nous comprenons que pour que l’oeuvre pour une réception sensorielle et mentale définit l’espace et le temps à être empiriques. Afin de que la distance entre l’oeuvre et le spectateur se réduise les artistes de la seconde moitié du XXe siècle exploiteront l’installation artistique comme le moyen de ne plus générer deux espaces mais bien un seul où se retrouvent à la fois l’artiste, l’oeuvre et son spectateur.


1 commentaire:

  1. Pour être honnête, j'avais du mal à trouver la bonne info avec tous les blogs qu'il y a dans ce domaine. Et je suis tombée sur vous ! Je crois qu'on a la même passion et qu'on partage beaucoup de goûts en commun ! Bravo et merci ! Je vous ajoute. deco bapteme

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